Chapitre cinquante-huit
MILO
≈ ≈ ≈ ≈
Mon père est là, assis dans le fauteuil face à moi, pieds et mains liés. Il n'est plus cet homme arrogant, hautain et blessant qui me terrorisait étant plus jeune. Il se sentait tellement supérieur, qu'il ne laissait jamais passer une occasion de le démontrer, que ça soit dans son entreprise ou dans la sphère familiale.
Rien, ni personne n'y échappait.
Mais cet homme se tenant face à moi n'a plus rien à voir physiquement avec cette personne. Il a vieilli, s'est laissé aller et apparemment l'alcool ne devait plus lui suffire parce que je suis persuadé qu'il a de gros soucis de drogue vu son état de manque.
Ces sept années m'ont permis de grandir, de mûrir, de changer mais elles l'ont aussi transformé en un être plus vil qu'il ne l'était auparavant.
Depuis quand a-t-il besoin de garde du corps ? Est-ce que c'est lié à un trafic quelconque ? Avoir le pouvoir, l'argent, et la mainmise sur l'entreprise n'a ne semble-t-il pas été suffisant.
Il ouvre enfin les yeux. Je vais pouvoir le questionner et j'espère que pour une fois dans sa vie il sera sincère. Je sais, vous devez vous dire que c'est utopique de ma part de l'en croire capable, mais je dois essayer tout de même d'en apprendre un peu plus sur mon passé.
— Enfin réveillé ?
Il cligne plusieurs fois des yeux puis me fixe. Son regard est dur, pénétrant. Il essaye comme à son habitude de me déstabiliser mais ça ne fonctionne plus et il s'en aperçoit quand un rictus se dessine sur mes lèvres.
— Tu penses être assez couillu pour me tenir tête ? me teste-t-il.
— Je le pense en effet. Mais là n'est pas la question !
— Ah tu crois ?
Je prends une grande inspiration. Puis je me tourne vers Lucas afin de lui demander la boîte. Il me l'apporte et répond par un pouce levé à ma question mentale, pour m'assurer que tout est ok de son côté. Les deux gardes du corps sont toujours allongés sur le sol et n'essaient même plus de bouger ou de se détacher.
J'ouvre la boîte avec toujours autant de fébrilité. J'attrape la fameuse photo de la plage et la retourne vers lui.
— Tu m'expliques, ordonné-je sèchement.
Son regard passe de la stupeur, à la colère puis à l'interrogation.
— Où as-tu trouvé cette photo ?
— Dans cette boîte, le nargué-je.
Je sais pertinemment que ce n'est pas la réponse qu'il attend mais je ne peux m'empêcher de le provoquer.
— Ne joue pas au petit con avec moi. Tu vas perdre !
— À parce que d'après toi, vouloir connaître la vérité sur son passé est un jeu ? Vouloir des réponses et comprendre tes mensonges. C'est un jeu ?
— Tu crois quoi ? Tu as trouvé une photo à la plage. La bonne affaire !
— Ce n'est pas n'importe quelle photo et tu le sais très bien !
— Alors Monsieur je veux tout savoir, pourquoi me la mettre sous le nez ?
— Parce que j'exige des explications.
— Tu exiges ?
Son rire sarcastique se répand dans toute la pièce faisant grincer les dents de Lucas et tétaniser mon corps. Pourtant je dois me reprendre tout de suite. Je ne veux pas lui lâcher du terrain. Il n'est pas question qu'il me manipule encore une fois. Alors j'enchaîne comme si de rien était.
— Vu que tu ne veux pas en parler, je vais le faire à ta place.
— Ne te donne pas ce plaisir !
— Tu as retrouvé la mémoire à ce que je constate ?
— Je ne l'ai jamais perdu. Ta tronche était là pour me la rafraîchir à chaque fois que j'aurai voulu oublier.
— Qu'est-ce que j'ai à avoir là-dedans ?
— Tout ! me crache-t-il.
— Je n'étais qu'un gamin ! Regarde la photo, j'ai à peine deux ans...
— C'est bon, je ne suis pas sénile.
— Et moi je ne suis pas débile. Alors explique-toi ! Tu te gargarises, tout le temps d'être un homme, un vrai. Prouve-le !
C'est ma dernière chance de le faire parler. De le faire avouer qu'il m'a menti. Et la provocation à l'air de fonctionner puisqu'il fronce les sourcils, que ses traits se tendent et que le regard qu'il lève sur moi est un des plus noir qu'il ne m'a jamais fait.
J'ai apparemment touché le point sensible en lui disant de prouver qu'il était un homme. Je ne comprends pas pourquoi il a toujours fallu, qu'il s'en défende. Se pensait-il à ce point inférieur à son frère ? Est-ce que c'est pour cela qu'ils se sont fâchés ? Qu'il le détestait et qu'il me l'a fait détester aussi ?
J'en saurais peut-être plus avec ses explications. Mais ce qui m'importe le plus c'est de connaître enfin la vérité. Que je sache pourquoi ils nous ont menti aussi bien à Claire qu'à moi. Pourquoi nous avoir séparé alors que l'on s'entendait si bien ?
