Cimetière des imbéciles - making of
« Cimetière des imbéciles » est un texte belliqueux, un poème de combat. Cette pièce dénonce l'appétence inutile et bornée pour les actions irréfléchies et les traditions en tous genres et, en particulier parmi elles, pour toutes les simagrées dérisoires et néfastes qu'on nomme croyances et religions.
Ce poème est assez récent ; il fait écho à celui de CleliaMaria2 intitulé « Dernier adieu », dans lequel la poétesse évoque avec émotion le lieu où elle désirerait être enterrée et le sentiment attendri que, peut-être, la vision de sa tombe pourrait susciter chez quelque passant.
L'espoir de cet emplacement et de ce recueillement, on l'a compris, ne provoque chez moi aucune sympathie : c'est qu'on imagine toujours la mort à travers le prisme de la vie ; on voudrait séjourner quelque part et être un peu honoré après le trépas, mais on n'a pas songé que ce séjour ne sera d'aucune importance à des ossements ramassés et à des chairs putrides, ni que cet hommage ne signifiera rien à un cerveau desséché dépourvu de pensées et de sensibilité. J'ai même connu des gens qui refusaient d'être enterrés « par claustrophobie », ou bien qui n'admettaient pas d'être incinérés « de peur d'avoir chaud ». C'est consternant.
D'une façon générale, tout ce cérémonial autour de la mort, que je ne sais quelle pauvre race d'anthropologues a estimé le témoin d'élévation – voire le summum – d'une civilisation spirituelle et artiste est, à mon sens, exactement le contraire, je veux dire l'opposé de la grandeur qu'il y a à assumer bravement et sans illusion la fin de l'existence. Ou alors, c'est que nous n'entendons pas le mot « artiste » de la même façon, eux et moi : pour moi, si l'artiste transfigure la réalité, il ne la nie pas.
Former tant d'espoir sur « l'au-delà », c'est évidemment ne pas reconnaître que l'au-delà de nous-même existe davantage au passé et au présent – qu'au futur : nos effets s'atténuent presque toujours à mesure que notre présence s'éloigne. Il faut même admettre que la mémoire de quelqu'un sert généralement de prétexte pour se consoler de ne rien faire, exactement comme la mémoire de Jésus est une incitation pour les chrétiens à... prier, c'est-à-dire à n'« agir » que par le murmure et par le vœu. Tristement, on n'aspire jamais tant à ressembler à quelqu'un qu'à lui vouer une sorte de culte qui nous valorise, croit-on, parce qu'on se sent alors capable de s'émouvoir et de penser au-delà de soi-même ; mais quant à agir suivant cet exemple, et plus encore à « prendre des risques »... Lorsque la vie d'un homme ne comporte nul acte à vénérer, on suppose que la mort transfigurera l'individu en quelque chose de mieux qu'il faudra honorer : piteuse excuse pour ne jamais rien faire de son vivant !
La postérité, si elle existe – car la postérité déforme toujours l'idole, c'est le propre de la vénération de louer des images fantasmées, de sorte que la postérité d'un homme est peut-être la représentation de toute autre chose que cet homme –, la postérité a généralement moins d'effets que n'en eut celui dont on croit se rappeler. D'abord, il n'y a vraiment que très peu d'exemples dont on se souvienne au juste pour y conformer ses actes – il y a même à espérer que ces exemples sont infiniment moindres que le nombre d'hommes qu'il y aurait effectivement à admirer. Ensuite, si l'on y réfléchit concrètement – et non pas au sein de cette sorte de bulle d'idéalisme aveugle d'où certains préfèrent continûment s'imaginer les choses –, on verra que l'action d'un homme a toujours plus de force efficiente sur le monde que son souvenir ; et, même sur ce point, ce qu'on suppose des exceptions « héroïques » vraiment ne vaut pas grand-chose : Zola défendant Dreyfus a certes indiqué quelque voie théorique pour l'engagement du journaliste, mais pour la cause de Dreyfus et de l'antisémitisme, son action valait toujours mieux que son – symbole ! Contre cette idée, on argue que certains écrits « mobilisent » encore, mais cela vient de ce que les écrits sont moins des mémentos que des « actes en mots », et qu'ainsi ils n'ont jamais cessé, par-delà la mort de leurs auteurs, d'exprimer une action. Ces écrits, si l'on suit ma pensée, ont une existence si indépendante de leurs écrivains qu'ils cessent même de leur appartenir aussitôt qu'ils sont couchés sur le papier, au point que je serais tenté de dire qu'on n'entretient pas la mémoire d'un homme en citant ses textes, parce que ces textes ne représentent qu'une image probablement très infidèle que l'on se figure de celui qui les a écrits. Notre pensée, à la lecture d'une œuvre, trahit même la réalité de son auteur : c'est pourquoi on ne saurait dire que notre assiduité d'un texte honore l'homme qui l'a produit – cet homme ne s'y trouvant guère qu'en représentation à travers nous.
