𝟐𝟗. 𝐑𝐞𝐯𝐞𝐢𝐥𝐥𝐞-𝐭𝐨𝐢, 𝐦𝐨𝐧 𝐚𝐦𝐨𝐮𝐫


Jaekyung

Lorsque la présence d'une personne vous manque au quotidien, le monde nous donne l'impression de ne plus tourner dans le bon sens. De ne plus tourner du tout. En temps normal, les journées se ressemblent, se déroulent pratiquement de la même manière que les précédentes — à quelques détails près — pour recommencer à nouveau, le lendemain. Cependant, lorsqu'une personne entre dans notre vie, nous donnant cette bouffée d'air frais dont nous avions besoin pour casser cette routine infernale, le monde tourne différemment et nous offre une perspective de la vie que nous n'avions encore jamais découverte.

Au fil du temps, cette personne passe de simple connaissance à ami, puis, d'ami à meilleur ami, et parfois, de meilleur ami à partenaire de vie. Mais pour ce qui est de mon cas, Joshua était à mes yeux — et cela, depuis le début — mon âme-sœur.

Il nous arrive quelquefois de ressentir cette évidence au plus profond de notre cœur, qui nous pousse généralement à nous rapprocher d'elle, pour créer ce lien indescriptible, prenant naissance petit à petit à l'intérieur de nous.

Je suis loin d'être un passionné de littérature, contrairement à Joshua qui, lui, d'après les dires de Gabriel, dévorait pas moins de trois à quatre livres par semaine. Et durant les jours qui ont suivi sa tentative de suicide, je m'étais mis à lire pour m'évader l'esprit, pour faire taire ces voix incessantes qui me murmurer dans un coin de ma tête, de me foutre en l'air, que tout ce qui lui est arrivé était de ma faute.

Je sais parfaitement bien que je ne suis pas celui qui devrait se blâmer des atrocités qui se sont produites. Toutefois, si vous vous seriez trouver dans la même situation que la mienne, je doute fortement du fait que vous ne culpabiliseriez, de ne pas avoir assez fait pour la personne que vous prétendez aimer.

Je pense que j'étais encore loin de me sortir de cette abjection sur le long terme.

Durant les jours qui ont succédés ta tentative de suicide, j'ai suspendu le cursus de mon parcours universitaire, pour passer la globalité de mes journées, à tes côtés. Je te parlais de ce que je faisais le soir en rentrant de ma visite à l'hôpital. Je te racontais aussi ce que j'avais lu dernièrement comme livre. Plus particulièrement ceux que j'ai aimé, et ceux que j'ai détesté, de par la manière dont ils avaient été écrits, mais aussi par l'histoire qui n'était absolument pas prenante à mon goût.

J'ai découvert, au fil des semaines, cette drôle de « passion » pour le genre littéraire. Je n'avais pas encore de préférence concernant les types d'histoires qui étaient proposées. Je pouvais aussi bien passer d'un thriller bien sanglant et psychologique, à une romance bourrée de clichés à outrance, pour terminer sur un livre typiquement basé sur le surnaturel et les créatures mystiques.

Je continuais de croire — peut-être un peu trop naïvement — que tu m'écoutais, que tu entendais tout ce que je te contais, et que sans doute, dans un petit coin de ta tête, tu me disais de fermer ma gueule, souhaitant dormir en paix. Mais c'était plus fort que moi. Je ne pouvais pas me résoudre à me taire, ni à te parler du présent, comme du passé, et plus particulièrement de notre futur.

Parce que j'étais réellement convaincu qu'il y aurait un après, entre toi et moi. Malgré l'attente inestimable de ton réveil, particulièrement long à mon goût, je n'avais cessé d'espérer que ce jour se réalise enfin sous mes yeux. Le médecin chargé de ton dossier, nous avait prévenus que cela pouvait prendre des semaines, voire des mois à se concrétiser.

Comme ça ne pouvait jamais se produire.

