𝟒𝟐. 𝐃𝐲𝐬𝐦𝐨𝐫𝐩𝐡𝐨𝐩𝐡𝐨𝐛𝐢𝐞


Dimanche 12 janvier, Séoul, Corée du Sud,

La pluie tombe abondamment contre les volets de notre chambre, dans laquelle je me suis plongé dans le noir, dont seule la faible luminosité de la lampe de chevet éclairée mon visage et mon corps entièrement nu dans le reflet du miroir — devant lequel je me tiens difficilement debout à l'aide de ma canne. C'est ainsi que je me retrouve chaque soir, à me fixer longuement et silencieusement dans la glace avec dégoût, retraçant du bout de mes doigts tous les endroits que Ha-joon a pu toucher, embrasser et frapper durant la longue année de notre relation.

Deux jours seulement se sont écoulés depuis ma petite dispute avec mon meilleur ami. Et il n'y a pas une seule seconde de mes journées, où ses mots ne passent pas en boucle dans mon esprit, telle une mélodie se répétant indéfiniment sur un tourne-disques rayés.

Il m'est difficile de regarder et d'aimer ce corps que je déteste tant, que je martyrise par des pensées et des actes odieux. Un corps avec lequel j'aurais aimé pouvoir m'en séparer, pour me faufiler dans un autre, et délaisser derrière moi tous les tourments de mon passé et de mon présent. Le chemin est le même à chaque fois que je glisse ma main sur mon corps. Elle part de mon visage, pour redescendre le long de mon cou, là où il aimait laisser ses marques de succions. Elle continue de tracer les mêmes lignes, me paraissant visible à l'œil nu, jusqu'à mes clavicules, ma poitrine et mes côtes, là où il aimait aussi me frapper quand je n'obéissais pas à ses demandes, à ses ordres.

Ma main tremble — tout comme mes jambes qui commencent à s'affaiblir sous le poids de mon corps — sur mon ventre que je n'arrive pas à regarder sans avoir l'envie de vomir et d'éclater en sanglots tant je me trouve répugnant à contempler. On voit encore un peu les os de mes côtes, ainsi que les pointes de mon bassin, et pourtant, je continue de me voir tel que j'étais au lycée ; un garçon boudinet et rondelet que l'on comparaît à un porcelet.

Ma respiration se fait plus difficile et étouffante, mon cœur bat à tout rompre contre ma poitrine, prêt à se frayer un passage dans ma cage thoracique pour s'enfuir loin de toute cette souffrance, lorsque ma main s'approche lentement de mon pénis, de cet organe mort que j'ai longtemps oublié et mis de côté pour tenter de ne plus penser à ce qu'il m'avait fait faire et subir sexuellement.

Je retiens un souffle glacial dans mes poumons, quand je me saisis enfin de ma virilité. Mes doigts de pieds se crispent en forme de bec de corbeau, à cette étrange sensation de lourdeur dans ma main. Mon duvet et mes poils pubiens se hérissent dans une vague de frissons de gêne et de répulsion, remontant le long de mon échine, jusqu'à la racine de mes cheveux. Je lâche soudainement mon pénis, accompagné d'un haut-le-cœur, en comprenant que je ne suis pas encore prêt mentalement et physiquement à me familiariser avec lui.

Je suis hideux. Il n'y a rien d'attirant, d'exaltant ou de séduisant à regarder sur mon corps. Tout est horriblement disproportionné à mes yeux. Plus je me regarde dans le miroir, plus je vois l'ombre de mes démons se dessiner nettement derrière moi, souriant et riant diaboliquement à gorge déployée des pensées négatives me submergeant, me noyant dans les abysses des océans.

Je commence à manquer d'oxygène — ou est-ce parce que je plonge dans une nouvelle crise d'angoisse ? — et je me laisse lourdement tomber sur mes genoux dans un fracas assourdissant en ne parvenant pas à pleurer. C'est comme si mon corps avait décidé de me couper de mes émotions, comme s'il en avait eu assez que je le torture quotidiennement à chaque moment de la journée et de la nuit, et qu'il désire enfin être en paix avec lui-même.

