𝟒𝟔. 𝐏𝐫𝐞𝐧𝐝𝐫𝐞 𝐬𝐨𝐧 𝐜𝐨𝐮𝐫𝐚𝐠𝐞 𝐚 𝐝𝐞𝐮𝐱 𝐦𝐚𝐢𝐧𝐬 𝐞𝐭 𝐥𝐞 𝐝𝐢𝐫𝐞 𝐚 𝐯𝐨𝐢𝐱 𝐡𝐚𝐮𝐭𝐞


Lundi 13 janvier, Séoul, Corée du Sud,

Le lendemain matin, je me réveille dans un lit froid, dépourvu de la chaleur corporelle de mon amant, s'étant éclipsé discrètement hors des draps pendant mon sommeil. Un œil ouvert, l'autre à demi-fermé, je le cherche d'un regard encore somnolent, après m'être redressé, en ayant pris appui sur le matelas à l'aide de mes coudes.

— Jaekyung ? l'appelé-je d'une voix ensommeillée. Tu es dans la salle de bain ?

Je tourne la tête vers la porte de la salle d'eau, grande ouverte, la lumière éteinte. La seule chose de parfaitement perceptible dans l'ensemble de la pièce, est cet arôme d'eau de cologne, avec laquelle il se parfume le matin, après avoir pris sa douche. Une odeur agréable, aussi douce et délicate qu'une caresse de plume sur la peau, mais aussi une fragrance réconfortante, me procurant un sentiment de sécurité. Nos draps en sont imprégnés, tout comme son oreiller que je prends contre mon corps, le serrant de toutes mes forces, en fermant les yeux le temps de quelques secondes, avant que les souvenirs de notre soirée ne surgissent dans mes pensées, me frappant comme un fouet, en réalisant ce que nous avions fait.

— On l'a fait ? murmuré-je à moi-même, en écarquillant les yeux, une touffeur enivrante prenant soudainement possession de mon enveloppe charnelle. J'ai joui... Il a joui... On...

Je ne saurai comment vous décrire le sentiment que je ressens à cet instant, mais c'est comme si mon corps brûlait de l'intérieur, mais pas de honte, bien au contraire ! C'est sans nul doute une émotion d'euphorie, en comparaison avec cet état de timidité auquel j'ai été confronté, face à l'acte qui s'était produit entre mon homme et moi. Nous n'avions pas fait l'amour à proprement parler, même si, à mes yeux, c'est tout comme. On m'a longtemps fait croire que le sexe n'est que du sexe. Qu'il n'y a rien d'autre que la pénétration, et le plaisir du dominant qui est plus important que celui du dominé. Que rien ne compte plus que le fait d'éjaculer, signifiant que la partie est terminée. Mais c'est faux. Tout n'a été qu'un tissu de mensonges depuis tant d'années.

Les rapports sexuels ne sont en rien qu'une partie de baise insignifiante, et que même s'il n'y a pas eu de pénétration ce soir-là, ce que nous avons fait, est du sexe avec tout ce qui va avec ; les sentiments, les mots doux, les caresses, aussi prudentes et délicates soient-elles, les échanges de regards, les sourires et les rires, nos cœurs battant au même rythme, nos souffles s'égarant contre nos épidermes, engloutis dans des baisers passionnés. Nos gémissements étouffés, ainsi que notre amour, que nous avons renforcé sans s'en rendre compte.

Le sexe, lui, n'est que secondaire par rapport à tout ce que l'on éprouve l'un pour l'autre. Il n'est là que pour le démontrer d'une autre manière, pour rendre nos mots encore plus puissants, pour rendre nos regards encore plus intimes, pour ne faire réellement qu'un, le temps d'une nuit.

— Je ne suis plus impuissant ? me dis-je en gardant la même intonation de voix, tout en soulevant les draps avec curiosité, pour me rendre compte que mon pénis est dressé comme un sabre-laser.

Je bande ? m'exclamé-je avec stupéfaction dans mes pensées. Mais ce n'est pas possible ?! Ce n'est pas po...

— Hey, la belle au bois dormant, tu as bien dormi ?

La voix de mon amant surgit inopinément dans mon dos, m'arrachant un braillement de terreur. Je camoufle mon érection dans un mouvement brusque, pour pouvoir me tourner vers lui, essoufflé après être devenu rouge comme un coq.

Il me fixe d'un air déconcerté, avant d'être épris d'un fou rire, qu'il ne parvient pas à contrôler.

— Qu'est-ce qu'il y a de drôle ? lui demandé-je d'un regard jugeur. Tu m'as fait peur, idiot ! Pourquoi tu ne m'as pas réveillé en même temps que toi ?

— C'est la tête que tu as fait qui m'a fait rire, mon amour, avec tes cheveux coiffés en bataille. On dirait que tu as mis les doigts dans la prise, me répond-il avec un sourire taquin dessiné sur le coin de ses lèvres.

Il réduit la distance qui nous sépare, pour s' asseoir sur le rebord et poser l'une de ses mains sur ma joue pour la caresser. Inconsciemment, je me blotti contre son toucher, tel un chaton le ferait pour obtenir des caresses supplémentaires. Je sens la chaleur de son corps se diffuser dans le mien, m'apportant ce sentiment de bien-être que j'ai besoin de ressentir au quotidien.

— Je ne voulais pas te réveiller, parce que tu dormais tellement bien, que ça aurait été injuste de te sortir de ton sommeil. Comment tu te sens ? m'interroge-t-il, en faisant chanceler la pulpe de son pouce sur ma pommette.

— Je vais bien, j'ai bien dormi. Et je n'ai même pas fait de...

Je ne termine pas ma phrase, en prenant conscience que je me suis immédiatement endormi après avoir eu mon orgasme. Dans un mouvement de recul, qui surprend mon compagnon, je balaie mon ventre et mon torse d'une œillade effarée, ne percevant aucune trace de mon sperme à l'horizon.

— Ne t'inquiète pas pour ça, mon ange, je m'en suis occupé pendant que tu dormais, me rassure-t-il d'une sonorité bienveillante. En même temps, on ne peut pas dire que cette nuit ne fut pas intense pour toi... Tu étais tellement magnifique, tu sais ?

— Arrête ! bredouillé-je, en ayant le feu aux joues. Je... je n'ai jamais été comme ça, c'était la première fois...

— Et tu as été parfait, du début à la fin, reprend-il en venant se saisir de mon menton entre son pouce et son index, pour relever mon visage vers le sien. Alors, ne sois pas gêné, mon amour.

— C'est vrai ? murmuré-je, une main posée sur son avant-bras.

Il me sourit plus amplement, suite à mes mots.

