𝟑𝟒. 𝐔𝐧 𝐩𝐞𝐭𝐢𝐭 𝐩𝐚𝐬 𝐩𝐨𝐮𝐫 𝐥'𝐇𝐨𝐦𝐦𝐞, 𝐮𝐧 𝐛𝐨𝐧 𝐝𝐞 𝐠é𝐚𝐧𝐭 𝐩𝐨𝐮𝐫 𝐥'𝐡𝐮𝐦𝐚𝐧𝐢𝐭𝐞


Mardi 24 décembre, Séoul, Corée du Sud,

Nous sommes le lendemain, la veille de Noël, et l'horloge qui se situe sur le mur d'en face, affiche midi trente. Jaekyung a exceptionnellement pu passer la nuit à mes côtés, et à mon réveil - qui fut bien plus tôt que le sien - j'ai interpellé mon infirmière quotidienne pour qu'elle vienne vérifier ses mains, dont les blessures ne sont que superficielles. Aucune fracture à l'horizon ! Dont j'ai appris par la suite, qu'il avait passé ces derniers jours à la salle de boxe, à se défouler avec acharnement contre un sac de frappe.

Qu'il a encore percé, pour ne pas changer.

Ce matin-là, je me suis réveillé aux alentours de sept heures et demi, lorsque la première tournée d'infirmières est venue toquer à ma porte pour me sortir de mon sommeil et s'assurer que tout allait bien. Jaekyung n'a rien entendu, trop épuisé pour réagir aux moindres bruits qui ont pourtant occupé la chambre durant une bonne heure, avant de laisser place à un nouveau silence de mort, que j'aurais pu détester, si j'avais été seul.

Après avoir mangé le petit-déjeuner qu'elles m'ont apporté, et dormi à nouveau aux côtés de mon bien-aimé, je suis dérangé par cette envie irrépressible d'aller aux toilettes. Toutefois, je ne veux pas déranger Jaekyung dans son sommeil pour qu'il m'aide à marcher jusqu'à la salle de bain, se situant à quelques pas de mon lit.

Pour quelqu'un qui peut se servir de ses jambes, la distance n'équivaut en rien à un retour canapé-télévision, mais pour moi, ça représente — sans exagération — la montée du Kilimandjaro. Mais je veux retrouver cette indépendance que j'avais autrefois, et je me dis qu'un miracle de Noël peut bien se produire aujourd'hui pour moi, non ?

J'ai sans doute trop espéré, car lorsque je met le premier pied au sol, suivi du deuxième, que je tâtonne timidement à l'aide de mes doigts de pieds, que je peux fièrement bouger, reconnaissant de ne pas avoir perdu l'usage de mes jambes, je tente de me lever, en plaçant toute ma force dans mes bras pour soulever mon corps et me retrouver debout. Je balance mes bras d'avant en arrière pour tenter de trouver mon point d'équilibre, avant de m'accaparer de mon déambulateur.

Je vais encore en avoir besoin.

Un pas en avant, j'avance au rythme d'un escargot à l'aide de mes jambes tremblantes, qui tentent désespérément de supporter le poids de mon corps. Mais les résultats sont là. Mes douloureuses séances de rééducations sont peu à peu récompensées par cette petite victoire. J'essaie au mieux de contrôler ma respiration, positionnant mon autre pied devant moi, tout en contenant ma vessie, que je vous promets d'avoir entendu hurler de douleur.

Au bout du quatrième pas, un véritable exploit pour moi, je commence à perdre espoir.

Je vais me pisser dessus, bordel de merde ! pensé-je, en retenant mes larmes de détresse.

C'est avant que je ne sente deux mains se positionner sur mes hanches, un souffle chaud s'écrasant contre ma nuque, que je pousse un hurlement d'effroi, pouvant réveiller les morts.

Mais par je ne sais quel miracle, ma vessie ne m'a pas lâché.