Les jours ont tout simplement continué d'avancer, se transformant en semaines, et de semaines pour se changer en mois, pour en arriver à aujourd'hui, deux mois et demi plus tard, après que tu te sois endormi. Les saisons ont également suivi leur cours naturel, passant de l'été et ses températures estivales, à l'automne et son fabuleux brouillard matinal, accompagné de sa petite givre du matin annonçant l'approche de l'hiver.

Cette nouvelle journée a commencé, après avoir passé la nuit à pleurer — comme je le faisais chaque soir —, à ne pas fermer l'œil de la nuit par crainte de recevoir un appel de l'hôpital, mais aussi pour pouvoir écouter, encore et encore, la douceur de ta voix, à travers nos échanges vocaux.

J'avais entamé cette nouvelle matinée en ouvrant les volets de ma chambre pour l'aérer, faisant de même avec celle qui se trouvait dans la chambre d'ami, prête à t'accueillir depuis toujours. Dès que mon regard s'est posé sur cette fine particule blanche, je n'ai cessé de repenser aux paroles de ton meilleur ami, me dévoilant une partie des choses que tu affectionnes tant, lorsque j'allais manger chez lui.

Une fois, il m'a raconté que tu étais fou amoureux de l'automne et de l'hiver. Que tu aimais tant cette douceur automnale te caresser la peau, lorsque tu te promenais dans les allées de ton quartier, transporté dans un univers féerique, hors du temps. Et en observant, sous un autre œil, la beauté de cette nature fragile et étincelante, recouvrir chaque branche, chaque plante, chaque feuille et chaque fleur de ce spectacle éphémère, je comprenais mieux ce que tu aimais dans cette saison. C'était une œuvre qui méritait d'être appréciée à sa juste valeur, qui méritait d'être contemplée, avant que les premiers rayons du soleil ne vinrent faire disparaître cette parure aux centaines de paillettes givrées.

De ces minuscules cristaux pétrifient la nature dans une douce dentelle temporaire.

J'aurais aimé que tu puisses l'admirer avec moi. Il m'arrivait d'ailleurs d'en rêver, que tu sois à mes côtés dans notre appartement, profitant des moments qu'il nous était accordés dans cette illusion parfaite, avant que tout ne soit balayé en une fraction de seconde, pour laisser place à ce funeste souvenir, me retrouvant seul face à ton corps inerte, trempé par l'eau du fleuve, étendu sur le brancard, les bras pantelant dans le vide. Me torturant à chaque fois que je fermais les yeux, pour m'autoriser quelques minutes de repos, avant de me réveiller, en hurlant d'effroi.

Ce matin-là, je m'étais une nouvelle fois étonné que mon corps ait assez de volonté pour me permettre de me lever, de déjeuner, même si les aliments glissaient difficilement dans mon œsophage. C'était peut-être aussi grâce au fait que je n'avais pas arrêté mes activités sportives, continuant d'y aller régulièrement tous les soirs — après avoir passé toute la journée à tes côtés —, pour pouvoir me défouler, décompresser du stress qui s'était accumulé en moi, mais aussi pour m'empêcher de penser.

Pour m'empêcher de les entendre, ces voix, qui me poussaient à en finir avec la vie.

J'étais le seul dans notre groupe d'amis à continuer de gonfler en matière de muscles, alors que Gabriel, lui, avait perdu du poids de manière fulgurante et inquiétante aux yeux de Connor, qui essayait tant bien que mal de le faire manger. Mais plus le temps passait, plus son état de santé mental, comme physique, devenait préoccupant. Et je savais pertinemment que si j'arrêtais toute activité sportive, que si j'arrêtais de m'occuper l'esprit, j'allais dérailler le soir-même.

Cette routine que je m'étais instauré, me permettait de continuer de vivre. De continuer à prendre soin de moi, malgré les jours où je fondais en larmes dans les vestiaires du gymnase. A continuer d'espérer que tu allais bientôt te réveiller, que tu allais enfin ouvrir tes jolis yeux et mettre un terme à ces jours de souffrance.

Deux mois et demi plus tard, rien n'a changé.

