Chapitre cinquante-sept


CLAIRE

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Lewis m'a conduite à la maison des pins sous les conseils de Milo, afin que nous y passions quelques jours seuls.

Tous les deux. En amoureux.

Ça, c'était l'idée de départ et dans un autre lieu, j'aurai adoré cette surprise.

Sauf que là, c'est juste impossible ! J'admets tout à fait que Lewis ait pu être emballé par la description que Milo a dû faire de cet endroit. Moi aussi, fut un temps, j'ai adoré cette maison, ses pins, sa plage et cette vue magnifique sur la mer, dont je pouvais en apprécier la beauté de la fenêtre de ma chambre. 

J'y ai passé des moments merveilleux avec mes parents mais surtout avec mon père. Nous allions nous balader dans les bois à la recherche de champignons, de baies ou de fleurs sauvages en fonction des saisons pendant que ma mère lisait allongée sur un bain de soleil avec sa grande capeline blanche qui lui couvrait la tête ainsi que les épaules et à laquelle elle avait attaché ce voile qui lui protégeait le visage ainsi que le haut du buste. 

Je n'ai jamais compris comment elle supportait la chaleur de l'endroit habillée ainsi de la tête aux pieds. Elle ne profitait pas du soleil et encore moins de la mer. C'est simple, je ne l'ai jamais vue en maillot de bain.

Souvent le matin, nous marchions jusqu'au moment de rencontrer le petit sentier caillouteux qui permettait de rejoindre la barque amarrée au ponton. Et nous partions à la pêche, que tous les deux. Mon père était d'une patience d'ange, du plus loin que je m'en souvienne, je la mettais à rude épreuve. J'avais le chic pour accrocher mon hameçon au fil de sa canne ou pour décrocher mon poisson trop tôt et de ce fait, il retournait à la mer au lieu de finir dans notre glacière. 

Alors souvent, pour éviter que maladroitement je ne finisse à l'eau, je m'asseyais à ses côtés sur la boîte en bois délavée. Elle lui servait pour ranger les fils, hameçons, et autres vers et appas. J'étais très fière de lui servir d'assistante. Ce que je préférais, c'était de tendre l'épuisette pour que mon père n'ait plus qu'à déposer le poisson dedans. Puis bien vite, il venait m'aider à le ramener à bord de la barque et une fois le poisson entre ses mains, je détournais le regard le temps que mon père le décroche.

Ce sont des heures complices que j'avais passées avec mon père. Il avait toujours une histoire à me raconter et j'étais en admiration devant lui.

Ce sont les Tucmont qui s'occupaient de la maison et du jardin à l'année ainsi que du potager. La sœur était un vrai cordon-bleu et le plaisir que j'avais d'apprendre la cuisine avec elle n'avait d'égal que la dégustation de nos préparations. Tous ces souvenirs déferlent dans ma tête, passent devant mes yeux et j'arrive même à ressentir certaines odeurs dont la tarte aux myrtilles qui avait été ma plus belle réussite.

Mais tout ceci s'est arrêté l'été de mes onze ans. Le jour où mon père m'a annoncé que la maison des pins appartenait à présent à son frère. Et qu'il nous était interdit de nous y rendre. Je me souviens avoir pleuré longtemps, seule dans ma chambre. Mon père était retourné travailler et ma mère comme à son habitude était dans sa pièce, à lire en écoutant Mozart, Beethoven et autres classiques.

De temps à autre, elle jouait elle-même ces morceaux au piano. J'aurais tant aimé qu'elle m'apprenne à en jouer, mais elle a toujours refusé prétextant que je n'étais pas assez disciplinée et studieuse.

Pourtant je faisais tout mon possible pour lui démontrer le contraire en ayant les meilleures notes dans toutes les matières, en me disant qu'un jour, elle accepterait en voyant mes efforts. J'essaye de lire beaucoup aussi pour comprendre ce qu'elle éprouvait en lisant tel ou tel livre. C'était aussi une façon de partager quelque chose avec elle. Mais ce n'était jamais assez. Alors quand j'ai dû choisir pour mes études, j'ai opté pour suivre une filière littéraire. C'est la première fois où j'ai aperçu un air de satisfaction sur son visage.

J'ai beau réfléchir, mais je n'ai aucun souvenir d'un sourire ou d'un instant de joie qui l'aurait rendu heureuse. Je m'étais habituée à ce qu'elle soit ainsi et sans même m'en rendre compte, je me suis tournée instinctivement vers l'endroit où son bain de soleil était installé auparavant. Bien sûr il n'est plus à sa place, mais j'arrive à superposer mon souvenir avec le présent, ce qui me donne l'impression qu'elle est toujours allongée.