— Une véritable œuvre d'art quand tu jouis, déclare-t-il sur un ton enjôleur, en m'offrant le baiser matinal que j'attendais. J'aimerais te voir ainsi tous les jours...

— Pervers ! répliqué-je, en le frappant délicatement au torse avec le coussin, le visage cramoisi d'embarras. Tu es un cochon, Jaekyung !

Sous son rire particulièrement mélodieux, il s'accapare de mes poignets pour me faire allonger — sans grande peine — sur le lit, surplombant mon corps du sien d'une nimbe envoûtante.

— Uniquement avec toi, mon amour, abdique-t-il, en faisant glisser ses mains dans les miennes pour entrelacer nos doigts ensemble, sans me quitter une seule fois des yeux. Il n'y qu'avec toi que je veux l'être, et te faire découvrir toutes les manières possibles d'avoir un orgasme.

— Sans pénétration ? me renseigné-je sur un timbre de voix hésitant.

— Bien sûr, mon amour. Il y a tellement de façons de donner un orgasme, sans avoir besoin d'une pénétration, me rassure-t-il, en venant déposer un tendre baiser sur mes lèvres. On pourra en reparler ce soir, je serai heureux de pouvoir dissoudre tes peurs sur ce sujet.

Je fronce légèrement les sourcils.

— Ce soir ? Tu ne seras pas à la maison aujourd'hui ?

Il secoue faiblement la tête.

— J'ai des rendez-vous importants toute la journée. D'ailleurs, je ne vais pas tarder à devoir y aller, objecte mon petit-ami, en relâchant progressivement l'emprise de ses mains sur les miennes. Je nous prendrai à manger pour ce soir, sur le chemin du retour.

Ne vous méprenez pas, j'étais simplement confus par cette soudaine nouvelle. La seule chose me mettant dans cette entrave, c'est qu'au fond de moi, je n'étais pas encore prêt à rester seul sur un long lapse de temps. C'est peut-être exagéré pour vous et je peux entièrement le concevoir, toutefois, je n'étais pas complètement guéri de toutes mes peurs, à ce moment-là.

Je craignais que si Jaekyung n'était pas auprès de moi, ils allaient revenir me tourmenter pendant son absence. Mais n'était-ce pas le moment propice pour commencer à fermer les plaies sur mon passé ? D'affronter ces démons comme je me l'étais promis de le faire ? Le chemin vers la guérison est semé d'embûches qu'il faut surmonter pour atteindre la ligne d'arrivée. Il était temps de mettre à exécution ma détermination, de ne pas faiblir face à la moindre difficulté, car bon nombre malheureusement, finissent par abandonner, avant même d'avoir monté la première marche.

— Je suis désolé mon ange, je voulais t'en parler hier soir, s'empresse-t-il de préciser sur un ton anxieux. Je peux toujours demander à Gabriel, si ça ne le dérange pas de venir à l'appartement ? Je...

— Non, non, tu n'as pas besoin de te justifier, le coupé-je subitement, en prenant son visage entre mes mains. Je suis juste un peu surpris, rien de plus ! Je ne veux pas non plus tout le temps dépendre de quelqu'un. Il faut bien qu'un jour ou l'autre, j'apprenne à me débrouiller tout seul, tu ne penses pas ?

Il sourit.

— Je n'en doute pas une seule seconde, mon amour, mais je ne veux pas non plus que ça t'angoisse d'être tout seul, s'inquiète-t-il, en soupirant d'exaspération à son égard. Écoute, je vais essayer de m'arranger et...

— Non ! protesté-je en le poussant faiblement vers l'arrière pour pouvoir me redresser sans le blesser. Non, non et non, tu ne vas rien faire, tu ne vas rien changer à ton planning d'aujourd'hui. Et puis, ce n'est pas comme si je n'avais rien à faire à l'appartement.

Je jette un coup d'œil furtif dans la chambre.

— Tiens, regarde, je n'ai toujours pas déballé toutes mes affaires depuis ma sortie de l'hôpital. Puis, je dois encore ouvrir le carton que Gabriel m'a donné.

Jaekyung ne dit rien, une lueur de culpabilité étant déchiffrable dans son regard.

— Je te promets que ça va aller, mon amour, commenté-je d'une douce voix. Je peux réussir à le faire, non ? Une journée sans toi, ce n'est pas si dramatique que ça.

Une expression offensée saisit ses traits.

— Oh, bah je vois que la nouvelle de mon absence à l'air de te réjouir, me taquine-t-il, en faisant mine d'être vexé pour me faire réagir dans la foulée.

— N'importe quoi ! réfuté-je, en l'obligeant à se mettre assis pour pouvoir me positionner sur ses cuisses, oubliant complètement que j'ai mon érection matinale bien réveillée entre mes jambes. Tu vas beaucoup me manquer...

Ses mains trouvent immédiatement refuge sur mes hanches, un sourire expressément séduisant ornant le coin des lèvres.

— Alors, je suis content de savoir que je vais te manquer. Cependant... murmure-t-il, en baissant les yeux vers mon érection, son sourire se transformant en une expression goguenarde. Il y a quelqu'un entre nous deux qui semble très excité à l'idée que je m'en aille, hm ?

— Oh mon dieu ! Tu n'aurais pas dû voir ça ! Cache tes yeux, ce n'est pas pour toi ! m'écrié-je d'une mine accablée.

Je couvre rapidement mon pénis revivifié à l'aide de mon coussin, tandis que mon compagnon s'esclaffe à gorge déployée, au point d'en avoir les larmes aux yeux et de manquer d'air.

— Ce n'est pas marrant ! Tu es clairement en train de te foutre de moi ! me plains-je, malgré le sourire amusé qui prend place sur mes commissures. C'est juste une érection... Enfin, je crois que c'est...

— Une belle érection matinale, termine mon homme entre deux gloussements haletants. Une réaction physique parfaitement normale et c'est bon signe qu'elle soit revenue.

C'est bon signe, oui. Je suis heureux d'avoir retrouvé cette partie de moi qui a longtemps disparu, tout comme je suis terrorisé à l'idée qu'elle se dissipe une nouvelle fois et que je ne revienne à la case départ de mon impuissance.

Mh-mh, fredonné-je, en devenant rouge comme une pivoine. Je pense que je vais aller prendre une douche...

— C'est une très bonne idée, effectivement, murmure mon petit-ami, les yeux braqués sur mon corps dénudé. Tu veux que je t'aide à y aller ?