Tu étais encore endormi, plongé dans ce coma persistant. Tu étais encore branché à toutes ces machines avec lesquelles je m'étais familiarisé et dont je connaissais à présent toutes leurs fonctionnalités. Les tubes alimentaires, pour pouvoir te nourrir durant le coma. Les perfusions qui te permettaient d'avoir une hydratation constante et modérée. Je fixais régulièrement le monitoring cérébral, en espérant y voir un pic d'activité qui pourrait me signifier que tu étais en train de te réveiller. Mais encore une fois, aujourd'hui, rien ne s'était produit.

Tu n'avais montré aucun signe d'éveil.

— J'ai trouvé ce livre en allant à la bibliothèque la dernière fois, avais-je dit à ton attention, en sortant ledit bouquin de mon sac en bandoulière. Il s'appelle : « Mes alliances : Histoire d'amour et de mariages », écrit par Élisabeth Gilbert. Je pense que tu dois connaître l'auteure, non ?

J'ai arqué un sourcil d'un air interrogateur, comme si je m'attendais à ce que tu viennes répondre à ma question.

— J'imagine que oui... bredouillais-je dans un haussement d'épaules. Mais je vais quand même te raconter de quoi ça parle.

Je m'étais raclé la gorge en prenant ce petit air sérieux, qui t'aurait sûrement fait rire si tu étais réveillé, après avoir mis mes lunettes pour accentuer mon attitude consciencieuse « en matière » de livre.

Cet ouvrage basé sur la mythologie grecque, et plus précisément sur le lien sacré des âmes-sœur m'avait particulièrement touché, car il y décrit le fameux Banquet de Platon, où Aristophane aborde le mythe qui explique pourquoi nous, les humains, sommes rongés par un intense désir de nous unir et pourquoi ces unions peuvent parfois être profondément insatisfaisantes, voire, destructrices pour certains d'entre nous. Aristophane va conter que jadis, il y avait les dieux dans le ciel, et les humains sur terre. Toutefois, nous n'avions pas l'apparence que nous avons aujourd'hui. Dans le Banquet, il est expliqué que nous avions une tête, possédant deux visages, ainsi que quatre jambes et quatre bras, décrite comme étant l'union parfaite de deux êtres (deux âmes-soeur), ne formant qu'un.

Il existait, à cette époque, trois variantes de genre (ou de sexe) : l'union homme/femme, l'union homme/homme et l'union femme/femme (selon ce qui convenait le mieux à chaque créature, à chaque âme-soeur). Nous étions des créatures parfaites et éperdument comblées d'être cousues à notre moitié et de ne faire qu'un avec elle. Nous ne désirions personne, nous étions heureux.

Nous étions un tout.

Cependant, Aristophane nous explique dans ce livre, qu'une seule et unique chose a fait rugir la colère de Zeus à notre égard. La raison étant que nous étions devenus des êtres insolents, nous permettant diverses choses en jouissant ouvertement de notre union parfaite. Et pour nous punir de cette négligence, le tout-puissant Zeus nous a infligé une des pires tortures : il vint découper par la moitié, uniquement les êtres à deux visages et à huit membres, incontestablement comblés. Faisant de nous, ce que nous sommes aujourd'hui : de misérables créatures divisées, ne possédant qu'un seul visage, deux bras, deux jambes, condamnées à vivre avec une pénible sensation d'incomplétude.

Après avoir lu ce livre, j'étais désormais convaincu que tu étais ma moitié, cette partie de moi qui m'a été impétueusement arrachée par Zeus lui-même. Je comprenais mieux d'où venait le mythe des âmes-soeur, de notre moitié perdue, séparée de notre corps à cause de notre fichue insolence.

Peut-être que vous trouverez cette histoire tirée par les cheveux, que ce ne sont que des conneries, mais pour moi, tout prend son sens dans mon esprit. Joshua est mon âme-soeur, et il le restera, même quand nous ne serons plus qu'un tas de cendres, parce que je sais que nous finirons par être à nouveau réunis parmi les étoiles qui habillent cette robe céleste.

— Est-ce que tu crois aux âmes-sœurs, toi aussi ? commentais-je, en me mordillant faiblement les lèvres pour retenir mes émotions, devenues encore plus sensibles avec le manque de sommeil.

