Anamour, ou La secte des Exilés - making of

Et voilà que j'ai davantage de lecteurs sur le « making of » précédent que sur son poème lui-même ! J'ignore si cela signifie échec ou réussite – en revanche peut-être faudra-t-il que je réintitule le concept en : « making of » ... avec poèmes ! – toujours est-il que c'est sans nul doute un succès pour l'idée de CleliaMaria2 ! Bon sang, si ça se trouve, c'est encore à elle que revient la gloire en ce moment même où j'écris ! Décidément, on ne peut plus parler poésie sur Wattpad sans lui faire honneur, c'est insupportable !

Certainement, je suis en train de retarder le moment d'écrire « sérieusement » parce que j'anticipe de nouvelles polémiques sur l'explication du poème précédent : « Anamour ». Je vais encore me faire mal comprendre, on supposera que je cherche délibérément à provoquer, et beaucoup vont me juger inhumain, me faire des reproches, me largement détester... Il faut pourtant entendre que tout ceci m'est accidentel ! C'est que je crois toujours n'être pas fort original, et toujours je me rends compte trop tard de ma différence. Par exemple, je suppose mon avis partagé et très évident, et puis je découvre que j'ai dû vivre dans quelque siècle inactuel, que personne ne m'entend, que mon ton même paraît étranger au genre humain – je passe pour une sorte d'alien au sens anglais du terme –, et je regrette de n'avoir présumé de rien, de m'être lancé sans défiance sur le seul chemin de la Vérité, comme si tout le monde agissait ainsi que moi.

Même les bonnes âmes compréhensives qui veulent m'accorder le bénéfice du doute ou qui refusent d'en « croire leurs yeux » et demandent des explicitations se trouvent sidérées : Ah ! tu as voulu dire cela, n'est-ce pas ? Et moi, avec ma franchise bien naïve, de répondre : Mais non, pas du tout !

Je ne me repens pourtant pas de ce que je dis – de cela je suis sûr, et je ne parle jamais, à plus forte raison n'écris jamais, sans être bien convaincu de ce que j'affirme –, mais c'est peut-être ma façon de dire qu'il faut revoir – ce doute me laisse un certain trouble. Et cependant, comment changer ma façon et m'adapter à mes interlocuteurs sans prendre aussitôt sur eux quelque ascendant, quelque hauteur où je tâcherais avec quelque inévitable mépris de les préserver ? Il me semble que je leur serais plus insultant encore, de cette manière-là, si je les considérais avec une telle précaution qu'ils deviendraient aussitôt pour moi comme – des enfants.

« Anamour », c'est l'absence d'amour, comme « amoral » est l'absence de morale. Ce sentiment est en bonne part chez moi le dégoût pour tout ce qui touche aux contradictions et aux « pièges » de l'amour, et particulièrement aux tentations dont bien des femmes savent être les manipulatrices (ceci ne s'entend même pas négativement, a priori : elle savent séduire, c'est tout). Alors, mettons les pieds dans le plat : ce poème est-il sexiste ? suis-je misogyne ? Eh oui, sans doute. — Alors vous avouez, scélérat ? — Mais oui, tout autant que je suis misandre et que je hais les hommes ! — Quoi donc ? Vous n'aimez ni les femmes ni les hommes, est-ce là votre défense ? — Et sinon comment pourrais-je être cohérent : il faut bien qu'un misanthrope soit dégoûté des deux !

Ce poème peut créer un trouble, parce qu'il réfute le pouvoir des femmes sur une certaine « race » d'hommes, que j'ai appelée « Secte » : ces hommes-là rejettent ce que par tradition on admet « la beauté des femmes » ; tout ce qui figure dans ce poème est l'incarnation de mon absoluité rationnelle, de mon esprit pur (mais je suis aussi un corps, ce que ce poème met exprès de côté). Tous les procédés habituels par lesquels une femme attire un homme sont extrêmement pénibles à cet aspect de ma personnalité, parce qu'il s'y trouve des techniques vulgaires (je veux dire : communes) qui parlent à la sensualité masculine dont elles arguent souvent qu'il s'agit de la plus mauvaise part, primitive et bestiale. Les parfums en particulier m'insupportent, car attirer par l'olfaction est le comble de l'animalité qu'on reproche aux hommes : et se met-on du parfum pour autre chose ? Il est aussi certains actes factices, certains tons de voix, certains mouvements de cheveux qui me dérangent en ce que la plupart des femmes qui les expriment, tout en sachant intimement leurs effets, feignent de ne pas s'en apercevoir et font mine d'en être, pour ainsi dire, innocentes et choquées.

