Chapitre cinquante - 2
Claire
≈ ≈ ≈ ≈
Nous restons silencieux, le temps de digérer cette nouvelle information. Après tout, quoi de plus normal pour une grand-mère que d'offrir le même mouchoir à ses deux petits enfants. Elle l'avait brodé elle-même, me l'avait offert avec tant de gentillesse, que j'ai toujours pensée, sans doute naïvement, que j'avais eu un cadeau spécial de la part d'Hortense.
Mais non, lui aussi, il fallait qu'il en ait un bien sûr.
Devant le regard interrogateur de Lucas, Lewis sort un carnet et un stylo de la poche intérieure de sa veste en cuir, posée sur le dossier de la chaise.
— Tu te trimbales toujours avec ça sur toi ?
— Déformation professionnelle, répond-il rapidement pour se débarrasser d'éventuelles autres questions. Sur les chantiers, tu as toujours des trucs à noter, rétorque-t-il.
Il ouvre rapidement son calepin avant que Lucas continue ses questions et nous annonce :
— Résumons ce que nous avons jusqu'à maintenant :
- quatre photos à la plage où vous êtes présents tous les deux
- vous vous entendiez bien et jouiez ensemble
- il y a aussi ton père, mon bébé
- une autre personne : pas d'identité connue
- une serviette rouge, des lunettes de femme et un magazine féminin
- la personne prenant tous ces clichés : inconnue
— Tu as découvert autre chose Milo ? lui demande Lewis.
— Une tache de naissance que possède Judith, annonce-t-il avec hésitation.
Lewis ajoute ce nouvel élément à sa liste, ne pouvant s'empêcher de retenir une ébauche de grimace prouvant que cette information le dérange.
— En quoi mon bout de plume sur ma hanche, peut-il être un indice ?
Milo souffle longuement, lance un regard à Lucas pour avoir son soutien, et il lui prend la main pour le lui donner.
— Parce que j'ai la même tâche que toi.
— Ce n'est pas possible ! craché-je en balayant la table de mon bras pour balancer toutes ces images à terre.
Lewis essaye avec Lucas de limiter les dégâts en les rattrapant au passage.
Je sais que cette réaction est puérile de ma part, mais trop c'est trop.
— Montre-nous ! ordonne Lewis d'un air grave à Milo.
— Pas de souci, Lewis. Mais d'abord, je voudrais poser une question à Claire. Est-ce que tu sais de qui elle te vient ?
— Je n'en ai pas la moindre idée. Je suppose, que tu n'en sais rien toi non plus ?
— Je n'en sais rien en effet, mais j'espérais, que tu aurais la réponse.
Il relève la manche de son tee-shirt et tourne son bras vers Lewis et moi. Et en effet, il a exactement le même bout de plume à l'intérieur du bras.
Je n'en reviens pas...
Comment est-ce possible ?
— Je peux mieux la regarder ?
Milo me tend son bras et j'examine ce bout de moi sur lui et inversement.
— C'est bien la même ? me demande Milo.
— Oui. Elle est juste plus foncée que la mienne.
— C'est sans doute dû au fait que tu as la peau plus claire que moi, ajoute Syl.
— Encore un indice dont on ne connaît pas la provenance, ajoute un Lewis troublé.
— Tes parents t'ont déjà parlé de ta tâche ? me questionne Milo un brin gêné.
— Mon père oui. Il me racontait une histoire en me disant que j'étais un ange et qu'ils avaient oublié d'enlever une petite plume, quand je suis venue au monde, raconté-je d'une voix chevrotante.
Ce souvenir est si présent dans ma mémoire, que je pourrais répéter l'histoire par cœur, tant mon père me l'a contée.
— Tu as de la chance, me souffle Milo tristement.
— Visiblement, tu n'as pas eu la même version, vu la moue de dépit que tu affiches ?
— Hélas, ajoute-t-il en baissant la tête pour ne pas montrer sa vulnérabilité.
— Son père lui a inculqué l'exact contraire de ton histoire Claire, indique Lucas d'une voix émue.
— Comment ça ?
