𝟑𝟖. 𝐋'𝐚𝐦𝐨𝐮𝐫 𝐝𝐞𝐩𝐚𝐬𝐬𝐞 𝐥𝐞𝐬 𝐟𝐫𝐨𝐧𝐭𝐢𝐞𝐫𝐞𝐬
Le stress monte en flèche dans toute ma poitrine. Et pour quelle raison, me demanderiez-vous ? Tout simplement parce qu'on se trouve devant la porte d'entrée de la maison Johnson, qui nous ont gentiment invités à venir fêter Noël chez eux, le soir-même. Mais suite à notre discussion à l'hôpital, je sais à présent à quel point les Johnson sont importants pour lui et qu'il est tout à fait normal qu'il accepte cette invitation, en m'emmenant avec lui. Cependant, je me sens comme un véritable intrus dans cette soirée familiale, qui ne devait être destinée qu'à mon homme, terriblement anxieux à l'idée de rencontrer ses parents pour la première fois de ma vie.
Que vont-ils penser de moi ? Est-ce qu'ils vont me mépriser pour avoir bouleversé la vie de leur deuxième fils durant ces derniers mois ? Est-ce qu'ils comptent mettre de la mort au rat dans mon assiette pour se venger de moi ? Toutes ces questions plus loufoques les unes et les autres n'arrangent rien à mon angoisse, sentant mon cœur battre à vive allure dans ma poitrine, résonnant dans mes oreilles bourdonnant à cause du stress.
Je vais littéralement m'évanouir, d'une seconde à l'autre...
— Hé mon ange, respire. Tout va bien se passer, me dit-il, après s'être penché près de mon oreille. Tu vas voir, ils sont adorables. Je suis sûr que le feeling va bien passer entre vous.
Je suis tellement crispé, qu'aucun mot ne veut sortir de ma bouche. La seule tentative désespérée que je parviens à réussir pour tenter de me calmer, est d'attraper sa main, la serrant aussi fort que je le peux.
Ses lèvres se courbent en un sourire douloureux.
— Tu vas vraiment finir par m'amputer d'un bras ou d'une main, marmonne-t-il entre ses lèvres.
— Je n'y suis pour rien si je suis autant stressé ! grommellé-je à mon tour dans ma barbe inexistante. C'est la première fois que je vais les rencontrer ! Ça se trouve, ils vont me tuer !
Jaekyung rit.
— Tu es ridicule, soupire-t-il avec attendrissement, ses yeux roulant vers le ciel. Gabriel et toi, vous devriez vraiment arrêter de regarder tous les jours des films d'horreur et des documentaires sur les tueurs en série. On devrait vous mettre un contrôle parental pour ça...
À l'entente de ses mots, et dans un froncement de sourcils, je resserre un peu plus mon emprise autour de sa main, le faisant grimacer d'affliction lorsque la porte d'entrée — qui est soit dit en passant, magnifiquement bien décorée d'une grande guirlande scintillante suivant intégralement la forme de la porte, et d'une couronne de Noël —, s'ouvre sous nos yeux, pour nous laisser voir une belle dame à la longue chevelure de jais, vêtue d'une robe noire aux nuances de doré, se reflétant dans les paillettes brillantes de mille feux en rencontrant la chaleureuse lumière des spots extérieurs.
— Jaekyung ! Quel plaisir de te revoir, mon garçon, s'exclame-t-elle dans un sourire radieux, ne montrant aucun signe d'une ride sur le coin de ses yeux. Comment vas-tu ?
— Madame Johnson, répond-il en lui rendant son sourire, avant de lâcher ma main pour venir enlacer la femme dans une douce étreinte. Je vais très bien, et vous ? Comment allez-vous ? Ça me fait vraiment plaisir de vous revoir aussi.
La mère de Connor glousse derrière sa main, en lui accordant une petite tape inoffensive sur le haut de son épaule.