Soudain, j'entendais la porte coulisser.

— Jaekyung ? m'interpella la voix de Jason. Mais tu viens tous les jours ici ?

— Oui, lui répondis-je, en me tournant vers lui. Je ne loupe aucun jour pour venir le voir. Tu es venu tout seul, aujourd'hui ?

Jason sourit, en secouant légèrement la tête.

— Non, je suis avec...

— Salut, Jaek ! le coupa subitement Brice, en entrant à son tour dans la chambre. Salut... Joshua... ajouta-t-il sur une intonation un peu plus basse.

Ce n'était pas la première fois qu'ils venaient te rendre visite dans cette chambre d'hôpital, imprégnée de cette affreuse odeur d'alcool et de désinfectant, mais à chaque visite, ils étaient toujours autant bouleversés de te voir dans cet état.

— Comment va-t-il, aujourd'hui ? questionna Brice, un brin hésitant.

Mes yeux se dirigèrent vers toi, et je me penchais faiblement au-dessus de toi, pour te retirer ces quelques mèches de cheveux camouflant tes paupières.

— Je trouve qu'il à l'air un peu mieux qu'hier, lui répondis-je dans un murmure, par peur de déranger ton sommeil.

Mes doigts glissaient sur ta joue, chancelant avec prudence sur la douceur de ta peau.

— Mais ce n'est pas encore tout à fait ça...

Jason fredonna, en contournant le lit pour se rapprocher de toi, avant de déposer un baiser sur ton front.

— Hey, ma poule... dit-il en souriant tristement. J'espère que tu vas bien, que le matelas est confortable quand même ? On est venus te voir, avec Brice, et comme d'habitude, Jaek est là pour veiller sur toi. À croire qu'il a peur que t'enfuis en courant d'un moment à l'autre.

Il gloussa, fier de sa connerie, et je ne pus m'empêcher de sourire à ses mots, car même dans ce genre de situation, il restait toujours le même.

— Ça ne m'étonnerait même pas que son cul ait fusionné avec le fauteuil et qu'il finisse par se transformer en vieille momie desséchée, commenta-t-il sur une nouvelle note de sarcasme, faisant souffler Brice, d'exaspération. Je sais qu'on n'a pas beaucoup traîné ensemble, mais dépêche-toi de te remettre sur pied, tu nous manques, Joshua...

S'il y a bien une chose qu'on doit retenir, c'est qu'on n'a pas besoin de connaître une personne pour y être très attachée, et c'était le cas de Jason et Brice.

— L'écoute pas, ce n'est qu'un idiot, intervint Brice d'une douce voix, tout en ajustant la couverture pour bien te couvrir, de peur que tu n'attrape froid. Mais ouais, on a hâte que tu te réveilles, Joshua... Il y a encore pas mal de choses qu'on n'a pas fait ensemble, notamment fêter Halloween qui approche à grands pas ! Puis, après, il y a les fêtes de Noël ! On avait prévu d'aller au bowling prochainement tous ensemble, mais on a décidé de garder cette idée quand tu seras sorti de l'hôpital. En attendant, continue de reprendre des forces, on sera là à ton réveil, on t'attend avec impatience, ma caille.

Ce n'était qu'un jour parmi tant d'autres, une répétition de mes allées et venues entre l'hôpital et mon domicile. Cependant, cette journée a été légèrement différente de par leur présence. Une faible altération avec cette difficile routine qui s'était installée dans mon quotidien, m'apportant un peu de baume au cœur et une soudaine vague d'espoir dans mes veines.

Oui, tu allais te réveiller. Oui, c'en était plus qu'une certitude, je le sentais au plus profond de mon être. Mais la question était, quand ? Puis, est-ce que je serai encore capable d'endurer une telle chose, deux-trois mois plus tard ? Est-ce que je serai à la hauteur, lorsque tu finiras par te réveiller ? Est-ce que je serai assez attentif à tes besoins, à ton écoute ? Est-ce que tu voudras encore de moi, après ton réveil ?

