𝟐𝟎. 𝐎𝐮𝐯𝐫𝐞-𝐦𝐨𝐢 𝐭𝐨𝐧 𝐜𝐨𝐞𝐮𝐫


Nous sommes assis, l'un à côté de l'autre, sur la bordure d'herbe fraîchement tondue, longeant le célèbre fleuve Han River, admirant chacun, d'une expression enfantine, le spectacle féerique qui se déroule non loin de nous. Le pont Banpo nous offre, à notre plus grand plaisir visuel, des jeux d'eau arc-en-ciel et de lumières, accompagnés de musique, nous faisant voyager, loin de la réalité, le temps d'un instant, malgré la brise fraîche de la nuit.

Horriblement frileux, je me protège comme je le peux avec la veste en cuir que Jaekyung m'a gentiment prêtée durant la séance de cinéma, tout en piochant par moment une part de pizza dans le carton disposé entre nous. Une pizza pepperoni, et une végétarienne que j'ai choisie et qu'il a validé sans hésitation, pour qu'on puisse se les partager à deux et éviter de faire du gaspillage, car nous avions rempli, un peu plus tôt, nos estomacs avec le grand seau de pop-corn.

Le crépuscule domine amplement le ciel, dépourvu de tout signe de nuages, nous dévoilant cette gigantesque et sublime robe étoilée, faisant pétiller nos prunelles d'émerveillement.

— C'est vraiment magnifique..., murmuré-je, ne pouvant m'empêcher de contempler cette beauté nocturne, ainsi que la Lune, plutôt de nature réservée ce soir, se montrant uniquement de trois-quarts.

— Ouais, tu as raison, c'est vraiment magnifique, confirme Jaekyung d'une faible voix, sans remarquer qu'en réalité, c'était moi qu'il regardait. Je n'ai jamais vu une aussi étoile briller de mille feux sous mes yeux.

— Laquelle ? demandé-je avec un brin d'excitation, mon regard bougeant de droite à gauche pour tenter de repérer dans le ciel, cette fameuse étoile.

Cependant, en guise de réponse, je n'entends qu'un simple gloussement de sa part, adorable, je dois vous l'avouer, et qui me fait tourner le visage vers lui, intrigué de savoir la cause de son rire.

— Qu'est-ce que j'ai dit de drôle ? dis-je, en mimant une mine confuse.

— Rien, rien du tout, me répondit-il d'un sourire charmeur, en amenant l'une de ses mains à mon visage, pour balayer quelques mèches de cheveux de mon front. Tu es adorable.

En prononçant ces derniers mots, il fait chanceler le bout de ses doigts le long de ma joue, m'arrachant quelques frissons et une faible rougeur sur le haut de mes pommettes, n'étant pas habitué par tant de douceur, par tant d'attention de la part d'un homme. Surtout quand la prudence de ses gestes contraste avec la musculature de son corps, à tel point que l'on puisse voir les veines ressortir le long de ses bras, et notamment sur le dos de ses mains.

Aurais-je un fantasme pour les mains veineuses ? N'est-ce pas étrange de sentir mes entrailles se tordre de désir à en admirant la beauté de son corps ? N'est-ce pas étrange, qu'un simple détail, aussi infime soit-il, provoque en moi un tel chamboulement ?

— Est-ce que tout va bien ? chuchote-t-il, ayant remarqué que je me suis quelque peu égaré dans mes pensées.

Je fredonne en guise de réponse, détournant le regard vers son visage.

— Je pense juste... à beaucoup de choses...

Jaekyung sourit.

— À quoi tu penses, exactement ? Tu veux m'en parler ?

Si tu savais. Il y a tant de choses que j'aimerais pouvoir te dire, sans avoir peur que cela ne me retombe dessus. Comme me libérer de ces fardeaux, devenus plus que l'ombre de moi-même, pesant lourdement sur mes pauvres épaules démunies, prêtes à céder d'un instant à l'autre, si un nouveau drame vient à s'ajouter sur elles.

— C'est compliqué... révélé-je, faisant jouer le bout de mes doigts les uns contre les autres. Je ne me suis jamais confié à quelqu'un d'autre que Gabriel... Tout simplement parce qu'on n'a jamais voulu m'écouter... Je...