— N'y pense même pas, le grondé-je avec distraction, en attrapant sa mâchoire à l'aide de l'une de mes mains pour le forcer à me regarder dans les yeux, sans prendre en compte les conséquences de cet acte. Pervers ! En plus, tu as dit que tu devais bientôt partir, alors, ne sois pas en retard.

Ses prunelles se ternissent d'une lueur affriandée.

— Tu sais, mon amour, tu n'as pas l'air d'en avoir conscience, mais permets-moi de te dire que la manière dont tu as de me tenir la mâchoire est assez dangereuse, commente-t-il sur une intonation lénifiée.

— C'est bien ce que je disais précédemment, avancé-je, en faisant abstraction de la tension qui prend en intensité dans notre échange visuel. Tu n'es qu'un sale cochon ! Tu montres enfin ton vrai visage, Jeon Jaekyung ! répliqué-je pour le chambrer, en haussant les sourcils dans l'attente de sa réponse.

Une nouvelle fois, mon homme rit en empoignant plus fermement mes hanches entre ses mains.

— Nous avons tous nos secrets, n'est-ce pas ? rectifie-t-il, en rapprochant dangereusement son visage du mien.

— Et quels sont les tiens ? veux-je savoir avec un brin de curiosité, en sentant mon cœur s'emballer dans ma cage thoracique.

Son sourire s'efface légèrement à la suite de ma question.

— Un jour, mon ange, je te confierai mes secrets, finit-il par en déduire, en desserrant ses mains de ma taille, avant de jeter un rapide coup d'œil à sa montre. Je vais devoir y aller, mon amour, je t'enverrai des messages dans la journée pour avoir de tes nouvelles.

Il me fait descendre de ses cuisses pour qu'il puisse se mettre debout et ajuster sa chemise, ainsi que la ceinture de son pantalon. Intérieurement, je me sens triste que cette discussion n'aboutisse pas. Mais d'un autre côté, je ne peux pas le forcer à me montrer son jardin secret, s'il ne le souhaite pas. Cependant, ce serait vous mentir, si je vous disais que je ne suis pas triste, de ne pas connaître quelques-uns de ses secrets. À l'inverse de lui, qui en sait bien des choses sur les miens.

— Pourquoi ? lui demandé-je inconsciemment, c'était plus fort que moi, d'une voix aussi basse qu'un murmure, en baissant les yeux, constatant que mon érection matinale s'est estompée, me faisant pouffer ironiquement. Pourquoi tu ne veux pas en parler plus sérieusement ? Tu m'as toujours demandé d'être honnête avec toi, même si parfois c'est dur pour moi. Alors, pourquoi tu as du mal à l'être avec moi ?

— Parce que...

Il se tait, avant d'expirer un faible soupir parfaitement audible.

— Parlons-en plus tard, mon amour, dit-il en mettant le point signal à notre discussion. Je t'aime, passe une bonne journée.

Il me vole un petit baiser, pour ensuite s'éclipser de la chambre, sans se retourner pour m'adresser un seul regard. Ne lui en voulez pas, il a parfaitement ses raisons et elles sont respectables. Du moins, quand on sait de quoi il s'agit exactement, chose qui n'est pas le cas pour moi à cet instant, où je me sens terriblement seul, dans l'indifférence la plus totale.

Pourquoi ne veut-il pas m'en parler ? Pourquoi est-ce qu'il évite autant le sujet ?

...« Je t'aime »...

Oui, il t'aime, Joshua, n'en doute jamais, pensé-je, en baissant les yeux.


❃ ❃ ❃ ❃


Les heures défilent pendant l'absence de mon petit-ami, du moins, c'est ce que j'aurais aimé avoir comme perception du temps, puisque c'est tout le contraire qui se déroule actuellement dans mon esprit. Le monde semble tourner au ralenti, me donnant l'impression que l'aiguille de notre horloge murale recule de minutes en minutes, faisant perdurer inlassablement le moment où il a quitté la pièce, et le rangement de mes affaires d'hôpital, me maudissant intérieurement de ne pas l'avoir fait plus tôt. Ce n'est que de la paperasse dans leur globalité — avec quelques vieux vêtements en prime, dont ceux que je portais lors de cette nuit avant mon hospitalisation —, mais c'est principalement des documents importants qu'il ne faut pas laisser traîner, au cas où j'aurais besoin de les prendre avec moi, si jamais un des médecins de l'hôpital souhaite me revoir pour une visite de contrôle.

Assis sur le rebord du lit, je trie les feuilles selon les comptes-rendus des examens qui ont été réalisés durant ma phase du coma. Radiographie, échographie, scanner, IRM cérébral, tout y est, me prenant dans la figure une claque, en lisant chaque mot, chaque phrase me faisant revivre une nouvelle fois la nuit de ma tentative de suicide.

Déjà à fleur de peau depuis ma conversation avec Jaekyung, je ne me suis pas rendu compte que mon regard s'est tout d'un coup voilé d'une pellicule brumeuse et humide.

— Qu'est-ce qui m'a pris de faire ça, maintenant ? me chuchoté-je, en couvrant chacune des feuilles d'une larme inconsciemment égarée d'un coin de l'œil. Pourquoi est-ce que j'ai fait ça ?

Je me réprimande à plusieurs reprises de la même question, en sentant mon cœur se serrer brutalement dans ma poitrine, d'un puissant sentiment de regrets et de remords.

— Regarde ce que tu es devenu... Pitoyable, pitoyable, pitoyable ! Faible et misérable !

La chute est sévère quand je me retrouve dans une position vulnérable, seul face à la solitude et à mes peines, accentuant la vision négative que j'éprouvais envers moi.

Tu oses dire que toi aussi, tu mérites de vivre, me dis-je intérieurement, en repensant aux mots que je me suis dit durant nos ébats. Pour ensuite te dire que tu aurais mieux fait de crever, cette nuit-là. Tu ne sais même pas ce que tu veux ! Tu ne fais rien d'autre, à part chialer ! Tu m'étonnes que ton mec n'ose même pas se confier à toi. Qui voudrait parler de ses secrets à quelqu'un qui n'est même pas stable psychologiquement...

— Psychologiquement, murmuré-je, en reniflant pour empêcher ma morve de s'écouler de mon nez. Mais c'est ça, j'ai un putain de problème psychologique ! Je gâche tout à chaque fois, c'était si bien hier soir, ce matin aussi, et voilà que je fous tout en l'air parce que je suis incapable de comprendre quoique ce soit.

Oui, ça m'arrive de me parler à moi-même. C'est d'ailleurs une chose que je faisais régulièrement au tout début de ma solitude. En soi, il n'y a rien de mal à engager une conversation avec soi-même, dans la mesure où ça nous arrive à tous de se remonter les bretelles de vive voix, de se dire, après une dispute, une altercation, que l'on aurait pu répondre ceci ou cela pour avoir de meilleurs arguments. Des petites choses anodines qui ne nous rendent pas plus étranges les uns que les autres, faisant de nous des humains, tout simplement.