— Tu veux la vérité ? me toise-t-il.
— Bien sûr que je la veux !
— Et tu te crois assez fort pour l'entendre, je suppose.
— Je ne suis plus ce gamin.
— Alors maintenant, tu penses que toi le petit pédé, tu as assez de couilles pour le revendiquer ?
— Pense ce que tu veux ! Mais tu resteras ici tant que je ne saurais pas tout, affirmé-je d'une voix déterminée.
— Très bien ! Tu l'auras voulu... Mais avant...
— Ça m'aurait étonné que tu joues franc jeu ! balancé-je furax en même temps que le journal se trouvant sur la table basse.
— Je voudrais un verre d'eau, si ce n'est pas trop demander ?
Lucas n'attend même pas ma réponse et lui verse l'eau dans un grand verre, afin qu'il arrête de tourner autour du pot.
— Je vois que tu l'as bien dressé ! Ta tapette obéit au doigt et à l'œil. Au moins, je n'aurai pas tout raté dans ton éducation.
— Tu essayes juste de me provoquer pour changer de sujet. Je t'interdis de parler de Lucas de la sorte. Il est mon égal et l'on s'aime. Mais c'est une notion que tu ne dois pas connaître ! Quant à ton éducation, laissons ce sujet de côté pour le moment.
— Vous vous aimez, me charrie-t-il.
— Oui, nous nous aimons, ne t'en déplaise.
— Et bien, heureusement que vous ne pouvez pas vous reproduire, éclate-t-il de rire.
— Ce que nous ferons dans le futur ne te concerne pas. Alors concentre-toi plus tôt sur cette photo.
Il la regarde du coin de l'œil et je pense que si mon oncle n'était pas déjà mort il le serait là, à l'instant, parce que son regard est remplacé par des pistolets.
— Pourquoi lui en vouloir autant ?
Son regard toujours aussi haineux est à présent posé sur moi et je déglutis malgré moi. Pourquoi autant d'aigreur, de colère et de non-dit ?
— Tu crois que c'est facile pour moi de regarder cette photo et de repenser à tout ce qu'elle implique ?
Je crois. J'en suis sûr même. Que c'est la première fois, que je le vois aussi vulnérable, fragile et faible. Cette facette de sa personnalité me surprend, parce que je ne pensais pas qu'un jour je le verrais comme ça...
À bout de forces.
Est-ce que c'est un état passager, qui va disparaître aussi vite qu'il s'est installé ? Est-ce que cette apparente vulnérabilité que je perçois est vraie ? Ou est-ce qu'il essaye encore une fois de m'embrouiller le cerveau pour mieux me manipuler ?
— Je vois bien que tu te poses beaucoup de questions à mon encontre. Tu te demandes, si je vais te révéler cette putain de vérité, si je vais être honnête, si j'ai les couilles de le faire ou si je vais te manipuler comme je l'ai toujours fait ?
D'un ricanement de hyène, il me sort de mon état de stupéfaction. Il ne nie pas. Il n'essaye même pas de se justifier, il s'en vanterait presque.
— Tu reconnais donc que tu m'as menti, manipulé et utilisé, m'indigné-je. Tout ça pourquoi ?
— Pourquoi ? se crispe-t-il.
— Oui, pourquoi ton frère et toi vous nous avez montés, ma cousine et moi, l'un contre l'autre ?
— Parce qu'il ne pouvait en être autrement, s'emporte-t-il.
Il devient rouge de colère et tout aussi vite, son teint devient blafard. Ces yeux se cernent d'un nuancier de couleur entre le violet et le noir, ses joues se creusent et sa respiration se fait audible.
Je prends le verre d'eau et l'aide à boire par petites gorgées.
— Je le vois dans tes yeux, tu as compris... Réponds ? arrive-t-il a prononcé d'une voix affaiblie mais toujours directive.
— En effet... J'ai compris.
Une alarme sonne et résonne dans la poche intérieure de la veste du plus petit des deux gardes du corps.
— Monsieur, c'est l'heure.
Lucas se lève et s'approche de celui qui vient de parler. Il attrape le téléphone et arrête l'alarme en faisant glisser son doigt sur l'écran puis il me montre toutes les alarmes programmées.
— Regarde, Milo !
Lucas me le tend et je reste interloqué par ce que je vois s'afficher devant mes yeux. Je tourne l'écran vers lui et lui demande :
— C'est quoi tout ça ?
— Ce n'est rien.
L'écran n'affiche pas moins de dix alarmes sur une journée et même deux pendant la nuit.
— Tu ne veux pas arrêter de me mentir. Tu n'en as pas marre ? lui dis-je vidé.
Un silence s'installe le temps qu'il reprenne ses esprits, qu'il réfléchisse...
— Tu as raison, je devrais sans doute me confesser. Libérer ma conscience de tous mes péchés et te permettre de comprendre notre pacte.
≈ ≈ ≈ ≈
Et c'est ce qu'il a fait pendant presque une heure. Il nous a tout déballé sans aucun ménagement ni y mettre les formes. Je suis assis dans le canapé avec Lucas à mes côtés et nous sommes totalement abasourdis après toutes ces révélations.