Parviendrais-je à ouvrir mon cœur à cet homme ? Parviendrais-je à lui ouvrir les portes de ce que je protège le plus au monde ? Seul mon avenir le sait, si c'était une bonne idée, ou si je vais signer mon arrêt de mort. Mais peut-être que la mort serait la solution à tous mes tourments ?

Peut-être que je trouverais en elle, la...

— Joshua, si tu ne te sens pas encore prêt pour t'ouvrir à moi, ne te force pas à le faire, commente-t-il, en posant l'une de ses mains sur les miennes, dissipent les mauvaises voix dans ma tête. Je ne veux pas que tu te forces à faire quelque chose que tu ne veux pas faire.

— Je ne me force pas, lui réponds-je d'une voix troublée, prenant sa main pour caresser le bout de ses longs doigts.

Jaekyung se laisse faire, comprenant que j'ai besoin de ce toucher, pour canaliser mon anxiété.

— Quand j'essaie d'en parler avec mes propres parents, ils me répondent de me taire. Que j'en fais tout un drame pour si peu. Alors, qu'encore aujourd'hui, ces souvenirs me hantent et me font terriblement mal. Même pendant mon sommeil, là où je me crois naïvement en sécurité.

— De quoi s'agit-il ? questionne-t-il.

Le timbre de sa voix est étrange. Un mélange de douceur, et de colère.

— Qu'est-ce qu'on t'a fait ?

À sa question, je déglutis difficilement ma salive, sentant cette boule familière se loger dans le creux de ma gorge, me donnant la sensation de suffoquer. Tout ça, accompagné de mon cœur battant à tout rompre contre ma cage thoracique. Serais-je capable de revivre ces souvenirs à voix haute, comme si cela se produisait une nouvelle fois sous mes yeux, m'infligeant une torture visuelle et auditive.

Leurs voix font échos dans ma tête. Leurs moqueries, leurs méchancetés envers le pauvre garçon que j'étais à cette époque du lycée.

Un pauvre petit agneau égaré et apeuré, encerclé par une meute de loups affamés. Néanmoins, la pauvre petite bête que je suis devenue, est désireuse, au fond d'elle, de se montrer plus forte, et de ne plus trembler face à ses démons assoiffés de sang.

Je prends une grande inspiration.

— C'était au lycée... On venait d'emménager à Séoul avec mes parents. J'ai été transféré en milieu de scolarité dans un nouvel établissement. J'étais perdu, face à cette foule inconnue, et un groupe de jeunes garçons est venu me parler...

Jaekyung m'écoute, silencieux.

— Je pensais au début qu'ils étaient venus me voir pour faire connaissance, et peut-être devenir des amis Je ne voulais de mal à personne, mais, la différence sociale a fait que j'ai été pris pour cible, lui expliqué-je, serrant inconsciemment sa main dans la mienne. De là, ils ont commencé à me manquer de respect, à m'insulter. Mais c'était aussi ma première rencontre avec Gabriel, qui est venu prendre ma défense face à mes futurs bourreaux.

Ce détail me fait sourire.

— Durant toutes mes années de lycée, j'ai été pris pour cible par ce groupe d'individus. Ils me harcelaient sans cesse dans les couloirs du lycée, me poussant dans les escaliers pour que je tombe. Ils prenaient mon sac de cours pour en vider le contenu, parfois dans les toilettes, avant de tirer la chasse d'eau, et de tenter de me noyer dedans. J'étais tellement angoissé, tellement anxieux par les études, que je m'étais réfugié dans la nourriture, poursuis-je en sentant cette boule s'accentuer dans ma gorge. J'ai pris du poids assez rapidement, ce qui n'a fait qu'empirer le harcèlement que je subissais au quotidien.

L'air me manque, m'obligeant à marquer une pause pour éviter de m'effondrer. Les émotions me heurtent de plein fouet, submergé par les visions néfastes de mon passé. Jaekyung continue de m'écouter. Ses traits sont fermés, illustrant la colère et la haine s'accaparer de lui.

— Mais lorsque Gabriel était avec moi, ils m'évitaient. Car Gabriel était un vrai bagarreur et n'hésitait pas foncer dans le tas pour se battre, parviens-je à prononcer, en me rappelant le nombre de fois où il avait fini à l'hôpital pour des points de sutures. Mais un jour, il n'était pas là à mes côtés...