— Pardon, mon ange ! panique Jaekyung, en se souvenant de la dernière fois où j'ai eu peur, quand il s'était mis derrière moi.

Cependant, aucun souvenir de Ha-joon n'avait refait surface depuis mon réveil. J'avais l'esprit beaucoup trop occupé avec mes séances de rééducations, par les visites de mes amis et de mon petit-ami, pour me soucier de son existence.

— Je ne voulais pas t'effrayer, excuse-moi !

Il vient se positionner devant moi, l'air inquiet, mais un sourire ému orne ses lèvres.

— Je suis fier de toi, ajoute-t-il en marchant à reculons pour me laisser avancer. Où est-ce que tu veux aller ?

À ses paroles, je me mets à rougir.

— Aux toilettes... murmuré-je. C'est une question de vie ou de mort. Je ne vais pas tenir plus longtemps...

— D'accord.

Il me fait lâcher le déambulateur pour glisser l'une de ses mains sous mes cuisses, avant de me soulever comme une princesse qu'il emmène jusqu'à son trône, devant lequel il s'arrête.

— Tu as besoin de mon aide ? Ou tu préfères rester seul ?

Voilà. C'était ça qui me gênait le plus dans l'invalidité dans laquelle je me trouve, car dans tous les cas, j'ai encore besoin de quelqu'un pour ces tâches quotidiennes que l'on fait normalement en toute intimité. Lors des premiers jours ou mois de relation, les couples n'osent pas péter à côté de leurs partenaires, où aller aux toilettes sans faire le maximum pour camoufler le bruit de leurs besoins, par gêne d'être jugé par leur partenaire.

Pour le coup, Jaekyung et moi, n'avons jamais connu ces moments de gêne, vu qu'il m'accompagne tout le temps dans ces épreuves du quotidien.

— Tu peux rester avec moi. J'ai peur de tomber lorsque je devrais me lever pour...

— Très bien, me coupe-t-il dans un mouvement de tête, en comprenant ma gêne qui m'empêche de terminer ma phrase.

Il me dépose au sol, pour que je puisse prendre place sur les toilettes. Je n'ai pratiquement rien à faire, puisque de toute évidence, avec ces blouses d'hôpital, on a constamment le cul à l'air.

— Tu veux prendre une douche après ? me demande-t-il en se tournant face au mur, pour me laisser un semblant d'intimité.

— Oui et j'aimerai enfin changer cette maudite blouse par des vêtements plus confortables qu'avoir les fesses à l'air...

— Tes fesses sont belles.

— Jaekyung ! m'écrié-je, en m'empourpant encore plus de honte.

— Quoi ? répond-il dans un haussement d'épaules, sans pour autant se retourner.

Mais je peux imaginer ce sourire suffisant collé à son visage d'ange.

— Tu as le plus beau cul du monde.

Je couine d'embarras, m'armant du rouleau de PQ pour le lui balancer en pleine tête, dans un lancer plutôt bien maîtrisé.

Si vous vous posez la question, je ne suis plus dérangé par le fait qu'on puisse me voir nu, ou plutôt, il n'y a que Gabriel et Jaekyung que j'autorise à voir mon corps dénudé, lorsqu'ils doivent m'aider pour me laver. Pour ce qui est des infirmières, c'était une toute autre histoire. Je n'avais pas vraiment eu le choix durant mon coma, que de les laisser me laver sans que je ne puisse donner mon approbation.

Avec Jaekyung, les choses ont rapidement évolué à cause de ma situation. Ou plutôt, grâce à elle. J'éprouve moins de honte, moins de réticence à lui dévoiler mes peurs vis-à-vis de mon corps. Et si j'ai le malheur de dénigrer une partie de mon corps, outre mon pénis qui pour moi, est devenu inexistant, il vient l'embrasser de ses douces lèvres, me disant à quel point il aime ces soi-disant imperfections, constituant l'homme dont il est amoureux.

Foutu poète du dimanche.