— Appelle-moi Carole, depuis tout ce temps quand même ! Et arrête de me vouvoyer, j'ai l'impression de prendre dix ans de plus quand tu le fais.
— Ça ne change rien au fait que vous êtes toujours aussi rayonnante à mes yeux, réplique-t-il, en gardant ce sourire charmeur qui étire merveilleusement bien ses lèvres.
Carole esquisse un plus large sourire, faisant ressortir plus la beauté qu'elle possède et qui devrait être illégale aux yeux de la société, tant elle devait faire des jaloux et jalouses dans son entourage.
— Toi, tu sais comment parler aux femmes. Pas comme mon idiot de mari qui ne m'a même pas fait un seul compliment sur ma tenue et sur ma coiffure ! Comme s'il ne voyait pas la différence !
Je les regarde s'échanger à nouveau quelques câlins, quelques petites taquineries, notamment au sujet de son mari. Ça me réchauffe le cœur de voir mon petit-ami aussi heureux, de le voir sourire à en avoir presque mal aux joues.
Mais, encore une fois, je ne me sens pas à ma place.
Assis sur mon fauteuil roulant, dans mon coin, couvert d'un plaid qui ne me tient pas si chaud que ça — même si je suis habillé chaudement —, mais trop frileux pour ressentir une once de chaleur sur mon épiderme, je me fais silencieux. Et à mesure que leur discussion s'éternise à l'entrée de la maison, je commence à ressentir ce sentiment désagréable, prendre de plus en plus de place dans mon cœur, me faisant me sentir invisible à leurs yeux.
Soudain, je réprimande un hoquet de surprise, lorsque des doigts effleurent ma joue, me sortant de mes pensées dans lesquelles je me suis réfugié.
— Désolé, mon ange. Je ne voulais pas te faire peur, déclare Jaekyung d'une douce voix, en posant sa main à plat sur ma joue pour la réchauffer. Excuse-moi de t'avoir fait attendre...
— Non, non, c'est moi qui suis désolée ! s'exclame Carole avec un brin de culpabilité dans le fond de sa voix.
Elle réduit la distance qui nous sépare, pour s'accroupir devant moi, ses cheveux rebondissant sur ses épaules à chacun de ses mouvements.
— Je suis désolée, mon garçon ! Comme ça fait un petit moment que je n'ai pas vu Jaekyung, je n'ai pas pu m'empêcher de le bombarder de questions ! Tu dois être frigorifié. Excuse-moi.
Je secoue la tête en souriant faiblement.
— Ce n'est pas grave, ne vous inquiétez pas. Je comprends parfaitement, réponds-je avant d'éternuer, ce qui ne fait qu'accroître sa culpabilité dans son regard.
— Allez, entrez les garçons ! Venez vous réchauffer à l'intérieur ! nous invite-t-elle, en nous laissant assez de place pour que mon fauteuil roulant puisse passer.
Guidé et poussé par les mains de Jaekyung, nous avançons jusqu'à la salle de séjour, où se trouvait un doux feu de cheminée, crépitant et ronronnant sous la pression du feu. Tout est parfaitement bien agencé et décoré pour les fêtes. On se croirait presque comme dans les films et maisons américaines, où il n'y a pas un seul mètre carré qui n'est pas comblé par un objet ou une décoration de Noël.
Une grande table en bois trône au milieu du salon, dressée pour six personnes avec une nappe de couleur vert sapin et une vaisselle blanche aux touches dorées pour les couverts et les verres à pied. Quelques couronnes de Noël et petites figurines de cerf et du père Noël avec son traîneau sont disposées au centre de la table. Un immense sapin décoré avec parcimonie se situe dans le coin du salon, illuminé par les guirlandes lumineuses scintillant à des rythmes différents, sous lequel sont dispersés plusieurs cadeaux de Noël parfaitement bien emballés.
L'ambiance qui en dégage est particulièrement réconfortante, animée en fond sonore par quelques musiques traditionnelles de Noël. On s'y sent bien. Vraiment bien. Et on peut parfaitement sentir l'amour et la joie émaner des lieux.
