Chapitre 2 - Famille décomposée

Chapitre 2 – Famille décomposée

Le lendemain matin, je m'éveillai à l'heure où les petits oiseaux gazouillaient joyeusement. A l'heure où le soleil brillait fièrement dans le ciel bleu, caressant de ses rayons tièdes mes boucles brunes étalées sur les draps d'un blanc...absolument pas immaculé. A vrai dire, il était même plutôt grisâtre...voire même carrément dégueulasse, mais quelle importance ? J'étais heureuse.

Je m'étirai avec un sourire béat stupidement collé aux lèvres. Il avait fallu attendre trente et un ans et une apocalypse nauséabonde pour qu'enfin le bonheur...ok, non là, je devenais vraiment, mais alors vraiment, trop guimauve. Je m'esclaffai dans mon oreiller, ahurie par mes songes franchement farfelus.

Quelques minutes plus tard, après avoir repris mes esprits et un fil de pensée un peu plus normal, je retrouvai Michonne et Daryl en plein milieu d'une discussion, confidentielle, si l'on tenait compte de leur mutisme soudain.

- Je sais que mon apparition toute auréolée de lumière doit être troublante, mais je vous en prie, poursuivez, sourcillai-je.

- Je disais justement à Daryl à quel point J.C te trouvait belle.

- Quoi ?! m'écriai-je, imitée par le chasseur.

- Lola, tu lui plais, c'est pas une nouveauté, plaisanta la samouraï. Tu ferais bien de te méfier, ajouta-t-elle à l'attention de l'archer.

- J'vais surtout avoir une discussion avec ce latino à la con.

- Avoue qu'il a raison, le taquina l'afro américaine. Tu ne trouves pas qu'elle est belle ?

Il me dévisagea, nerveux, mordillant sa lèvre inférieure avec frénésie. Visiblement, parler de ma beauté, toute relative était-elle, semblait être un sujet épineux. Mais pourquoi Michonne avait-elle mis ça sur le tapis ?!

- Sûr, marmonna-t-il avant d'attraper son arbalète. M'faut une clope, ajouta-t-il en s'éclipsant.

- On peut savoir ce qui te prend ? m'enquis-je, les yeux écarquillés par la stupeur.

- J'aime bien l'embêter et puis il a de la concurrence, faut qu'il en ait conscience.

- Quelle concurrence ?! m'esclaffai-je en étouffant un bâillement.

- Tu as dormi un peu cette nuit ? s'inquiéta-t-elle.

- Il t'a parlé de mes cauchemars ? m'étonnai-je.

Daryl étant plutôt du genre pudique, je le voyais mal étaler ses sentiments et ses inquiétudes à mon égard...d'ailleurs, visualiser Michonne en psy, en train de prendre des notes pendant que lui, affalé sur le canapé, déballait ses tourments était plutôt cocasse.

- Il n'a pas eu besoin de le faire Lo, je t'entends crier toutes les nuits.

- Oh, me rembrunis-je.

- Tu sais que tu peux me parler, reprit-elle d'une voix douce. T'as pas à garder tout ça pour toi.

- T'inquiète pas, je gère, répliquai-je en récupérant mon sac sur le sol poussiéreux.

- Daryl m'a répondu exactement la même chose...on peut dire que vous vous êtes bien trouvés tous les deux, soupira-t-elle avant d'attraper son sabre.

Tout en poursuivant notre discussion, nous rejoignîmes l'archer à l'extérieur. Adossé contre la balustrade en bois, ce dernier jeta son mégot en nous voyant arriver.

- On décolle, déclara-t-il alors qu'un petit attroupement de rôdeurs approchait.

La main crispée autour du manche de ma machette, je décapitai un cadavre, dont la mâchoire à moitié arrachée, pendait lamentablement sur sa gorge ouverte, nous offrant une vue particulièrement dégagée sur sa trachée en décomposition. Charmant comme vision au petit déjeuner, songeai-je en écrasant d'un coup de pied son crâne qui éclata sous la semelle de mes rangers.

- Putain, j'en ai partout, grimaçai-je.

- Te plains pas, rétorqua Michonne, le visage couvert d'une substance visqueuse nauséabonde.

- Comment t'as fait ton compte ? m'écriai-je, éberluée.

