Les Vacances de l'Esprit - making of

Nous en voici au point où le dernier « making of » a été « vu » deux fois plus que le poème auquel il correspond ! Décidément, Clelia a eu une riche idée ! (« la seule alors qu'elle ait eue ! », cries-tu trop vite, car enfin, elle a eu cette autre idée merveilleuse, aussi, de – faire ma connaissance !)

Il faut que je précise à toute vitesse que je plaisante, autrement elle va encore me taguer ses foutues robes de gitane un peu partout !

Mais j'y pense : tant de vues sur moi, sur mes réflexions, sur mon esprit même... Mais c'est le signe indéniable... Le signe que... Mais oui : le signe que tu m'aimes, lecteur ! (Je ne retirerai pas cette phrase avant d'avoir au moins soixante-dix commentaires outrés en annexe.)


Dans ma série des poèmes orgueilleux, mes « Vacances de l'Esprit » tient une place tout particulière.

Ah ! mon bon orgueil ! ce vice chrétien ! Avez-vous remarqué : chaque fois qu'un individu veut se hausser un peu et prétend s'être rendu digne de quelque chose, il se trouve aussitôt un religieux ou un quidam amateur de proverbes pour lui rétorquer qu'il n'est rien, que l'humilité est une vertu même quand elle ment, et qu'il ne faut croire qu'en la puissance d'autrui, de Dieu, de l'Église ou de personne ! Bah ! c'est à désespérer du genre humain si nul ne peut affirmer s'être élevé quelque part, ne serait-ce que dans son domaine de spécialité ! À quoi bon désirer « grandir », si ce n'est pas pour mesurer objectivement comme on voit haut – j'entends mieux pourquoi personne n'apprend plus rien aujourd'hui puisque aucun ne se croirait pour autant le droit de s'enorgueillir d'avoir été édifié ! – L'orgueil, c'est le moteur puissant de toute éducation, tu liras cela bientôt dans un de mes prochains ouvrages. Et cette édification « objective » peut fort bien s'estimer en termes d'épaules voisines, par pure comparaison ; l'observation statistique humaine y suffit ! Mais quoi ! si au faîte de ma grandeur, je puis voir le sommet du crâne de mes contemporains, faudrait-il qu'au surplus je prétendisse – m'agenouiller pour rester à leur taille !

Pourtant, d'aucuns ne croiront pas qu'un homme puisse être aussi « vaniteux » ; on voudra que tout le poème soit une mise en scène, une pose théâtrale, une affèterie et une grandiloquence ; on me déniera le droit de penser ce que je pense, et quand on ne le fera pas, on trouvera sans me connaître des raisons pour que mon orgueil soit par moi-même très surestimé, très exhaussé, pour que je ne sois rien ou pas grand-chose qu'une « outrecuidance », et même moins que le commun puisque je n'ai pas la vertu d'être humble ! Ah ! il faut donc être menteur, se taire ou recevoir des insultes ! C'est par ce prétexte que ceux qui dénigrent le mépris vont me mépriser, moi ! Eh bien ! je dis ce que je suis : ai-je dit que j'étais supérieur en tout ? ai-je dit que je me sentais fort et heureux d'être supérieur quand je déclare avec tant de certitude que c'est l'ordinaire humain qui défaille ? Se voir toujours si clairvoyant, et courir tout ensemble désespérément à la recherche de quelqu'un à admirer – j'en trouve quelquefois, morts le plus souvent et à travers des livres ! –, cela blesse bien davantage qu'on ne peut penser : imagine-toi, lecteur, un homme – le seul ! – sur le pâturage des moutons : mais qui m'offrira de rencontrer un autre homme, moi qui suis si esseulé ! C'est bien triste, quand on a le dos simplement droit, de ne rencontrer à l'entour – que des bossus ! Et l'on voudrait que ce soit pour mon bonheur que je me hausse ! pouah, ces gens-là n'ont rien compris ! il faudrait, pour qu'ils voient juste enfin, que leur vérité ait quelque chose comme – une intégrité ! (cela doit consister, en somme, en l'exact contraire de préjugés.)