Cette digression compliquée ne m'empêchera pas de revenir à une condamnation sans ambages touchant au conformisme des imbéciles croyants, à tous leurs rituels ineptes et lénifiants, à tous leurs propos alambiqués et irrationnels sur l'âme. Ces fadaises, à mon sens, sont plus nuisibles qu'on ne peut croire – loin de moi la pensée complaisante et mièvre qu'elles sont indolores et qu'on doit les tolérer en silence –, car elles nuisent profondément à toute cohérence de l'esprit rationnel, à toute dignité de l'intelligence humaine. Quand on aime vraiment l'homme et qu'on prétend pour lui à une certaine intégrité, on ne doit pas laisser s'installer, ni par habitude ni par paresse, l'idée que certaines actions automatiques et pathologiques sont anodines et, en somme, qu'on a le droit d'être stupide ou bien fou. La dégénérescence intellectuelle où nous conduisent ces superstitions absurdes et passées en coutumes amène inévitablement un mépris – une misanthropie – contre laquelle l'individu véritablement généreux veut lutter de toutes ses forces – car, pour lui, la générosité ne peut consister à accepter passivement une dégradation ou un mal. Celui qui tolère, c'est-à-dire qui n'agit pas pour redresser un mal, au fond celui-là se moque du mal, il ne voit partout que son affaire sans nul intérêt pour les autres, et il vit isolément sans se soucier du Bien humain – même du « Bien » selon lui. Or, voici de quels gens détachés je ne suis pas.
(Cette remarque « m'explique » et me justifie plus profondément qu'on ne pense : me reprocher par exemple ma misanthropie c'est-à-dire mon franc mépris pour le genre humain, c'est me reprocher de ne pas entretenir de l'indifférence pour l'homme comme c'est le cas généralement chez tous ceux qui n'ont même jamais réfléchi à notre valeur. Mais il est une attitude bien plus vile, selon moi, que cette dureté qu'on m'oppose, et c'est le désintérêt total pour tout ce qui touche au bien et au mal humain. Celui qui feint d'être d'accord en tout ou qui ne ne promène jamais son esprit sur rien : le voilà, au juste, celui qui est l'inhumain !)
Et l'on conviendra, à bien y regarder, qu'il faut une bêtise spectaculaire ou bien une accoutumance aux traditions les plus invraisemblables pour admettre sans ciller que le corps des défunts soient inhumés dans une boîte – pour ne rien dire encore d'une boîte hermétique, ou d'une boîte confortable, ou d'une boîte luxueuse aux bois et aux ornements précieux, ou de tout un habitat de pierre chargé de l'accueillir et qu'on nomme : « caveau » ; c'est là l'idée la plus imbécile au monde ! Et pourquoi mettre un corps en terre si c'est pour l'empêcher de se décomposer ?! Personnellement, je n'ai jamais pu regarder un cimetière sans me sentir stupéfait – pour ne pas dire, en mauvais plaisant, « atterré » – de ces concessions centenaires où des cadavres reposent dans un certain état de conservation, du moins dans les préparatifs d'une « altération ralentie ».
Par ailleurs, qu'on mesure un peu comme ces lieux coûtent aux vivants – de place, d'argent, de temps, de gaspillages de toutes sortes ! Faut-il qu'on décapite une montagne par décennie pour fabriquer tous ces marbres ? Faut-il qu'on arrache une forêt par an pour bâtir tous ces cercueils durables ? Faut-il qu'on endette tant de familles et qu'on les incite à tant de componction sur des vestiges inutiles pour qu'un reste pourrissant d'aïeul ait l'honneur de reposer dans un écrin de prestige et parmi des ancêtres inconnus, avec des parures de fleurs et des bredouillements au sommet d'un amas de terre ?
