𝟐𝟖. 𝐒𝐞𝐧𝐭𝐢𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐝𝐞 𝐜𝐮𝐥𝐩𝐚𝐛𝐢𝐥𝐢𝐭𝐞
Jaekyung
— Avant de vous laisser l'autorisation d'entrer dans la chambre, je dois vous avertir que ce que vous allez voir peut être impressionnant, voir même vous choquer, nous prévint le médecin, chargé de ton dossier. Votre ami est actuellement plongé dans le coma, et nécessite l'appareillage de certains matériels, lui permettant notamment de respirer, ainsi que d'être hydraté et nourri durant cette épreuve.
J'écoutais attentivement ses paroles. Cependant, j'avais encore beaucoup de mal à réaliser que tu étais dans le coma. Certainement le manque de sommeil et le fait que mon cerveau s'était mis sur pause, car il était à présent huit heures du matin, lorsque le médecin est venu nous chercher dans la salle d'attente.
— Dans le coma ? répétais-je. Comment ça dans le coma ? Pourquoi ? Pourquoi ne s'est-il pas réveillé ? Vous nous avez pourtant dit que vous avez réussi à stabiliser son état !
Le médecin se pinça les lèvres, en bougeant légèrement la tête à mes questionnements.
— Je comprends tout à fait votre inquiétude, et je vais tout vous expliquer, suivez-moi, je vous pris, répondit-il, en faisant glisser la porte coulissante.
Mes yeux se posèrent sur toi, ou plutôt, sur tous ces câbles qui recouvraient l'entièreté de ton corps, et de ses machines, plus impressionnantes les unes que les autres.
Tu étais branché de partout. Pas un centimètre de ton épiderme, n'était pas couverte de sparadraps, de perfusions, de fils en tout genre — dont je ne connaissais pas encore leur utilité. Mais ce qui était le plus perturbant à mes yeux, n'était autre que ce tube, logé dans ta bouche, te permettant de respirer, maintenu par des sortes de lanières, faisant le tour de ta tête. Il y avait également cette chose insérée dans ton nez, et qui devait certainement t'apporter la nutrition dont tu avais besoin.
Le silence ne régnait pas dans cette chambre stérile. Elle était monopolisée par les sons produits par les monitorings, affichant ton activité cérébrale et ton rythme cardiaque, ainsi que les bruits du respirateur qui, je dois vous l'avouer, me rassurait, comme il me terrorisait.
— Votre ami...
— Joshua, rectifiais-je immédiatement, tandis que Gabriel s'approchait de son meilleur ami, silencieux. Appelez-le par son prénom, s'il vous plaît.
Il acquiesça.
— Très bien. Joshua a été en arrêt cardiorespiratoire durant plus d'une quarantaine de minutes, le temps de la réanimation. Ce qui n'est pas anodin sur les conséquences liées à son organisme.
— Qu'est-ce que vous voulez dire ? commenta Connor, se tenant derrière Gabriel, les mains posées sur ses épaules. Est-ce qu'il va avoir des séquelles ?
— Tout d'abord, il faut savoir que son cœur était très faible en arrivant dans nos services, ainsi que sa respiration, qui était anormalement basse, rétorqua le médecin, en s'avançant vers les machines qui entouraient ton lit. C'est la raison pour laquelle nous avons dû faire une intubation, pour l'aider à mieux respirer et lui permettre reprendre des forces durant la durée de son coma.
C'était insoutenable à regarder, et je n'aurais jamais imaginé que le service des soins intensifs pouvait être autant oppressant. Ce n'était pas qu'une simple hospitalisation après une opération, non, là on se trouvait derrière les portes entre la vie et la mort, car à tout moment, ton cœur pouvait cesser de battre.
Inévitablement, Gabriel s'était effondré en larmes sur ton corps. Entre la fatigue et toutes les émotions qui ont bouleversé son cœur, plus aucun d'entre nous n'arrivait à retenir ses sanglots, ainsi que son épuisement mental et physique.
— Vous n'avez pas répondu à sa question, docteur Lee, déclarais-je, en essuyant vainement les perles d'eau salées qui s'écoulaient le long de mes joues. Est-ce que Joshua va avoir des séquelles à son réveil ?
Un raclement de gorge provenant de l'homme me fit penser qu'il cherchait ses mots pour ne pas nous heurter, tout en sachant que la situation était particulièrement délicate et imprévisible.
— Pour pouvoir évaluer approximativement, si oui ou non un patient peut avoir des séquelles à son réveil, nous nous basons sur les résultats que le monitoring cérébral nous affiche juste ici, expliqua-t-il, en posant le bout de son index sur l'écran désigné. Grâce à ses résultats, nous pouvons établir un premier diagnostic, nous permettant de déterminer si le cerveau a été partiellement endommagé, ou sévèrement endommagé.