Toutes ces questions se bousculaient dans mon esprit, un tas d'incertitudes qui m'effrayait pour notre avenir. Il y avait tant de choses auxquelles j'aspirais, et qui me faisaient perdre la raison.

— Mais, je te promets que je ferai tout pour que tu ne manques de rien... pensais-je à voix haute en venant déposer un baiser sur ton front. Tout est prêt à la maison, Joshua. Il ne manque plus que toi, mon amour...

Je t'attendrai, qu'importe le temps qu'il faudra patienter.


La vie a poursuivi son cours, après cette nouvelle journée. Les jours étaient redevenus des semaines, et les semaines s'étaient terminées en mois. Un nouveau mois particulièrement rude à supporter. Entre les températures qui ont drastiquement chuté du jour au lendemain, nous plongeant dans une période froide aux allures monochromes ; les baisses de moral typiquement normales lors des derniers mois de l'année, mais qui sont généralement balayées par les festivités de fin d'année.

Cependant, aujourd'hui, elles ont un goût étrangement amer dans le fond de la gorge.

Gabriel et Connor m'ont accompagné pour te rendre visite. Trois mois et demi que tu étais plongé dans ce coma, me faisant perdre peu à peu la flamme qui s'était embrasée dans le creux de mon âme, et de mon espoir de te voir te réveiller, un jour.

Gabriel n'était pas au top de sa forme, aujourd'hui. Si tu le voyais dans cet état, je pourrai mettre ma main à couper que tu l'aurais engueulé pour qu'il se nourrisse correctement. Il avait les joues creusées, les cernes bleutées sous ses yeux irrités, à force de pleurer, formant des poches à en faire peur plus d'un. Il ne trouvait plus la force de se coiffer, se retrouvant avec des racines dignes d'une autoroute, séparant sa couleur de cheveux naturelle avec la décoloration qu'il avait sur les longueurs.

Je n'avais pas besoin qu'ils me parlent pour savoir qu'à la maison, ils devaient se disputer régulièrement, les nerfs tendus et l'irritabilité à son paroxysme. Nous l'étions tous, à un degré différent certes, mais nous étions tous de plus en plus affectés par cette situation qui n'en finissait plus.

Connor se portait assez bien de son côté, même si je ne le voyais plus aux séances de boxe. Il avait l'air « d'aller bien ». Mais je pouvais parfaitement lire sur ses traits, le manque de sommeil qui le rongeait, tout comme il me consumait de l'intérieur. Nous n'étions plus que des cadavres ambulants, plus communément appelés des zombies, à errer dans les couloirs de l'hôpital, en attendant qu'un miracle ne daigne montrer le bout de son nez.

Mes cheveux avaient poussé. Je pouvais presque les attacher en queue de cheval ou en faire un mini-chignon. Ce n'était pas par envie que je les avais laissés tels quels, mais plus par flemme de devoir les couper, considérant cette activité d'aller chez le coiffeur comme étant une corvée non prioritaire à mes yeux. Car ma priorité, c'était toi, Joshua. Et une fois de plus, mon fessier avait retrouvé son cher ami, qui n'était autre que le fauteuil de ta chambre. Il y avait littéralement la forme de mes fesses ancrée sur le cuir, montrant à quel point je passais toutes mes journées à ton chevet, oubliant de vivre à côté.

Parce qu'au fond de moi, je risquais de me trouver égoïste de profiter de la vie, alors que toi, tu étais coincé dans ce lit, piégé dans un coma que tu essayais sûrement d'en sortir.

— Bonjour, ma vie... murmura Gabriel, en caressant tes cheveux, qui eux aussi, ont beaucoup poussé. J'espère que tu ne souffres pas trop, que tu n'as pas mal quelque part en restant allongé dans cette position. Pour ma part... Ça va...

Il se tut quelques secondes, submergé par une soudaine montée de larmes.

— J'essaye de tenir le coup, reprit-il d'une voix fébrile. J'essaye d'avancer, mais c'est tellement dur sans toi, ma vie... C'est tellement dur sans t'avoir auprès de moi...