Pourtant, j'ai terriblement envie de pleurer. J'ai envie de crier, de hurler, d'extérioriser tout ce que j'ai emmagasiné à l'intérieur de moi depuis toutes ces années. De maudire toutes les personnes qui m'ont fait du mal volontairement, et de me libérer de ses chaînes auxquelles j'étais encore attachée. Cependant, rien ne sort de ma bouche. Une bouche qui s'efface dans le reflet du miroir, me faisant écarquiller les yeux de terreur face à ce scénario digne d'un film d'horreur. Mes mains se mettent à tâtonner vigoureusement mon visage, comme si cela allait faire revenir mes lèvres désormais inexistantes, criant désespérément dans des gémissements lointains et étouffés, avant de voir mon nez se volatiliser à son tour, et être entièrement privé d'oxygène.

Toutes les parties de mon corps se dissipent en de fines petites particules, jusqu'à ce que je puisse percevoir dans le creux de ma poitrine, mon cœur s'alourdissent dans des battements lents et irréguliers. C'est un véritable cauchemar qui se déroule sous mes yeux impuissant. Et lors de la dernière et douloureuse contraction musculaire de mon cœur, me semblant interminable dans le temps, je me réveille dans un cri épouvantable à vous en faire réveiller les morts, en me redressant brusquement dans le lit, trempé par ma sueur, suivi d'une longue série de lourdes et bruyantes respirations, gonflant mes poumons meurtris.

Ces derniers souffrent terriblement de l'agonie après avoir été privés d'oxygène durant quelques minutes.

— Bébé ? Qu'est-ce qui se passe ? s'enquiert immédiatement Jaekyung d'une voix mi-affolée, mi-endormie, après avoir été réveillé en sursaut par mon hurlement. Eh ! Respire mon cœur, respire calmement, je suis là !

Il se positionne derrière moi, pour que mon corps puisse reposer contre son torse. Je suis encore confus et ébranlé par ce maudit rêve dont je vois encore les images défiler sous mes yeux. Un cauchemar, illustrant l'un de mes souhaits les plus profonds depuis tant d'années : voir mon corps disparaître à tout jamais et ne plus y voir une seule trace de mon existence. Toutefois, ce vœu n'a plus le même goût qu'autrefois dans le fond de ma gorge. J'aurais peut-être pu y trouver une certaine forme de satisfaction quand j'étais au plus bas psychologiquement.

Quand j'étais si seul et si vulnérable.

À présent, ce désir de vouloir n'avoir jamais existé, ne correspond plus à mes attentes. Je ne veux plus être rayé de la surface de la Terre, ni perdre mes amis les plus chers et l'homme qui partagent désormais ma vie au quotidien. Je me bats alors chaque soir pour me réveiller et me sortir de cette emprise psychologique me rongeant jusqu'à l'os.

Elle s'est pourtant atténuée au fil du temps, à mesure que Jaekyung panse mes plaies avec ses mots d'amour, ses caresses et ses tendres baisers sur ma peau, ne désirant que cet homme sorti tout droit d'un conte de fée. Mais depuis que j'ai commencé à parler de Ha-joon à voix haute, sur mon viol et les violences domestiques auxquelles j'ai été confronté, elle est revenue au galop, pour me frapper de plein fouet au visage, sans que je ne puisse l'empêcher de recommencer à chaque fois que j'ai le malheur de fermer les yeux en me laissant submerger par ces idées noires.

— Reprends tes esprits mon amour, tout va bien, susurre-t-il près de mon oreille, sur laquelle il dépose ses lèvres pour embrasser mon lobe, en m'aidant à respirer, et à suivre le rythme de son abdomen, se soulevant et s'abaissant, à chacune de ses inspirations et expirations.

Mais ce que je n'ai pas encore compris à ce moment-là, de la signification de ce rêve à répétition, c'est que ces cauchemars — horribles soient-ils — font partie du chemin vers la guérison. Le signe que mon corps se débat pour résister à cette envie irrépressible de m'effacer, et de franchir cette fameuse porte dans un espoir de liberté.

Affronter mes démons et gagner le combat, c'est l'un des objectifs final qu'il me reste à accomplir pour pouvoir aller de l'avant sans plus jamais avoir à me retourner.

— Voilà, c'est bien. Continue comme ça mon ange, m'encourage Jaekyung en resserrant délicatement son bras autour de ma taille.

