Chapitre quarante-sept - 1
MILO
≈ ≈ ≈ ≈
Je scrute avec toujours autant d'attention cette photo. Celle où nous sommes à la plage. Je n'en reviens toujours pas de nous voir en train de rire et de jouer ensemble avec Judith. Je n'arrive pas à la quitter des yeux.
C'est bien ma cousine Judith...
C'est bien celle que je déteste !
Et pourtant, elle m'aide en tenant mon seau pendant que je le remplie de sable humide. Ma petite pelle à l'air lourde et mon oncle rigole, de nous voir faire. Il est lui aussi en maillot de bain en train de fumer une cigarette. Ses cheveux mouillés plaqués en arrière, il est assis sur une grande serviette de bain bleue à rayures blanches afin de sécher son corps luisant d'eau de mer sous le soleil. J'aperçois une autre serviette à côté de lui — rouge celle-ci — sur laquelle sont déposés, une belle paire de lunette de soleil et un magazine féminin.
— Lucas tu veux bien fouiller pour voir s'il y a d'autres photos comme celle-ci ?
— Tu as trouvé quelque chose ?
— Oui. Cependant il y a beaucoup de détails que je ne perçois pas.
— Comme quoi ?
— C'est pire qu'un puzzle dont on n'aurait pas toutes les pièces et dont on ne connaît pas l'image à reproduire. Déjà Judith et moi jouant ensemble, tout en riant, c'est dur à croire et pourtant j'en ai la preuve devant les yeux. Mais j'ai beau passer au peigne fin mon passé, je ne m'en souviens pas.
— C'est normal mon ange, tu étais trop jeune.
— Sans doute, réponds-je en haussant les épaules.
— Tu m'as dit qu'il y a plusieurs éléments qui t'intriguent ?
— Ben je n'ai jamais vu mon oncle détendu, heureux, et de plus, il nous dévore des yeux. Et puis, il y a une autre personne, ces lunettes et ce magazine sont à une femme. Ici, tu vois ? indiqué-je du bout du doigt, en approchant un peu plus la photo de Lucas.
— En effet... Donc, tu veux voir si elle apparaît sur une autre photo, et si on peut la reconnaître ?
— Oui, ça m'aiderait peut-être à comprendre.
Nous prenons chacun un tas de photos et les regardons.
— Tu sais quoi Milo ? Nous devrions les ranger par âge.
— Mais oui, c'est une bonne idée, Amour.
Je lui donne un baiser pour le remercier de son soutien ainsi que pour ce judicieux conseil. Pourvu que cela nous aide. Nous mettons en pratique, cette nouvelle manière de ranger, en classant chronologiquement les photos devant nous.
En partant de ma naissance jusqu'à mon vingt-deuxième anniversaire.
Le dernier, que j'ai passé en famille.
— Voilà une bonne chose de faîtes, lance Lucas.
— En effet, voici ce que représentent vingt-deux ans de ma vie, annoncé-je d'un rictus désabusé en balayant de la main cette suite de photos.
— Je comprends Milo, que ça te fasse mal, mais comme tu le sais ce n'est qu'une infime partie.
— Oui mais une partie pourrie par la haine, les mensonges et les secrets.
— Tu oublies l'amour mon ange. Regarde ta mère, ce sourire sur son visage ne trompe pas. Et si je peux ajouter, sans que tu hurles, celui de Judith. Elle te couve des yeux, son regard tendre le prouve.
— Mais comment c'est possible Lucas... Hein ! Comment c'est possible ? Son père a fait de la vie de ma famille un enfer. Il était jaloux de mon père, de sa bonne entente avec mon grand-père. Il disait qu'il était le chouchou et qu'on lui laissait tout passer, ainsi qu'à moi, parce que j'étais le seul petit-fils. Il lui mettait tout le temps des bâtons dans les roues au travail, quitte à ce qu'il perde des affaires et ridiculise le cabinet d'avocat qu'avait créé mon grand-père.