— Carole a toujours été très douée pour sublimer toutes les pièces de la maison, commente Jaekyung d'un air attendri, après avoir remarqué que mes yeux pétillent d'émerveillement, tel un chaton prêt à sauter sur les boules de Noël pour jouer avec.
— Merci pour ce joli compliment, Jaekyung ! intervient-elle, en étant fière de sa décoration, qu'elle contemple avec passion. Dans ma région, Noël est une fête religieuse très sacrée. Et on aime les décorations qui tapent à l'œil, qui peuvent même nous faire gagner certains prix pas négligeables !
— D'où est-ce que vous venez, si ce n'est pas trop indiscret ? lui demandé-je, avec un brin de curiosité.
Carole pivote sur ses talons pour nous faire face.
— Je suis née à Vancouver, au Canada, me répond-elle, en accompagnant ses mots d'un petit clin d'œil. Je me suis ensuite installée en Corée pour les études quand j'avais vingt-deux ans et je ne suis plus jamais repartie !
— Elle est tombée directement sous mon charme, c'est pour ça, réplique une voix masculine, dont un homme sort de la cuisine, un verre de vin rouge à la main. Jaekyung, ça fait tellement plaisir de te revoir.
Il s'avance vers nous pour venir l'enlacer dans ses bras, dans une longue étreinte émotive, avant de détourner le regard vers moi.
— Est-ce le jeune homme dont tu nous as parlé ?
Mon cœur s'arrête une demi-seconde, lorsque son regard sombre se pose sur moi, me transperçant de toute part.
— Moi aussi, monsieur Johnson, je suis heureux de vous revoir ! Et oui, permettez-moi de vous présenter Joshua, mon petit-ami, dit-il fièrement, en se détachant des bras de l'homme, pour venir à mes côtés. J'avais vraiment hâte de vous le présenter !
Je me racle la gorge pour dissiper cette gêne.
— Enchanté, monsieur Johnson, déclaré-je timidement, en tendant ma main vers lui, craignant de me prendre un vent monumental.
Le père de Connor plisse ses yeux , me détaillant de la tête aux pieds, ce qui me fait déglutir ma salive d'une manière parfaitement audible. Puis, il se met à rire, à ma plus grande surprise, ce qui a pour effet d'une douche froide sur ma personne.
— C'est comme ça à chaque fois, s'exclame-t-il avec amusement, satisfait de l'impression qu'il a sur moi. Il suffit que je plisse les yeux pour qu'ils aient peur de moi !
— Tu es un sombre idiot, William Johnson ! le gronde Carole d'un froncement de sourcils, avant que son regard ne s'adoucit en se posant sur moi. Ne fais pas attention à cet abruti, mon garçon. Il a fait exactement la même chose à Gabriel quand notre fils nous l'a présenté, la première fois !
J'expire un soupir de soulagement, quand je sens une main prendre la mienne et la serrer d'une poignée ferme.
— C'est un simple test pour m'assurer que mes fils ont fait le bon choix, la reprend-il, tout en m'accordant un franc sourire. Bienvenue dans la famille, Joshua. Nous avons beaucoup de choses à nous raconter.
Mes fils.
En jetant un coup d'œil vers le visage de mon amant, j'aperçois une lueur étincelante briller dans ses prunelles.
— Oui, et avant que tu ne l'effraies une nouvelle fois, tu vas les laisser rejoindre leurs amis qui sont à l'étage, le temps qu'on termine de préparer le dîner.
Mais avant que Jaekyung puisse dire quoi que ce soit, Carole affiche une mine dévastée.
— Je suis sincèrement désolée, Joshua ! Je n'ai pas réfléchi avant de parler, excuse-moi ! Je suis vraiment désolée ! J'espère ne pas t'avoir offensé ?