Cependant, se parler seul — de façon régulière et permanente — quand on a des pensées noires et négatives, n'apporte rien de bon pour notre bien-être psychologique. Au contraire, cela ne fait qu'augmenter cette noirceur installée dans notre for intérieur, et enfoncer plus bas que terre le peu de confiance que nous possédons. Le peu d'espoir que l'on s'est bâti en guise de carapace.

J'ai besoin d'aide, et même si Jaekyung me comble énormément d'un amour indescriptible et indétrônable, qu'il a toujours l'ouïe attentive aux moindres de mes douleurs, il n'est malheureusement pas suffisant à lui tout seul pour me sortir de la spirale infernale dans laquelle j'étais toujours emprisonné. Même après avoir crocheté le cadenas, un fil invisible m'empêche de prendre définitivement mon envol. J'ai besoin d'une aide psychologique, de consulter une personne spécialisée dans le domaine pour comprendre ce qui cloche dans ma tête.

Même si la réponse est juste sous mes yeux.

J'ai honte d'en être venu à cette conclusion, de me dire que je ne suis pas assez fort pour m'en sortir par mes propres moyens. Mais j'ai peur aussi. Peur que mon homme ne m'abandonne, qu'on ne trouve pas de solution à mon problème, et que cela devienne invivable pour lui.

— Un pas en avant pour en faire dix en arrière, marmonné-je à mon égard d'un air irrité. Tout ça à cause de toi... Tout ça c'est à cause de toi !

Je crie ces mots avec une soudaine animosité, en broyant l'une des feuilles entre mes mains.

— Si seulement... si seulement je ne t'avais jamais rencontré, tout aurait été sûrement différent... Tout aurait été si différent...

Je balaie la chambre d'un regard dominé par la détresse psychologique. Je sens toujours sa présence autour de moi, son aura malveillante qui continue de veiller sur moi, comme s'il ne m'avait jamais quitté depuis toutes ces années. Comme si son regard était toujours posé sur moi.

— Pourquoi... pourquoi est-ce que tu continues de me faire du mal ?

Je hurle seul dans la pièce, le visage rougi et abîmé par la salinité de mes larmes. Je cherche désespérément un point de repère sur lequel je pourrais me focaliser pour empêcher cette crise d'angoisse de s'installer dans ma poitrine.

— Qu'est-ce que tu m'as fait ?! éructé-je, en éclatant en sanglots. Qu'est-ce qu'il faut que je fasse pour que tu arrêtes de me torturer, même si tu n'es plus là ? Je veux que tu t'en ailles, je veux que tu sortes de ma tête, que tu me laisses être heureux avec lui ! Il n'est pas comme toi, il ne sera jamais comme toi. Jamais ! Toi, tu n'étais qu'un monstre !

À bout de souffle, je me laisse tomber à la renverse sur les draps fraîchement changés, recroquevillé sur moi-même, le coussin de mon amant logé entre mes jambes et mon ventre.

— Lui, il m'aime vraiment. Il prend soin de moi. Il me touche sans me faire de mal, sans me laisser de marques douloureuses sur le corps. Il ne me dit pas des mots qui blessent, il ne me rabaisse pas, il... Il est incroyable. Tout ce que toi, tu n'as jamais été, pleuré-je comme une fontaine à m'en couper la respiration. Alors, pourquoi... pourquoi tu continues cruellement de me faire souffrir ? Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ?

Arrête de te faire du mal comme ça, pensé-je, en secouant véhément la tête pour tenter de faire disparaître mes spéculations. C'est toi qui te fait mal du mal en ressassant le passé. Il n'est plus là, Joshua, il n'est plus là...

— Je te déteste, Ha-joon, je te hais à jamais, et pour l'éternité ! J'espère que tu es mort à l'heure actuelle, et...

Je m'arrête subitement dans ma lancée, lorsque mes yeux se sont posés sur son ombre, dans le reflet du miroir. Il n'est pas là physiquement présent dans la chambre. Il n'est qu'une simple hallucination, un mirage résultant de mes frayeurs les plus profondes, que je tente constamment de refouler à l'intérieur de moi. Tout comme il m'arrive d'en avoir régulièrement au sujet de mes bourreaux du passé, ainsi que sur mon père. Je ne les vois pas, en réalité. Je le sens. Ils ne sont que des formes noires et sinueuses dans mon esprit. Exactement comme dans mon cauchemar, où je distingue et perçois leurs mains me toucher, m'agripper le corps pour m'engloutir avec eux dans les abysses des ténèbres.

Quand je suis en présence de mes amis ou de mon compagnon, ils n'apparaissent jamais autour de moi — comme si quelque chose me protégeait d'eux — me laissant quelques instants de répit. Mais lorsque je me retrouve seul et vulnérable — telle une pauvre bête prise en chasse, seule face à son, ou ses ennemis, la réalité refait immédiatement surface, me noyant avec elle dans un puissant raz-de-marée.

— Je veux juste que tu me laisses tranquille, murmuré-je, sans le quitter des yeux.

L'ombre ne bouge pas, elle est moins nette que les précédentes, presque transparente, inexistante.

— Je veux juste vivre en paix avec l'homme que j'aime. Je ferais tout pour y arriver, et même si j'ai besoin d'aide pour y parvenir, je finirais par décimer toute ton existence de mes pensées ! Tu ne seras plus qu'un lointain souvenir, parmi tant d'autres !

Personne ne voudra de toi.

— Détrompe-toi ! Lui, il me veut, contredis-je sa voix, en détournant les yeux vers la bague ornant fabuleusement mon annulaire. Il me veut vraiment, et je ne te laisserai pas m'enlever ce que j'ai de plus beau. Tu...

Au moment où je m'apprête à prononcer une nouvelle phrase, mon portable se met à vibrer, m'informant d'une notification. Je quitte son spectre pour m'accaparer de mon cellulaire, dans l'optique d'afficher le premier message.

Mon lapin : Comment tu vas, mon amour ? Je viens tout juste de terminer mon deuxième rendez-vous, j'ai une petite pause avant d'aller au prochain. Tu me manques tellement. Qu'est-ce que tu fais ? Est-ce que tout se passe bien ?

Malgré la manière déchirante — à mes yeux — avec laquelle nous avons terminé notre conversation, un petit sourire tristounet prend place sur le coin de mes lèvres. C'était tout ce dont j'avais besoin, un message de mon petit-ami pour soulager les bouleversements de mon cœur.