Un jour ancré à jamais dans ma mémoire.

— Que s'est-il passé, Joshua ? demande-t-il d'une voix grave. Qu'est-ce que ces sombres merdes t'ont fait ?

Respire. Tu es en sécurité.

— Ce jour-là, ils sont venus dans les vestiaires, après la séance de sport. Je détestais tellement mon corps, que je ne voulais pas me changer devant les autres. Alors, ce que je faisais pour éviter ça, c'était d'aller me cacher dans les toilettes des vestiaires pour être tranquille.

Je tremble. Les images de cette agression se déroulent sous mes yeux, comme si j'y étais, comme si tout ça ne s'était jamais arrêté.

— Ils étaient plus nombreux que d'habitude. Ils m'ont demandé de me déshabiller devant eux, de montrer mon corps, qu'ils jugeaient dégueulasse et gras. Je ne voulais pas, j'ai refusé. J'ai tenté de me défendre, mais ils ne m'ont pas laissé le choix. Ils m'ont attrapé les extrémités pour m'empêcher de bouger, pendant que l'un d'eux était venu déchirer mes vêtements, décrivé-je en sanglotant.

Soudain, mon corps heurte brusquement le sien. Jaekyung m'enlace fermement, mon visage blotti contre sa gorge. Ce geste, ce réconfort qu'il m'offre, brise un fragment de la carapace que je m'étais forgée, ces dernières années, délivrant à travers mes larmes une partie de mes fardeaux.

— Je criais pour qu'ils me laissent tranquille. J'ai cherché désespérément de l'aide, et ça a attiré l'attention des autres élèves, qui se sont contentés de me filmer, et de prendre en photo ce que j'étais en train de subir. Finalement, c'est le professeur qui m'a sauvé, tandis que dans la foulée, les images ont circulé dans tout l'établissement. Depuis, je redoute mon reflet, terrorisé à l'idée de me changer devant d'autres personnes. Je me déteste...

— Putain de bâtards de merde, l'entendis-je jurer dans sa barbe inexistante.

Son emprise se resserre autour de moi. J'entends les palpitations de son cœur contre mon oreille. Il bat vite, très vite, emporté d'une rage intense.

— Je suis tellement, tellement désolé que tu aies vécu de telles atrocités. Rien, ni personne ne mérite de subir autant de méchanceté gratuite.

Sa main de libre se glisse dans ma chevelure, je sens ses lèvres se poser contre mon front.

— Ce n'est pas tout. Mais je ne peux pas en parler tout de suite. Pas maintenant, bégayé-je contre sa peau, pleurant, reniflant et bavant, sans être capable de me contrôler.

— Putain, murmure-t-il, en me soulevant par la seule force de ses bras, pour m'asseoir sur ses cuisses, renforçant notre étreinte.

Je ne suis à cet instant, qu'une poupée de chiffon que l'on peut secouer et trimballer à sa guise. Le monde autour de nous s'est arrêté, silencieux. Il n'y a plus que nous, assis dans l'herbe, enlacé l'un contre l'autre, comme si nous ne faisions qu'un. Comme si nos âmes fusionnent. J'apprécie sans retenue la chaleur de son corps émaner de lui. Mes soubresauts persistent, mais qu'importe. Je me sens un peu plus léger mais pas encore libre, tel un oisillon qui vient pour la première fois de briser sa coquille.

Je renais.

— Tu es fort, Joshua, me dit-il dans le creux de l'oreille. Tu es incroyablement fort, tu...

— Je me déteste... l'interrompt-je dans un nouveau sanglot. Je me hais, je suis ignoble, je suis horrible. Je me déteste, Jaekyung !

Les mots m'échappent. Je crie ma souffrance, me souciant peu du regard des quelques personnes tenant à proximité de nous.

— Tu sais... J'ai déjà pensé à mourir. Je me suis dit que ce serait la meilleure chose à faire pour ne plus souffrir, pour être enfin en paix. J'en étais même venu à réfléchir aux différentes façons de me retirer la vie sans souffrir. Mais je n'avais encore jamais eu le courage de passer à l'acte.

— Joshua... murmure Jaekyung d'une voix brisée.

L'affolement est lisible sur ses traits, terrorisé par ma confession.