— J'ai refait ce même cauchemar, parviens-je à articuler entre deux grandes inspirations, malgré l'angoisse encore omniprésente dans mon corps. J'étais nu, debout devant le grand miroir de notre chambre, et je me voyais disparaître progressivement sans pouvoir rien faire pour empêcher ce rêve de virer au cauchemar.

Comme à son habitude, Jaekyung ne me coupe pas la parole quand je lui raconte ce qui m'a terrifié durant mon sommeil. Mes mains s'agrippent à son bras, et je réussis tout doucement à reprendre une respiration dite normale, ainsi qu'un rythme cardiaque partiellement régulier.

— Ça faisait pourtant quelques jours que je n'en avais plus fait, c'est horrible, soupiré-je en sentant l'adrénaline redescendre rapidement dans mon organisme, accablé par une violente fatigue, rendant mes paupières aussi lourdes que de la pierre. C'était horrible, Jaekyung...

— Bébé... J'aimerais vraiment pouvoir faire quelque chose pour t'enlever ce mauvais rêve de ton esprit, commente-t-il d'une voix peinée, en embrassant à plusieurs reprises ma tempe du côté droit. Comment est-ce que je peux faire pour y remédier, mon amour ?

C'est là une très bonne question à laquelle je n'ai pas encore de réponse. Ou du moins, c'était avant que mon regard ne se pose sur ce fameux miroir qui me hante, posé dans un coin de la chambre, à seulement quelques centimètres de notre lit.

Combattre mes démons, c'est notamment combattre mon corps et mon esprit en guerre l'un contre l'autre depuis tant d'années. C'est aussi faire face à mon reflet et poser mon regard sur ce corps qui me permet de vivre, de me lever chaque matin, de respirer, de rire, de sourire, de pleurer, de crier et de chanter à tue-tête les vieilles chansons des années 80 sans en avoir honte. De pouvoir boire et manger sans avoir à culpabiliser, sans avoir honte de me nourrir et de profiter des plaisirs de la vie. Mais c'est aussi lutter contre mon corps, qui n'est pas mon ennemi en réalité, mais mon allié au quotidien. Mon corps qui n'est autre que mon armure, mon arme d'attaque et de défense, mon super pouvoirs et...

Ma fierté.

— Est-ce que tu peux allumer la lampe de chevet ? lui demandé-je en basculant ma tête en arrière pour rencontrer son regard, légèrement interrogateur. S'il te plaît, mon amour...

A ce doux surnom lui caressant les tympans, un sourire se dessine sur le coin de ses magnifiques lèvres envoûtantes.

— Bien sûr, mon ange.

Je le sens se mouvoir derrière mon dos, avant d'entendre sa main tapoter durement sur la table de chevet à la recherche de l'interrupteur, qu'il finit par trouver, permettant à une douce lumière jaune-orangée de se diffuser progressivement dans la chambre dans une chaleureuse ambiance tamisée.

— Tu as besoin d'autre chose, bébé ?

— Oui, réponds-je en fixant nerveusement le miroir.

Ce dernier me donne l'impression de s'agrandir et de d'élargir à mesure que je le regarde avec insistance.

— Est-ce que tu peux m'aider à me tenir debout devant le miroir ?

Sans me répondre par une autre question, Jaekyung me fait tourner le visage vers lui après s'être saisi de mon menton à l'aide de son pouce et de son index. Mon regard s'arrête dans ses yeux crépusculaire où de la confusion y est parfaitement lisible.

— Je ne comprends pas trop ce que tu veux y faire devant notre miroir, mon ange, admet-il en caressant ma lèvre inférieure avec la pulpe de son pouce.

— Tout seul je n'y arriverai pas, Jaekyung...

— À faire quoi, bébé ? Dis-le moi.

— À me regarder entièrement nu dans un miroir, avoué-je en détournant mon regard du coin de l'œil, pour le poser sur cette glace, me provoquant en un seul regard, une angoisse particulière dans tout mon être. A chaque fois que je croise mon reflet, j'évite au maximum de me regarder... Tout simplement parce que j'en suis incapable, et qu'à chaque fois, je vois ses mains à eux se poser sur mon corps...

— Ok, très bien, rétorque-t-il d'une voix un peu plus marquée et soutenue, démontrant sa haine envers ceux qui m'ont fait du mal physiquement, ou psychologiquement. Je ferai tout ce dont tu as besoin pour aller mieux.