D'un signe de tête, elle me désigna la dépouille, en deux parties, du mort vivant qu'elle venait de déchiqueter dans un amas de tripes, de cervelle et de fluides organiques.

- Faut dire aussi...tu fais pas dans la dentelle ! remarquai-je.

Daryl leva les yeux au ciel en décochant une flèche dans un tas de viande avariée qui s'était sournoisement agrippé à mes cheveux.

- J't'ai déjà dit de les attacher, grogna le chasseur en se mettant en route.

- Il se trouve que j'ai égaré mon élastique, hier... au supermarché, sourcillai-je avant de lui emboîter le pas.

Il se retourna vers moi, une lueur amusée passant dans ses prunelles bleues.

- ...bah...fais gaffe, marmonna-t-il.

***

En fin de matinée, après avoir avalé un certain nombre de kilomètres et abattu un nombre encore plus incertain de rôdeurs, nous nous arrêtâmes dans une petite ville comme il y en avait tant en Géorgie. La rue principale, vidée de toute forme de vie hormis notre trio improbable, brillait par son silence angoissant. Les vitrines éventrées vomissaient des débris de verre au milieu des détritus éparpillés sur l'asphalte chauffée à blanc par un soleil caniculaire.

Je m'essuyai le front d'un geste de la main en détaillant le décor sinistre qui s'étirait devant nous. Nous avions l'habitude de ces ambiances de désolation mais malgré tout, il était toujours éprouvant et douloureux de voir à quel point le monde avait changé.

Une charmante famille décomposée s'approcha à pas lent, traînant leurs membres brisés dans un concert de grognements grotesques. La scène aurait pu être drôle, si une enfant d'environ cinq ans ne s'était pas invitée dans le tableau. Vêtue d'un vieux pyjama rose tâché d'hémoglobine et de sécrétions diverses, ses cheveux blonds poisseux, pendaient en mèches filasses devant ses yeux vitreux. Ma gorge se noua à la vue de ce petit être qui aurait dû avoir toute la vie devant elle. Cet aspect de l'apocalypse me collait la nausée. Les adultes, je gérais...mais les enfants, même si je n'en voulais pas et que la plupart du temps je les fuyais comme la peste...c'était totalement injuste.

Michonne se précipita sur le père de famille avec la grâce féline qui lui était propre. D'un geste habile et rapide, elle planta la lame de son sabre dans son œil avant de reporter son attention aiguisée sur ce qui avait dû être son épouse. Daryl arma son arbalète pour s'occuper du minuscule rôdeur qui trottinait difficilement derrière ses parents putréfiés. D'un tir expert, le petit corps s'écroula, inerte, sur le bitume brûlant. Je détournai mes iris de ce spectacle affligeant en secouant la tête. Arriverais-je un jour à m'y faire ?

Je rejoignis mes amis d'un pas morne, pendant que le chasseur récupérait sa flèche dans un bruit de succion auquel je ne prêtais plus attention.

- On dirait qu'il y a un dispensaire là bas, déclara la samouraï en rangeant son arme.

- On va j'ter un œil.

Arrivés devant la baie vitrée étonnamment épargnée par les émeutes qui avaient accompagné l'apparition des premiers cas de l'épidémie, Daryl attrapa mon poignet pendant que Michonne pénétrait à l'intérieur du bâtiment.

- Casse-Noisette ?

- Qu'est-ce qui se passe ? m'enquis-je.

- Tu l'sais que...j'te trouve...

- J'ai pas besoin que tu me le dises, le rassurai-je.

- J.C te l'a...déjà dit ? demanda-t-il en rongeant l'ongle de son pouce.

- Pourquoi tu me parles de J.C ? m'esclaffai-je.

- Ça m'gonfle qu'il te tourne autour, marmonna-t-il en redressant son arbalète sur épaule.

- T'as pas à t'inquiéter, chuchotai-je. J'en ai rien à faire de lui.

- N'empêche que j'vais lui faire sa fête s'il se calme pas.

- Sois pas jaloux... Loryl ou Darla sont invincibles, pouffai-je.

- Encore ce nom de couple à la con.

- Sache qu'il est au cœur de toutes les discussions à la prison.

- C'est débile.

- Les magasines people n'existent plus, faut bien que les gens se divertissent.

- Ils veulent pas se divertir avec Rick et Lori pour changer ? dit-il en m'embrassant sur le front.