Je veux lever un doute, avant de poursuivre : j'aime la séduction et même plus que nul autre, je considère la société comme le terrain universel de l'attirance, et j'aspire tout autant à plaire aux femmes qu'à mes amis dont je désire aussi me faire admirer.

Mais prétendre à la candeur virginale et minauder tout ensemble, c'est nier ce métier-là éternel de l'espèce humaine – l'hypocrisie alors me révolte – et c'est affecter de ne pas savoir tous les attraits qu'on exerce sur les autres, par exemple avec des parfums ou des vêtements savamment choisis – comme si l'on se parfumait ou s'habillait pour soi seul !

Mais mon moi idéal affirme que l'attirance pourrait se juger sur bien autre chose que des superficialités de cette sorte. L'amour, notamment, mérite un peu mieux – et c'est au point qu'il serait plus élevé et plus digne de commencer par admirer quelqu'un pour son esprit avant de le rencontrer et de découvrir ensuite à quoi il ressemble.

Les femmes belles, j'entends canoniquement belles, de cette beauté de magazine qui ne souffre à peu près aucune contestation, ces femmes-là, je m'en défie. Une femme vraiment belle le sait toujours, elle a appris à vivre avec, à s'en servir comme d'une arme pour arriver à ses fins, pour faciliter sa vie, pour se faire plus aisément admettre au sein de différents cercles – du moins a-t-elle moins peiné, qu'elle le sache ou qu'elle l'ignore. En général, une femme belle n'a pas eu à user autant de son esprit qu'une autre : il lui a suffi de se« présenter », elle n'a eu qu'à se parer moindrement, et voilà comme elle fut prête à triompher de nombre d'épreuves de l'existence. C'est pourquoi une femme très belle m'inspire toujours de la défiance : elle est le plus souvent – piètre d'esprit.

Mais, me rétorquera-t-on, il faut être encore pour le moins « joli » de façon à ne point inspirer du dégoût et à entretenir l'idée d'une certaine hygiène et d'un certain sens esthétique ! Certes, mais ceci est simple et consiste bien plutôt en un apprentissage culturel qu'en une disposition physique ou corporelle (...vaste sujet, et dont au moins un corollaire, assez étranger à mon sujet, est plus polémique encore !). Il existe une forme de beauté qui s'ignore et qu'on appelle le charme, l'élégance, le goût, la grâce... Une femme qui ne se sait pas belle peut fort bien l'être en vérité, mais elle aura développé en plus de sa beauté de ces variétés d'esprit pour se faire valoir qui ajouteront à ses attraits extérieurs. Malheureusement, il faut encore admettre une déplorable chose, c'est qu'une femme belle et qui se suppose laide est idiote ou complexée : ne pas reconnaître ce qui est, c'est assez malsain aussi, et ce déni est évidemment un défaut de nature à dégoûter un amant philosophe.

Ce que j'écris ici m'évoque assez les Incel, ces Célibataires Involontaires qui haïssent les femmes parce qu'ils ne parviennent pas à s'en faire aimer – un spécimen curieux en a abattu tout récemment plusieurs dans les rues de Toronto avant de se faire arrêter. Ces hommes-là – il faut aussi les plaindre un peu, c'est-à-dire les comprendre, ce qui ne revient nullement à les justifier – vivent dans une frustration immense : ils se sentent injustement négligés, leurs tentatives pour se faire apprécier des femmes suivant tous les codes conventionnels se sont soldés par des échecs, et, après avoir longuement cultivé le sentiment de leur indignité, ils en ont tiré une tristesse puis un mécontentement qui ne peut plus aller seulement dans le sens de la culpabilité ; il faut que d'autres soient coupables à leur place – et c'est la femme, à leur avis, dont la perversité dédaigne leur valeur. Suivant cette logique, ils ont sans doute cru, au moins provisoirement, qu'avoir l'air de négliger les femmes est un moyen de s'en faire aimer.