Ce poème parle de divertissement, sorte d'apanage de notre époque. Il déplore que bien peu parmi les hommes cherchent encore à s'élever, que leur temps libre – leurs vacances – ne serve généralement qu'à se délasser et s'abêtir, eux qui déjà ne valent pas grand-chose par leur profession. Lovecraft écrivait à peu près (je cite de mémoire) : « Je ne demande jamais à un homme ce qu'il fait pour gagner sa vie ; ce qui m'intéresse, ce sont ses pensées. »

Mon essai Du Feu aux poudres exprime plus longuement cette idée essentielle que le loisir est, pour l'immense majorité des individus de notre société, un temps perdu, un temps où l'on ne cherche pas même à se construire, à s'édifier un peu, à s'améliorer. Il faut rire, s'amuser, bronzer... toutes activités en quoi l'amélioration rare n'est qu'un incident, jamais une intention. L'effort spontané s'est perdu : on ne travaille... qu'au « travail » précisément, c'est-à-dire ailleurs que chez soi, parce qu'on y est obligé et pour d'autres – mais, passé le temps de ses études, presque jamais pour soi-même. Se perfectionner volontairement dans son être, avec tout le lot de peine que cela suppose encore, est une contrainte que chacun repousse.

Ainsi si mal conformés, les esprits et jusqu'aux passions s'affaiblissent en s'endormant, et l'on finit par n'être rien comme dit le poème, par « passer », sans avantage déterminant pour rien ni personne. C'est à peine si « Vie » et « vide », pour ceux-là, ont une lettre de différence.

Je travaille toujours.

J'ai toujours vécu adulte avec cette pensée que je mourrais peut-être demain et qu'il fallait que je fusse digne à moi-même de n'avoir pas perdu mon temps avant la fin. J'aurais exprimé ainsi, à mon jour dernier, le maximum de mon potentiel. S'il est un Créateur – ce que je réfute –, au moins ne pourra-t-il par me reprocher d'avoir été vain, de n'avoir pas poussé jusqu'à la plus grande extrémité cette capacité qu'il a placé dans mon être en naissant.

Toute ma vie est une poursuite assidue de ce temps productif pour moi-même. L'intarissable obsession de mon existence est à trouver du temps pour faire mon œuvre.

Je ne regarde presque jamais la télévision qui n'apprend rien, ou pas grand-chose. Un spectacle par exemple de sport à la télévision observé cinq minutes me cause inévitablement des suées – je le jure, des suées ! –, car je m'aperçois vite que je ne fais rien, que mon esprit divague, qu'il n'erre même pas à construire des rêves, il est seulement – fasciné, bêtement, et cela crée en moi une irrépressible culpabilité de n'être alors rien qu'une vacuité, qu'un réceptacle percé.

Or, tu t'en rendrais compte toi aussi, si tu avais pris l'habitude de ne pas rien construire !

Nietzsche écrit quelque part (ce doit être dans Ecce Homo) que, lorsqu'on a le goût de l'effort, lire un livre au réveil est un gâchis : je n'ai pas compris cela avant longtemps, pensant naturellement que la lecture édifiait. Mais il avait raison : si au lieu de faire votre œuvre, vous contemplez l'œuvre d'un autre, par comparaison vous perdez votre temps.

Je ne lis plus que lorsque je suis trop fatigué pour écrire. Même au lit, depuis quelques jours, lorsque mon esprit est assez éveillé, j'écris (des poèmes que tu liras bientôt, si tu veux) : je réserve la lecture pour cet état où mes yeux se ferment et mon cerveau s'alanguit, car enfin, je puis encore assez bien comprendre alors même un ouvrage de philosophie – même Nietzsche ! (ou bien alors, je lis seulement plus lentement)

Dans une conversation entre collègues, je cherche, sans que cela se puisse déceler, à retenir des informations ou des effets oratoires, à défaut : à briller par des réparties astucieuses qui me font travailler l'esprit. Quand je n'ai rien à dire, je tâche à suivre plusieurs conversations en même temps, deux m'est devenu aisé, trois me réclame une tension plus grande...

Et caetera.

Je n'aime pas partir en vacances. Ailleurs, je ne rends pas la quantité de travail que je puis rendre chez moi.

Quand je suis en vacances, je travaille – plus (que quand je n'y suis pas).

Une journée de temps libre, pour moi, c'est entre six et sept heures d'écriture – labeur harassant, littéralement : aucun plaisir à écrire.