— Ce n'est pas grave, la rassuré-je avec un petit sourire respectueux. Et puis, vous savez, je peux marcher avec de l'aide, donc monter un étage ne devrait pas être compliqué.
— Je vais te porter, réplique subitement Jaekyung. Les escaliers sont un peu trop dangereux pour toi.
— Ça va aller, je peux le faire. Puis, ça fait partie de ma rééducation.
— Non. Non, Joshua. Je refuse que tu montes les escaliers, même avec mon aide. Tu n'as pas encore assez d'équilibre et de force dans tes jambes pour le faire.
Contrarié et quelque peu blessé par ses mots, je me renferme sur moi-même. Mais lorsque je m'apprête finalement à dire quelque chose pour contredire les craintes de mon petit-ami, William me devance.
— C'est vraiment touchant de voir comment tu te préoccupes de Joshua, commente-t-il, en venant poser une main sur l'épaule de Jaekyung.
Il lui murmure quelque chose à l'oreille, que j'entends brièvement, en tendant la mienne :
— Mais ne le couve pas trop non plus. Tu risques de l'empêcher de voler de ses propres ailes.
Jaekyung ne répond rien, se contentant d'enfoncer sa langue dans sa joue en détournant le regard vers moi. Et ce regard, je le connais plus que trop bien, l'ayant déjà vu à maintes reprises, après que je sois sorti de mon coma.
Un regard rempli de remords et de culpabilité à mon égard.
— Ne bougez pas, les garçons. Je vais aller les chercher, ajoute monsieur Johnson, en s'approchant — avec toujours son verre de vin rouge à la main — des escaliers en colimaçon. En attendant, mettez-vous à l'aise et installez-vous à table, on va pas tarder à prendre l'apéro !
Qu'il a déjà commencé, avant notre arrivée.
❃ ❃ ❃ ❃
— Non ! Ça, ça date du collège ! rouspéte Jaekyung, pris au piège dans une discussion qui ressasse son attitude qu'il avait quand il était adolescent. Et pour ma défense, il n'avait qu'à pas lui soulever la jupe de cette fille, s'il ne voulait pas se prendre mon poing dans sa gueule !
— Jaekyung, les gros mots ! souffle Carole, en haussant ses sourcils pour le tuer du regard.
— Désolé, Carole.
— Je te ferais rappeler, Jaekyung, que tu as failli te faire virer à plusieurs reprises, parce que tu frappais tes camarades de classe ! souligne William, en buvant quelques gorgées de son énième verre de vin rouge.
Jaekyung se coupe un morceau de son rôti de viande saignante pour venir le manger, tout en haussant les épaules d'un air condescendant.
— Je sais très bien que le comportement que j'avais au collège et au lycée n'était clairement pas un exemple à prendre, mais ce n'était pas de ma faute si c'était tous des fils de pute mal éduqués ! tente-t-il de se justifier, avant de s'attirer les foudres de Carole.
— Les gros mots, Jaekyung ! Mais que diable ! Où as-tu appris ce vocabulaire ?
Carole est outrée et choquée, ça se voit parfaitement sur ses traits. Mais je dois admettre qu'elle n'a pas tort. Jaekyng est incapable de s'exprimer, sans s y mettre un juron dedans. Connor et Gabriel ne peuvent s'empêcher de rire, ainsi que William, qui a sans doute abandonné l'idée de refaire l'entièreté de son éducation depuis tout ce temps.
— À la boxe, sûrement, se défend-il d'une manière parfaitement innocente, en remplissant sa bouche d'une nouvelle bouchée de viande bien juteuse, ainsi que quelques champignons à la crème qu'il s'empresse de dévorer.
— Je suis désolé, madame Johnson, déclaré-je dans un faible gloussement, en ne le quittant pas du regard. Je n'ai pas encore réussi à le faire s'exprimer sans utiliser de gros mots.
Il me sourit en prenant une nouvelle bouchée de son plat.