C'est pourtant vrai que cela marche parfois : bien des femmes fuient qui les recherche, parce qu'elles sentent – et c'est tout naturel – qu'il y a là une proie qui se donne avant de se conquérir, et c'est le signe que cet homme ne serait pas un conquérant, mais un conquis ! C'est toute la bêtise de la « virilité » qui, touchant aussi bien aux préjugés de certains hommes que de certaines femmes, pousse à ces jeux de chasse dont les Incel ne voient que les affectations insolentes et les provocations sexuelles – ce que j'évoque dans le poème.

Mais là où ils ont tort, c'est que cette attitude de « mépris d'avance » du Dom Juan (dont parle si justement Albert Cohen dans Belle du Seigneur) ne fonctionne que si elle n'est pas perçue précisément comme un rôle : une femme qu'on quitte dans le seul dessein de lui manquer peut deviner, si l'on n'est pas sincère, l'imposture. Ce en quoi je dirais que, s'il faut jouer à tout prix – mais rien n'y oblige, n'est-ce pas ? et pourquoi ces affèteries si l'on n'a pas quelque peu honte de ce qu'on est ? –, l'homme qui obtient le plus de chance de séduire ainsi est celui dont le mépris n'est pas affecté.

Ainsi : ne recherchez pas l'amour, frères humains, dédaignez-le d'un cœur loyal : on vous aimera mieux, même... on vous poursuivra peut-être !

En effet, le summum de la virilité (dans un sens certes assez stéréotypé) est sans doute incarné par celui qui n'aurait pas « besoin des autres », qui serait parfaitement autonome, et dont l'indépendance extrême serait en soi un objet d'admiration. Le narrateur de « Anamour » est justement un être détaché, exilé volontaire, qui ne ressent nul besoin d'aimer ou d'être aimé – par conséquent il attire sans doute inévitablement l'intérêt de quelques femmes qui se font un défi de briser ce mur à leurs yeux provocant et pour qui quelque résistance en la matière pousse toujours au combat. Mais il veut de l'authentique et du profond, ce que son environnement ne lui offre pas ; et il souffre, parce qu'on dirait qu'il n'est point sensible et que, cependant, il veut des « amitiés » qui ne reposent pas sur des conventions d'apparence : il veut admirer, lui. Mais qui admirera-t-il si, autour de lui, il n'y a que des « hormones » – parfums, manières, vêtements, parures et cajoleries apprises par cœur – à percevoir ? La solitude de cet homme d'exception, qui est aussi la condition de sa Grandeur selon le célèbre mot de Nietzsche, est également, à son âme extrêmement ouverte, une plaie incurable.

Fin de l'exposé.


Diantre, j'ai été long ! Si vous attendiez de moi uniquement le cours « technique », vous en voilà quitte pour un long discours inutile, pauvres amis !

Récapitulatif, donc : ici, sonnet en alexandrins, encore ; rimes au moins suffisantes, riches en « ibles » ; rimes identiques dans les quatrains (selon la règle), mais en poussant la difficulté cette fois jusqu'à construire le poème sur trois rimes seulement. Toutes les césures sont entre les hémistiches. Rimes embrassées dans les deux quatrains, puis suivies, puis croisées – tout ceci à titre de pure révision.

Ah ! et il faut que je vous dise, les difficultés ne s'arrêtent pas là : c'est que je dois vous apprendre encore ce que c'est que le genre des rimes.

Une rime achevée par un « e » (muet donc) est dite féminine ; masculine est la rime sans « e ». Dans un poème classique, on alterne toujours les rimes masculines et féminines – mais je ne sais fichtrement pas pourquoi ! C'est plus difficile, voilà tout, et les poètes sont incroyablement férus de contraintes.

Je crois que, sur l'aspect purement technique d'un poème, vous savez à peu près tout. Mais un poème, n'est-ce pas, ne saurait se réduire aux seuls vocabulaire et règles de versification : vous avez lu sans doute des poèmes fort nuls – et pourtant parfaitement versifiés !