— Tu n'es plus tout seul, Joshua, reprend-il, en posant délicatement son front contre le mien. Tu n'es plus tout seul. Gabriel est là, je suis là, moi aussi. Tout comme Brice, Jason, et Connor sont là, eux aussi.

Ses mains se glissent sur mes joues, effaçant toutes traces de mes larmes.

— Ça ne va pas être facile, ça va prendre du temps, beaucoup de temps, mais on va y arriver. On va réussir à t'aider à surmonter toutes ces épreuves les unes après les autres, tous ensemble. Je te le promets, Joshua, que tu vas t'en sortir.

Je bois ses paroles. Elles sonnent comme une lueur d'espoir dans mon cœur.

— Ne te retiens pas de pleurer. Laisse sortir tout ce que tu as à l'intérieur de toi, chuchote-t-il. Pleure autant que tu veux dans mes bras, je serai toujours là pour t'épauler.

Il embrasse une nouvelle fois mon front, ses lèvres frôlant la naissance de mes cheveux. Je ne saurais comment vous décrire ce que je ressens. Tout est nouveau pour moi. Toute cette douceur m'était encore inconnue, mais la puissance de ce baiser, la signification qui se trouve derrière ce geste anodin, surpasse tout ce que j'aurais pu imaginer. Elles sont si chaudes et humides, comparable à du marshmallow fondant soigneusement dans du chocolat chaud sous votre palais. Tout est doux chez lui. Aucune de ses actions n'est déplacée ou brusque, maîtrisée avec prudence. Tout n'est que tendresse, et...

Amour.

— Hé, Joshua... Je ne sais pas à quoi tu penses actuellement, mais sache que je ne compte pas t'abandonner. Quoique tu puisses t'imaginer, tu peux toujours compter sur moi et te reposer sur moi quand tu en ressentiras le besoin, me dit-il sur un timbre de voix affectueux, comme s'il avait le pouvoir de lire dans mes pensées. Même si tu me repousses, même si tu doutes de moi, je ferais en sorte de balayer tes mauvaises pensées, pour que tu te rendes compte de la personne que tu es réellement.

Existe-t-il réellement ? Je ne suis plus certain de discerner les rêves de la réalité. Il est arrivé dans ma vie du jour au lendemain, comme un cheveu qui tombe dans la soupe, semant le trouble dans ce vaste océan. Il est à lui seul, tout ce que j'ai toujours désiré dans ma vie ; un homme capable de m'aimer tel que je suis. Et me voilà, assis à califourchon, sur ce qui ressemble à un rêve éveillé.

— Je ferai tout pour que l'étoile que tu es continue de briller à jamais dans mes yeux, ajoute-t-il, en me souriant.

Un sourire qui vaut plus que mille mots.

Je nage à travers les vagues, affrontant les tempêtes sans voir le moindre bout de terre à l'horizon, sans savoir jusqu'où l'avenir va me guider.

Mais s'il y a bien une chose que je sais, à présent...

C'est que tu étais mon rêve, et que tu es devenu une réalité, Jeon Jaekyung.


❃ ❃ ❃ ❃


Sur le chemin du retour, après cette fin de soirée bouleversante, seule la musique comble le vide dans l'habitacle. Ce n'est en aucun point un silence pesant, bien au contraire. C'est un silence reposant et relaxant, nécessaire pour me détendre. Je me laisse emporter par cette chanson, qui, si je ne me trompe pas, s'intitule Somewhere Only We Know, d'un groupe britannique nommé Keane.

Un endroit connu de nous seuls.

C'est une musique que j'affectionne particulièrement pour sa douceur mélodieuse, son rythme entraînant et délicat, mais aussi pour ses paroles, tant poétiques et tristes à la fois.

Un endroit connu de nous seuls, là où rien ni personne ne pourrait venir nous faire du mal, là où seulement toi et moi pourrons connaître tous les secrets de l'un et de l'autre.

Je ferme les yeux, l'espace de quelques minutes, mon corps s'alourdit sous l'effet de la fatigue. Les mouvements de la voiture me berce tel un enfant en quête de rêves, somnolent grâce au bruit du moteur.

— Joshua... murmure Jaekyung pour ne pas me brusquer. On est bientôt arrivés.