— Allez droit au but, s'il vous plaît, répliquais-je d'une voix ferme, en commençant à perdre patience. Cessez de tourner autour du pot.
— Eh bien, il y a effectivement un risque de séquelles quand on analyse son activité cérébrale, conclut le médecin qui, comme pour les secouristes, restait neutre au niveau de ses émotions. Mais ce que je peux ajouter, au vu des résultats, c'est que les séquelles ne devraient pas être très importantes.
Disait-il vrai ? Ne nous donnait-il pas de faux espoirs ?
— Elles ne devraient pas être très importantes ? répéta Connor, confus. Qu'est-ce que ça veut dire ? Vous n'êtes pas sûr de ce que vous avancez ?
En posant ces questions, il continuait de caresser le dos de Gabriel, penché au-dessus de toi, sanglotant dans le creux de ton cou.
— Nous ne pouvons pas répondre avec certitude, élucida-t-il d'un faible mouvement de tête. Malheureusement, nous devons attendre son réveil pour pouvoir déterminer l'étendue des...
— Dégâts ? le coupais-je, en détournant mon regard terni vers le médecin. Dans combien de temps va-t'il se réveiller ? Combien de temps devra-t-il rester dans cet état ?
Le Dr. Lee s'humidifia les lèvres d'un coup de langue, avant de déglutir, d'une manière marquée, sa salive.
— Je ne peux rien vous promettre en ce qui concerne ce sujet. Cela peut prendre quatre semaines, un mois, ou des années, pour la phase de son réveil. Puis, si jamais il parvient à reprendre connaissance, il ne faudra pas oublier qu'il y a l'étape de rééducation, qui peut prendre plusieurs mois également, pour réapprendre à marcher, à respirer seul sans l'aide de la machine. Mais aussi pour pouvoir manger et tenir les couverts seul, et cetera...
Je pensais que rien ne pouvait être plus pire que de t'avoir entendu sauter du pont, alors que nous étions encore au téléphone, à ce moment-là. C'était avant d'apprendre que tu pouvais mettre des mois, voire des années avant de te réveiller du coma dans lequel tu étais immergé.
Peut-être même que tu ne te réveilleras jamais. Car cela dépend de l'état mental du patient et de sa volonté à vouloir se battre pour sa vie.
Je commençais à douter de cet espoir, parce que tu as voulu t'enlever la tienne, ce soir-là.
Ne vous méprenez pas, je n'étais en aucun cas en train de le blâmer pour son choix, car je ne suis personne pour juger les décisions des autres. J'étais juste un peu pessimiste quant à l'idée de son potentiel réveil. J'étais désemparé de me dire que l'amour de ma vie n'allait certainement jamais rouvrir les yeux, et que je n'aurais plus jamais l'occasion d'admirer son magnifique regard.
N'étais-je pas un peu égoïste ? De ne penser qu'à ma petite personne, alors que tu étais coincé dans ce lit d'hôpital, et que ma priorité, était de me montrer fort pour toi, de me battre pour toi, te faire comprendre, de n'importe quelle manière, que nous étions là à tes côtés, à attendre, le temps qu'il faudra, ton réveil.
Mais surtout, qu'on ne t'en voulait pas pour la décision que tu avais prise, et qu'on ne t'en voudras jamais pour ça.
Car une telle situation de détresse peut arriver à n'importe qui, à n'importe quel moment au cours de notre vie. Tous les jours vous côtoyez des personnes qui vous sourient, qui rient avec vous, alors qu'au fond d'elles, c'est la mort qu'elles attendent. Que tout peut basculer d'un moment à l'autre, en une fraction de seconde. Nous rendant juste impuissant face aux étapes difficiles de la vie.
— Je peux comprendre que cette situation est très difficile pour vous, commenta le médecin d'une voix compatissante, en réduisant la distance qui me séparait de lui. Mais Joshua a besoin de vous. Il a besoin de vous savoir auprès de lui, pour pouvoir se battre. Il a besoin de sentir votre amour.
Je ne parvenais plus à retenir mes larmes. Mes jambes n'arrivaient plus à supporter le poids de mon corps, manquant de perdre l'équilibre face à ses paroles. Dans une telle situation, être optimiste et garder un semblant d'espoir était un état mental qui nécessitait beaucoup de courage, lorsque l'un de nos proches était pris entre la vie et la mort, juste sous nos yeux.
— Je vais à présent vous laisser en sa compagnie, ajouta le médecin, en nous accordant une petite inclinaison respectueuse. Je resterais à votre disposition, si vous avez la moindre question. Je tiens aussi à préciser que du personnel viendra régulièrement lui rendre visite pour vérifier que tout va bien, alors, n'hésitez pas à les solliciter, aux moindres doutes.
