𝟒𝟖. 𝐔𝐧 𝐚𝐦𝐨𝐮𝐫 𝐢𝐦𝐩𝐨𝐬𝐬𝐢𝐛𝐥𝐞


Ils se battaient avec animosité juste sous mes yeux. Les coups pleuvaient de chaque côté. J'entendais les craquements d'os résonner dans les vestiaires, là où les autres boxeurs hurlaient pour les faire cesser, ne parvenant pas à les séparer, tant ils étaient tous les deux pris d'une noirceur terrassante. Le sang couvrait leurs gants de boxe. Quelques gouttes d'hémoglobine s'étalaient sur leur visage, notamment plus sur celui de Seo-jun, Jaekyung le dominant sans grande difficulté.

— Jaek ! Ça suffit ! Arrête ! s'écria son entraîneur, en tentant lui aussi, avec désespoir, de le stopper.

C'est comme s'il était hors de contrôle. Comme si plus rien ne pouvait l'arrêter. Quant à moi, j'étais toujours assis sur le carrelage du vestiaire, à trembler comme les feuilles d'un arbre bousculées par une bourrasque de vent. J'étais paralysé, effrayé par le bruit assourdissant des coups se répétant, de cet acharnement de violence, me rappelant difficilement le soir où mon père fut possédé par une aura démoniaque, avant de se déchaîner sur moi et ma mère.

J'étais conscient que cette fois-ci, c'est différent. Que mon petit-ami, n'était pas mon père, et qu'il ne frappe pas par plaisir son adversaire. Encore moins sans une quelconque raison apparente.

— Va te faire enculer, sale dégénéré ! beugla Seon-jun, entre deux crachats de sang. Me frapper pour défendre cette merde ? Tu perds ton temps à protéger un faiblard !

Il a juste le temps de terminer sa phrase, qu'un nouveau coup de poing s'abattit contre sa mâchoire. De vous à moi, je n'étais ni médecin, ni ostéopathe, mais je pouvais clairement vous dire que j'ai littéralement vu sa mâchoire inférieure se déboîter, ainsi qu'une dent voler hors de sa cavité buccale, accompagnée d'une dense giclée de sang.

— Bordel, Jaek, ça suffit ! Tu en as assez fait, stop ! le réprimanda une seconde fois son coach.

Ce dernier parvint enfin à le faire basculer en arrière, après s'être positionné derrière lui et avoir glissé ses bras sous ses aisselles, en bloquant ses épaules — par la même occasion — pour l'empêcher de se mouvoir et de frapper à nouveau.

— Lâche-moi ! Je n'en ai pas encore fini avec ce fils de pute ! ragea mon petit-ami, en tentant de se défaire de l'emprise de son entraîneur.

Son regard était dominé par la haine.

— Ça suffit ! Regarde Joshua, il est complètement terrorisé ! commenta son entraîneur.

Il n'a pas besoin d'en dire plus pour que son regard s'adoucit subitement, lorsqu'il posa ses yeux sur moi.

Seo-jun gémissait de douleur. Son arcade sourcilière droite était ouverte suite aux coups de poings de mon amant, baignant son visage sous de longues traînées de sang. Sa lèvre était fendue en deux. Il n'arrivait plus à parler, sa mâchoire étant complètement disloquée. Son nez était de travers et a déjà commencé à bleuir.

Il était complètement défiguré.

— Bébé... Tu m'entends ? Bébé...

Jaekyung tentait de m'interpeller, en s'approchant de moi. Cependant, son coach en a décidé autrement :

— Non. On va s'occuper de ton petit-ami, le coupa-t-il, en s'interposant devant lui. Toi, tu vas aller reprendre tes esprits dehors et te débarbouiller par la même occasion. Tu as plein de sang sur ton visage. On discutera de tout ça après.

— Mais...

— Pas de mais ! gronda son entraîneur, une main posée sur l'une des épaules de mon homme. Je dois d'abord gérer ce que tu viens de faire ! Regarde Seo-jun, tu l'as passé à tabac. Il peut porter plainte contre toi pour ça !

Aucune compassion pour Seo-jun n'était lisible sur ses traits.

— Ce n'était pas suffisant. Pas après ce qu'il lui a fait subir, répondit-il sans émotion. J'accepterai les conséquences de mon acte, mais à une seule condition.

J'écoutais leur conversation, même si mon regard jonglait par moment entre mon compagnon et Seo-jun, recevant actuellement les premiers soins, en attendant les secours.