Joshua : Je vais bien, et toi ? Comment se sont passés tes premiers rendez-vous ? Je suis encore coincé dans le rangement des papiers, ça me semble interminable... J'ai hâte d'être à ce soir pour te retrouver... Je t'aime, mon amour.

Seulement quelques secondes après lui avoir répondu, mon portable se met à vibrer une nouvelle fois.

Mon lapin : Si tout va bien, je suis rassuré. Honnêtement, je m'en veux, et je suis triste d'être parti comme un voleur, ce matin. Mais je te promets que ce soir, nous aurons la discussion que tu veux. J'ai hâte de pouvoir t'embrasser. Je t'aime aussi, mon ange.

Il est triste. Jaekyung est triste, et moi, je lui ai menti. La déferlante est assez violente et je ne suis pas vraiment préparé à me la prendre en pleine face, pas d'une façon aussi brutale, me faisant réaliser à quel point j'ai encore énormément de travail à faire sur ma conscience pour ne plus avoir peur de déranger, ou de me sentir comme un fardeau sur ses épaules, jusqu'à devoir mentir et camoufler mes réels sentiments.

La discussion que je veux... De quoi allons-nous exactement parler, ce soir ? Est-ce qu'il va me dévoiler certains de ses secrets ? Est-ce que je suis même prêt à vouloir les entendre ? Est-ce que c'est vraiment ce que je veux ?

— Stop de te tourmenter l'esprit ! Ça se trouve, tu te prends vraiment la tête pour de la merde, comme à ta fâcheuse habtitude, soupiré-je d'exaspération à mon intention, avant de mettre l'écran de mon téléphone en veille, et de retourner vaquer à ma précédente occupation, oubliant le temps d'un instant la présence de Ha-joon.


❃ ❃ ❃ ❃


Le soir venu, j'attends patiemment son retour, allongé sur le canapé de notre salon, les jambes couvertes d'un vieux plaid de couleur rouge à motif à carreaux — pour dissimuler leurs soubresauts incessants. Je stress à mesure que l'attente se fait de plus en plus insoutenable.

Plongé dans l'obscurité, les volets fermés — avec pour seule lumière la luminosité de la télévision — je scrute la moindre ombre de nos meubles, de nos chaises, ou de nos vestes suspendues au porte-manteau du hall d'entrée, se changeant promptement en des formes disgracieuses, disproportionnées sous mon champ de vision. Ce n'est là que de la paréidolie, une illusion d'optique — visuelle, comme auditive — provoquée par notre cerveau, qui cherche simplement à trouver du sens à ce que nos yeux lui transmettent, en assimilant des formes, des ombres aléatoires, des sons, à des choses qu'il a déjà référencé dans notre quotidien.

Voir une silhouette humaine à la place de nos vêtements entassés sur une chaise est le résultat d'une illusion d'optique. Mais parfois, quand nous nous trouvons dans un état psychologique, autrement dit de stress ou d'angoisse, ce phénomène peut être amplifié ; notre cerveau en vient à traduire nos peurs par des apparitions familières qui nous hantent l'esprit. C'est ainsi que j'en suis venu à me cloîtrer dans le noir. Car même en ayant un semblant de lumière autour de moi, mon cerveau persiste à me les faire voir, et je veux que ça cesse. Je veux que...

Clac.

La porte d'entrée s'ouvre.

— Je suis rentré, mon amour ! s'exclame la voix de Jaekyung. Mais qu'est-ce que tu fous dans le noir ?

Il appuie sur l'interrupteur pour éclairer la pièce de cette lueur aveuglante. Même si j'essaie farouchement de faire disparaître mon angoisse — parfaitement lisible sur les traits de mon visage —, je finis, au bout du compte, par baisser les armes en adressant un regard opprimé à mon amant.

— Mon ange, qu'est-ce qui ne va pas ? s'enquiert-il immédiatement, en jetant de façon nonchalante sa veste sur le plan de travail, un bouquet de roses dans les mains. Qu'est-ce qu'il y a ?

— Prends-moi dans tes bras, s'il te plaît, s'il te plaît, lui murmuré-je d'une voix troublée.

Sans me poser plus de questions, Jaekyung pose soigneusement le bouquet de fleurs sur la table basse, avant de s'asseoir à mes côtés sur le canapé. L'un de ses bras se glisse autour de ma taille, m'attirant sur lui sans utiliser une quelconque force apparente. Instinctivement, je viens nicher mon visage dans le creux de son cou, humant dans une forte inspiration son parfum fort réconfortant. Mon homme est silencieux, ses bras refermés autour de mon corps. Il me caresse le dos en suivant la ligne de ma colonne vertébrale, tout en déposant quelques doux baisers sur le haut de mon crâne.

— Qu'est-ce que tu fais, mon amour ? questionne-t-il sur un air attendri, lorsque je me blottit un peu plus contre lui, détruisant tout espace plausible entre nous.

— Je recharge mes batteries, réponds-je dans un chuchotement. C'était une journée éprouvante...

— Je suis désolé. Je...

— Non, ne t'excuse pas, s'il te plaît, le coupé-je, en faisant frotter la pointe de mon nez contre son cou. Il faut bien que j'apprenne à être seul avec ma propre compagnie. Tu ne peux pas toujours être à mes côtés. Et tu n'as rien de mal ce matin, c'est moi qui suis désolé...

Mon regard s'arrête sur les contractions de sa mâchoire et la forme de sa langue s'enfonçant dans sa joue.

— C'était trop tôt. Je n'aurais pas dû partir toute la journée.

— Non ! réfuté-je, en levant la tête vers lui dans un mouvement rapide pour rencontrer ses prunelles submergées par un sentiment de culpabilisation. Tu as le droit de vivre aussi ! C'était des rendez-vous importants pour toi.

— Pour nous, mon ange, me révèle-t-il, en remontant l'une de ses mains jusqu'à mon visage, se logeant derrière mon oreille pour me caresser la joue à l'aide de l'extrémité de son pouce. J'ai fait des visites, aujourd'hui.

Je hausse le sourcil d'un air interrogateur.

— Des visites ? répété-je, l'esprit confus.

Un sourire affectueux prend place sur les douces commissures de mon amant.

— Ouais, souffle-t-il. J'ai visité des maisons aujourd'hui, à proximité de la ville. C'est pour ça que j'étais absent toute la journée.

— Mais pourquoi faire ? Je veux dire, l'appartement que tu... qu'on... je...

Il se met à rire, en basculant sa tête en arrière, révélant la ligne de sa mâchoire parfaitement dessinée.