— Sale traître, murmure-t-il, dont une lueur lascive est perceptible dans le fond de mes yeux, me sentant dévoré à la place de sa viande, dans laquelle il plante son couteau pour se couper un nouveau morceau.
Carole déteste les gros mots et encore plus la violence. Mais elle savait aussi pourquoi Jaekyung s'est tourné vers ce comportement, qui malgré les faits, n'excuse en rien qu'il ait envoyé plusieurs de ses camarades de classe à l'hôpital. Je pense même qu'au fond d'elle, qu'elle aurait aimé pouvoir changer le cours du temps et faire en sorte qu'il soit son deuxième fils légitime.
Qu'il soit né dans leur famille pour lui épargner cette difficile période de sa vie.
— Je doute, mon garçon, que tu puisses réussir à l'empêcher de jurer à chaque fois qu'il ouvre la bouche, réplique Carole, en s'avouant vaincue, tout en se servant un nouveau verre de vin. J'espère qu'à ton travail, tu ne parles pas comme ça à tes supérieurs !
Son travail ? Quel travail ?
Je suis surpris de l'apprendre de la bouche de Carole, et au vu de la réaction de mon petit-ami — qui s'étouffe presque avec son morceau de viande —, je comprends assez vite qu'il ne s'est pas attendu à ce que la mère de Connor aborde le sujet.
Comme s'il ne voulait pas en parler en ma présence.
— Je ne travaille plus pour eux, réussit-il à dire, après avoir bu une bonne gorgée de son verre d'eau, lui permettant de s'éclaircir la voix.
— Oh ? Ça fait combien de temps que tu ne travailles plus pour eux ? s'exclame Connor d'un air étonné. Tu ne m'en avais pas parlé.
Perdu. Je suis complètement perdu, ne faisant que bouger ma tête d'un côté à l'autre, lorsque l'un prend la parole pour suivre avec attention la discussion, comme si j'assistais à un match de tennis.
— De quel travail vous parlez ? demandé-je, sans m'en rendre compte dans l'immédiat, mettant sous silence toute la table qui a désormais le regard rivé vers moi.
Carole semble interloquée.
— Il ne t'en a pas parlé ? questionne-t-elle, avant qu'un grand sourire ne prenne place sur ses lèvres. A ses dix-huit ans, Jaekyung a décroché un job étudiant dans un concessionnaire de motos. Il a toujours été passionné par les deux-roues.
Elle en parle avec tellement de fierté, que je suis littéralement absorbé par son récit, sans me rendre compte que la jambe de Jaekyung est prise de soubresauts incessants.
— C'est pour ça qu'il refusait pratiquement tous les soirs, de sortir avec nous, ajoute Connor, en s'essuyant la bouche avec sa serviette. Il passait la majorité de son temps dans la boutique, et dans le garage le soir, qu'il n'avait même pas le temps de venir s'amuser avec nous ! Ce qui fait qu'on pouvait le voir uniquement pendant nos heures de cours, puis à la salle de boxe. Jusqu'à ce qu'ils aménagent son emploi du temps et qu'il ait enfin quelques soirées de libre.
— Mais on ne peut pas lui en vouloir ! C'était sa passion, surenchère William, en entamant son nouveau verre de vin.
J'essaie du mieux que je peux de ne pas montrer que je suis un peu triste, de ne pas avoir eu connaissance de toutes ces choses à propos de mon petit-ami. Mais je suis tout de même heureux d'un autre côté, d'en découvrir davantage lors de cette soirée et d'avoir le sentiment de briser cette barrière invisible qu'il a instaurée entre nous.
— Du coup, Jaekyung, ça fait depuis combien de temps que tu as démissionné de l'entreprise ? s'enquiert Carole. Et est-ce que tu as trouvé un autre travail ? Est-ce que tu as besoin d'aide financièrement ?