Pour ma part, c'était une jeune fille qui s'est accroupie à mes côtés. Une bouteille d'eau dans une main, une serviette dans l'autre, elle essuyait avec prudence les quelques gouttes de sang étalées sur ma peau.

— Est-ce que ça va ? questionna-t-elle d'une douce voix. Tu as mal quelque part ?

— Jaekyung... Est-ce qu'il va se faire virer du club ? demandai-je, en faisant abstraction de ses précédentes questions.

— Je n'en ai aucune idée... dit-elle en ouvrant le capuchon de la bouteille. Tiens, bois un peu d'eau, ça va te faire du bien.

S'il se fait virer, c'est de ta faute, me dit une voix dans un coin de ma tête.

Regarde ce que tu m'as fait faire ? C'est de ta faute ! surgit la voix de Ha-joon pour enfoncer le couteau dans la plaie.

— C'est de ma faute... murmurai-je, en baissant les yeux vers mes mains tremblantes. Tout est de ma faute...

Elle fronçait les sourcils.

— Rien n'est de ta faute, Joshua, me contredit-elle, en posant une de ses mains sur ma joue. C'est ce gros con qui t'a provoqué, non ? C'est lui qui t'a fait tomber de ton fauteuil ? Alors, pourquoi tu dis que c'est de ta faute ?

Je secouais la tête pour empêcher mes larmes de couler.

— Parce que ça a toujours été le cas... Ça a toujours été de ma faute. Et Jaekyung va se faire sanctionner à cause de moi ! Je ne veux pas que ça arrive ! S'il vous plaît, ne le punissez pas ! m'écriai-je à l'intention de son coach.

Ce dernier se tu dans sa lancée, en se tournant vers moi.

— S'il vous plaît ! C'est de ma faute, je n'aurais pas dû venir... À cause de moi, il...

— Tout va bien, tu n'es pas responsable, d'accord ? répliqua-t-il. Ce n'est en aucun cas de ta faute. Seo-jun avait déjà un comportement problématique envers ses coéquipiers. On lui a laissé une chance de pouvoir changer, et il ne l'a pas saisie.

— Et voilà ce que ça a donné de croire qu'une personne puisse changer ! s'emporta Jaekyung, en dévisageant mon bourreau d'un regard funeste. Espèce de fils de pute, si je te croise à nouveau, je te referai une nouvelle fois le portrait !

Seo-jun tressaillit d'effroi.

— Jaek ! Qu'est-ce que je t'ai dit ? rétorque son coach, sur une intonation furieuse. Jessica, fais-le sortir des vestiaires, s'il te plaît. Je vais m'occuper de Joshua, en attendant.

Jessica hocha la tête, en se redressant.

— Si jamais tu as besoin de quoi que ce soit, dis-le au coach, ok ?

Elle me sourit, avant de pivoter sur ses talons. Je l'observais rejoindre mon petit-ami, avec qui elle est déjà en train de se prendre le bec, parce qu'il persistait à vouloir rester à mes côtés.

Il était inquiet. Ca se voyait rien qu'à son regard qu'il avait peur pour moi. Que cet événement ait été la goutte de trop pour moi. Cependant, je dois vous avouer que je n'étais pas fier sur le moment, du sentiment que j'ai ressenti par la suite, à travers la punition qu'il a reçu. Je n'étais ni pour la violence, ni pour la vengeance. Qu'il y a d'autres façons de régler les problèmes. Que je n'aurais pas dû me laisser emporter aussi par ma soif de vengeance.

Évidemment, nous ne sommes pas là pour savoir qui a tort, ou qui a raison. Qui nous devions nous croire ou non, puisque je suis sincèrement convaincu que nous avons tous raison quelque part. Pardonner. Il allait me falloir du temps pour pardonner à Seo-jun ce qu'il m'a fait subir. Est-ce que j'y parviendrai ? En attendant de pouvoir le faire, je ne pouvais m'empêcher de percevoir une certaine forme de guérison dans mon cœur.

Comme un poids mort qui m'étais retiré parmi tous ceux que je porte encore en moi.

— Je suis sincèrement désolé, Joshua. Je crois que la roue de ton fauteuil est endommagée, s'excusa le coach, en ramenant le siège à mes côtés.

Mon seul moyen de déplacement était détruit. La roue manquait de s'échapper et elle tournait difficilement, en émettant un grincement irritant.