Jaekyung se décale délicatement de derrière mon dos, pour se lever du lit, et me prendre dans ses bras pour m'emmener jusqu'au miroir, devant lequel j'ai fermé mes yeux pour ne pas croiser mon reflet dans l'immédiat. Je sens mon homme poser mes pieds sur le parquet froid de notre chambre, ses mains se positionnant instinctivement sur mes hanches pour me maintenir debout, en me faisant prendre appuis contre son torse, pour avoir un meilleur équilibre, et soulager mes jambes du poids de mon corps.

— Pourquoi tu ne te regardes pas, mon amour ?

Je me mordille la lèvre inférieure, avant de sentir une boule d'anxiété se loger dans le fond de ma gorge, m'empêchant de déglutir correctement ma salive.

— Je sais que je t'en demande beaucoup, mais est-ce que tu pourrais m'aider à retirer mon pyjama ? dis-je, en me sentant réellement pathétique de lui demander une telle chose, alors que je suis capable de le faire de moi-même.

Mais je ne veux pas encore voir mon reflet, pas tout de suite.

— Ça ne me pose pas de problème, réplique-t-il d'une voix réconfortante et apaisante, tout en venant se saisir de l'ourlet de mon haut de pyjama.

Il le fait soigneusement glisser, et remonter le long de mon corps, pour ensuite le jeter quelque part dans la pièce. Je sens le froid me saisir et couvrir mon épiderme d'une chair de poule incontrôlable, jusqu'à faire durcir mes tétons et hérisser mes poils tant la différence de température est si soudaine. Mais cet air glacial est rapidement ébranlé par le corps chaud et bouillant de mon homme, me réchauffant en me blottissant dans ses bras.

— Désolé mon amour, j'avais coupé le chauffage un peu plus tôt dans la journée, parce que j'avais trop chaud, révèle-t-il d'un air navré, en frottant ses mains sur ma peau, pour retirer cette sensation de fraîcheur sur mon corps. Je vais m'attaquer au bas, tiens toi à moi pour ne pas tomber.

Je le sens s'abaisser pour tirer sur le tissu de mon vêtement, et le faire coulisser à son tour le long de mes jambes, que je lève l'une après l'autre, pour me débarrasser de l'intégralité de mon pyjama. Il n'y a désormais plus aucune couche de tissu qui camoufle ma peau. Il n'y a plus rien qui cache mon corps de mon regard, de mes yeux encore fermés, puisque je suis tout bonnement incapable de les ouvrir pour me regarder.

— Tu peux ouvrir les yeux, mon ange, chuchote Jaekyung dans le creux de mon oreille, ses mains me maintenant fermement debout contre son corps. Je suis là avec toi.

— Je... Je ne me sens plus capable de le faire... marmonné-je tant bien que mal entre mes lèvres. J'ai peur de ce que je vais voir...

— Peur de voir ton corps ?

Suite à mon sentiment d'angoisse, ne faisant que s'accentuer dans mon corps, je me mords plus fermement la lèvre, tout en hochant simplement la tête pour répondre à la question de mon amant.

— Tu es pourtant tellement magnifique à mes yeux, reprend-il d'une voix prudente.

Je perçois ses mains chanceler le long de mon corps, me caressant subtilement en redessinant du bout de ses doigts, la courbe de ma silhouette — tel un peintre le ferait avec minutie pour sublimer son œuvre.

— À tes yeux, je le suis, oui... Mais pas aux miens... lui réponds-je en expirant un souffle tremblant pour tenter de maîtriser la crise d'angoisse, s'approchant du point de non-retour. Je suis si hideux... Comment... Comment est-ce que je peux arriver à te plaire... ?

— Tu me demandes mon avis ? veut-il savoir d'une voix interloquée.

— Comment...

— Ouvre les yeux pour commencer, mon amour. Et tu comprendras mieux ce que j'aime chez toi, me dit-il en me coupant dans ma lancée. Tu n'es pas seul, Joshua. Je suis là avec toi, et c'est moi qui ai les mains posées sur ton corps. Uniquement moi.