— D'accord, merci beaucoup, répondit Connor, en s'inclinant à son tour devant lui, avant que le médecin ne quitte la chambre, nous laissant dans cette pièce, dont le bruit des monitorings et des sanglots de Gabriel prirent à nouveau le relais, ne nous laissant aucunement dans le silence.
Je détaillais ton corps, qui était paisiblement endormi. Tes traits étaient détendus, et malgré cet appareillage, englobant une bonne partie de ton visage, tu n'en restait pas moins le plus bel ange que je n'avais jamais vu de ma vie. Tes cheveux étaient en pagaille, ébouriffés de tous les côtés, et je m'étais dit, à cet instant, que je devrais ramener une brosse à cheveux dans la journée pour te les démêler, et éviter que tu ne te retrouves avec des dreads impossibles à enlever.
Je m'étais rapproché de toi pour venir glisser, d'une action hésitante, ma main dans la tienne, et à travers ce geste, mes yeux furent immergés par une montée de larmes impossible à retenir, me noyant dans un torrent de sanglots.
— Sa peau est si chaude... avais-je murmuré, avant de me laisser tomber au sol, sans jamais lâcher ta main. Il est si chaud...
Connor se tenait au pied du lit, ses mains à présent posées sur tes chevilles, qu'il caressait lentement. Il était seul à ne pas avoir encore pleurer, et pourtant, il en avait terriblement envie. Ses lèvres vacillaient, ses mains tremblaient, et sa respiration était saccadée. Puis, l'inévitable se produit.
Il baissa la tête, versant silencieusement les larmes s'échouant sur les draps.
— Si j'avais pris ma voiture au lieu de partir en courant, j'aurais pu arriver à temps pour le sauver, j'aurais pu lui venir en aide plus rapidement, ajoutais-je, en culpabilisant d'avoir fait les choses dans le désordre. Je l'avais senti, je l'avais senti que quelque chose n'allait pas, qu'il allait se passer quelque chose...
— Ça suffit ! s'exclama Connor, en détournant le regard vers moi. Tu te rends compte de ce que tu dis ? Si tu avais pris ta putain de voiture, tout en l'ayant au téléphone, il te serait arrivé quelque chose à toi aussi ! Tu aurais pu avoir un accident à cause de ton inattention et tu serais soit gravement blessé, soit mort !
— C'est peut-être ce que je mérite pour ne pas l'avoir sauvé comme j'aurais dû le faire, rétorquais-je en toute franchise.
Je n'avais encore jamais vu cette expression prendre possession de ses yeux, avant qu'il ne s'approche de moi pour me gifler, me figeant instantanément sur place à cette action, que je n'avais pas vue venir. Mes yeux s'étaient soudainement agrandis et ma main de libre s'était posée sur ma joue, qui devait être aussi rouge qu'une tomate.
Il était blessé par mes paroles.
— Ne redis plus jamais ça ! prononça-t-il d'un air meurtri. C'est déjà assez dur pour moi de voir l'un de mes amis dans cet état. Alors, si en plus, il t'était arrivé quelque chose à toi aussi, je ne sais pas si j'aurais eu le courage ou la force de me relever.
— Connor...
Gabriel parlait pour la première fois.
— C'est la vérité ! s'emporta-t-il, le visage noyait derrière ses larmes. Si tu avais pris ta voiture, Jaekyung, je n'aurais pas perdu l'un de mes plus chers amis, j'en aurais perdu deux... Alors maintenant, tu vas te relever sur tes deux putains de jambes, et tu vas nous aider à faire en sorte que Joshua se rétablisse au plus vite. Qu'il sache qu'on est là auprès de lui, qu'il n'est pas tout seul.
Ce n'était pas la première fois que je voyais mon meilleur ami dans cet état. Pour la simple et bonne raison qu'il l'a déjà été pour moi, dans le passé, lorsque nous n'étions que des adolescents perdus dans les pensées de notre avenir, sans savoir où la vie avait décidé de nous mener. Cependant, la seule chose que j'ai su à ce moment-là, c'était que mes parents n'avaient jamais accepté mon coming-out, et que même encore aujourd'hui, ils refusent catégoriquement tout contact avec moi, par honte de qui je suis, de qui est leur propre fils.
Je m'étais retrouvé à la rue à l'âge de quinze ans la veille de Noël, avec pour seule compagnie mes deux pauvres petits sac-à-dos, qui contenaient le peu de vêtements que j'avais pu prendre en ma possession, ainsi que quelques affaires de douche, et mes cahiers de cours. Mes parents n'avaient pas daigné me donner un rond pour me nourrir, ni trouver un logement que j'aurais pu emprunter pour éviter que je n'aie à dormir dehors, en pleine période hivernale.