— D'accord Milo, mais ça, c'était des histoires d'adultes. En quoi cette haine vous concernait, toi et Claire.
— Vu de l'extérieur, je comprends que tu le ressentes de cette façon. Mais quand tu vois ton père, tous les soirs, hurler après son frère et raconter à ma mère, ce qu'il avait encore fait pour le décrédibiliser. Quand tes parents attendent que tu sois couché pour se rendre dans le bureau de mon père et s'engueuler à cause de lui, de sa femme et de leur fille. Petit à petit, tu ne peux pas faire autrement que de les détester aussi. Et puis un soir, leurs voix étaient tellement fortes, que je suis descendu parce que j'avais peur pour ma mère tellement mon père hurlait sur elle.
— Tu as su pourquoi ?
— C'était à cause de Judith !
— Mais qu'est-ce que cette gamine avait bien pu faire ?
— Je ne sais pas Lucas. Mais mon père était dans une colère noire. Il hurlait à ma mère que Judith était la fille du démon et qu'il n'était pas question qu'elle puisse la voir et encore moins, que moi je la vois. Qu'elle lui en avait fait la promesse et qu'il n'était pas question qu'il la laisse revenir dessus. Ma mère avait voulu lui répondre en lui disant qu'il ne pouvait pas le lui interdire. Et il l'avait giflée tellement fort, que ma mère en était tombée au sol.
J'avais hurlé et couru vers ma mère en pleurant parce que dans ma tête d'enfant, je pensais qu'elle était morte. Elle ne bougeait plus et ne me répondait pas. Mon père m'avait ordonné de me relever en me disant, que c'était de la faute de mon oncle et de Judith, si elle était dans cet état.
— Mon ange...
— Attends laisse-moi finir. Ma mère avait repris ses esprits, alors que mon père crachait toujours sa haine. Elle pleurait et de sa lèvre entaillée coulait un filet de sang, je l'avais essuyé avec mon mouchoir blanc brodé. Et je lui ai fait la promesse qu'ils ne lui feraient plus jamais de mal. Ma mère m'avait remercié en me prenant dans ses bras et en me caressant les cheveux tout en me disant :
« Sylinho. Eu te amo. » (¹*
« Parle-lui en français, avait rugi mon père. »
« Não chore. Não escute seu pai, seu prima é um anjo. » (²*
— Mon père l'avait attrapé par le bras pour que ma mère me lâche et la relever. Puis il l'avait menacé :
« Tu lui parles encore une fois en brésilien et tu auras droit à un billet retour pour ce pays que tu aimes tant. »
« Tu ne peux pas me faire ça »
« Tu veux me défier ? Je te préviens si tu parles, il restera avec moi »
Tout cela est revenu à la surface en même temps que je l'ai raconté à Lucas.
— Mon Dieu Milo, tu te rends compte de ce que tu viens de me dire ?
— Lucas, tu dois me croire, je ne m'en souvenais plus. Les souvenirs de cette scène me sont revenus au fur et à mesure.
— Mais je te crois mon ange, c'est juste que s'il t'a menti, ce soir-là, dans son bureau, il l'a sans doute fait pour d'autre chose. Souviens-toi de ce qu'il te disait pour ta tache de naissance.
Je reprends la photo de la plage et la montre à Lucas.
— Regarde bien le haut de la cuisse de Judith !
Il inspecte la photo et d'un seul coup, il s'écrit :
— Elle a la même tache de naissance que toi ! Tu te rends compte ?
— Je me rends surtout compte que d'énormes secrets, nous ont été faits.
— Est-ce que tu sais qui dans ta famille possède cette tâche ?
— Non. Je pensais être le seul à l'avoir.
— Dans ce cas, nous devrions regarder les quatre autres photos que l'on a sur cette journée à la plage, me propose Lucas.
— Ok ! Faisons ça !
Le premier cliché est pris par la même personne et sous le même angle ce qui ne nous apporte pas plus d'indice. Si ce n'est, que mon oncle sourit de toutes ses dents à la personne, qui prend la photo.