Ses mains si puissantes et si chaudes continuent de caresser ma peau, me faisant frissonner de bien-être sous son toucher aussi doux et délicat que la soie. Je prends de grandes inspirations sous les mots de mon petit-ami, me susurrant à l'oreille à quel point il est fier de moi. À quel point je suis fort et courageux. Et à mesure que je maîtrise mon angoisse, j'ouvre partiellement mes paupières, voyant faiblement trouble dans le reflet du miroir, avant de les ouvrir complètement, en retenant ma respiration le temps d'une fraction de seconde.

Je me vois réellement nu, pour la première fois depuis des années. Pas que je n'ai jamais vu mon corps loin de là, simplement que je ne me suis plus mis devant un miroir depuis un long moment. Car se voir nu sans miroir, en se regardant simplement avec nos propres yeux, et nous voir nu, dans un miroir, est quelque chose de totalement différent sur le plan de la perception physique que l'on a de notre corps.

Avec ce miroir, je peux voir toutes les imperfections de mon corps. Tout ce qui fait que je le déteste, que je le haïs, et que je le martyrise pour m'en débarrasser.

Pour disparaître.

Toutefois, je ne suis pas seul dans ce reflet, puisqu'il y a mon amant se tenant derrière moi. Il me contemple avec passion, pendant que l'une de ses mains remonte jusqu'à mon cou pour se saisir de ma mâchoire et m'empêcher de baisser ou de tourner la tête sur le côté pour fuir mon image. Je peux évidemment détourner le regard si je le souhaite. Néanmoins, avec la présence de mon homme à mes côtés, je me sens un peu plus en sécurité, que tout seul comme dans mon cauchemar, là où je devais faire face à mes démons en étant désarmé.

Pour la simple et bonne raison que Jaekyung est mon pilier.

— Tu veux savoir ce que j'aime chez toi ? me demande-t-il en ne me quittant pas du regard dans le miroir. La réponse est sous tes yeux, mon amour.

Cependant, tout ce que je vois, c'est ce fichu corps que je déteste tant.

— Mais... Je suis tellement affreux. Je...

— Tu n'as pas compris, m'interrompt-il à nouveau sur une intonation calme, en relevant un peu plus mon visage pour que je garde la tête droite face à ma propre personne. Regarde attentivement dans le miroir, et dis-moi ce que tu vois.

Je ne saisis pas ce qu'il essaie de me faire prendre conscience. Je vois cette enveloppe charnelle dans ce reflet. Je vois les os de mes côtes qui me répugnent. Mes jambes fines, sans muscles, aussi flasque que du poudingue, et je vois mes bras à l'absence de biceps, aussi fragile que des brindilles. Je suis témoin d'un pauvre corps désespéré et affaibli par les souffrances que je lui inflige, par un mal-être que je continue de cultiver et d'arroser avec mes pensées noires et limpides ; dans lesquelles j'ai dû mal à percevoir un espoir de m'en sortir.

— Je... Je ne comprends pas, finis-je par dire en me sentant pathétique. Je suis désolé, je...

— Non. Tu n'as pas le droit de t'excuser pour ça, commente-t-il posément après avoir mis sa main sur mes lèvres pour me faire taire. C'est un exercice qui demande de la réflexion, sur lequel j'ai aussi longtemps travaillé sur moi-même pour réussir à m'aimer.

Je suis surpris d'entendre de sa bouche, qu'il a lui aussi détester son corps dans le passé. Et c'est peut-être un peu trop flagrant au niveau de l'expression de mon visage, puisque je l'entends glousser faiblement tout en venant écraser ses lèvres sur l'une de mes joue.

— Ce n'est plus d'actualité à présent. Mais oui, je ne m'aimais pas non plus, et je ne m'appréciais pas plus que ça il y a quelques années en arrière, affirme-t-il, en embrassant une seule fois ma joue. On en discutera plus tard si tu le souhaites, étant donné que c'est toi la priorité.

Il fait un signe de tête, pour que je reporte mon attention sur mon reflet.

— Je vais formuler la question différemment, peut-être que tu la comprendras mieux, mon ange. Qu'est-ce que tu vois exactement dans ce miroir ?

— Tout.

— C'est-à-dire ?

— Notre chambre, la table de chevet, notre lit, les rideaux, énuméré-je sous le silence approbateur de Jaekyung. Puis... Je te vois toi, et moi, qui suis complètement nu.