— Tu racontes des conneries, marmonné-je dans ma barbe inexistante, en détournant le regard. Il est aussi plat qu'une planche à repasser...

— Joshua...

— J'ai fini, l'interrompt-je. Tu peux me passer le rouleau que je t'ai jeté, s'il te plaît ?

Jaekyung pivote sur ses talons pour me faire face. Il se baisse silencieusement pour récupérer l'arme du crime, et me le tend, en essayant de chercher mon regard.

— Mon ange...

— Merci, lui dis-je, le coupant une nouvelle fois.

Une fois terminé, je tire la chasse d'eau, rencontrant la douceur de ses yeux sur ma personne. Il me tend la main, un sourire attendrissant dessiné sur le coin de ses lèvres.

— Allez, à la douche, bébé, dit-il en m'aidant à me relever.

Comme dit précédemment, je ne suis plus gêné par le fait qu'il me voit nu. Néanmoins, c'est toujours la même chose lorsque je sens ses mains parcourir mon dos, à la recherche de ce bout de ficelle, noué au niveau de mon échine, faisant frissonner ma peau sous son toucher si prudent et délicat.

Ces vagues de frissons sont d'autant plus accentuées lorsque le tissu de la blouse vient glisser le long de ma silhouette, me retrouvant entièrement vulnérable sous les yeux de mon petit-ami. Il ne me dévisage pas comme un vulgaire tas de viande. Non, loin de là. Son attention est particulièrement respectueuse et admirative du corps qui me soutient tous les jours.

De cette enveloppe charnelle qui me permet de vivre.

Ses mains redessinent les courbes de mon anatomie, même s'il peut sentir la forme des os de mes côtes sous son toucher, qui ne le répugne pas. L'une d'elle se pose par la suite sur ma taille, et l'autre se loge dans le creux de mon cou, caressant ma mâchoire à l'aide de la pulpe de son pouce.

— Tu es la plus belle des créatures à mes yeux, et tu le resteras à jamais, mon amour, chuchote-t-il près de mon oreille, en venant déposer un baiser le haut de mon crâne.

Je ferme les yeux, en levant la tête à la recherche de ses lèvres. Je l'entends glousser d'amusement, et je sens sa main empoigner ma mâchoire pour la maintenir avec douceur et fermeté.

— Je t'aime, Joshua, prononce-t-il dans un timbre de voix aussi bas qu'un murmure, avant de venir écraser ses lèvres contre les miennes, me faisant soupirer de contentement à ce baiser si convoité.

A cet instant, je ne pense pas encore à ce qui pourrait arriver si nos corps finissent par céder à la tentation. Non, je ne pense pas encore à la pénétration, mon cerveau étant trop préoccupé par d'autres pensées que celles-ci.

Pourtant...


❃ ❃ ❃ ❃


Durant le restant de la journée, je trouve l'attitude de Jaekyung suspicieuse. Il fait beaucoup d'allers-retours entre ma chambre et le couloir de l'hôpital, et est souvent sur son téléphone, à pianoter avec je-ne-sais-qui, alors que je assis sur le lit, l'observant faire les cent pas, jusqu'à ce que je ne finisse par craquer.

— Tu vas arrêter de tourner sur toi-même ? Tu vas finir par creuser un trou à force de retracer le même parcours inlassablement. C'est stressant !

Jaekyung s'arrête subitement et arque un sourcil d'étonnement, en détournant le regard vers ma personne.

— Mais dites-moi que je rêve, mon petit-ami serait-il en train de me montrer sa véritable personnalité ? me taquine-t-il, en terminant d'écrire ce satané message, pour ensuite ranger son téléphone dans la poche arrière de son pantalon.

En guise de réponse, je lui octroie fièrement mon doigt d'honneur, qui le fait écarquiller les yeux, avant d'être épris d'un fou rire.

Je le regarde s'esclaffer sans pouvoir maîtriser, dans mes yeux, la passion que j'éprouve pour lui. Un sourire étire mes lèvres, lorsqu'il s'approche de moi, ses yeux brillent des larmes de son rire.