— Ce n'est qu'un détail... Je m'en fous royalement, pouffai-je dans ma barbe inexistante, en apportant mes mains sur mon visage. S'il vous plaît, ne sanctionnez pas Jaekyung... s'il vous plaît ! La boxe, le sport, c'est tout ce qu'il aime et... et avec ma situation, mes problèmes qu'il ne fait que d'emmagasiner au fond de lui, si on lui enlève ça, je ne pourrais pas me le pardonner...

Il m'adressa un regard de compassion.

— Je comprends parfaitement. Cela ne me réjouit pas non plus. Mais ne serait-ce pas égoïste que seul Seo-jun soit sanctionné ? dit-il, en s'accroupissant devant moi. Écoute, je suis obligé de faire comprendre à Jaek, que le comportement qu'il a eu n'est pas tolérable entre ces murs. Même s'il avait une raison, c'est dans le règlement. Pour Seo-jun, il ne pourra plus venir dans cette salle de boxe. Il savait très bien qu'au bout du troisième avertissement, il serait viré.

— Jaekyung... aura donc un avertissement, lui aussi ? rétorquai-je, en levant les yeux vers lui. Tout ça ,c'est de ma faute, entièrement de ma faute...

— Non, Joshua ! Encore une fois, tu n'as rien...


Des murmures non loin de ma chambre me sortent de mes pensées. Plongé dans une dense obscurité, je ne cesse de ruminer sur ce qu'il s'est produit, quelques heures plus tôt. D'ailleurs, sur le chemin du retour, je n'ai pas prononcé un seul mot — au plus grand désarroi de mon amant. Et même lorsque nous sommes rentrés chez nous, je suis directement allé me réfugier dans la chambre. Je fuis comme un lâche une potentielle discussion avec mon petit-ami. Je m'en veux de me comporter de cette manière, alors qu'il m'a simplement défendu, au point de s'être fait sanctionné pendant deux semaines d'entraînements de boxe.

Mais pardonnez-moi, j'ai besoin d'être seul avec moi-même, et de comprendre pourquoi. Pourquoi Seo-jun était là ? Sa présence équivaut à celle d'un fantôme du passé revenant d'entre les morts.

— Il s'est enfermé dans la chambre et il n'en est pas ressorti depuis qu'on est rentrés, chuchote Jaekyung , d'une voix peinée. La porte n'est pas fermée à clé, mais... je ne pense pas qu'il ait envie de me parler...

C'est faux. J'ai envie de te parler. J'ai envie de te prendre dans mes bras, de me réfugier contre ton corps, de sentir ta chaleur me réconforter. J'ai envie de te dire à quel point je t'aime. Mais je ne suis pas une bonne personne pour toi. Je ne suis qu'un poison qui détruit tout ce que je touche. Qui sème le chaos partout où je vais...

— Je vais aller lui parler, intervient la voix de mon meilleur ami. À sa place, j'aurais sûrement réagi pareil...

— Je ne lui en veux pas, réfute Jaekyung. Je veux... je veux juste pouvoir le prendre dans mes bras et m'assurer qu'il aille bien... C'est complètement débile, alors que je sais très bien que ce n'est pas le cas...

— Ce n'est pas débile. Je suis pareil que toi, et je crois qu'on l'est tous au fond de nous, à demander si ça va, même quand ça ne va pas, répond Gabriel. Va rejoindre Connor, en attendant.

Il frappe à la porte, avant d'ouvrir cette dernière pour se faufiler dans cet obscurcissement d'un pas lent et discret. Allongé de dos face à l'entrée de la chambre, un faible sourire s'étire sur mes lèvres en imaginant Gabriel faire attention où il met les pieds par peur de me réveiller. Je sens la couverture se lever et quelqu'un s'y glisser maladroitement — après avoir coincé son pied dans les draps — avant de venir se blottir contre moi.

— Je sais que tu ne dors pas, murmure-t-il contre mon oreille, en resserrant ses bras autour de ma taille. Tu penses tellement fort que je peux les entendre.

Impossible de lui mentir, il me connait plus que trop bien.

Dans un léger soupir, je me retourne dans son étreinte pour lui faire face. J'enroule mes bras autour de son corps.

— Comment... comment pourrais-je arrêter de penser, surtout après ce qu'il s'est passé ? Seo-jun était là, Gabriel... Il était là...

— Oui, Jaekyung me l'a dit, en arrivant... atteste-t-il en venant poser son front contre le mien. Qu'est-ce qu'il t'a fait ?