Ma gorge se noue, n'étant pas vraiment certain d'avoir compris une nouvelle fois sa question. Cependant, un sourire se dessine sur le coin de ses lèvres.

Un sourire de satisfaction et de fierté.

— Maintenant, oublie ce qu'il y a autour de nous, et redis-moi ce que tu vois.

Avec toujours ce brin d'hésitation, j'articule d'une voix incertaine :

— Toi et moi ?

— Très bien. Maintenant oublis-moi, et dis-moi ce que tu vois.

— Je... Je me vois, moi, murmuré-je avec une vive émotion dans le fond de ma voix, en ayant toujours un peu de mal à saisir là où il veut en venir.

Jaekyung hoche la tête à mes mots, tout en relâchant son emprise sur ma mâchoire pour venir poser sa main sur ma poitrine, au niveau de mon cœur.

— C'est exactement ça, mon amour. Tu te vois toi, et pas uniquement ton corps, me répond-il, en remarquant que je suis encore quelque peu confus par ses mots. Ce que j'aime, c'est tout ce qu'on voit dans le miroir. C'est tout ce qui constitue la personne que tu es.

Ce n'est pas juste mon corps...

— C'est toi, Joshua, reprend-il en tapotant son index sur ma poitrine. Il y a ton corps que j'aime, oui. Il y a ton cœur aussi, et il y a ça.

Il pose son doigt sur le haut de mon crâne pour souligner ses mots.

— Ce qu'il y a dans cette petite tête, j'en suis complètement dingue. Tu es un tout, et pas seulement un corps. Tu es Joshua, et pas seulement qu'un bout de chair.

Je comprends enfin ce qu'il a essayé de me dire tout en restant vague dans ses questions, pour que je le saisisse de moi-même. Je comprends enfin que je regarde mal dans le miroir depuis tout ce temps, me réduisant qu'à un simple corps insignifiant, plutôt que de voir la personne que je suis réellement au-delà de l'aspect physique.

Tout n'est qu'un point de vue psychologique et relationnel.

— Je ne vois pas qu'un corps. Je vois aussi l'homme courageux que tu es. Je vois l'homme fort qui a su garder en lui, et ce pendant trop longtemps, un passé et un présent difficiles. Je vois l'homme vulnérable que tu peux être quand tu ne vas pas bien, et je vois aussi l'homme amoureux et passionné que tu es quand on est ensemble. Je vois l'homme avec qui j'aime rire et parler jusqu'à l'aube. Mais je vois aussi l'ami et le meilleur ami que tu représentes pour notre entourage, argumente-t-il alors que je sanglote silencieusement dans ses bras, en continuant de me regarder dans le miroir. Je vois Joshua. Et oui, je vois aussi ton corps, celui qui te rend si fort, qui te rend si beau à la fois. Celui qui t'aide à te relever à chaque fois que tu tombes. Celui que tu maltraites mais qui t'aime malgré tout, alors que toi tu le détestes.

Jaekyung me fait pivoter sur moi-même pour que je me retrouve face à lui, le visage baignant dans mes larmes que je pensais avoir perdue à jamais. Il pose une main sur ma joue, tandis que son bras de libre s'enroule autour de ma taille pour m'empêcher de m'effondrer, alors que mes jambes n'en peuvent plus de rester debout aussi longtemps.

— Ton corps n'est pas ton ennemi, Joshua. N'oublie pas qu'il est celui qui ne t'abandonnera jamais et qui t'aidera à chaque fois à te relever et à te battre contre tes ennemis, ajoute-t-il en caressant ma joue noyée sous un torrent de larmes. Sois fier de qui tu es, mon amour. Et sois fier de ce magnifique corps, parce que vous ne formez qu'une seule et même personne pour le restant de ta vie.

Sur ces mots, il m'embrasse dans un baiser qui est si simple et pur à la fois. Un baiser qui me fait chavirer, me laissant complètement aller dans ses bras, me retenant sans mal, jusqu'à me porter, pour me soulager, et m'emmener jusqu'au lit, là où il m'y dépose pour que je puisse m'y allonger — sans rompre une seule fois notre baiser si magique et féerique.

Mais ce petit moment purement intime est rapidement dissipé lorsqu'il rompt notre baiser pour se redresser, et me contempler de ses yeux attendris.