- Faut croire qu'on est plus intéressants, répliquai-je avec un haussement d'épaules. Allez viens, laissons pas Michonne se taper tout le sale boulot.

Il acquiesça d'un signe de tête avant de m'emboîter le pas tandis que j'entrais à mon tour dans l'officine. L'odeur de pourriture imprégnant les lieux nous saisit immédiatement à la gorge tant elle était irrespirable.

- J'vais voir de ce côté là, dit-il avant de s'éloigner dans un couloir.

Ma machette devant moi, j'inspectai l'autre côté en silence, enjambant le matériel médical éparpillé au sol. Retenant mon souffle, je pénétrai dans une première salle. Des étagères métalliques habillaient agréablement le mur du fond, conférant à ce débarras un style industriel des plus apocalyptiques. Je m'approchai pour fourrer dans mon sac les quelques compresses et bouteilles d'alcool qui restaient avant de reprendre mon exploration.

- Lo ! Par ici ! chuchota Michonne à l'autre bout du corridor.

- Qu'est-ce-qu'il y a ?

- Faut que tu voies un truc.

Je la rejoignis au pas de course avant de trébucher sur une pile de vieux bouquins de médecine. Je m'étalai de tout mon long sous le regard hilare de mon amie. Putain, mon sens de l'équilibre n'était vraiment plus ce qu'il était, songeai-je en me relevant péniblement.

- Tu saignes, dit-elle.

Je jetai un coup d'œil à mon coude pour constater avec un soupir désabusé qu'une charmante entaille avait fait son apparition.

- Une de plus pour ma collection, grimaçai-je.

Michonne m'indiqua de la suivre dans un bureau, plutôt étroit, dont la seule et unique fenêtre donnait sur la rue principale. Mon regard se posa sur une affiche du Lac des Cygnes accrochée sur l'un des murs à la peinture écaillée. Ma bouche s'ouvrit puis se referma tandis que ma respiration s'accélérait dans ma poitrine. Je m'approchai, le cœur battant à tout rompre, incapable de quitter des yeux mon portrait grimé en Cygne noir exécutant une pirouette sur des pointes d'ébène.

- Ce n'est pas tout, reprit Michonne m'arrachant à la contemplation de cette relique de ma vie d'avant.

Je me retournai vers elle pour récupérer le cadre photo qu'elle tenait dans les mains.

- Qu'est-ce que...

- C'est toi ?

- Avec ma sœur, soufflai-je...Je devais avoir douze ans là dessus...Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?

- Faut croire que la personne qui travaillait ici vous connaissait.

Incapable de répondre quoique ce soit, je sortis l' image de mon passé de son carcan brisé et la retournai pour y lire l'inscription griffonnée au dos.

- Ça dit quoi ?

- Anniversaire d'Hana, avec Lola à Atlanta. C'est...l'écriture de ma mère, répliquai-je en levant mes prunelles sur la samouraï.

- Elle aurait été ici ?

- J'en sais rien, déglutis-je. Elle s'est barrée quand j'avais quinze ans. Je l'ai jamais revu.

Nous fûmes rejointes par Daryl qui se figea face à mon expression contrariée.

- Quoi ? s'inquiéta-t-il.

Pour toute réponse, je lui tendis le cliché, l'esprit embrouillé d'un millier de questions. Devant son air interrogateur, je lui adressai un sourire crispé.

- Il semblerait que ma mère ait bossé ici.

- Elle était infirmière, c'est ça Lo ?

J'acquiesçai d'un signe de tête avant de reprendre :

- De toute façon elle est sûrement morte, alors ça sert à rien de se prendre la tête. On devrait se remettre en route, déclarai-je en sortant de l'atmosphère étouffante de la pièce.

Subitement nauséeuse, je me précipitai dans le couloir. Je traversai les quelques mètres qui me séparaient de l'extérieur en courant pour retrouver les rayons salvateurs du soleil. Je me laissai tomber sur le trottoir, plus atteinte que je ne voulais l'admettre par ce brusque retour de mon passé.

- Comment tu te sens ? s'inquiéta Daryl en prenant place à mes côtés.

- Ça va, répliquai-je avec un sourire faussement enjoué. C'est juste une photo, pas de quoi s'emballer.