Sur la deuxième, Judith et moi sommes en train de manger une glace et j'ai du chocolat plein le visage. Elle me le nettoie avec un mouchoir blanc brodé. Son sourire est magnifique et tellement réconfortant, que je comprends à cet instant, pourquoi le sourire de Claire me faisait tant de bien.
— Lucas tu as vu son sourire ? C'est celui de Claire !
— Oui Milo, je l'ai reconnu tout de suite. Ce fameux sourire qui te plaisait tant chez elle. Nous avons enfin trouvé sa signification, mon ange.
— Je n'en reviens pas. Comment je n'ai pas su identifier ce sourire ?
— Tu l'as reconnu en quelque sorte mais tu ne savais pas à quoi ou à qui l'associer. Maintenant tu sais que c'était celui de ta cousine que l'on t'a forcé à détester.
— Tout cela n'est qu'une histoire d'adulte et nous n'aurions jamais dû y être mêlés, me lamenté-je.
— C'est sans doute, ce que ta mère voulait faire admettre à ton père.
— Tu te rends compte qu'il l'a giflé au point qu'elle tombe dans les pommes puis qu'il l'a menacé de la renvoyer au Brésil sans moi. Mais comment j'ai pu oublier tout le mal qu'il lui a fait ce soir-là ? avoué-je en sanglotant.
— Il me semble que l'on appelle ça « l'amnésie traumatique ». Suite à un choc, ton esprit le dissimule au plus profond de soi. C'est un mécanisme d'autoprotection.
— Ce qui veut dire, que je sais tout cela, mais que mon esprit me le cache pour mon bien.
— C'est ça mon ange. Et le fait de voir les photos et d'en reparler et bien tu as fait remonter tout ça à la surface.
— Tu crois que j'ai d'autres choses enfouies en moi ?
— Peut-être... Sans doute même.
— Alors continuons de regarder les photos.
Je suis avide de me souvenir du moindre détail pour enfin connaître la vérité sur ma famille, sur mon enfance, sur ma cousine...
— Tiens, il y a encore celle-là, à la plage.
Nous la regardons ensemble pour essayer de voir un indice, un signe, un souvenir... Mais rien de plus, que nous n'ayons déjà trouvé sur les autres. Je la range dans la bonne pile avec les autres et passe au tas suivant.
Sur cette série, nous sommes tous les six dans le chalet à la montagne. Mon oncle, ma tante et Judith sont aussi venus dans notre chalet ?
— Tu as quel âge là ?
— Quatre ans !
— Donc Judith à six ans, c'est ça ?
Je retourne la photo et ça confirme ce que nous venons de dire pour l'âge. Par contre l'annotation : « Noël 92 » me laisse sans voix. Je la montre à Lucas qui reste aussi silencieux que moi. Il me laisse le temps de réfléchir pendant qu'il trie le tas de photos de cette période.
— Regarde Milo...
Je détaille et scrute la moindre parcelle de cette image. Judith et moi ouvrons nos cadeaux.
Ensembles.
Encore une fois...
Nos parents sont souriants et il n'y a pas la moindre trace d'animosité entre mon oncle et mon père.
— Tu t'en souviens ? tente Lucas.
Au moment où j'allais lui répondre, j'ai le flash d'un déguisement de chevalier qui m'apparaît.
Une seconde.
Mais cette seconde aura suffit et mes lèvres s'étirent de bonheur à ce souvenir.
— Dans la boîte que j'ouvre, se trouve un déguisement. Celui d'un chevalier avec son armure et son épée.
— Qu'est-ce qui te fais sourire ?
— Je me souviens de son cadeau.
— C'était quoi mon ange ?
— Judith avait commandé au père noël un déguisement de princesse.
≈ ≈ ≈ ≈
Traduction des phrases en brésilien (portugais)
(¹* : Petit Sylvain. Je t'aime.
(²* : Ne pleure pas. N'écoute pas ton père, ta cousine est un ange.
≈ ≈ ≈ ≈
Bonne soirée mes Loulous.
Kty
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