Nous l'avons écouté sans l'interrompre comme il nous l'avait explicitement demandé. Pourtant à plusieurs reprises mon envie de hurler ou de lui ôter la vie m'a traversé l'esprit. Mais Lucas a fait en sorte que je ne commette pas l'irréparable.
Comment est-il possible d'être aussi machiavélique ? De ruiner volontairement autant de vies ? De se croire tout-puissant au point de se comporter comme un marionnettiste qui agite les membres d'un pantin en tirant sur les fils au gré de ses envies ?
Il nous a parlé du secret qui les liait, mais pour moi, c'est un pacte avec le diable qu'ils ont passé. Des décisions d'adultes qui auront eu de graves conséquences sur nos vies. Est-ce que la mienne aurait été différente si j'avais eu le destin qui m'était réservé ?
Je ne le saurais jamais, mais maintenant que je connais la vérité, c'est à moi d'écrire et de vivre mon présent et mon futur. Et pour cela, je n'ai plus qu'une chose à faire.
Je me tourne vers Lucas, glisse ma main dans la sienne. Entrelace nos doigts et fixe mon regard aimant au sien avant de lui demander...
— POLICE ! OUVREZ !
De nouveau, les poings cognent contre la porte et ils répètent leurs ordres. Lucas se lève pour leur ouvrir, afin que je puisse continuer de les surveiller.
— Ils sont là pour m'épingler, me dit-il apaisé, après avoir vidé son sac de tous ces mensonges.
— Comment tu le sais ? m'étonné-je.
— Parce qu'ils me filent le cul depuis un moment déjà.
Lucas ouvre la porte sur une dizaine de flics tenant leurs armes braquées sur nous. Ils nous hurlent de tous nous coucher au sol et de ne pas opposer de résistance.
— Ce n'est pas la peine d'employer la force. Nous les avons déjà neutralisés, leur indique calmement Lucas.
— Comment ça ? demande leur chef.
— Voyez par vous-même.
— Il dit vrai chef, ils sont ligotés et leurs armes sont sur l'îlot de la cuisine.
— Passez-leur les menottes aux poignets et retirez-moi ces attaches de tissus. Puis fouillez-les au cas où ils auraient des armes cachées.
— Comme on se retrouve inspecteur. Ça y est, vous avez assez de charges pour m'arrêter cette fois-ci ?
— Plus qu'il ne nous en faut.
L'homme trapu se tourne vers moi et se présente.
— Monsieur Matal. Je suis l'inspecteur Ladennes.
Je suis satisfait qu'il m'appelle par le nom que je me suis choisi, celui de jeune fille de ma mère et non par son nom à lui.
— Je peux savoir pour quelle raison vous venez l'arrêter ?
— Cette arrestation fait suite à l'enlèvement de votre mère, entre autres choses.
— Dites-moi que vous l'avez retrouvé ? Comment va-t-elle ?
— Ne vous inquiétez pas, elle est un peu secouée, mais elle n'a rien.
Le poids oppressant ma poitrine se retire d'un seul coup et j'arrive enfin à respirer normalement.
— Un immense merci inspecteur.
— Par contre, vous allez devoir nous suivre avec votre ami.
— Pourquoi inspecteur ? Vous voulez nos dépositions ?
— Nous les prendrons plus tard, mais d'abord avec mes collègues, nous allons vous conduire en lieu sûr.
— Mais qu'est-ce qu'il se passe ? le questionne Lucas un brin inquiet.
— Le kidnappeur de la mère de Monsieur Matal, nous a filés entre les doigts.
Alors que les flics l'aident à se lever du fauteuil, un rire cynique lui échappe et se répercute sur tous les murs du salon. Il regarde l'inspecteur et lui annonce :
— Il est plus malin qu'un singe et plus glissant qu'une anguille. Vous n'êtes qu'une bande d'incapables, vous ne l'aurez jamais !
— C'est ce que l'on verra !
S'adressant à nouveau à nous, l'inspecteur nous indique :
— En attendant, vous allez être conduits à la maison des pins, votre mère sera là-bas à votre arrivée.
— Bien, nous avons le temps de préparer quelques affaires ? demande Lucas.
— Oui, mais faites vite ! râle-t-il.
Il continue de proférer des menaces, tandis que les flics le guident vers le palier. Mais au moment de passer la porte, il tourne la tête et me lance un regard empli de haine et de défis.
— On se reverra plus vite que tu ne le crois, fiston !
Ses paroles me stoppent net.
Ses yeux s'amusent de voir mon attitude. Il sait qu'il a encore fait mouche avec ses mots menaçants. Forcément avec tout ce que je sais maintenant, je suis et je resterais à jamais.
Sa cible.
≈ ≈ ≈ ≈
Milo est enfin de retour ! Il a pris quelques jours de repos afin d'être d'attaque pour le rush final.
Voici le premier des dix derniers chapitres qui clôtureront ce Tome 1 !
Donc voilà, la confrontation tant attendue avec son père !
Ce chapitre répond-il à vos questions ?
≈ ≈ ≈ ≈
😘 Bisous et bon week-end les Loulous 😍
Kty
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