La déferlante de ces mots me heurte de plein fouet. Un frisson d'effroi et d'angoisse se répand dans tout mon être, à l'idée de rentrer chez moi, mettant officiellement un point à cette soirée, dont je voulais qu'il n'y ait jamais de fin.

— On... Est-ce qu'on peut encore faire un tour en voiture ? lui réponds-je, en posant mon regard brumeux sur sa personne. On n'a pas vraiment eu le temps de discuter tout à l'heure, à cause de...

A cause de mes traumatismes.

Jaekyung acquiesce d'un mouvement de tête.

— Tu sais, il y a des cafés qui sont encore ouverts à cette heure-ci, on peut s'y installer, si tu le souhaites ? me propose-t-il, en esquissant un de ces sourires. Cette soirée se terminera seulement quand tu le voudras.

Je ne veux jamais qu'elle s'arrête.

— J'aimerai boire un chocolat chaud, avec plein de marshmallows dedans, dis-je, en l'entendant rire à la suite de mes mots.

— Normalement, on boit ce genre de boissons en automne, ou en hiver, pas en été.

— Il n'y a pas de saisons pour ça... rétorqué-je d'une mine faussement boudeuse, détournant le regard vers la vitre.

— Tu as raison. Alors, allons boire ce fameux chocolat chaud débordant de marshmallows.

Il actionne le clignotant pour bifurquer à la prochaine intersection, en direction du centre-ville.

— Je connais un bon café, tenu par un ami à moi, qui fait les meilleurs chocolats chauds de la ville.

— Vraiment ? commenté-je avec un air émerveillé.

Jaekyung se met à glousser une nouvelle fois, secouant faiblement la tête, sans pour autant effacer ce sourire qui s'est étendu sur ses magnifiques lèvres. Au bout de quelques minutes de route, il coupe le moteur sur une place de parking, en face d'une jolie devanture éclairée par les différents spots, dont les néons dorés mettent en évidence le nom de l'entreprise ; Koriko Café, qui ressemble à une petite maison de campagne au bord de la mer. Un endroit dégageant une atmosphère particulièrement chaleureuse.

— Nous y sommes, déclare-t-il, en sortant du véhicule qu'il contourne, pour ouvrir la portière. Tu verras, je suis certain que tu vas adorer cet endroit.

— Et si ce n'est pas le cas ? questionné-je, en cherchant encore à savoir d'où me vient ce cet élan de confiance.

Jaekyung semble surpris par ma question. Cependant, c'est en m'accordant une nouvelle fois ce sourire charmeur, qu'il me répond :

— Alors, je devrais me rattraper inévitablement sur notre prochain rendez-vous, si tu souhaites évidemment qu'il y en est... il marque un temps de pause, me donnant l'impression qu'il appréhende ma réponse.

Un autre... ? C'était donc bien un rencard, j'en avais maintenant la confirmation. En même temps, qu'est-ce que je peux imaginer d'autre que ça ? Il y a encore dix minutes, j'étais triste, à l'idée que cette soirée se clôture. A présent, je saute intérieurement de joie et d'excitation, de me dire qu'il y aurait une prochaine fois avec lui.

Au fil des jours, je me suis habitué à sa présence, à ses messages, à ses mots. Je me suis habitué à tout ce qu'il m'offre sans rien me demander en retour. Seulement, mes craintes vis-à-vis de la solitude n'ont fait qu'augmenter, terrifié de me retrouver seul, chez moi. Terrorisé à l'idée de le perdre, un jour, intensifiant cette peur de l'abandon, développé par mes multiples traumatismes.

— Je serai vraiment ravi de t'accompagner à un autre rendez-vous... lui répond-je avec sincérité.

— Je te laisserai le choix d'un lieu que tu aimes, pour ce prochain rencard, dit-il sur un timbre de voix mélodieux, en me tendant sa main. Allons boire ce chocolat chaud.


❃ ❃ ❃ ❃


En pénétrant dans l'enceinte de l'établissement, je constate la présence deux-trois couples, installés à différentes tables, au fond de la salle, à faire des selfies, tout en riant et se câlinant chaleureusement autour de quelques boissons et petites gâteries, tels que des beignets en forme de chats, à l'effigie du film ; Kiki, la petite sorcière. D'ailleurs, toute la décoration intérieure du café fait référence à ce court-métrage, réalisé par les studios Ghibli.