— La même chose qu'au lycée, réponds-je, en me blottissant plus fermement contre lui. Les mêmes paroles... La même haine envers moi. Il m'a fait tomber de mon fauteuil quand j'ai voulu partir... Tu sais, je lui ai demandé pourquoi il m'avait fait subir ça...

Gabriel attend que je continue. Silencieux, seule sa respiration, illustre parfaitement son état d'irritabilité.

— Il m'a simplement répondu qu'il n'y avait pas de raison apparente. Juste le fait que j'étais faible, et eux plus forts que moi, chuchoté-je, alors que mon cœur se serre fortement dans ma poitrine. Que dans la loi de la nature, ceux qui sont vulnérables et sans défense sont pris en chasse, avant de se faire dévorer...

— Putain, mais même après toutes ces années, il a continué de penser et de respirer comme un bâ...

— Il n'a pas eu le temps de terminer sa phrase... le coupé-je. Et moi, je n'ai pas eu le temps de réagir, que le poing de Jaekyung s'est écrasé contre son visage... Ils... Ils se sont battus devant moi, mais Jaekyung parvenait à chaque fois à prendre le dessus. Seo-jun était complètement défiguré à la fin...

Gabriel émet un petit rire de satisfaction.

— Bien fait pour sa putain de gueule ! C'est tout ce qu'il mérite ! De se prendre une bonne raclée !

— Je ne suis pas certain que ce soit la meilleure des solutions... Même si je suis plus que reconnaissant envers Jaekyung d'être intervenu...

— Mais Joshua... Il t'a fait du mal, notifie mon meilleur ami avec confusion. Attends, je vais allumer la lampe de chevet, je n'aime pas parler sans voir ton visage, déclare-t-il, en se séparant de moi quelques secondes pour pouvoir appuyer sur l'interrupteur de la lampe.

Un doux éclairage tamisé brise l'obscurité.

— Voilà, c'est mieux ! dit-il en revenant près de moi, constatant que mes yeux sont rougis et irrités à force de pleurer. Mon cœur... je... Tu sais, j'aurais sûrement réagi de la même manière que ton mec. Ces gens-là, c'est tout ce qu'ils méritent pour moi. Ils ne méritent pas la compassion, ni qu'on les pardonne pour ce qu'ils ont fait... La preuve, tu lui as demandé pourquoi il s'en prenait à toi, et il a clairement avoué qu'il n'y avait pas de raison, juste le fait que tu étais faible, selon lui. Il prenait simplement du plaisir à te faire du mal, Joshua !

— Qui suis-je, après tout, pour dire qui mérite quoi ? commenté-je, en reniflant. Je veux dire... est-ce que c'est bien, ou est-ce que c'est mal de faire justice soi-même ? Je ne vais pas te mentir sur le fait que je me suis senti soulagé en le voyant se prendre une raclée. En lui ayant mis également des coups de poings. Mais, il y a aussi la culpabilité d'avoir ressenti ce sentiment, qui se bouscule dans mon cœur. Je n'aime pas la violence, je déteste ça... Si je me suis inscrit à la boxe, c'est pour avoir plus de confiance en moi, et non utiliser mes entraînements pour frapper les autres...

— Mais Jaekyung, il...

— Je ne parle pas de lui, éclairé-je, avant qu'un quiproquo ne s'installe entre nous. Je pense... non, je suis certain que j'aurais réagi pareil que lui... Mais...

Un soupir s'échappe d'entre ses lèvres.

— Cesse de te faire du mal en te remettant en question, prononce-t-il, en glissant une main dans mes cheveux pour les caresser. Tu n'as rien à te reprocher. Tu n'as pas à culpabiliser. Je comprends ton point de vue, et ça rejoint le fait que tu n'aimes ni la violence, ni la vengeance. Tu n'as jamais cherché à rendre la pareille à ceux qui t'ont fait du mal. Je dirais même que ta façon de voir les choses est bien plus juste que la violence, mais... Ouais, il y a un mais, parfois il y a des connards comme Seo-jun qui méritent vraiment ce qui leur arrive.