— Oui, continue, il ne manque plus que le verbe et le complément, brocarde-t-il en toute conscience, avant que je ne vienne lui asséner un coup de coussin sur le torse.

— Ne te moque pas de moi ! rouspété-je d'une mine boudeuse. Je voulais juste te demander si notre appartement ne te plaisait plus...

— Ce n'est pas qu'il ne me convient plus, c'est qu'il n'est pas assez adapté à tes besoins. Par exemple, la salle de bain est trop dangereuse pour toi, il n'y pas de matériel fonctionnel pour que tu puisses prendre une douche sans le risque de tomber. Pour cuisiner, parce que je sais que tu adores faire ça, le plan de travail est trop haut pour toi. L'ascenseur est certes pratique, mais il y a aussi la possibilité qu'il tombe en panne un jour et que tu ne puisses pas sortir, etcetera, etcetera. Ce sont pleins de petits détails anodins, qui font que ça peut nuire à ton confort, et je veux que tu te sentes bien, que tu puisses être indépendant quand je ne suis pas là, sans craindre que tu te blesses ou que tu tombes.

Mon cœur ne sait plus à quelle fréquence il doit battre exactement. Des coups rapides, puis un rythme lent, un temps d'arrêt, pour ensuite repartir au galop contre ma cage thoracique. Mes yeux, beaucoup trop habitués à produire des perles d'eau, se voilent d'un aspect brillant, floutant ma vue à en rendre la vision de mon petit-ami indéchiffrable.

Jaekyung ne le fait pas pour lui. Il le fait pour moi. Il s'inquiète de mon bien-être, de ma propre sécurité, de mon confort dans l'espace et de l'ergonomie qui m'entourent. Et moi, dans tout ça ? Qu'est-ce que je fais pour lui ? À part lui reprocher de ne pas se confier assez à moi, de ne pas me parler de lui, qu'est-ce que je fais pour lui ?

Rien.

— Hé, mon amour... Si tu ne veux pas, on peut très bien rester ici, ajoute-t-il, en voyant les perles s'écouler le long de mon visage. Je peux très bien faire des travaux pour aménager au mieux l'appartement et...

— Ce n'est pas ça, murmuré-je d'une intonation fébrile, en secouant faiblement la tête. Je suis désolé...

— Mais de quoi es-tu désolé, bébé ? S'il te plaît, mon ange, parle-moi. Qu'est-ce qui ne va pas ? Qu'est-ce que je peux faire pour que tu ne pleures plus ? Dis-le moi, mon amour.

Je sanglote dans ses bras, mes larmes couvrant ses mains me tenant le visage.

— Tu fais tout pour moi, tu penses à tout, tu prends tout sur toi, et moi... Moi, je ne fais rien, à part pleurer sur mon sort à longueur de journée. Je ne fais rien pour toi, je ne fais rien qui aille à ton échelle, déblatéré-je entre plusieurs sanglots. Qu'est-ce que j'ai fait pour toi jusqu'à maintenant ? Rien, rien du tout. Tout ce que je fais, c'est de te reprocher de ne pas me parler de toi, de ne pas te confier à moi. Tandis que toi, tu t'occupes de tout dans l'appartement, tu t'occupes de nos sorties, de ce que je veux manger, de comment je vais. Je... tout ce que je fais, c'est...

Mes derniers mots sont étouffés par la main de mon homme, contre laquelle je ferme les yeux pour savourer la chaleur de son corps me consoler. Je bave à moitié sur la paume de sa main, ma morve s'écoulant de mon nez, tandis que je reprends calmement une respiration dite normale. Je tremble comme une feuille contre son corps, me sentant irrémédiablement faible et pathétique.

— Comment veux-tu faire quoi que ce soit, si...

Il semble chercher ses mots dans sa manière d'hésiter à prononcer ceux qui se sont égarés sur le bout de sa langue.

Si je ne vais pas bien psychologiquement, terminé-je dans ma tête, en rouvrant mes yeux pour m'apercevoir de la profonde tristesse dans ses prunelles mélancoliques. Dis-le moi, je t'en prie.

— Tu es encore trop fatigué, mon amour, finit-il par dire. Ça ne fait pas si longtemps que tu es sorti de l'hôpital. Plus les aller-retour que tu fais régulièrement pour le suivi de ta rééducation. Tu dois encore reprendre des forces, te reposer au maximum, avant de penser à faire quoique ce soit pour moi, même si je ne te demande absolument rien en retour, parce que je fais tout ça par amour pour toi. Et pour ce qui est de me reprocher de ne pas me confier assez à toi, tu es en droit de me le faire savoir, tout comme j'ai mes raisons de ne pas le faire pour le moment.

Ce n'est pas ce que je veux entendre, pensé-je douloureusement, en faisant glisser sa main le long de ma joue.

— Mon ange, chaque chose en son temps, d'accord ? me chuchote-t-il d'une voix aussi douce que du velours. Maintenant, avant de parler des maisons que j'ai visité et qui pourraient potentiellement te plaire, dis-moi pourquoi tu pleurais quand je suis rentré ? Tu m'as dit que c'était une journée éprouvante, pourquoi ? Que s'est-il passé ?

Il cherche mon regard, à capter mon attention dans ses beaux yeux pour lesquels je suis prêt à tomber à n'importe quel moment. Cependant, je sais pertinemment que si je venais à ancrer mon regard dans le sien, tout va s'effondrer une nouvelle fois autour de moi. Je les vois derrière lui, mes démons danser par leurs formes aléatoires, s'évaporer et revenir à un autre endroit de la pièce. Ils suivent le mouvement de mes yeux qui cherchent à les semer, à les faire disparaître de mon champ de vision — ou plutôt, à les chasser de mon esprit.

Là où ils ont pris naissance en se nourrissant de mes traumatismes.

— Il y a quelque chose qui ne va pas...

— Qu'est-ce qui ne va pas ? veut-il savoir, en attrapant mon menton entre ses doigts pour faire tourner mon visage vers le sien. Regarde-moi dans les yeux. Qu'est-ce qui ne va pas, mon amour ?

— Il y a quelque chose qui ne va pas et vous ne voulez pas me le dire !

La stupéfaction et la confusion prennent place sur ses traits.

— Quoi ? Comment ça, nous ? C'est qui, nous ?

— Toi et Gabriel. Vous le savez et vous ne voulez pas me le dire, reprends-je, en ne pouvant contrôler les secousses de mon corps. Pourquoi ? Pourquoi vous ne voulez pas me le dire à voix haute ?

— Mon ange, je n'arrive pas bien à saisir de quoi tu parles, me répond-il, en ajustant sa position sur le canapé. Et qu'est-ce que Gabriel vient faire là-dedans ?

