Détournement de l'esprit du Droit
« La loi ne doit défendre, énonce un Droit de l'Homme,
Que l'action de nuisance » – admettons-le, en somme.
Articles quatre et cinq. Ce sont de sérieux points
Et tout fondamentaux qu'on n'abrogera point ;
Seulement, par « nuisance », il faut prendre pour cible,
Puisque la loi prévient, la nuisance possible :
À quoi servirait-il, n'étant qu'une sanction,
Que la loi interdît ? C'est une aberration !
« Nuisance » est donc un mot qu'on charge de « prédire »,
Le terme ainsi contient : « ce qui risque de nuire. »
Ceci est établi. C'est très bien. Poursuivons,
Sans craindre que ce « risque » introduise un savon :
N'avons-nous pas montré comme il est nécessaire ?
Attaquons désormais le « nuire » au dictionnaire :
« Faire du tort, du mal, provoquer un danger »
(Où l'on trouve le « risque » à ne donc point changer).
Il existe bien sûr tous les périls physiques
Dont le Code a dressé la liste pragmatique ;
Ils sont fort évidents, nous n'y reviendrons pas,
Mais pour d'autres il faut un moins grossier compas ;
Nous voulons évoquer les souffrances mentales,
Atteintes à l'honneur, aux pudeurs, et morales ;
Le dire est bien action quand il a qualité
D'altérer le bonheur et la tranquillité ;
Et d'ailleurs il suffit qu'une expression infecte
Touche à la dignité, et l'on dit qu'elle « affecte » ;
On doit bien intégrer comme en cette acception
Un vocable insultant est certe une « affection »,
Car la contrariété qui gêne la pensée
Dérange aussi le corps dès qu'elle y est passée.
En quoi il faut admettre en tout acte qui nuit
Qu'il provoque l'aigreur, le malaise et l'ennui,
Et que c'est pour un « mal » tout l'unique critère
Que sa victime en sente un trouble involontaire ;
Ainsi n'osera-t-on, contre l'humanité,
Balancer si le mal a ou n'a pas été.
Et voici défini le terme de « nuisance »
Qui, associé au risque, est plus simple qu'on pense.
Or, ce risque, où va-t-il ? Si le particulier
En tire une blessure, il est fort à parier
Que ces maux mis ensemble à l'échelle des foules
Font à la Société un grand effet de houle ;
Pareille à l'organisme où le mal touche un nerf,
La douleur se répand à d'autres univers :
Que l'individu cède où le collectif prime !
Et c'est par conséquent tout à fait légitime
Que l'État anticipe un risque de tel tort
Sans attendre qu'un être accuse... ou bien soit mort !
Il faut que la Cité devance la nuisance ;
Elle n'a pas le temps d'estimer la souffrance,
Et ce qui ne nuit point encore peut venir ;
Elle éteindra le bien d'où le mal doit finir.
À ce tort auguré qu'elle a droit de défendre
Doit, sans trop d'examen, logiquement s'étendre
Tout risque de dépense, en ce qu'un pays souffre
Des dilapidations où son Trésor s'engouffre :
Justice, Éducation, et surtout la Santé
Sont des coûts épuisants à toute société :
Il y faut tout compter avec parcimonie ;
Dilapider l'argent, c'est nuire à l'harmonie ;
Renverser un Budget, pour un gouvernement,
C'est y creuser un trou qui blesse abondamment.
Il faut y empêcher que les citoyens nuisent
Et sans évaluer les risques qu'ils produisent
(Car il faudrait pour ça s'attarder en questions,
Et avant que défendre, établir proportion
Du bienfait de la mise et des chances de perte :
L'intérêt des Nations ne veut pas qu'on disserte.)
Prévenir le malade, abolir jusqu'au bruit
D'un montant superflu pour soi ou pour autrui.
Mais on sait comme fait l'homme quand il est libre :
De la Communauté il menace la fibre,
Il veut jouir en-dehors de ce qu'on lui permet,
Il consume l'impôt ; il raisonne ; il admet
Que l'État ne vaut rien s'Il ne fait en pratique
Qu'enlever de ses droits pour la Chose publique ;
Au fait de ne pas nuire il se veut supérieur ;
De son Contrat social s'estime détenteur,
Et dans cette hérésie, insolent, il persiste,
Refuse de dresser du Licite une liste.
On n'a jamais connu face à l'autorité
Rien d'autre qui nuisît comme la liberté !
Ce fait étant admis le plus préjudiciable,
Il va de soi qu'il faut observer en coupable
Tout cri d'identité par où naît le nocif.
***
« Défendre la nuisance » – enfin c'est positif ! –
S'entend tout uniment : cela revient à dire
Qu'il faut, et sans délai, l'homme libre proscrire.
Écrit le 28 juillet 2021. Publié le 17 février 2022.
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