Lewis est en appui sur le capot de sa voiture de sport rouge et attend patiemment à l'ombre, que je fasse le tour de mes souvenirs, que je revienne à la réalité, et que je lui explique pourquoi il nous est impossible de rester ici. Même si Milo lui a donné les clés, nous n'en avons pas le droit.

≈ ≈ ≈ ≈

Je sens Lewis se rapprocher de moi mais je n'arrive pas à bouger ni à serrer sa main pour qu'il me rassure. Pour qu'il me dise que je ne rêve pas. Cet homme sorti de nulle part me tétanise et je n'arrive même pas à répondre aux questions de Lewis qui s'inquiète de mon mutisme jusqu'au moment où il aperçoit l'homme que je fixe.

Instantanément Lewis se place devant moi pour me protéger. Il me ceinture de ses bras et me colle à son dos. Je ne vois plus, je ne bouge plus mais mon esprit lui carbure à mille à l'heure. Et les informations qu'il me fournit ne peuvent pas être les bonnes. Pourtant son visage même vieillit me rappelle quelqu'un. 

Serait-ce Monsieur Tucmont ? C'est ça, il a dû venir à la demande de Milo pour ouvrir la maison, faire le ravitaillement. J'espère que sa sœur se trouve là aussi. Le temps que je me pose toutes ses questions Lewis essaye de lui parler mais l'homme n'est pas coopératif et nous ordonne même de partir en nous disant que nous sommes sur une propriété privée.

Lewis va pour rétorquer, mais je suis plus rapide que lui et sors de ma cachette pour parler à cet homme.

— Monsieur Tucmont ? demandé-je.

Je m'approche de lui tout en posant ma question, alors que Lewis râle devant mon imprudence.

— Comment vous connaissez mon nom ?

— Je suis la fille de Louise et Léon de Gasperide. Vous vous souvenez de moi ?

Il a l'air surpris au point d'en laisser tomber son panier et de laisser se répandre son contenu sur le sol.

— Judith ?

— Oui, lui réponds-je, même si entendre mon ancien prénom me fait grimacer.

— C'est bien toi Judith ?

Je hoche la tête pour le lui confirmer avant de continuer mes explications.

— Je ne suis pas en infraction si c'est ce qui vous a fait peur ? C'est Milo qui nous a prêté les clés pour quelques jours.

— Milo... Mais qui est Milo ? me demande-t-il totalement perdu.

— Heu, oui... C'est Sylvain, le fils de Fernand et Paloma qui nous a permis de venir. J'aurais dû vous donner son ancien prénom, désolée.

Lewis se positionne à côté de moi et ne le lâche pas du regard. On dirait même qu'il étudie le moindre de ses gestes.

— C'est ton cousin qui vous a dit de venir ?

— Oui...

Il ne me laisse pas terminer ma phrase et marmonne des mots incompréhensibles.

— C'est impossible Sylvain ne ferait jamais ça !

Il s'assoit à même le sol et se prend la tête entre les mains tout en continuant de murmurer des mots entre ses dents de façon confuse.

— Gustave vous êtes d'accord pour que je m'approche de vous ?

— Bébé, non tu ne devrais pas !

— Lewis, je le connais il ne me fera pas de mal.

Sans attendre sa réponse, j'avance vers lui quand je capte quelques bribes de mots :

« Sylvain et Judith » « Impossible » « Fernand » « Paloma »

Son regard, quand il croise le mien me désarme. Ses yeux humides me supplient de répondre à une question muette et je hoche la tête. Je m'élance vers lui et tombe dans ses bras. Ils les resserrent autour de ma taille, avant que Lewis ne hurle :

— Claire, arrête-toi !

Mais c'est déjà trop tard, je suis agrippée à son cou et je pleure toutes les larmes de mon corps.

— Mon bébé d'amour, ma Judith...

— Oui papa. C'est bien moi, hoqueté-je.

Il me serre encore plus fort et nous restons dans les bras l'un de l'autre sans rien nous dire. Nous sommes tous les trois choqués par cette découverte.

— Comment c'est possible papa ? L'incendie de la maison, votre mort à maman et à toi ?

— Je ne suis pas mort dans l'incendie contrairement à ta mère.

— Mais comment...

— J'ai été assommé par une poutre et j'ai perdu connaissance. Il déglutit bruyamment avant de continuer péniblement. Quand je me suis réveillé à l'hôpital, je ne savais plus qui j'étais. J'ai perdu la mémoire et la tête pendant de longues années, me révèle-t-il.

— Ben voyons, s'exclame Lewis. Vous dites être son père ? Mais vous avez de quoi le prouver ?

— Mais enfin Lewis ! m'indigné-je.

— C'est trop facile de dire que l'on est telle ou telle personne, colère-t-il.

Il se tourne vers mon père qui ne se démonte pas et qui le fixe à son tour.

— Ton ami me plaît bien ma fille.