Il me dévisagea en rongeant l'ongle de son pouce, visiblement peu convaincu par mon simulacre d'optimisme.

- L'affiche, finis-je par dire, c'était celle de la tournée au Japon. Où est-ce-qu'elle a trouvé ça ?

- J'en sais rien, soupira-t-il. J'imagine qu'à sa façon, elle a continué à se préoccuper de vous.

- Ouais...elle avait l'air vachement préoccupé en omettant de venir aux funérailles d'Hana, maugréai-je.

- Tu m'demandes ce que j'en pense, j'te réponds Casse-Noisette.

- Si c'est pour me sortir ce genre de phrase toute faite...excuse-moi, me crispai-je. Je suis un peu...paumée.

- J'suis nul pour ce genre de truc Lola, réconforter les gens c'est pas...j'suis pas doué pour ça.

- Dis pas de bêtises, souris-je en posant ma tête sur son épaule.

Bercée par son souffle régulier, ma respiration retrouva peu à peu son rythme normal. C'était étrange de penser à ma mère après toutes ces années. Elle avait disparu de nos vies du jour au lendemain, ne laissant derrière elle qu'une stupide lettre dans laquelle elle expliquait ne plus supporter les accès de violence de mon père. Pas une seconde, elle ne s'était souciée d'Hana ou de moi. Elle n'avait fait aucune tentative pour nous extirper de cet enfer qu'était notre quotidien. Non, elle s'était contentée de fuir. Sans un regard en arrière. Aussi étonnant que cela puisse paraître, découvrir ce poster, réalisé quelques mois seulement avant que l'épidémie ne prenne des proportions irrémédiables, me blessait. Savoir qu'elle avait, de près ou de loin, suivi ma carrière me perturbait. Le karma devait vraiment être en boule contre moi pour m'imposer un truc pareil.

- Elle est morte, déclarai-je en me levant brusquement.

- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

- Quand je suis rentrée du Japon, la première chose que j'ai fourré dans mon sac à dos, c'était des photos.

- Peut-être qu'elle a pas eu le temps de les récupérer, suggéra l'archer avant de se mettre debout.

- Non, elle est morte, répétai-je plus pour me convaincre que pour le contredire.

Daryl ne répondit rien, se contentant de me fixer d'un regard insondable. L'éventualité que ma mère puisse être encore en vie était inconcevable. Et de toute façon, nous avions plus important à gérer que le fantôme de ma génitrice.

***

En fin d'après midi, après de longues heures de marche sous un soleil de plomb, la silhouette massive de la prison se dessina gracieusement dans un horizon plus si lointain.

- Je donnerais ma vie pour un bain plein de mousse, me lamentai-je sous les assauts douloureux de mes muscles.

- Et un massage, renchérit Michonne.

- Une bière et une clope, grommela le chasseur.

- Tu fumes à longueur de journée, me fais pas croire qu'il n'y a que ça qui te rendrait heureux, m'esclaffai-je en shootant dans un cailloux.

- Y a p'têtre autre chose, marmonna-t-il avec un sourire en coin.

- Pas de sous entendu, s'il vous plaît, s'exclama la samouraï. Mais qu'est-ce qui m'a pris de partir avec deux ados aux hormones en ébullition ?

- On s'le demande, répliqua Daryl à voix basse.

L'afro américaine leva les yeux au ciel pendant que je gloussais bêtement. Après ces trois semaines passées loin de l'atmosphère confinée de la prison, j'avais un peu l'impression de rentrer de vacances. Finalement, mon fantasme du voyage de noce couplé à notre vendetta n'était pas si ridicule quand on y pensait. A condition d'oublier le côté triolisme de la chose, bien entendu.

Je repensai un instant à ma mère, m'interrogeant vaguement sur la possibilité qu'elle soit encore en vie. En fin de compte, était-ce réellement important ? J'avais grandi dans une famille décomposée, déchirée par l'alcool et la violence. Les liens du sang avaient-ils jamais eu une quelconque signification ? J'avais perdu ma sœur biologique, bien avant l'apocalypse. Mais paradoxalement, la fin du monde m'avait apporté une famille...et un frère que je n'oublierai jamais.

A suivre...

Qu'avez vous pensé de ce petit chapitre ? Il n'était pas très long mais important pour la suite...

A très vite pour la suite ! ❤❤

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