Songez-y : pour des cadavres, combien d'écoles qu'on ne peut étendre à cause du cimetière voisin ? Combien d'arbres où nos enfants ne grimperont pas ? Combien de paysages qu'ils ne pourront admirer à cause des carrières bruyantes où des machines creusent et découpent la roche ? Et quand bien même le mal ne serait pas si considérable, pourquoi le laisser perdurer ? Est-ce un bon prétexte, parce que la blessure est petite, pour continuer à permettre une estafilade journalière sur notre corps ou sur celui de nos fils ? Et si la blessure n'était pas petite encore, et si cette traditionnelle bêtise heurtait plus profondément l'esprit humain au point même que par accoutumance il en oubliait l'invraisemblance et l'absurdité ?
Quant au respect du passé, quant au devoir de mémoire, c'est une idiotie de premier ordre de vouer un culte à des morts parce qu'ils sont morts – je ne nourris pas le culte du passé. Plus encore, je ne prétends pas que, par routine et au nom d'une pure convention, mes enfants y soient contraints eux-aussi : et combien de familles qu'on voit ainsi errer dans les cimetières au jour obligé qu'une coutume a établi comme celui des morts ! Vous m'aimiez, mes enfants ? Eh bien ! pensez à moi quelquefois si vous voulez : quel rapport ma tombe a-t-elle avec ma mémoire de toute façon ?! et pourquoi vous faudrait-il un lieu pour vous souvenir de moi ? Vraiment, ce sentiment de la contrainte, je veux l'anéantir en ne laissant pas même après moi un lieu de recueillement ; je veux même l'anéantir au point de faire du recueillement même une critique et une moquerie publiques – ce en quoi, précisément, on l'a compris, consiste ce poème.
D'un point de vue technique, ce poème est d'une difficulté rare : c'est un sonnet bâti sur une seule rime, et cette rime est au moins suffisante, ce que n'a pas toujours remarqué le lecteur qui put supposer une banale rime en « é ». Cette difficulté est encore accrue par l'alternance classique des genres des rimes, où il m'a importé de vérifier, comme par défi, qu'une rime identique pouvait être aussi bien féminine que masculine.
Loin de me reprocher que le lecteur n'ait pas toujours été attentif à ces subtilités, je m'en félicite presque : la vertu première d'une œuvre n'est certainement pas, à mon avis, de susciter l'admiration par la virtuosité, et j'ai en tout art la « chinoiserie » en détestation – ce qui vaut aussi bien pour un fond alambiqué que pour une forme outrancière. Et même, c'est précisément cette objection de la pédanterie qui m'a fait longuement hésiter à produire ces « making of » : c'est que j'avais des scrupules à ce qu'une explication parût améliorer artificiellement un texte en portant l'attention sur des considérations techniques qui n'appartiennent qu'à l'auteur et qui ne servent parfois qu'à montrer combien celui-ci s'est consciencieusement appliqué pour réaliser – un ratage complet !
Et c'est là où je veux en venir : le véritable but en art est atteint, selon moi, lorsque l'artiste parvient à ne pas attirer l'attention sur la peine que son œuvre lui a réclamée et lorsque, sans tromperie particulière, il parvient à faire accroire en sa facilité en rendant fluide et relativement immédiate la compréhension d'une idée complexe. (Ça fait beaucoup de gras ; gageons que les éventuelles liseuses automatiques de Wattpad ne comprennent pas que je veux insulter quelqu'un !)
Je voudrais, en un mot, que l'auteur ne s'interposât jamais entre son public et son œuvre. La forme ne devrait incomber qu'à l'analyste en seconde appréciation ; mais il faudrait que le sens jaillît au contraire dès le moment de la découverte, sans nécessité de contorsionner son esprit ou d'interpréter à toute force.
Lorsque votre idée est claire et que toutes vos notes sont prises, vous devriez, avant d'écrire le poème, envisager le ou les mètre(s) que vous utiliserez. Cette sélection suppose plus d'expérience que je n'en ai moi-même, car il faut comparer l'effet de différentes longueurs de vers pour en apprécier les effets ; or, c'est bien cet effet qui doit tout premièrement motiver votre choix. Tout ce que je puis dire ici, c'est que, généralement :
- Les vers longs, notamment lorsque leur césure est entre les hémistiches, paraissent plus sérieux, produisant un effet de hiératisme, de majestuosité ou de solennité plus net. Leur étendue permet aussi d'insérer plus de sens explicite, et en cela semble plus adapté à un contenu plus « intellectuel ».
- Les vers courts, par l'effet de retours plus « rapides » ou « fréquents » de la rime, produisent une impression plus forte de chanson rythmée, de chutes répétitives, de comptine drôle, tendre ou mélancolique, et par là-même paraissent plus propices au registre des évocations d'apparence plus « sentimentalement spontanée », comme par exemple le haïku. (CleliaMaria2, j'en suis sûr, va laisser ici un commentaire.)