Il était épuisé mentalement, tout comme nous l'étions tous. Et c'était à cet instant qu'on se demandait si on allait réellement tenir le coup. Si on allait parvenir à tenir les promesses qu'on s'était faites, trois mois et demi plus tôt.

— Je suis désolé, Joshua, sanglota-t-il, en s'effondrant sur toi. Je suis désolé de ne pas être aussi fort que tu ne le pense... C'est beaucoup trop dur sans toi, s'il te plaît, réveille-toi, reviens parmi nous, je t'en supplie !

Les yeux de Connor s'étaient assombris de tristesse. Je le connaissais assez bien pour savoir que même s'il ne parlait pas, il n'en pensait pas moins à ton sujet, et à quel point tu lui manquait, à lui aussi.

— Aujourd'hui, on est le quinze octobre, commentais-je à ton intention, une main posée sur la tienne. Dans deux mois, on sera déjà à Noël... Je ne sais pas si tu réalises comment le temps passe vite. Hier soir, je suis retourné à la salle de boxe et j'ai, une nouvelle fois, percé le sac de frappe. Je crois que ça fait le neuvième en deux mois... Mais je ne m'entraîne pas de la meilleure des façons, je n'arrive plus à m'entraîner comme j'aimerai pouvoir le faire, parce que tu n'es pas là...

J'avais découvert ce qu'était le plaisir de partager une passion avec celui que j'aimais. J'avais pris conscience du bonheur que cela pouvait me procurer, quand la personne que vous aimez, vient vous voir jouer, vous soutenir, ou faire ce que vous adorez à vos côtés. J'y avais pris goût, et depuis que tu n'es plus là lors de mes entraînements, plus rien n'a la même saveur. Pas même les beignets fourrés à la pâte d'haricot rouge du Koriko Café.

— J'ai l'impression d'avoir perdu tous mes repères. Je n'arrive plus à rien faire, sans toi, ajoutais-je, en sentant ma gorge se serrer. Je n'arrive plus à dormir, je n'arrive plus à penser correctement. Même manger, c'est devenu une putain de corvée, mais je me force au quotidien pour tenir le coup. Pas pour moi, non, mais pour toi. Ça devient difficile, Joshua.... Trois mois et demi sans te voir sourire, trois mois et demi sans te voir rire ou me parler... Trois mois et demi sans pouvoir te prendre dans mes bras...

J'avais honte de te montrer cette partie de moi. De te dire tout ce que j'étais en train de te confier, mais on ne devrait pas avoir honte de traverser des moments de faiblesse, comme celui que j'étais en train de vivre. On ne devrait pas avoir honte de se dévoiler à nu et d'être vulnérable face à l'avenir qui nous était inconnu, sans possibilité de nous projeter dans de possibles éventualités.

— Peut-être qu'on t'en demande trop... ? Peut-être que tu as envie qu'on te laisse tranquille ?

— Jaek... ? chuchota Connor à mon intention.

Mes larmes s'étaient mises à couler.

— On est peut-être trop égoïstes à ne penser qu'à nous et pas à ce que tu veux, toi. Peut-être que tu n'as pas envie de te réveiller. Peut-être que tu te sens mieux ainsi... dis-je, en sanglotant contre ta main, que j'avais amenée à mes lèvres pour l'embrasser. Tout ce que je veux, c'est que tu sois en paix avec toi-même, Joshua, et... et peut-être que c'est désormais le cas, mon ange...

Je m'étais levé du fauteuil pour me pencher près de ton oreille et te murmurer, tant bien que mal, ces quelques mots :

— Je ne t'en voudrais pas, si tu veux partir... Je ne t'en voudrais pas, je te le promets. Si c'est ton choix, alors, je vais le respecter. Je t'accompagnerai jusqu'au bout dans ta décision... Je t'aime, Joshua, je t'aime tellement, mon amour...