— Toi, ça sent que tu commences à saturer de l'hôpital.

— Je te jure que je suis prêt à commettre un meurtre pour pouvoir voir autre chose que ces quatre murs blancs.

— Si jamais tu tues quelqu'un, ce seront les quatre murs d'une prison que tu pourras contempler pour une durée indéterminée, commente-t-il, amusé, avant de me voler un baiser pour tenter de faire disparaître cette mine boudeuse, qui s'est appropriée les traits de mon visage.

— Je suis sérieux, Jaekyung ! Et en plus, on est le vingt-quatre décembre... Je vais passer le réveillon ici...

Une soudaine vague de tristesse se répand dans ma poitrine. La nuit a déjà enveloppé la ville dans l'obscurité, et l'horloge murale affiche désormais dix-sept heures quarante-cinq. Je remarque ses lèvres s'ouvrir dans l'optique de dire quelque chose, mais il les referme aussitôt, me faisant faiblement froncer les sourcils.

— Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? lui demandé-je, impatient, avec un soupçon d'irritabilité.

— Eh bien...

— Oui ? soufflé-je, exaspéré.

Cependant, au moment où Jaekyung s'apprête à me répondre, quelqu'un frappe à la porte, avant de la faire coulisser sur le côté. Une infirmière entre, en poussant devant elle, un fauteuil roulant.

Mon regard jongle entre cette chaise roulante et les yeux de mon petit-ami, dans lesquels je peux très clairement percevoir une vive émotion s'y installer.

— Ne me dis pas que...

Je n'ajoute rien, ne voulant pas m'avancer dans des conclusions hâtives, ou me faire de faux espoirs sur une potentielle sortie d'hôpital. Je sens mon cœur battre à tout rompre contre ma cage thoracique et le sourire de Jaekyung et celui de l'infirmière font balayer les doutes qui planent autour de moi.

J'ai passé, en tout — en comptant mon coma — six mois à l'hôpital. Six mois à ne voir que les murs blancs et l'odeur du désinfectant imprégner l'intégralité du bâtiment au fil du temps. Six mois à voir mon intimité s'envoler lors des passages des infirmières, surtout après mon réveil. Six mois, que j'ai besoin de quelqu'un pour me torcher les fesses, à manger, me déplacer, comme si j'étais déjà dans un putain d'EHPAD.

Loin de là une critique gratuite. Mais je peux vous garantir que c'est assez humiliant au début de se voir se faire toucher pour la toilette, et aider aux tâches quotidiennes à mon si jeune âge, car on est incapable de le faire soi-même.

— Jaekyung, tu....

Les mots se bousculent dans mon esprit. Je n'arrive pas à parler sans bégayer, me contentant de le regarder signer un papier que l'infirmière vient de lui donner. Il récupère le fauteuil, en se tournant vers moi, le sourire aux lèvres.

— Monsieur Kim, nous vous souhaitons une bonne rééducation et un bon rétablissement chez vous, me déclare l'infirmière après s'être respectueusement inclinée devant moi.

— Chez moi ? répété-je dans l'incompréhension, mon cerveau ayant soudainement cessé de fonctionner. Chez nous ? On rentre à la maison ?

C'est assez éprouvant pour moi d'en prendre réellement conscience. Ces cinq derniers jours, j'ai été seul, sans Jaekyung, et me voilà la veille de Noël, à rentrer chez nous, avec lui. Mais c'est ainsi que la vie est faite. Elle est remplie de surprise et faite d'imprévus qui font partie de notre quotidien. Un jour, nous sommes seuls, et le lendemain, une présence nous comble. Que ce soit une personne ou un animal. Et aujourd'hui, en ce vingt-quatre décembre, la magie de Noël opère, loin des clichés des films télévisés.

Je quitte enfin l'hôpital pour écrire un nouveau chapitre de ma vie, une nouvelle page, aux côtés de mon petit-ami.

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