J'ai tout à fait conscience que ces observations audacieuses rencontreraient, après une analyse étayée, tant et tant d'exceptions qu'elles apparaitraient bientôt tout à fait fausses ; c'est pourquoi je ne veux pas trop m'y étendre, et considère par avance toute contestation comme fondée. Je tiens simplement ces indications comme une impression fort personnelle et générale, rien de plus.
Là commence le « travail » à proprement parler : c'est celui, tout d'abord, de la rime – point crucial, essentiel, éliminatoire presque.
Si vous ne vous astreignez pas à une forme fixe – comme le sonnet par exemple –, vous conservez une liberté plus grande de rimes. Ceci dit, il est absolument nécessaire que vous cherchiez par avance quels mots vous allez faire rimer entre eux – vous ne devez pas, en somme, espérer qu'une fois un premier vers fixé vous en trouverez miraculeusement un autre qui rimera astucieusement avec lui.
Voyons... avez-vous déjà eu cette impression à la lecture d'un poème : deux vers riment, et il vous apparaît flagrant que l'un de ces vers est un prétexte pour aller avec l'autre, en somme qu'il a été imaginé après et comme par accident. Cet effet est toujours désastreux : un vers sur deux quelquefois paraît la béquille de l'autre ; une certaine beauté succède systématiquement à une franche laideur ; ou bien le poète a tant forcé pour placer ses rimes à droite que l'un des vers s'en trouve tout contourné et que, par exemple, le sujet y figure sans raison à la fin comme dans une des paroles ridiculement ampoulées de maître Yoda (joindre ici des commentaires indignés de soutien pour les films « Star Wars »).
Cela, c'est le contraire de ce que je disais tout à l'heure : le lecteur voit immédiatement la peine de l'auteur qui s'est tout emberlificoté dans ses manipulations. Les fils sont grossiers, rien n'est limpide ; on comprend mal ; on devine, au fond, que le poète n'a pas trouvé autre chose, une autre rime par exemple, faute d'avoir suffisamment anticipé la forme. Il s'est pris au piège, tout seul. Et cela, sombrement, renvoie à sa bêtise et à son inexpérience. Triste impression !
Donc, pour chaque couple de vers, dresser, par avance et au fur et à mesure de l'écriture, une liste de rimes possibles, de façon à bien mesurer quels termes pourraient être les plus appropriés au sens général de votre texte et à ne pas vous trouver dépourvu lorsque la rime fut venue... Préférez au moins les rimes suffisantes, si vous me voulez comme lecteur – car je suis tellement snob ! –, et évitez les rimes si convenues que c'en est de la tarte à la crème usée, périmée, insipide et indigeste (« Madame, tout votre amour / Commencera-t-il un jour ? »).
Et quelquefois, faute de trouver, vous renoncerez tout bonnement au vers tant aimé que vous souhaitiez absolument insérer, parce que : « Elle est plus sombre encor qu'une énigme du sphinx », c'est assez joli, certes, et envoûtant, mais aussi... cela ne se rime pas aisément !
Ainsi, il faut que dans cette paire de vers que vous formez, les moitiés aient la même beauté et la même utilité, de façon qu'on ne devine pas les mauvais secrets de votre esprit et quelle idée vous est venue en premier.
Et enfin, à mon avis, vous ne devriez pas, pour cela, user d'un dictionnaire des rimes : je considère cette manœuvre à peu près comme de la bassesse et de la triche, attendu surtout que vous risquez de faire surgir une idée nouvelle d'une rime imprévue, et que votre poème risque de prendre une tournure qui, dès lors, ne vous appartiendra plus... et c'est ainsi qu'en cherchant la facilité, on finit dépossédé de son propre texte ! J'ai même connu personnellement un auteur en prose – publié, et pas des moindres ! – qui écrivait en allant régulièrement piocher dans son « dictionnaire des mots rares et précieux », pour faire chic sans doute !
Mais c'est une autre histoire, et j'ai déjà largement dépassé mon temps ! C'est la faute de qui-vous-savez, qui m'a lancé sur ces explications tout en sachant très bien combien j'étais bavard et orgueilleux, et fascinant aussi, et exaltant, et superbe, et généreux et... (achever l'énumération au moyen de tous les termes mélioratifs qui vous viennent spontanément à l'esprit à mon endroit. Compter au moins dix termes, pour être vraiment sincère et ne pas craindre après coup les remords.)
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