En me voyant hésiter, il reprend :

— Écoute, mon avis n'est que le mien, et en aucun cas je ne vais l'imposer aux autres. Tu n'as pas à réfléchir comme moi, je te demande juste de ne plus te faire du mal en essayant de te remettre en question, comme si c'était toi le problème à l'équation, surenchère mon meilleur ami, en venant déposer un baiser sur le haut de mon front. C'est plus facile à dire qu'à faire, je sais, et je m'en excuse. Je veux juste que tu que tu croies en toi, que tu ne doutes plus jamais de toi. Et tu as entièrement le droit de ne pas être pour la violence, juste, Jaekyung, il...

— Jaekyung, quoi ? interrogé-je, en plissant les sourcils. Tu crois que je lui reproche de l'avoir frappé ? Ce n'est pas le cas, et ça ne sera jamais le cas ! J'ai juste peur pour lui, peur que ça lui retombe dessus ! Car c'est ce qui arrive quand on fait justice soi-même ! C'est toujours les gentils qui trinquent dans l'histoire !

Je sanglote en secouant la tête.

— Seo-jun s'est juste fait virer du club et il va porter plainte contre lui. Et mon petit-ami, dans tout ça ? Il a été sanctionné lui aussi, et il va très certainement avoir des problèmes avec la justice... Voilà pourquoi je ne suis pas pour la violence, ça finit toujours par se retourner contre ceux qui ont juste voulu protéger...

J'écrase ma tête contre son torse.

— Je ne lui apporte rien de bon... Je n'apporte rien de bien à Jaekyung. Je ne fais qu'empirer les choses de jour en jour...

— Joshua...

— Je ne lui en ai encore jamais parlé, mais je me demande souvent si ça ne serait pas mieux pour nous deux de rompre, lui dis-je entre deux sanglots. On ne peut pas... on... même s'il m'a promis de toujours me protéger, de prendre soin de moi, et de m'aimer dans n'importe quelle situation, cet environnement est toxique pour nous deux. Mon mal-être va finir par l'empoisonner et le tuer à petit feu... Je ne veux pas de ça ! Je ne veux pas de ça !

Mon cœur déchire en deux à cette pensée.

— Je ne suis pas quelqu'un de bien pour lui... Je vais détruire sa vie, son bonheur avec mon malheur...

— Mais qu'est-ce que tu racontes ? s'exclame Gabriel, au bord des larmes. Connor n'arrête pas de me dire qu'il n'a jamais vu son meilleur ami aussi heureux depuis qu'il est avec toi ! Ça, ce que tu me dis, c'est ta vision, c'est ce que tu vois et que tu penses être vrai !

Heureux ? Est-il vraiment heureux à mes côtés ?

— Je suis cruel, n'est-ce pas, de dire ça ? pleuré-je, en étant dans l'incapacité de contrôler ce torrent de larmes. Dis-moi honnêtement, comment on peut voir un avenir avec une personne qui sombre dans son passé, même si elle veut s'en sortir ?

— Putain, Joshua, tu n'y es pour rien si tes souvenirs reviennent ! Tu n'y es pour rien si tu as des traumatismes à cause de ces connards ! Tu ne dois pas te priver d'amour en pensant que tu ne le mérites pas ! tente-t-il de me raisonner. Et ce n'est pas comme si tu ne faisais rien pour t'en sortir. Jaekyung m'a dit que tu as demandé de l'aide, que demain tu as un rendez-vous chez un psychologue. Laisse-toi une chance, mon ange ! Ne doute pas de l'amour et de la sincérité de ton mec.

Je secoue une nouvelle fois la tête contre sa poitrine, en agrippant le tissu de son sweat entre mes doigts.

— Je suis fatigué... Je suis beaucoup trop fatigué mentalement. Je n'en peux plus, Gabriel... Je n'en peux plus... et il a fallu qu'il revienne dans ma vie... C'est trop... c'est trop pour moi...

— Qu'est-ce que tu veux dire ? me questionne-t-il sur une initiation sérieuse. Mon cœur, tu...

En réalisant ce à quoi il pense, je relève la tête pour croiser son regard.

— Non ! Non ! Je ne voulais pas sous-entendre ça ! Je veux juste dire que cet environnement n'est pas stable pour moi... Je ne crois pas être en mesure de guérir dans un endroit où j'ai sombré. Est-ce radical, si je dis que je veux vivre ailleurs ? Si je dis que j'ai besoin de m'éloigner d'ici ? Si... si je vois mon avenir autre part avec lui ?

Ses traits s'adoucissent.