— Fernand l'a terrorisé, en lui faisant croire que sa tâche était une fourche et non un bout de plume. Que c'était le diable, lui-même qui l'avait marqué de son sceau sur sa peau pour le punir.
— Oh mon Dieu...
Mes mains se portent à ma bouche pour m'éviter de hurler. Je m'avance rapidement vers Syl pour le prendre dans mes bras. Parce que, c'est vraiment mon cousin que j'ai envie de consoler à cet instant. C'est ce petit garçon que j'ai aimé petite, au vu des photos, mais qui lui n'a pas eu la chance d'avoir un père aimant comme le mien.
— Je suis vraiment attristée que ton père t'ait fait à ce point souffrir. Je pensais à tort, que sa cruauté nous était réservée.
— C'est ce qu'on en a déduit nous aussi. En regardant les photos, cela m'a permis de me souvenir de plusieurs évènements que j'ai vécus et qui étaient enfouis au plus profond de moi.
— Syl je m'excuse de mon comportement. J'ai été butée et réfractaire depuis le début en ne voulant pas voir la vérité en face. Mais c'est dur pour moi de penser autrement que ce que j'ai toujours entendu et vécu à la maison. Cependant, je pense que l'on devrait regarder tout cela ensemble et mettre nos souvenirs en commun. Qu'est-ce que tu en penses ? Nous devons mettre à jour ce qu'ils nous ont caché. Et comprendre pourquoi ils nous ont menti !
— C'est exactement ce que j'espérais t'entendre dire. Mais je voulais te demander une chose avant !
— Oui Syl.
— Est-ce que tu serais d'accord pour qu'on reste Claire et Milo. Ok, nous faisons des recherches sur notre histoire, notre enfance, notre famille... Cependant, je ne supporte plus ce prénom. Je pense aussi qu'il nous sera plus facile d'aborder ces sujets pénibles si nous restons sur nos nouveaux prénoms.
— Bien sûr Milo que je suis d'accord.
— Bon alors, vu que vous êtes d'accord tous les deux, on va être méthodique en prenant une photo au fur et à mesure puis je vais noter ce dont Milo se souvient et ce dont tu te souviens bébé. Ça vous va ?
— C'est ok pour moi, dis-je en posant ma main sur sa cuisse.
J'ai besoin de soutien, de réconfort, de sa force et de ses bras protecteurs qui entourent mes épaules à l'instant. Ma tête repose sur son épaule et son odeur ainsi que son souffle m'apaise.
— Je suis là bébé. Ça va aller.
— Merci Lewis, murmuré-je contre ses lèvres.
Milo et Lucas classent les photos avant de m'en tendre une.
— Voici la première photo où on apparaît ensemble. C'est pour mon premier anniversaire.
Je fixe cette photo que je tiens dans mes mains. Je la scrute, j'essaye de m'en souvenir, mais rien...
— Je ne m'en souviens pas, j'en suis désolée.
— Moi non plus, j'étais bien trop petit pour m'en souvenir.
— En tout cas Lewis, tu peux noter qu'à cet âge les deux familles se côtoient et s'apprécient au vu des sourires que tout le monde affiche.
— Regarde celle-là maintenant. On est un peu plus grands. Je dois avoir dix-huit mois et tu as un peu plus de trois ans.
— Oh, c'est chez moi, précisé-je en me réjouissant. Tu reconnais la bibliothèque en chêne massif avec son échelle que je n'avais pas le droit de toucher ? Mon père avait placé tous mes livres en bas pour éviter que j'y monte de peur que je tombe. Regarde Milo, tu te souviens de ce livre, c'était ton préféré.
— Claire ! Tu t'es souvenue de nos moments de lecture ! s'écrie-t-il enthousiaste.
J'entends que Milo me parle, qu'il a une voix enjouée, mais je n'arrive pas à déconnecter mon esprit de cette bibliothèque qui malheureusement n'existe plus. Elle non plus n'a pas résisté à l'incendie de la maison où j'ai perdu mes parents... D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours aimé y passer du temps avec mon père, avec Milo et puis seule... Et toute à mes souvenirs, je continue de lui raconter ce conte imagé.