Mais bon sang, arrête de rejeter la faute sur eux, me sermonné-je dans mon esprit. C'est toi, le problème, pas eux ! C'est à toi de le dire à voix haute !

C'est dur de se l'avouer soi-même, qu'on a un problème psychologique, que quelque chose ne va pas dans notre tête. J'ai besoin que quelqu'un me le dise. J'ai besoin de l'entendre de vive voix. Qu'ils me le disent sans avoir peur de me blesser. Je cherche sans équivoque à me confronter à la réalité, à travers leurs propres mots, à admettre qu'au fond de moi, j'ai raison, que je ne suis pas le seul à le penser, à l'avoir compris.

Que je ne suis pas fou.

Je me mets à rire de nervosité, de désespérance, pendant que mon petit-ami garde le contrôle sur ses sentiments.

Ils sont là... chuchoté-je, en glissant mes mains dans mes cheveux. Ils sont encore là, ils ne sont pas partis...

— Qui ? Qui sont encore là, mon ange ?

— Mais tu le sais très bien ! lui hurlé-je dessus, en empoignant mes cheveux dans mes mains.

Un geste qu'il vient rapidement mettre fin en me les immobilisant pour ne pas que je me fasse mal.

— Tu sais très bien de qui je parle ! De Seo-jun, Do-yun, Beom-seok, Eun-woo, Minho... De Ha-joon ! Mon père aussi, je le vois encore dans mon sommeil ! Ils sont encore là dans ma tête, encore, encore, je continue de les voir encore, clamé-je, en tentant de me libérer de l'étreinte de mon homme.

Cependant, ma force n'égale pas celle de mon amant.

Depuis toutes ces années écoulées, je viens enfin de prononcer le nom de mes bourreaux.

— Pourquoi ? Pourquoi je continue de les voir ? Je... je croyais qu'ils allaient enfin disparaître grâce à cette nuit-là...

Je fais référence à la nuit où mon amant m'a aidé à affronter mon reflet dans le miroir. La nuit, où je me suis réveillé en hurlant, lorsque leurs mains s'étaient mises à glisser sur mon corps, à m'emporter avec elles, en me faisant disparaître dans un amas de poussière.

— Mon amour, tu... murmure-t-il, en m'observant d'un air impuissant, les larmes menaçant de s'échapper du coin de ses yeux. On ne peut pas tout faire partir en un claquement de doigt, il faut du temps, beaucoup de temps pour y parvenir. Surtout après ce que tu as subi.

— Qu'est-ce que j'ai subi ? lui demandé-je, ma cage thoracique se levant, se baissant rapidement.

— Non, Joshua. Ça ne marche pas comme ça. Ce n'est pas à moi de te répondre.

Je sens, au fur à mesure, la rage s'accumuler en moi, grondant comme l'orage d'une tempête prête à tout détruire sur son passage.

— Pourquoi ?! Pourquoi ? crié-je, les larmes débordant de mes yeux irrités.

— Parce que... Putain, Joshua, tu...

Son visage est en train de se noyer sous un torrent de larmes, qu'il ne parvient plus à contenir. Sa colère, au fond de ses yeux, ne m'est aucunement adressée, contrairement à son désarroi clamant ma miséricorde.

— Dis-le moi, Jaekyung ! Dis-le moi.

— Non ! proclame-t-il, en resserrant son emprise autour de mes poignets, que je cherche désespérément à récupérer. C'est à toi de le dire ! À toi de le crier si tu le souhaites, de le hurler sur tous les toits si tu en ressens le besoin ! À toi de le faire, pas à moi, ni à Gabriel ! Tu es le seul qui peut le dire !

— Mais qu'est-ce que tu veux que je te dise ? claironné-je, en montant dans les décibels. Qu'est-ce que tu veux que je dise ? Qu'ils m'ont humilié ? Qu'ils m'ont volé le peu de dignité que j'avais de moi ?

Il ne me quitte pas du regard, se contentant de hocher la tête à chacune de mes questions.

— Qu'ils m'ont pris pour leur putain de jouet ? Qu'ils se sont amusés à me torturer quotidiennement, jusqu'à ce que je ressente la peur de sortir de chez moi ?

— Continue, m'encourage-t-il.

Ça me met encore plus en colère de voir que mon amant ne m'aide pas. Pourquoi il se contente de rester assis-là, à me regarder lui crier dessus sans protester.

— Mais qu'est-ce que vous attendez de moi ? trompeté-je à m'en épuiser la voix. Je ne peux plus rien faire sans les voir ! Quand je suis tout seul, ils sont en permanence à mes côtés, à me regarder, à me juger ! J'entends encore leurs voix, leurs putains de voix dans ma tête ! Et... et lui...

Je prononce les derniers mots, à bout de souffle.

— Qui, lui ?

— Mais je te parle de Ha-joon, espèce de sale con ! l'insulté-je, sous l'emprise de la colère. Je parle de lui ! Celui qui m'a le plus détruit dans ma vie ! Celui que je pensais avoir sincèrement aimé !

Un faible rictus est perceptible sur le coin de ses lèvres.

— À cause de lui, j'ai l'impression de ne pas t'aimer assez. À cause de lui, j'ai l'impression de ne pas te combler, de ne pas te satisfaire comme j'aimerai pouvoir le faire ! continué-je dans ma lancée, en me débattant pour que mon homme me lâche les bras. Alors que je veux tellement te montrer que je t'aime, que c'est avec toi que je veux passer le reste de ma vie ! Avec toi que je veux faire l'amour, jour et nuit ! Mais je n'y arrive pas ! Je n'y arrive pas, parce qu'il hante encore ma putain de vie au quotidien !

— Qu'est-ce qu'il t'a fait, exactement ? demande-t-il, le regard noir me dévisageant.

Il le sait. Il veut juste m'entendre le dire à voix haute.

Ne bouge pas, espèce de salope !

Les coups pleuvent, comme la pluie s'écrasant contre la fenêtre.

— Joshua, qu'est-ce qu'il t'a fait ?

Ça t'apprendra à avoir voulu aguicher mes potes sous mes yeux ! Tu n'es qu'une pute, une pute, qu'une sale pute !

— Tu m'as frappé... réponds-je dans un murmure, l'esprit embrumé par les souvenirs de mon passé. Alors que je ne faisais que m'amuser, tu me frappais. Tu m'obligeais à réaliser tes fantasmes les plus dérangés. Tu m'as humilié, tu voulais que je sois bête auprès de tes amis pour te montrer plus intelligent devant eux.