— Tu sais, j'ai quelque chose pour toi, mon ange, mais avant de te le donner, je vais t'aider à te rhabiller pour ne pas que tu attrapes froid.

Intrigué, je hausse les sourcils.

— Quelque chose pour moi ?

— Mh-mh, fredonne-t-il en s'éloignant de moi pour s'approcher de notre armoire.

Il en sort un de ses sweats à capuche, ainsi qu'un de ses gros joggings, qui peut être ajusté à ma taille grâce à l'élastique. En revenant vers moi, je me redresse pour prendre le sweat à capuche de ses mains et le passer par-dessus ma tête, pour le faire glisser jusqu'à ma taille — même s'il est légèrement, voire même beaucoup trop grand pour moi. S'en suit le même procédé pour le jogging — avec l'aide de mon homme — où je l'enfile une jambe après l'autre, me blottissant dans le soudain parfum enivrant de son odeur corporel, me procurant immédiatement un sentiment de sécurité et d'apaisement.

Je me sens bien en sentant son odeur s'imprégner et se mélanger à la mienne. Je me sens encore mieux quand ses lèvres s'égarent sur les miennes, puis sur mon nez, sur mes joues, jusqu'à ce qu'elles viennent terminer leurs courses sur mon front.

— Reste bien sous les draps mon ange, je vais chercher ton cadeau, me murmure-t-il avant de s'éloigner à nouveau de moi pour aller fouiller dans la poche de sa veste, suspendue à notre porte-manteau de chambre.

Mon cadeau ? Ce quelque chose, est un cadeau ? Avec curiosité je l'observe sortir une petite boîte, soigneusement bien emballée dans une boîte à cadeau, et revenir vers moi avec un large sourire charmeur sur le coin de ses lèvres.

— Jaekyung... Il est trois heures et demie du matin, et tu me ramènes un cadeau ? dis-je dans un demi-bâillement, résultant de ma fatigue et du contrecoup de mon cauchemar, de mes émotions et de ma crise d'angoisse.

— C'est exact, rétorque-t-il innocemment en prenant l'une de mes mains dans la sienne, pour y déposer l'objet, pas plus grand que mes mains. Je voulais attendre un peu avant de te l'offrir, mais vu qu'on est réveillé... Joyeux anniversaire, mon ange.

Joyeux anniversaire ?

Anniversaire ?

Mon anniversaire ?

Je mets du temps à comprendre qu'aujourd'hui nous étions le douze janvier, une date marquant à jamais ma venue dans ce monde. Une date que j'ai oublié entre-temps, contrairement à mon amant, qui a pris le temps de choisir un présent en particulier pour ce jour si précieux à ses yeux.

— J'avais complètement oublié que c'est mon anniversaire... soupiré-je en regardant d'une expression émotive la jolie boîte, si belle et si légère au toucher, après l'avoir sortie de son contenant. Merci beaucoup, mon amour...

Jaekyung sourit.

— C'est normal mon ange que tu n'y ais pas pensé, me répond-il avec compréhension. Et je suis là pour te le rappeler, n'est-ce pas ?

Je suis heureux, oui. Heureux d'être autant comblé en amour par mon homme. Heureux de toutes ses petites attentions envers moi, mais...

Oui, il y avait un mais.

— Ce n'est pas juste... Je n'ai encore rien pu t'offrir pour ton anniversaire ! me plains-je en ne me sentant pas légitime de recevoir un cadeau d'anniversaire.

Car pour celui de Jaekyung, je l'ai passé dans le coma. Deux jours après ma tentative de suicide.

— Mon plus cadeau c'est toi, bébé, rétorque-t-il avec son air attendri, en venant retirer quelques fines mèches de mon visage. Maintenant ouvre le tien. Sauf si tu préfères garder la surprise pour plus tard ?

— Non, non, je vais l'ouvrir maintenant, proclamé-je en ne pouvant m'empêcher de sourire d'émotion.

Je retire le joli petit flot entourant la boîte, pour soulever le couvercle et y découvrir une autre petite boîte avec gravée en argent sur le dessus : « Pandora ». Mon regard se relève immédiatement vers le doux visage de mon amant, me fixant avec attention, et une faible touche de nervosité dans sa façon de jouer avec ses doigts. Je reviens avec déférence sur la boîte à bijoux que je prends dans mes mains pour l'ouvrir et voir avec émerveillement une sublime bague. Elle est argentée et ornée de trois petits et fins diamants discrets, qui brillent lorsqu'ils croisent de la luminosité.

