Chapitre soixante-huit


CLAIRE


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Je flotte...

Cette sensation de légèreté est agréable.

Je ne suis plus oppressée par ce poids sur ma poitrine. Je peux à nouveau respirer. Inspirer. Une action à laquelle on ne prête pas attention tant elle est naturelle. Expirer... Pour mieux me remplir d'air à nouveau. Et recommencer ainsi à l'infini... 

Mais quand cette fonction vitale est entravée, la première goulée n'en est que plus douloureuse pour les poumons, les bronches, la trachée. Et pourtant je me délecte de cette douleur. Je la recherche et la provoque. J'inspire et expire volontairement jusqu'à en avoir la tête qui tourne. Jusqu'à en voir des points noirs brouiller ma vision. Jusqu'à...

Je savoure cet état d'apesanteur où tous les bruits sont atténués comme si je me trouvais à l'abri dans un cocon. Tous mes sens sont engourdis. Je tente de bouger mes membres mais rien ne se passe. Je respire encore avec difficultés mais je suis en vie, du moins, c'est l'impression que j'ai. Depuis combien de temps suis-je dans cette position à la fois rassurante et protectrice ? Je n'en ai pas la moindre idée.

Je devrais ouvrir les yeux : mais je n'en ai pas la force.

Je devrais définir à qui appartiennent ces voix : mais je n'y arrive pas.

Je devrais essayer de comprendre ce qui m'arrive : mais à quoi bon.

Je devrais reconnaître cette chanson : mais elle est recouverte par un bruit.

Un bruit de fond tinte à mes oreilles comme des acouphènes de mélancolie. Cette mélodie fait écho à mon enfance, à mes souvenirs, à des moments de ma vie où un rien faisait mon bonheur. Mon esprit est paisible, je me sens pacifiée, et j'accepte de me laisser emporter par cette vague de nostalgie qui m'entraîne loin, très loin.

Trop loin peut-être...


Je me perds dans cet indicible néant :

« Qui tape aussi fort ?

Les cliquetis sont répétitifs et cadencés.

Tout comme pourrait le faire un pivert martelant l'écorce des arbres entourant la clairière. Je suis sur le dos, allongée dans l'herbe, les bras en croix, exposant les paumes ouvertes de mes mains vers le ciel bleu, sans le moindre nuage. 

Je profite de la caresse du soleil qui réchauffe mon corps et savoure cette brise naissante qui fait bruisser les feuilles entre elles. Le chant des oiseaux me berce pourtant parmi tous ces bruits mélodieux à mon oreille, il y a le plus beau de tous.

— Maman, maman !

— Oui mon bébé.

De sa bouille boudeuse, il se défend.

— Je ne suis plus un bébé.

— Tu as raison mon garçon.

— Regarde maman ! Ça, c'est un bébé.

Il me montre de son doigt un nid dans le creux d'un arbre avec des oisillons et leur maman.

— Tu as raison ce sont des bébés.

Mon boudeur laisse soudain la place à une grimace de dégoût.

— Beurk ! Tu me donnais à manger des vers toi aussi ?

— Non mon amour. Voyons tu n'es pas un oiseau.

Je lui tends les bras pour lui faire un câlin quand il me regarde droit dans les yeux. Je ne peux m'empêcher d'y reconnaître les pupilles de mon violeur. Mon bébé a les iris de son géniteur, celui qui m'a bousillé, tout arraché, tout pris, tout volé.

— Pourquoi tu es triste quand tu me regardes maman ?

Je ne suis pas triste, je suis juste effrayée par la similitude de leur regard. À cet instant, il est à la fois charmeur et mauvais garçon. J'en ai la chair de poule. Ont-ils d'autres points communs ? A-t-il hérité des gènes de ce monstre de cruauté ? 

Se peut-il que mon tout-petit devienne un jour un homme aussi abominable que lui ? Rien que d'y penser, j'en ai l'estomac au bord des lèvres et il me faut toute ma concentration et mon amour pour ce petit être pour le ravaler et tenter de lui répondre.

— Ce n'est rien... Ne t'inquiète pas mon garçon.

Le boudeur est de retour accompagné de cette nouvelle hostilité à mon égard.

— Maman ? !

Son ton autoritaire se teinte d'amertume et devient menaçant. Comment un mot aussi beau et tendre que maman, peut devenir aussi effrayant ainsi prononcé. J'essaye de faire de mon mieux pour ne pas laisser transparaître ma peine.

— Oui Julien ?

Je sens que la terre va s'effondrer sous mes pieds. Elle va m'engloutir, je le pressens, le soupçonne, le sais... Je suis désorientée par son ressentiment pensant naïvement que ce jour n'arriverait jamais. Je serre les mâchoires en appréhendant sa question. L'intonation de reproche dans sa voix me fait froid dans le dos. Je frémis de la racine des cheveux jusqu'au bout de mes orteils.

— Pourquoi tu ne m'aimes pas ?

Son accusation est tel un poignard planté en plein cœur. J'arrête de respirer. Les gouttes de sueurs froides sillonnent ma nuque. Ma bouche s'ouvre mais reste muette.

— Hein... Maman ! POURQUOI ?