À ses questions, je détourne mon regard vers lui, et je tombe de haut en constatant tardivement qu'il n'est pas à l'aise dans cette situation. Que parler de son travail est quelque chose qu'il veut éviter à tout prix. Puis, comme une évidence — maintenant que mes idées s'éclaircissent et dissipent —, je remarque sa jambe trembler, tellement il est anxieux et stressé. Alors, dans un geste que je veux discret, je glisse ma main sur le haut de sa cuisse pour y exercer une faible pression, tout en la caressant lentement pour tenter de l'apaiser. Chose, qui a ma plus grande surprise, est d'une rapidité efficace, en sentant sa jambe se stabiliser sous mes doigts au bout de quelques secondes, et une main puissante se loger au-dessus de la mienne, répandant dans mon cœur une certaine fierté d'avoir pu l'aider à se détendre.
Mais cette fierté est très vite bafouée, lorsqu'il répond :
— J'ai arrêté quand... quand Joshua...
Il n'a pas besoin de continuer pour qu'on sache tous le fin mot de sa phrase. Mon pauvre cœur s'effondre, en réalisant qu'à cause de moi, mon petit-ami a dû démissionner ou s'est fait virer pour être à mes côtés, durant mon hospitalisation.
— Oh... soupire faiblement Carole, tandis que William pose son verre sur la table, comme si l'information avait du mal à être traitée par son cerveau, à cause de l'alcool s'écoulant dans ses veines.
Moi, je crève d'envie de mourir sur place ou d'être englouti par les enfers, que je prie de s'ouvrir sous mes pieds et disparaître à jamais. Je n'ose même plus lever la tête pour rencontrer le regard des Johnson, les imaginant avoir des lasers à la place des yeux pour me punir d'avoir fait perdre à Jaekyung son précieux travail...
— C'est vraiment admirable, mon fils, déclare William dans un hoquet qui indique que son corps est assez ingurgité d'alcool pour la soirée. Je connais très peu de personnes, du moins, par chez nous, qui auraient arrêté de travailler pour leur partenaire. Parce que malheureusement, la conjoncture ne nous permet pas de le faire, en général.
— C'est une belle preuve d'amour, commente Gabriel, vers qui je lève la tête pour rencontrer son regard.
Il me sourit, au point que ses yeux ne prennent la forme de croissant de lune.
Une preuve d'amour.
— Désolé, bébé, me murmure Jaekyung près de mon oreille, en serrant plus fermement sa main dans la mienne, jusqu'à entrelacer nos doigts ensemble. Je ne voulais pas que tu l'apprennes comme ça. J'aurais aimé pouvoir t'en parler, de moi-même...
Ses yeux mentent. Je le vois, je le sens. Il me cache quelque chose. Une chose dont il n'est pas fier. Une chose qui semble le tourmenter. Pourtant, je n'éprouve aucune colère. Et pour quelles raisons devrais-je m'énerver ? Les secrets font partie de la vie. Ils sont plus ou moins difficiles à révéler selon ce qu'il contient. Et s'il a éprouvé le besoin de dissimuler la vérité, j'imagine que ça ne doit pas être facile à porter au quotidien.
— Ce n'est rien, le rassuré-je en caressant le dos de sa main à l'aide de mon pouce, tout en ancrant mon regard attendri dans le sien. On aura le temps d'en discuter chez nous, n'est-ce pas ?
Jaekyung me fixe silencieusement. Je perçois nettement dans gemmes, qu'il me remercie d'être compréhensif, tout en amenant sa main de libre sur l'une de mes joues, et déposer ses lèvres sur les miennes dans un petit baiser, contre lequel il me chuchote : Je t'aime.
Je n'ai rien contre le fait qu'il m'embrasse dans la rue, même devant de parfaits inconnus. J'en avais rien à faire, car ses lèvres sont l'une des choses que je désire le plus au quotidien. Toutefois, le faire devant ses parents, qui sont en train de nous fixer, ne ratant aucune miette de ce qui est en train de se passer, je me mets aussitôt à rougir.