— Elle est... magnifique, murmuré-je avec sincérité, en la prenant instinctivement et avec prudence dans ma main, par peur de la casser ou de la faire tomber.

— Elle te plaît ? me demande-t-il, nerveux, en venant prendre soigneusement la bague de mes mains, pour la glisser à mon annulaire sous mon regard pétillant de bonheur. C'est une bague de promesse.

Par la suite, il sort de la poche de son jogging, une seconde boîte, qu'il ouvre pour me montrer une deuxième bague.

— Celle-ci est pour moi...

Ce second bijou ne possède aucun diamants, et est entièrement fait d'argent.

— Une bague de promesse ? répété-je en me me saisissant d'une main tremblante de la bague, avant de me montrer sa main.

— Joshua, je te promets de t'aimer pour le restant de mes jours. Je te promets que je deviendrai un encore meilleur petit-ami pour toi. Je te promets de te chérir et de te rendre heureux comme tu mérites de l'être, me dit-il alors que je suis en train de lui insérer tant bien que mal la bague autour de son doigt — tel le ferait un fiancé lors du grand jour — avec des perles d'eau débordant affreusement du coin de mes yeux. Je sais que je ne suis pas parfait, mon amour, que j'ai mes putain de défauts, mais sache que je ferai tout pour que tu ne manques de rien, pour que tu sois comblé d'amour, pour que tu ais la meilleure vie possible à mes côtés. Parce que putain... Je t'aime, comme je n'ai jamais aimé personne dans ce putain de monde. Tu es là plus belle chose qui me soit arrivée dans ma vie.

Nos mains à présent ornées d'un magnifique bijou d'ensemble, s'entrelacent sans que je n'en prenne conscience. Mon regard est ancré dans le sien, et je sens mon cœur battre à tout rompre contre ma poitrine, déversant dans mes veines cet amour, cette passion titanesque et démesurée que je porte pour lui. Je me sens pleinement enchanté à ses côtés, et mes sentiments pour cet homme me montent sans faille les facettes de sa personnalité — au point de baisser toutes les armes qu'il possède, pour ouvrir entièrement et sans tabou son cœur au mien — ne faisant qu'accroître ma certitude sur le fait qu'il était, et est mon tout.

— Je sais qu'on est encore jeune, qu'on a seulement vingt ans tous les deux, mais je ne vois pas ma vie sans t'avoir avec moi, ajoute-t-il en venant prendre mon visage en coupe pour embrasser furtivement mes lèvres. Et je suis tellement heureux avec toi, ma belle étoile. N'en doute jamais.

Je tremble de tout mon corps, face à cette sublime déclaration qui me bouleverse au plus profond de mon être. Dans la vie, il y aura toujours des moments de doutes. Des moments où nous réfléchissons à si on a fait le bon choix, à si on aurait dû dire les choses différemment. À si ce qu'on a fait est juste ou non. Toutefois, il y a aussi des moments où tout est évident. Où tout prend un sens et qu'il n'y a pas de place au doute. Jaekyung et moi sommes faits l'un pour l'autre. J'en étais et j'en suis toujours pleinement convaincu, que nous sommes ces âmes sœurs jadis séparées par la fureur de Zeus, ayant fini par nous retrouver dans ce monde, pour ne former qu'un pour l'éternité.

— Je t'aime aussi, Jaekyung, chuchoté-je entre deux sanglots, après m'être jeté dans ses bras. Si tu savais comme je t'aime tellement, mon amour, je t'aime comme un fou ! Je t'aime, je t'aime, je...

Il me fait taire en scellant ses lèvres aux miennes dans une nouvelle union au goût légèrement salé par nos larmes, se mélangeant parfaitement dans ce baiser passionné. Et même si mes démons les plus tenaces continuent de me guetter de près, convoitant et attendant le moment propices pour m'engloutir avec eux dans les abysses des ténèbres les plus sombres, nous avons fini par nous allonger dans le lit, nous blottissant l'un contre l'autre avec sérénité, tout en se murmurant des mots doux et des caresses égarées, jusqu'à ce qu'on finisse tous les deux par s'endormir en paix, bercés par les bras de Morphée.

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