M'ont-ils seulement aimé ? Où m'ont mis au monde, parce qu'on nous rabâche sans arrêt qu'il faut faire des gosses. Mais à quoi bon faire des enfants, s'ils ne sont pas capables de les accepter tels qu'ils sont ? Comme s'ils s'attendaient à ce qu'on devienne des pâles copies d'eux-mêmes, reproduisant inlassablement les traumatismes intergénérationnels, sans nous laisser la possibilité d'exprimer nos pensées, nos choix et nos désirs. Chose que j'ai refusé de faire. Je n'ai jamais voulu devenir un fantôme pour entrer dans leurs cases, et encore moins effacer mes passions, mes envies, la personne que je suis, pour ne pas qu'ils me rejettent.
Bien au contraire.
Ce soir-là, j'ai trouvé refuge chez mon meilleur ami. Je n'avais pas d'autres endroits où aller, et je ne voulais pas mourir de froid à cause de ma fierté. Ses parents m'ont chaleureusement ouvert la porte, acceptant ma présence à leurs côtés.
— Jaek, je sais à quel point tu tiens à lui, reprit-il en se mettant accroupie devant moi. Mais maintenant qu'il est là, sous tes yeux, qu'il a partagé des moments avec toi, tu ne dois pas l'abandonner, tu ne dois pas cesser de te battre, pas après lui avoir ouvert les bras.
— Je ne compte pas l'abandonner. Mais serais-je capable de l'aider comme il se doit ? Est-ce que je vais réussir à lui apporter ce dont il a besoin ? lui répondais-je, le doute subsistant dans mes pensées, à me demander si je serais à la hauteur.
— Détrompe-toi, Jaekyung, commenta Gabriel d'une voix fébrile. Depuis que tu es entré dans sa vie, Joshua a changé, dans le bon sens du terme. Je ne l'ai jamais vu autant sourire, autant rire depuis que je le connais.
— Gabriel...
— Laisse-moi finir, s'il te plaît, me coupa-t-il, en se penchant vers toi pour déposer un doux baiser sur ton front. Je connais mon meilleur ami, pas à cent pour cent certes, mais je sais reconnaître quand il est heureux ou malheureux. Et avec toi, à tes côtés, je peux voir à quel point il est heureux, à quel point tu comptes pour lui. Tu as réussi à lui redonner goût à la vie.
— Tu parles comme si toi tu n'avais pas réussi, dis-je, confus.
Il sourit.
— Du tout, me contredit-il. Je sais que ma présence, que mon soutien l'a énormément aidé pour se battre, et à se lever tous les matins pour venir en cours, malgré ce qu'il subissait au lycée. Je sais que je lui ai apporté beaucoup de choses, et on en a d'ailleurs parlé, le soir où il s'est tapé la première et dernière cuite de sa vie. Il m'a reproché que je ne pensais pas assez à moi, que je m'étais effacé pour me consacrer entièrement à lui.
— Et qu'est-ce que tu lui as dit ?
— Que c'était faux, même si en réalité, il y a une part de vérité dans ce qu'il disait. Mais je ne regrette en aucun cas de m'être mis de côté, de m'être un peu oublié pour prendre soin de lui, répondit-il, tandis que sa voix commençait à vaciller, au fur et à mesure qu'il parlait. Je ne regrette rien de mes décisions, parce qu'il est l'une des plus belles choses qui me soit arrivée dans ma vie.
Gabriel ferma les yeux, certainement pour empêcher de nouvelles larmes de couler.
— Je sais aussi qu'il prenait certaines décisions pour moi. Un jour, il m'a fait la promesse qu'il irait mieux et qu'il me soulagerait d'un poids qui reposait sur mes épaules. Sauf que...
Il s'arrêta subitement de parler, en se mordant la lèvre inférieure.
— Il n'a jamais été un poids pour moi... Je n'ai jamais voulu qu'il me fasse une telle promesse... Il n'a jamais été un fardeau... Tu m'entends, Joshua ?
Ses mains se posèrent sur tes joues, espérant que tu l'entendes.
— Mon cœur, tu m'entends ? Tu n'as jamais été un poids pour qui que ce soit ! Je t'aime, je t'aime, alors réveille-toi, je t'en supplie !
Gabriel s'était mis à crier. Il était frappé de plein fouet par ses émotions. Connor se précipita vers lui, contournant le lit, pour le prendre dans ses bras, étouffant ses cris déchirants contre son torse. Le voir ainsi me brisait encore plus le cœur, car l'amour qu'il portait envers toi n'était pas un mensonge ou une quelconque invention de sa part.
Il était bien réel.
Gabriel t'aimait plus que sa propre vie.
Tu étais son monde, tout comme tu étais devenu le mien.
Pour l'éternité.
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