J'avais accompagné mes paroles avec quelques baisers sur ta tempe, qui étaient humides à cause de mes larmes dévalant le long de mon visage, avant de s'écraser sur le tien. D'ailleurs, j'avais l'impression que tu pleurais, toi aussi, à cause de ces gouttes qui s'échouent sur ta peau, tels les vagues contre un rocher. Puis, j'ai réalisé, malgré ma vue brouillée par les larmes, qu'une perle d'eau s'écoulait du coin de ton œil, et dont j'étais certain qu'elle ne provenait pas des miennes.

Je sentais mon cœur s'emballer contre ma cage thoracique et ma respiration se couper quand mon regard était venu se poser sur le monitoring cérébral. Je n'étais pas médecin, certes, ni infirmier, cependant, même l'idiot du village pouvait parfaitement lire ce qui était inscrit sur cet écran, resté stable et silencieux depuis trois moi et demi...

— Jaekyung ? Tout va bien ? voulut s'assurer Connor, en voyant mes yeux s'élargir de stupeur.

— Joshua... Joshua, il...

Le médecin.

Il fallait à tout prix qu'on prévienne le médecin. Et c'était ce que j'avais fait, en lâchant subitement ta main pour me précipiter hors de la chambre, sous les regards médusés de Connor et Gabriel, ne comprenant rien à ce qui était en train de se passer. Il m'avait fallu approximativement cinq minutes avant de revenir dans ta chambre, accompagné de quelques infirmières et du médecin pour confirmer ce que j'avais vu quelques minutes plus tôt.

— Ça a bougé, je vous assure que j'ai vu les traits bouger... leur dis-je, en étant convaincu que je n'avais pas rêvé, que j'avais bien vu une activité cérébrale de mes propres yeux.

— Quoi ? s'exclama Gabriel, choqué. Tu es sûr de toi ? Tu as vraiment vu...

— Effectivement, le coupa le médecin, en fixant attentivement l'écran. Il y a bien un pic d'activité et il est régulier.

— Ce qui veut dire ? s'impatienta Gabriel.

— Ce qui veut dire que votre ami est dans sa phase d'éveil et...

Gabriel laissa un cri de joie s'échapper d'entre ses lèvres. Mais un raclement de gorge fit redescendre inéluctablement son état d'euphorie.

— C'est une très bonne nouvelle, oui, reprit le médecin dans un mouvement de tête optimiste. Cependant, vous devez savoir que les réveils de coma ne se passent pas comme si on sortait d'une nuit de sommeil. Cela n'a strictement rien à voir.

— Qu'est-ce qui va se passer, pour lui ? lui demandais-je, en ne te quittant pas des yeux.

— Une personne qui sort d'un coma va commencer à montrer quelques signes de réactivité. Tel qu'un mouvement de paupières, de doigts, ou de bouche. Il est rare qu'une personne sortant d'un coma parle dans l'immédiat et réagisse comme si elle venait de se réveiller d'une bonne nuit de sommeil. Autrement dit, la phase d'éveil est propre à chaque patient et peut prendre du temps.

Ça aurait été beaucoup trop beau si les personnes plongées dans le coma venaient à se réveiller comme si rien ne s'était passé, comme dans les films ou les séries. Je savais qu'on était encore loin d'être sortis d'affaires, qu'on avait encore beaucoup de chemin à faire, avant que tu ne sois officiellement de retour parmi nous.

— Dans tous les cas, au vu de son activité cérébrale, je vais essayer de le stimuler un peu plus, pour voir comment il réagit aux sons de nos voix et aux différentes stimulations sensorielles.

— Stimulations sensorielles ? répétais-je, confus, car je n'arrivais pas à me concentrer sur autre chose que toi.

— Oui, nous allons tester, sur les extrémités de ses doigts de mains et de pieds, s'il réagit à la douleur, en le piquant avec une petite aiguille. Pour le moment, il est encore trop tôt pour le faire, il n'est pas assez éveillé. Nous reviendrons plus tard dans la journée pour voir où il en est. Tout était chamboulé dans mon esprit, ne laissant aucune place à la réflexion.

Alors que je pensais que tout était fini, qu'il n'y avait plus aucun espoir, au point de t'autoriser à partir dans la paix, tu as choisi de te réveiller.  

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