Et ce que tu lis, lecteur, en ce moment même, est le produit de cette interminable besogne !


Diantre ! j'ai bien fini la partie « explication sémantique », sur une formule marquante ; il me reste la forme à expliquer.

Révisions : Sonnet en alexandrins. Rimes embrassées (fois deux), puis suivies, puis embrassées. Rimes identiques dans les quatrains. Partout, rimes au moins suffisantes, riches en « ivre ». Alternance de rimes féminines et masculines.

Ceci dit une dernière fois : je n'en reparlerai pas toujours, pour éviter l'importunité de la répétition – je te considère, par défaut, « bon élève ».

Note bien que la rime en « ment » pourrait être mauvaise, parce qu'enfin, à peu près n'importe quel adverbe ferait l'affaire – même un apprenti poète s'en aperçoit tout de suite : c'est pourquoi je n'ai placé qu'un seul adverbe (« bêtement »).

Le décompte des syllabes, sur lequel je suis passé un peu vite, pose un problème à deux reprises : je te laisse, si tu veux, remarquer quels sont les vers qui ne semblent pas des alexandrins.

...

(Sois gentil : fais ! et prends ton temps.)

Trouvé ?

Ces deux vers sont pourtant justes (manquerait plus que je me gourasse ! mais ça m'arrive quelquefois, raison de plus pour tout recompter avant de publier), ils appliquent rigoureusement les règles de diction classique.

Voici l'explication (si tu ne l'as pas déjà trouvée) :

Lorsque deux phonèmes voyelles sont accolés, on peut les lire séparément ; ce procédé s'appelle la diérèse. Le mot « dièrèse » lui-même, par exemple, peut se lire en deux syllabes (dié-rése) ou bien en trois (di-é-rèse, et l'on fait alors une diérèse) sans déroger à rien si ce n'est à la prononciation courante.

(Une observation intéressante est que le mot « troisième » se prononce ordinairement sans diérèse, mais que le mot « quatrième » implique habituellement une diérèse.)

Mais attention : la diérèse en aucun cas n'est une permission à faire n'importe quoi ; elle doit se justifier par un effet précis, et nullement parce que le vers ne tombait pas juste et pour aider quelque auteur incompétent à boucler son mètre. Ici, par exemple, j'ai pensé qu'au premier tercet « rien » et « diable » nécessitaient une insistance particulière : ce « ri-en » – n'est-ce pas ? – sonne un peu comme l'appréciation méprisante d'un professeur qui prononce son verdict cinglant sur la nullité des copies de ses élèves : « là-dedans, je vous préviens, il n'y a ri-en ! » ; quant au « di-able », je lui trouve ainsi quelque chose de désuet, de suranné, d'antique qui s'applique parfaitement, selon moi, à l'image que je veux donner de cet homme hors d'âge « appuyé sur des livres » comme dans quelque gravure médiévale.

Le procédé contraire à la diérèse, plus rare, est la synérèse, qui consiste à prononcer en une fois deux voyelles suivies ordinairement dites séparément. Cette fichue CleliaMaria2 (je dis « fichue » par provocation, car elle a la manie invraisemblable de se faire partout aimer !) me mettait l'autre jour au défi de produire un haïku sur la neige (je déteste les haïkus ; cette démone libidineuse ne cherche toujours qu'à me provoquer de toute façon !) ; pour prouver ma compétence, j'ai donc rétorqué le poème suivant (un haïku, si j'ai bien compris, comporte trois vers de 5, puis 7, puis 5 syllabes) :

Léger – ô silence ! –

Nuage niant la distance

Tombe. Tombe et danse.

« Niant », ici, doit se lire en une seule syllabe – synérèse donc : le but, pour moi, était que le mot même soit en quelque sorte « nié » jusque dans sa prononciation de façon à rapprocher phonétiquement le « nuage » de la « distance » (où il tombe).

Voilà, je ne veux pas abuser de votre temps, les amis : fin de la leçon. Je promets dès la prochaine fois, puisque je crois qu'il ne reste plus rien de technique à expliquer, d'indiquer comment, moi, je procède par étapes pour écrire un poème.

Vaste et douloureuse question ! J'en tremble presque d'avance !

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