Jaekyung sourit en me voyant changer progressivement de couleur. Mais le coup de grâce pour clôturer cette soirée, provient de Connor, qui prononce avec amusement :
— Tu sais, il y a encore ta chambre à l'étage, si tu veux. Elle est restée telle quelle depuis ton départ !
Autant vous dire qu'à cet instant — alors qu'ils sont tous en train de rire à gorge déployée, — je souhaite à tout prix devenir l'homme invisible, et m'enfuir le plus loin possible à grandes enjambées, sans jamais me retourner. Et pour Jaekyung, ce devait être le même sentiment qu'il éprouvait intérieurement. À croire que sa chambre d'adolescent était quelque chose qu'il voulait garder secret, rien que pour lui.
❃ ❃ ❃ ❃
Les ouvertures des cadeaux n'en finissent plus. Pour Connor, ses parents lui ont offert une enveloppe avec de l'argent à l'intérieur pour l'aider à financer les derniers meubles pour leur appartement, ainsi qu'une nouvelle console de jeux, au plus grand bonheur de Gabriel, ses yeux débordant d'amour pour la PS5. Pour Gabriel, ils lui ont offert une carte cadeaux d'un montant de cent cinquante euros pour un magasin de vêtements « Le temps des cerises », qu'il affectionne particulièrement, et dont il passe la plupart de ses heures de shopping dans celui-ci. Connor lui a également offert un petit coffret Swarovski, dans lequel se trouve un fin bracelet en argent, avec en écriture gravée « ma flamme jumelle », orné de quelques petits diamants.
En retour, Gabriel lui a offert un collier de chez Pandora, possédant une moitié de cœur en argent, sur lequel est gravé la date de leur officialisation de couple, dont l'autre moitié il la porte autour de son cou. C'est adorable. Cliché, mais tellement mignon, car c'est leur premier Noël en amoureux. Ce qui est la même chose pour moi et mon petit-ami.
À un détail près, vu que je n'avais rien à lui offrir...
Pour Jaekyung, les Johnson lui ont offert deux cadeaux de tailles diverses et une enveloppe. Dans l'une des boîtes — que j'ai aidé à ouvrir —, y est soigneusement pliée une longue veste noire à doublure de la marque Men & Grey, parfaite pour affronter les températures hivernales. Dans l'autre présent, se trouve une montre de la marque Rolex, et dans l'enveloppe, un chèque qu'il reçoit à chaque fois pour Noël, mais aussi pour son anniversaire.
Un anniversaire que je n'ai pas pu fêter avec lui, car j'étais dans le coma.
Je suis ému et heureux de le voir autant comblé pour ce soir de Noël. De le voir recevoir un amour pur et sincère déborder des bras de ses parents, qui l'enlacent dans une puissante étreinte. Depuis toutes ces années, ils sont devenus plus que les parents de Connor. Ils sont devenus ses parents à lui aussi, et je comprends encore mieux la relation fusionnelle qu'il entretient avec son meilleur ami, qui n'est autre que son frère en réalité, même s'ils n'ont pas le même sang qui coule dans leurs veines.
Il a d'ailleurs préparé un cadeau de Noël pour eux. Il stresse. Je le vois dans son regard. Ses mains tremblent, lorsqu'il sort de la poche de sa veste en cuir, une enveloppe. Je sais ce qu'elle contient, il m'en a parlé lorsque nous sommes rentrés à la maison, après avoir rendu visite à ma mère. Ce document est important pour lui.
J'attrape l'une de ses mains, que j'embrasse pour le rassurer.
— Jaekyung, murmuré-je à son attention, attirant son regard angoissé sur ma personne. Tout va bien se passer. Je crois en toi. Respire calmement, tu peux le faire.
Il sourit à mes mots, en se penchant pour écraser ses lèvres sur mon front, non loin de la racine de mes cheveux.