Je récite inconsciemment tout ce qu'il m'a fait subir, en revoyant toutes les situations défiler sous mes yeux. Ce n'était plus des fragments de réminiscence, ni des bouts de vases éparpillés sur le sol. Tout se reconstitue dans mon esprit, oubliant l'endroit où je me trouve, jusqu'à ne plus sentir la présence de mon petit-ami en face de moi.

— Tu m'attachais les bras aux barreaux du lit pour...

Le mot ne veut pas sortir de ma bouche, alors que les différentes scènes se jouent juste devant moi, spectateur de mon propre corps en souffrance, de mes cris, de mes pleurs.

— Joshua, tente de m'interpeller Jaekyung, une première fois.

— Tu ne voulais pas que je bouge, poursuis-je, en cessant de mouvoir mes bras, mes mains s'étant fermées en forme de poings. Tu me voulais à ta merci et ça t'excitait de me voir ainsi, entièrement sous ton contrôle. Ça te faisait bander de me voir effrayé, de m'entendre hurler. Tu... tu me faisais faire des choses que je ne voulais pas. Tu...

Je sanglote à en avoir la gorge nouée.

— Bébé, hé, reviens-moi, essaye-t-il une nouvelle fois, d'une voix alarmée.

Qui n'aime pas se faire prendre comme ça ? Mets le coussin sur ta tête, tu fais chier à chialer, alors que c'est toi qui l'as voulu !

— Tu m'as violé, déclamé-je d'une voix aussi basse qu'un murmure, en regardant par-dessus l'épaule de mon amant.

Je vois son ombre se tenir debout à quelques centimètres de nous. Je vois ce sourire malsain prendre place sur cette chose qui ne possède plus d'œil, ni de nez.

— Tu m'as violé ! crié-je, au point de m'en irriter la gorge, de ressentir une envie irrépressible de vomir mes tripes. Tu as abusé de moi et tu m'as frappé... Tu m'as violé !

— Joshua, regarde-moi ! éructe Jaekyung, en me secouant faiblement pour me faire reprendre les esprits.

Chose qui fonctionne, puisque j'émet un faible cri de surprise en rencontrant son regard ébranlé.

— Mon ange...

Je me retrouve dans l'incapacité d'articuler le moindre mot, mes membres tremblent à n'en plus pouvoir s'arrêter, mes mâchoires claquent l'une contre l'autre, comme si mon corps était gelé, frigorifié. Mes yeux se perdent une fraction de secondes sur l'endroit où se trouve son apparition, réalisant qu'il a... disparu.

— Mon amour, chuchote mon homme, avec prudence dans le timbre de sa voix. Je suis là, bébé, reste avec moi.

— Jaekyung...

— Oui mon ange, je suis là, s'empresse-t-il de dire, en lâchant mes poignets pour poser l'une de ses mains contre ma joue, et glisser son bras autour de ma taille pour m'empêcher de tomber à la renverse.

— Je... je crois que j'ai besoin d'aide, avoué-je d'une voix abîmée par mes hurlements. Je ne vais pas bien dans ma tête, ça ne va pas psychologiquement.

Je me confesse, en étant témoin des larmes de souffrance qui déforment les doux traits de mon homme.

— Je suis fatigué, je suis tellement fatigué de ne plus savoir quoi faire...

— Demain, on appelle l'hôpital pour t'avoir un rendez-vous avec le psychologue, déclare-t-il, en me sécurisant contre son corps, avant de prendre appui sur ses jambes pour se lever du canapé. Il est temps que tu ailles le voir.

— Où est-ce que tu m'emmènes ? le questionné-je, en laissant ma tête se reposer contre son épaule, vidé de toutes mes forces.

Il embrasse ma tempe en serrant ses mains autour de mes cuisses.

— Au lit. Tu as besoin de te reposer, me dit-il, en se dirigeant jusqu'à notre chambre, là où tous les papiers sont encore éparpillés sur les draps.

— Je suis désolé... Je n'ai pas eu la force de tous les ranger. Je suis désolé, tellement désolé, m'excusé-je à plusieurs reprises.

— Ce n'est pas grave, mon amour, me rassure-t-il, en me déposant sur la partie du lit qui n'est pas encombrée par la paperasse. Je vais m'en occuper. Pendant ce temps, essaie de t'endormir, d'accord ? Je reste à tes côtés, ne t'inquiète pas, je ne serais pas loin de toi.

Je secoue la tête avec véhémence pour désapprouver sa demande.

— J'ai peur, non ! J'ai peur !

— Bébé, il ne t'arrivera rien, je te le promets.

— Il... il va revenir dans mes rêves, je le sais ! paniqué-je, en attrapant fermement l'avant-bras de mon compagnon. Cette nuit... cette nuit, j'ai pourtant si bien dormi, c'était la première fois que je dormais réellement aussi bien.

Jaekyung plisse les sourcils, perplexe de mon sous-entendu.

— Où est-ce que tu veux en venir ?

— J'ai bien dormi après que tu m'aies touché. Alors, touche-moi, s'il te plaît, touche-moi. Je ne veux pas le voir dans mes rêves ce soir, je ne veux plus jamais le voir.

— Non, rétorque-t-il sur un ton un peu plus ferme. Le sexe n'est pas la solution pour soigner les problèmes. Ne commence pas à te perdre dans ce cercle vicieux, ça pourrait être dangereux. S'il te plaît, fais-moi confiance. S'il te plaît, mon ange, endors-toi.

J'agite à nouveau la tête dans tous les sens, jusqu'à planter mes ongles dans le tissu de sa chemise.

— Parle-moi, je t'en prie. Parle-moi au moins jusqu'à ce que je ne m'endorme et que je n'entende que ta voix dans mes rêves. Je t'en prie, parle-moi...

Jaekyung accède à ma demande, en m'accordant un faible sourire brisé, tout en venant prendre position à mes côtés. Il ajuste la couverture sur mon corps, ne laissant que mon visage apparent. Avec prudence, il caresse ma peau et remet en place quelques-unes de mes mèches de cheveux derrière mon oreille.

Ce soir-là, il m'a chuchoté dans le creux de l'oreille, comment il est tombé amoureux de moi pour la première fois. Comment ses yeux ont été hypnotisés par mon aura, et comment son cœur a cessé de battre, envahi par ce sentiment qu'il n'avait encore jamais connu auparavant. Il m'a murmuré, jusqu'à ce que je ne m'endorme, que je suis son premier amour, et que je serai le dernier, jusqu'à la nuit des temps. Qu'ensemble, nous bâtirons notre empire, et que nous ferons tomber l'ennemi.

Jusqu'à ce que le sang ne cesse de couler.

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