— Bien sûr que ce n'est pas radical, mon cœur, me rassure-t-il, en resserrant son étreinte autour de moi. Il n'y a que toi qui puisse décider ce qu'il y a de mieux pour toi. Évidemment, en tant que meilleur ami, je suis aussi là pour t'écouter et te conseiller. Et je pense que tu devrais en parler sérieusement avec Jaekyung. Mais ne te précipite pas non plus, d'accord ? Essaie d'abord de voir ce que ça donne les séances avec le psychologue. Et ensuite, tu aviseras. Je serai toujours là pour te soutenir et t'épauler, quoiqu'il arrive.

Un sourire triste étire mes lèvres.

— Merci... murmuré-je en haletant, lorsque je tente de maîtriser mes sanglots. Merci pour tout, Gabriel. Je t'aime tellement, si tu savais comme je t'aime.

— Je t'aime aussi, mon cœur, rétorque-t-il, en écrasant ses lèvres à plusieurs reprises contre mon front. Plus que tu ne l'imagines. Est-ce que tu veux que je vienne avec toi demain matin ? Même si je dois attendre dans la salle d'attente, ça ne me dérange pas. Puis, Connor m'a dit qu'il compte emmener Jaekyung quelque part, pour lui changer les idées. Comme ça, après ton rendez-vous, on peut passer un peu de temps ensemble. Qu'est-ce que tu en penses, mon chat ?

Malgré les larmes qui continuent de couler le long de mes joues, j'acquiesce d'un mouvement de tête.

— Que c'est une bonne idée. Mais je ne me sens pas de sortir dans un café ou autre... En plus, mon fauteuil est endommagé. Le coach a tenté de remettre la roue correctement. Il roule, mais, je vais devoir marcher par moment, donc je risque de ne pas être très rapide.

— Ne t'inquiète pas, on ira à ton rythme, me répond-il en caressant mes cheveux. Et comment se passe ta rééducation ? Ce n'est pas trop épuisant ?

Je ris faiblement.

— C'est tellement physique, que j'ai des douleurs monstrueuses aux muscles après une heure de rééducation... Mais, je n'ai pas l'impression de faire énormément de progrès... Il y a quelque chose qui cloche. Et si je n'arrivais plus jamais à marcher comme avant ? Et si en réalité, je suis voué à devoir rester sur un fauteuil roulant pour le restant de mes jours ?

Je l'admets, ce sont des questions difficiles que je pose à mon meilleur ami.

— Je ne pourrai pas te répondre avec certitude, puisque je ne vis pas ce que tu vis actuellement. Je ne pourrai jamais comprendre ce qu'est de perdre partiellement l'usage de ses jambes... Toutefois, je ne perds pas espoir sur le fait que tu finiras par trouver la force de t'aimer comme tu es. Avec ou sans tes jambes, tu es une personne tellement forte. Et ne crois pas que ta vie s'arrête là.

— J'ai peur que ma vie soit réduite à très peu d'activités à cause de ça... j'ai peur d'être privé d'une certaine liberté...

— Est-ce que pour toi, la liberté se résume à pouvoir marcher ?

Je hausse les sourcils d'un air dérouté.

— Tu parles comme notre ancien prof de philo qui puait de la gueule.

— J'avoue, se met-il à rire.

Je me joint à son gloussement, en étant attendri par ses yeux se transformant en forme de demi-lune. Par la suite, nous sommes restés blottis l'un contre l'autre durant de longues minutes, devenues silencieuses. Une étreinte dans laquelle je me permet de m'évader à travers l'espoir qu'un jour, je retrouve définitivement l'usage de mes jambes. Je me vois courir à travers des champs de coquelicots, caressés par la lueur du soleil sur mon épiderme. Je me vois sourire et rire aux éclats — un semblant de quelque chose qui me paraît désormais inaccessible — accompagné de mes amis et de mon compagnon, marchant les uns à côté des autres sur le sable d'été, chaud et accueillant.

Marcher. Courir. Se sentir aussi libre comme l'air. Ça me manque. Ça me fait mal. Ça me brise de ne faire toutes ces choses aux côtés de mon amant.

Mais est-ce réellement ce dont j'ai besoin ? Est-ce que l'usage de mes jambes m'est nécessaire pour être heureux ? Gabriel a posé le doigt sur l'une de mes plus grandes peurs. Certainement celle qui me fait reculer dans la quête de ma guérison. Une question qui s'est très vite installée dans un coin de mon esprit, tournant en boucle dans l'espoir d'y trouver une potentielle réponse :

La liberté se résume-t-elle à pouvoir marcher ?

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