— Merci, mon amour. J'avais besoin d'entendre ça, me répond-il avec sincérité, et je tends mon cou vers lui, à la recherche de ses lèvres, qu'il m'offre sans une once d'hésitation. Gourmand.
Il glousse d'un air amusé, avant de se tourner vers les Johnson. Il prend une grande inspiration et se racle la gorge pour attirer leur attention.
— Monsieur et madame Johnson, j'ai aussi un présent à vous offrir.
— Jaekyung ! Combien de fois vais-je devoir te rappeler de m'appeler Carole ? s'injurie-t-elle, en posant ses mains sur ses hanches.
— Ça fait des années qu'il t'appelle comme ça, chérie. Ça va être dur de lui faire changer d'avis ! réplique William, qui a eu le temps de dessaouler un peu durant le reste du repas et des ouvertures des cadeaux.
Mon homme jette une œillade furtive par-dessus son épaule pour me regarder. Je lui souris de toutes mes dents, mes yeux brillent d'une vive émotion, boostant sa confiance. Il parvient à leur tendre la fameuse enveloppe, d'une main tremblante.
— C'est pour vous, et il faut prendre le temps de lire pour comprendre de quoi il s'agit, dit-il sans plus entrer dans les détails, laissant Carole ouvrir l'enveloppe sous ses yeux.
Elle déplie le document, silencieuse, sous le regard attentif de son mari. On entend plus un seul bruit dans le salon, mis-à-part la chanson ; « Last Christmas » de Wham, résonnant en fond sonore. Jaekyung est toujours debout, terriblement stressé et nerveux. Ils lisent attentivement le document, les traits sérieux, jusqu'à ce que leurs visages se décontractent, laissent place à une vive émotion dans leurs regards. Tous deux tremblent comme des feuilles, et William peine désespérément à retenir ses larmes, qui finissent par s'échapper du coin de ses yeux.
Carole est la première à se séparer de son mari pour venir enlacer mon petit-ami dans une forte étreinte, avant que des pleurs ne soient audibles. Connor fronce les sourcils, ne comprenant pas ce qui est en train de se passer, ni pourquoi ses parents se sont mis à pleurer dans ses bras.
— Que se passe-t-il ? interroge-t-il, en s'éloignant de Gabriel, avec une certaine forme d'inquiétude dans sa voix.
C'est son père, se tournant vers son fils qui lui montre les papiers en question.
— Jaekyung a rassemblé les documents nécessaires pour qu'on l'adopte. Ce sont des papiers d'adoption simple pour adulte, explique-t-il avec une vive émotion dans le timbre de sa voix.
Connor reste bouche-bée face à cette annonce, sa mâchoire prête à se décrocher de son visage.
— Tu es sérieux ? Une demande d'adoption ? Tu es vraiment sérieux ?
Jaekyung le fixe en lui souriant.
— Putain, tu es vraiment sérieux ? répète-t-il, en jetant de rapides coups d'œil sur les documents. Je... merde... Tu fais chier, espèce de sale con !
Il tremble lui aussi, jusqu'à finir par fondre en larmes dans ses bras, l'accueillant dans une étreinte fraternelle. S'il y a bien une chose que la vie m'a fait comprendre en si peu de temps, c'est qu'elle peut être horrible, écœurante, dévastatrice. Tout comme elle peut être terriblement magnifique, douce, poétique et passionnante.
En ce dernier soir de Noël, elle me prouve, une fois de plus, que l'amour dépasse toutes les frontières et qu'il est plus puissant qu'on ne l'imagine.
Un amour sans limite. Un amour titanesque.
Mais derrière ce moment de joie, reste des secrets inavoués. Serions-nous capable de les affronter ? Serions-nous capable de les surmonter ? Je me suis promis de me battre. Je me suis promis de ne plus faillir, de ne plus me cacher. Il est temps que je me confesse à lui, comme je l'ai fait auprès de vous. Il est temps d'aller de l'avant et de laisser le passé au passé, et de désormais vivre au présent.
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