Là, l'explication devient pour moi plus compliquée. C'est qu'il faut à présent parler de la beauté d'un poème – chose qu'on prétend, un peu à tort, toute subjective et incalculable.

Un poème souhaite, souvent en peu de mots, transmettre une sensation : la brièveté de sa forme suppose une intensité d'émotion. Un sonnet, par exemple, n'a que quatorze vers pour transmettre un sentiment : c'est effroyablement court, il faut être très efficace, faire dense et profond. Le poème est environ à l'expression de la sensibilité ce que la nouvelle est au roman : une puissante synthèse orientée tout entier vers l'effet (lire, pour exemple éloquent, le poème « sensations » de Rimbaud).

Si vous n'avez pas une idée de l'effet particulier que vous voulez produire, attendez avant d'écrire. Si vous n'avez, pour toute idée, qu'un sentiment très commun à rendre : attendez avant d'écrire. Si vous n'êtes pas prêt à travailler vos mots avec exactitude, attendez avant d'écrire – du moins, avant de publier quelque chose.

Car enfin, il vous faut une idée sensible et forte – Lovecraft écrit quelque part et certes avec quelque « réduction » qu'un poème n'est pas le lieu d'une dissertation ou d'un article (ce que pourrait démentir une explication telle que celle que vous lisez !) ; ce n'est même pas proprement le lieu d'un récit : c'est le temple, en revanche, de l'émotion et de la beauté.

Trouvez donc, avant d'écrire un poème, quelque sujet d'émotion neuve ; et soyez assuré que si ce sujet n'est pas quelque peu original sur le fond ou sur la forme, il ne produira environ que le sentiment d'une énième redite sur un thème éculé, ou bien celui d'une idée gâchée par la paresse ou le dilettantisme.

En cela – et c'est mon dernier conseil pour aujourd'hui –, ne laissez jamais un vers qui soit faible ou mauvais à vos propres yeux. C'est que le contraste entre deux vers de différente « grandeur », même pour un amateur écrivain ou lecteur, est toujours flagrant. Certes, le travail du poète est formidablement difficile, et pour une rime qu'on trouve astucieuse on peut vouloir contourner une phrase, tordre des mots, contraindre la syntaxe et la sémantique et arguer ensuite que cela s'inscrit dans le « caractère de la poésie d'être mystérieuse et impénétrable » : abstenez-vous à tout prix de cela, je vous en prie ! Personnellement, quand je lis un de ces vers dont on ne comprend rien, qui semble une contradiction à la raison et dont on n'entend ni ne ressent le moindre écho d'une pensée, je me fais confiance et je me dis : « l'auteur n'est pas clair, il a commis une erreur si je ne peux pas percevoir son idée, c'est un maladroit qui prétend partager ce qu'il dissimule. » Pas de « licence poétique » donc, qui permette des chinoiseries inconcevables, mais, en tout premier lieu, faites-vous comprendre ! Je préfère encore un vers simple mais clair, qu'un vers artiste mais confus : qu'importe « l'artiste » s'il ne conçoit rien à la tournure de l'esprit humain !

Tout vers dans un poème doit avoir du sens – je viens d'écrire « du sang » par mégarde, c'est un lapsus profond : que tous les mots y soient évocateurs, exacts et sans redite ; qu'ils produisent un effet net, sans trop de bizarrerie. Au poète : qu'il ne se laisse pas subjuguer par ce qu'il écrit au prétexte qu'il vient de découvrir que deux mots mis ensemble un peu par hasard paraissent impossibles et que cette découverte le grise ; la poésie, c'est tout autre chose. Jouez avec les mots tant qu'il vous plaira, bien des « poètes » ont prétendu que c'était là tout leur but et tout leur talent : pas moi ! Moi, je veux exprimer quelque chose, et je ne fais jamais de l'écriture un jeu : tout ceci est pour moi mille fois plus terriblement sérieux, même quand c'est drôle, que vous ne pouvez l'imaginer.

...

J'ai retenu votre récré, on dirait ; vous m'en voyez navré. Rompez donc à présent !

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