— N'essayez pas de m'endormir avec vos belles paroles !

— Rentrons ! Nous serons mieux pour en discuter autour d'une tasse de café. Enfin si ton ami est d'accord ? me demande-t-il.

Mon père n'a pas perdu son sens de la repartie, ni sa voix grave, ni sa facilité a donné un ordre sans jamais rien imposer.

— Lewis, tu viens ?

Je lui tends la main, attendant sa réponse. Il me rejoint en deux pas et j'en perds le souffle. Ses yeux noirs et ses sourcils froncés me font de l'effet et mon bas-ventre est d'accord avec moi. Même en colère, il est canon. Il dégage une puissance et une autorité...

— Hors de question que je te laisse avec cet inconnu, ajoute-t-il en ronchonnant.

Il me prend la main et m'attire à lui afin que nous suivions à plus d'un mètre celui qu'il pense être un imposteur. Je ne vais pas m'en plaindre. Le sentir tout contre mon corps demandeur me réjouis, mais je dois me reprendre et ne pas oublier que la situation est compliquée.

— Lewis, pourquoi tu ne le crois pas ?

— Parce ce que je ne veux pas que tu te fasses de fausses joies.

Son ton de voix me confirme qu'il est vraiment inquiet pour moi et je trouve ça très touchant, cependant je me dois de le rassurer. Mais l'envie de le taquiner un peu me démange.

—Tu es adorable Honey, mais ta gêne ne serait pas due plutôt au fait qu'il m'a serré dans ses bras ?

— Tu me crois à ce point insensible et jaloux ?

Je savais bien qu'il démarrerait au quart de tour, c'en est même trop facile.

— Insensible ? Je fais une pause de dix secondes avant de lui répondre. Non ! Par contre jaloux, oui ! ajouté-je en me marrant.

Il me décroche une œillade réprobatrice qui me stoppe dans mon élan. Tant pis pour lui, il n'aura pas de bisous. Je me détourne le laissant à sa bouderie injustifiée à mes yeux au moment où mon père ouvre la porte.

Oui mon père.

Car contrairement à Lewis, moi je n'ai pas de doutes.

Certes il a beaucoup changé en sept ans, mais ces yeux sont toujours les mêmes, sa façon aussi de me regarder en me couvant, ses gestes et puis chose que je ne peux pas nier et qui me rassure, mon cœur l'a reconnu.

Du plus profond de mon âme, je sais que c'est lui.

C'est mon papa, mon papounet, me crie mon cœur d'enfant.

Celui que j'aimais par-dessus tout, celui que je pleure depuis sept ans. Il est là devant moi, en chair et en os et j'ai encore du mal à y croire. Il me tarde de connaître ses explications et de comprendre pourquoi il n'a jamais repris contact avec moi ? Mais j'entends du bruit dans l'arrière-cuisine et je me demande qui cela peut-être, quand une voix aiguë demande :

— Gustave, c'est toi ?

Alors que nous entrons dans la pièce mon garde du corps toujours devant moi.

— Oui pauvre folle qui veux-tu que ce soit, lui répond-il.

Je lance un regard interrogateur à Lewis. Aurait-il raison ? Cet homme serait-il un imposteur ? Gustave est le prénom de Monsieur Tucmont, alors pourquoi l'appelle-t-elle ainsi, je n'y comprends plus rien ? Et encore moins, quand je vois apparaître dans la cuisine cette femme.

— Madame Tucmont, c'est bien vous ?

— En effet, je m'appelle bien Adèle Tucmont et vous, qui êtes-vous ?

Je n'ai pas le temps d'ouvrir la bouche qu'il lui répond tout sourire :

— C'est Judith, tu te rends compte.

— Oh mon Dieu, s'écrit-elle en plaçant ses mains devant la bouche.

Je regarde alternativement celui qui dit être mon père et Adèle. J'essaye de détecter ce que je n'arrive pas à comprendre.

— Judith, je vois bien que tu te poses beaucoup de questions, alors assieds-toi avec ton ami et laisse-moi te raconter ma vie depuis ces sept dernières années.

Nous n'avons pas le choix que de faire ce qu'il nous demande si l'on veut connaître la vérité. Je suis curieuse d'en apprendre tous les détails.

Et surtout, pourquoi il n'était pas là pour me sauver de l'emprise machiavélique de Marcus.

≈ ≈ ≈ ≈

Alors d'après vous, Claire a-t-elle raison ?

Ou bien est-ce que Lewis a le bon sens de se méfier ?

Se peut-il qu'il soit son père ou est-il un imposteur ?

Qu'en pensez-vous ? 

J'ai hâte de lire vos suppositions !

≈ ≈ ≈ ≈

J'espère que vous profitez, vous aussi, de cette semaine de férié pour buller et lire !

😘 Bisous mes Loulous 😘

Kty

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