J'en ai déjà l'eau à la bouche, malgré la pizza pepperoni et végétarienne que l'on a dégusté, quelques minutes auparavant, ce qui n'échappe pas à l'attention de Jaekyung, qui sourit d'attendrissement à mon égard.

— On peut aussi prendre du sucré, si tu veux, commente-t-il, en se penchant légèrement vers mon oreille. Prends tout ce qui te ferait plaisir.

— Prends aussi pour toi, Jaekyung, lui dis-je en retour.

— Bien sûr, mais la priorité ce soir, c'est toi, souligne-t-il d'un air sérieux.

Sur ses mots, il s'avance vers le comptoir, où se trouve un jeune homme, occupé à visionner des vidéos sur Tiktok.

— Salut, Jong-su, je vois que tu tiens là de bonnes habitudes.

Le concerné lève brusquement la tête vers lui, avant qu'un sourire radieux illumine son visage.

— Putain de merde, Jaek, ça fait un bail ! Comment vas-tu depuis le temps ? s'exclame-t-il, en posant son portable sur le rebord du comptoir. Qu'est-ce que je te prépare ? Un americano glacé, comme d'habitude ?

Son regard se détourne sur ma personne. Il m'observe de haut en bas, d'un air intrigué.

— Qui est-ce ? C'est ton petit-ami ?

Inévitablement, mon visage se teinte d'un rouge écarlate, à l'instar d'une écrevisse. En contrepartie, Jaekyung se racle la gorge, se montrant, lui aussi, quelque peu gêné par la situation.

— Non, abruti, ce n'est pas mon petit-ami. On...

— Oh ! Mais oui ! le coupe-t-il, une lueur flamboyante traversant son regard. Vous êtes en rencard ! Ça se voit tout de suite au visage de ton ami. Félicitations ! Qui va chez qui, ce soir ?

Attendez, pause. Qu'est-il en train de se passer ? Et comment ça se voit sur mon visage ? Moi qui pensait que Jason était le beauf originel, il n'en est rien comparé à ce mystérieux Jong-su, débitant plus vite que son ombre.

Je sens mon ventre et mes muscles se tendre. Mes doigts se touchent, grattant jusqu'à m'arracher la peau autour de mes ongles. Un sourire nerveux s'étire sur mes lèvres, cherchant du coin de l'œil le regard de Jaekyung, dans l'espoir d'apaiser le stress et les tensions que me procure ce sentiment de gêne.

Bordel, que quelqu'un ouvre le sol sous mes pieds ! Faites-moi disparaître ! prié-je intérieurement.

— Ferme-la, Jong-su, s'impatiente Jaekyung, sur un ton tout de même taquin. On n'est pas là pour subir un de tes interrogatoires de police.

— Désolé, défaut de famille, se met-il à rire. Qu'est-ce que je vous sers, du coup ?

Je reprends mes esprits, lorsque je sens l'une des mains de Jaekyung se poser sur le milieu de mon dos, pour y exercer une faible pression.

— Oh, pardon ! Je voudrais un grand chocolat viennois, avec des marshmallows, si possible, s'il vous plaît, lui demandé-je sur une intonation timide.

Son visage se décompose.

— Il vient de me vouvoyer ? commente-t-il d'une voix ébranlée. J'ai une ride sur le visage ? Jaekyung, je t'en supplie, dis-moi que je ne suis pas ridé ?

— C'est juste du respect, trou du cul, soupire-t-il d'un air amusé. Il ne te connaît pas suffisamment pour te tutoyer. Et prépare-moi la même chose, en mettant beignet à la pâte d'haricot rouge pour moi. Et toi, Joshua ? Qu'est-ce que tu veux prendre avec ta boisson ?

— Je vais prendre la même chose, merci.

— C'est noté ! Je vous prépare tout ça, vous pouvez déjà aller vous installer à la place que vous voulez. Je vous appellerai quand ce sera prêt, dit-il, en nous adressant un sourire, avant de se retourner pour préparer nos commandes.

— Merci, Jong-su, commente Jaekyung, en reportant son attention sur moi. Viens, on va se mettre là-bas, on sera tranquilles.