— Tu adorais l'histoire du petit canard qui suivait sa maman dans la mare, et tu rigolais toujours quand il s'ébrouait les plumes en secouant son popotin et ses ailes. Tu t'en souviens Milo ?
— Oui je m'en souviens et je faisais aussi la grimace quand tu arrivais à l'image où le petit canard mangeait le ver de terre.
Nous nous regardons et éclatons de rire au souvenir du même passage.
— Beurk ! J'ai l'impression d'avoir encore ce goût de terre dans la bouche, ajoute Milo.
— Tu étais dégoûtant avec ce vers à moitié dans ta bouche et l'autre partie qui gigotait sur tes lèvres.
— Tu as mangé un vers ? l'interroge Lucas totalement stupéfait.
— Oui je voulais faire comme le canard, avoue-t-il en se marrant.
— Il était aussi dégoûtant que fier de lui, raconté-je.
— C'est aussi le jour où tu as refusé de me faire des bisous au moment de partir.
— Attends, tu voulais que j'en mange un aussi. Tu répétais : Zange, zé bon, me zozotais-tu en me courant après avec tes petites jambes potelées.
— Tu zozotais mon ange ?
— Comme tous les petits gamins, non ?
— Je ne me souviens pas d'avoir parlé comme ça, même petit.
— Milo était déjà un impatient et les mots ne sortaient pas assez vite, alors il mettait des "z" partout pour les raccourcir. Pour me dire : tu m'embêtes...
— Je te disais "zembête", je m'en souviens. Je me rappelle aussi avoir pleuré tout seul dans mon lit, parce que tu avais été méchante et que je n'avais pas eu mes bisous. Alors quand ma mère était venue me border, elle m'avait consolé, puis elle m'avait caressé les cheveux en me chantant une vieille chanson brésilienne.
Claire fredonne un couplet et l'émotion est plus que palpable.
— Tu t'en souviens...
— Paloma nous la chantait souvent, avant.
— Avant qu'il ne se passe quoi ? nous interroge Lucas.
— Je ne sais pas Amour.
— Vous êtes passés d'une famille unie à une famille en guerre. C'est ce "pourquoi" que nous devons découvrir, ajoute Lewis.
Je n'arrive pas à ajouter quoi que ce soit. Je trouve que déjà nous avons bien progressé et demande :
— On pourrait faire une pause et boire un bon café ou un chocolat chaud accompagnés des viennoiseries, que Lewis est allé chercher tout à l'heure.
— Vu l'heure, le boulanger m'a fait rentrer par l'arrière-boutique. Il venait de les sortir du four, nous explique-t-il.
— Rien de tel que de reprendre des forces avant de se replonger dans notre enfance.
Le chocolat chaud que prépare Lucas embaume toute la pièce. C'est une odeur merveilleuse de cacao, de noisette et de...
— C'est quoi cette épice que je n'arrive pas à définir ?
— C'est ma touche secrète !
— Promis, je ne dirais rien Lucas, soufflé-je.
— Tu as deviné quels arômes ?
— Le chocolat amer et noir, et la noisette torréfiée.
— Il ne te manque que mon ingrédient mystère.
— Allez dis-le-moi !
— C'est bien parce que c'est toi. En fait, je fais infuser dans le lait des graines de cardamome écrasées pour que la coque libère tout le parfum des graines de paradis.
— La cardamome ! Je n'y aurais jamais pensé, m'exclamé-je.
— Tu me diras ce que tu en penses.
— Avec plaisir Lucas, j'en ai déjà l'eau à la bouche. Allez à table les hommes, c'est prêt.
Je coupe Lewis et Milo en grande discussion.
Mais de quoi peuvent-ils parler tous les deux ?
Ils m'ont l'air bien complice pour le coup...
≈ ≈ ≈ ≈
Les souvenirs leur reviennent peu à peu.
On peut les retrouver plus complices et cette pause chocolatée est bien venue.
On en apprend pas mal sur eux deux.
Lewis est toujours aussi carré avec sa prise de notes !
Alors contents et contentes d'avoir eu 2 chapitres ?
Que complotent Milo et Lewis ?
≈ ≈ ≈ ≈
Bonne soirée les Loulous
Kty
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