La colère et l'incompréhension s'échappent de chacune de ses pores. Il attend ma réponse les bras croisés et ne se démonte aucunement en soutenant mon regard. Pas un geste, pas un mot, même pas une ébauche de sourire. Au contraire, plus j'attends, plus ses traits angéliques disparaissent. Je dois vite me reprendre et lui prouver qu'il a tort.

— Mon fils, tu ne peux pas penser ça. Tu es ce que j'ai de plus cher...

Le calme s'est fait dans la clairière, ce qui ne présage rien de bon. Il n'y a plus de vent, le soleil est voilé par de lourds nuages et pourtant la température ne cesse de grimper. Même les oiseaux se sont tus préférant se cacher dans les arbres.

— Dis le moi alors !

— Si seulement tu savais, sangloté-je.

Un ricanement diabolique s'échappe du plus profond de sa gorge. Julien se lève et se met à courir tout autour de moi. Mes bras, mes jambes sont subitement attachés et plus il rit et plus les liens se resserrent. Je n'arrive pas à me détacher, à retirer les racines qui se sont entourées autour de mes poignets, ni à arracher celles qui entravent mon corps. »


Un instant de déconcentration pendant ma bataille pour me libérer et me revoilà partie dans la chambre. La douleur est intolérable. La voix de Marcus me terrifie tout autant que ses mots. Les coups pleuvent accompagnés d'insanités et je ne peux même pas les arrêter, les contrer. Mon Dieu que quelqu'un me vienne en aide ou alors ayez pitié de moi... Laissez-moi mourir. Je n'en peux plus, mon corps non plus. Nous n'avons plus aucunes forces et je rends les armes. Je dois me rendre à l'évidence, cette fois Marcus va gagner...


« Cette voix au loin... C'est la voix de Julien. Elle me captive, m'attire et me ramène à lui. Pourtant ses mots sont violents et moqueurs pour mon cœur de mère. Il tourne de plus en plus vite autour de moi. 

J'ai des vertiges, ma tête me fait de plus en plus mal, mes yeux se noient dans mes larmes, ma bouche a ce goût métallique que je déteste tant. Le sang coule de tous les pores de mon corps et l'herbe change doucement mais sûrement de couleur. En peu de temps, la clairière a revêtu un manteau vermillon.

— Maman ne m'aime pas ! Maman est une menteuse, chante-t-il à tue-tête.

Il m'éclabousse de la tête aux pieds à chaque pas qu'il fait avec ses chaussures qui pataugent dans les flaques sanguinolentes.

Il ricane, se moque, s'amuse de moi, alors que je vis certainement mes derniers moments.

— Arrête ! Non, je t'en prie, ne fais pas ça...

Son visage arbore ce sourire mordant que je hais tant. Sa bouche se tord au fur et à mesure que la violence s'empare de lui. Ses traits disparaissent un à un après chaque coup que je reçois. Après chaque insulte, des rides viennent se former. Après chaque humiliation, une barbe naissante prend place sur son menton, puis ses joues.

Le visage de Julien change et se fond peu à peu avec celui de son misérable géniteur. Ce coin de douceur avec mon petit finit de se superposer avec l'impasse mortelle de Marcus. Ça y est...

Père et fils ne font qu'un !

— Non, hurlé-je.

Je ne veux pas qu'il souille les ailes blanches de mon petit ange.

Dans un ultime sursaut où je rassemble le peu de force qu'il me reste, je le supplie :

— Non Marcus... Ne me prends pas mon bébé.

Mais c'est trop tard. Je le sais. Le démon a pris place dans ce petit être pour achever sa torture. Julien n'existe plus.

La voilà sa vengeance ultime. »


— Bébé, réveille-toi.

Je m'agite, je sens mon corps meurtris, j'ai mal, très mal, j'en crève tellement les douleurs me transpercent de toutes parts.

Je constate que l'on me secoue l'épaule doucement.

— Bébé, tu m'entends ?

Cette voix ? Je la connais. J'essaye de me concentrer sur les mots. Elle est douce, apaisante, aimante. Pourtant, je perçois une pointe d'inquiétude ? Pourquoi a-t-il aussi peur ?

Mais je n'ai pas de temps à perdre pour lui répondre.


« Je ne veux pas abandonner mon tout-petit, mon amour, mon bébé. Je ne peux pas le lui laisser. Il ne peut pas me le prendre une seconde fois.

Jamais je n'accepterai qui l'emporte avec lui dans les ténèbres qui attendent Marcus les bras ouverts. Je me battrai bec et ongles s'il le faut. Je suis prête à mourir, à prendre sa place pour qu'il vive, car pour moi, rien n'est pire que sa perte.

Mon Julien n'est que pureté là où lui n'est que noirceur.

Mon Julien n'est que douceur là où lui n'est que violence.

Mon Julien...

Je le vois disparaître.

Son image devient floue.

Je hurle mais il ne réagit pas.

Je l'appelle mais il ne se retourne pas.

Son géniteur le tient par la main alors que je me débats.

Il le traîne derrière lui. L'oblige à le suivre.

J'entends ses pleurs. Je l'entends m'appeler.

Alors dans un ultime effort, je crie de désespoir :

— Mon bébé... Je t'aime. »


♡♡♡♡

« VIS POUR CE QUE DEMAIN VA T'OFFRIR

ET NON POUR CE QU'HIER T'A ENLEVÉ »

♡♡♡♡

Bisous mes Loulous

Kty

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