Il me montre du doigt l'emplacement idéal, près de la vitrine. Nous nous installons sur des chaises hautes en bois, et lorsque je lève le regard vers le plafond, je remarque que des plantes y sont suspendus, créant un cocon chaleureux, d'autant plus qu'une fine pluie s'est mise à voiler l'ensemble de la ville, rendant l'atmosphère rurale plus féerique.


❃ ❃ ❃ ❃


Mon chocolat viennois est généreusement recouvert d'une couche de chantilly, nappée par une fiche poudre de cacao. Mais je ne vois pas l'ombre d'un seul marshmallows. Peut-être qu'il les a oublié ? Nonobstant, je découvre bien plus tard, qu'ils ont été cachés sous cet épais nuage blanc, fondant délicieusement comme de la mousse sous mon palais, à chaque bouchée plus divine les unes que les autres.

Absorbé par cette boisson, réveillant les papilles gustatives, je finis par remarquer que Jaekyung me fixe, avec ce regard qui peut vous faire tomber amoureux en seulement quelques secondes.

— Je sais à présent que cette boisson est ta préférée, conclut-il d'une expression attendrissante. Qu'est-ce que tu aimes d'autres ?

Je souris, intimidé, sans savoir qu'une moustache de chantilly campe au-dessus de mes lèvres.

— Je ne suis pas intéressant...

— Tout de toi est passionnant, Joshua, me contredit-il.

Il sait comment s'y prendre pour déstabiliser. Toutefois, je n'ai plus peur de m'ouvrir à lui. Il ne me jugerait jamais pour mes goûts, mes passions... Du moins, c'est ce que j'essaie de me convaincre, car Ha-joon, lui, trouvait ça tellement ennuyant que je sois plus passionné par la littérature et la beauté des mots, aussi puissants soient-ils, selon le message que l'auteur veut nous transmettre, que par les jeux vidéo ou aller se foutre une mine pour se rendre intéressant.

— Tu trouves ça intéressant, que j'aime lire ? Je passe la majorité de mon temps à faire ça, quand je suis chez moi, ou dehors quand il fait beau, sur un banc dans un parc à côté de chez moi.

— Quel genre de livres ? questionne-t-il d'un air intrigué, tout en buvant quelques gorgées de son chocolat chaud.

— Un peu de tout, je dirais, lui réponds-je, en humidifiant mes lèvres, sans pour autant retirer cette fine couche de chantilly. Mais plus particulièrement de la poésie, car j'aime les poèmes et la douceur qui transporte.

Jaekyung esquisse un sourire.

— Ça ne m'étonne pas de toi, souligne-t-il.

Sans crier gare, je vois sa main s'approcher lentement de mon visage. Je ne bouge pas, curieux de savoir où elle va terminer sa course. Je sens son pouce effleurer mes lèvres, les caressant d'un geste prudent, sans me quitter des yeux. Je le laisse faire, alors qu'il s'attarde un instant sur ma joue, avant que la chaleur ne me quitte.

— Tu avais un peu de chantilly... Elle est d'ailleurs aussi douce que toi.

Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce cet étrange sentiment ? Pourquoi mon cœur s'emballe-t-il comme un fou contre ma poitrine à chacune de ses paroles, à chacun de ses gestes à mon égard ?

— Et toi ? Qu'est-ce que tu aimes ? lui demandé-je en retour, pour changer de sujet, tout en prenant une cuillère pour venir récupérer les marshmallows.

— Pour ma part, j'aime beaucoup faire du sport, dit-il, en croquant un bout de son beignet. J'aime aussi la musique, un peu trop d'ailleurs, puisque je joue de la guitare acoustique et que je compte apprendre d'autres instruments d'ici peu. J'aime aussi jouer aux jeux vidéos avec quelques-uns de mes amis. Je ne suis pas vraiment fan de littérature, mais ça ne me déplairait pas que tu me fasses découvrir ton monde.

En découvrir plus à son sujet est quelque chose qui me procure un certain sentiment de plaisance. Mais ses derniers mots chamboulent mon palpitant, déjà en effervescence devant cet homme, tout droit sorti de mon imagination. Puis, il reprend la parole, en me murmurant d'une voix aussi douce qu'une plume :

— Peut-être que moi aussi, je tomberai amoureux de ton histoire et de tes mots...

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