Chapitre 6 : Ce qui dépend de toi
La seule chose qui dépend de nous en ce monde est nos perceptions. Nous ne contrôlons pas les évènements de nos vies car nous ne sommes pas des Dieux. Cependant, en contrôlant la façon dont nous les percevons, nous pouvons choisir comment vivre. Ainsi, ne remets pas en question la sentence des Dieux. Demande-toi plutôt comment ta vie en sera affectée. Change tes perceptions.
Le train s'arrêta devant nous subitement. Soulevant dans son sillage la terre et la poussière. Cole avait un air solennel et se tenait aussi droit que pour une inspection militaire. Son visage semblait un peu... contrarié.
- Où allons-nous, Cole ?
-Arthur.
-Il faudrait choisir ! Je suis perdue moi !
Il me lança un regard amusé.
-C'est facile, l'une des seules personnes de ce monde qui m'appellent encore Cole a tenté de te violer.
-Mais je n'ai pas... Ah ! Je vois, en effet. Arthur.
Les portes de la locomotive s'ouvrirent devant nous. Je ne pouvais retenir mon admiration.
-Quoi, tu n'as jamais prit le train ? Me demanda Arthur, d'un air espiègle.
-En fait... techniquement, j'étais plus sous le train.
Il me lança un regard interloqué avant de prendre ma main pour me faire pénétrer dans le wagon.
-Longue histoire.
Notre compartiment était vide et silencieux. Et le train roulait sur la mer. Ainsi je pouvais percevoir le doux clapotis de l'eau accompagner notre trajet. Arthur était tourné vers la lumière émise par la fenêtre. Ses cheveux rouges semblaient presque naturels. Mais il y avait comme une ombre au tableau. Il semblait un peu... triste.
-C'est de ma faute n'est-ce pas ?
Cette interrogation le tira de sa torpeur. Il se tourna vers moi pour la première fois du voyage.
-Si tu retournes à cet endroit que tu voulais fuir, c'est ma faute n'est-ce pas ?
Il eut un petit sourire et frotta vigoureusement ses mains l'une contre l'autre. Puis il baissa la tête. Tous ces petits signes semblaient indiquer que j'avais vu juste.
-Ne t'en fais pas pour ça ! Je devais y revenir de toute façon.
-Je suis désolée.
Malgré ses lentilles je pus percevoir le trouble dans ses yeux.
-Pourquoi ?
-Tu ne sais pas quoi faire de moi hein ? Personne ne sait jamais quoi faire de moi de toute façon. Alors si tu veux juste... m'abandonner sur le bord de la route ou me tuer... fais-toi plaisir.
Tandis que je terminais ma tirade d'héroïne tragique, il me fixait avec incompréhension.
-Mais comment peux-tu dire ça, mademoiselle je-peux-t'étrangler-avec-mon-esprit ? Je veux vivre moi ! Et avec toi à mes côtés de préférence !
UH ?
Il me fit un franc sourire pour une fois, amusé par l'air choqué que je lui opposais. Mes mains étaient agrippées à la table, il en profita pour les saisir et s'allonger dessus. Il avait la peau... douce. C'était assez déconcertant.
Le paysage au dehors défilait à une vitesse assez impressionnante, permettant tout de même de l'observer. L'eau avait une surface irisée et délicate. Ici et là, elle était traversée de sillons, sûrement des créatures aquatiques qui venaient troubler le miroir d'eau. Arthur dormit pendant une grande partie du voyage. Paisible, il se frottait à mes mains de temps en temps avant de se rendormir profondément. Je résolu de m'allonger à ses côtés, terrassée par l'inactivité.
-Je pense qu'il serait bon pour moi de savoir comment ça fonctionne par ici.
Arthur, les yeux bouffis par le sommeil me toisa d'abord avec son sempiternel air d'incompréhension.
-C'est pas faux. Fit-il en baillant avec une élégance visiblement toute travaillée.
Il se redressa tout à fait et glissa sa main dans sa chevelure.
-Premièrement, il te faudra changer ton langage ainsi que tes usages. En quittant les campagnes pour la capitale tu pénètres un monde hostile et exigeant. Il se pourrait même que je n'aie plus le loisir de vous tutoyer.
Ce changement soudain me décocha un sourire quelque peu ironique. Ainsi ce monde était lui aussi en perpétuel mouvement, aussi versatile que l'âme humaine.
-Il n'a lieu pour vous de vous inquiéter. Face à vous se tient une jeune femme élevée dans le noble dessein de diriger un empire de la joaillerie internationale. Elle connait donc les eus et coutumes du faire paraître.
Ce fut au tour d'Arthur de sourire, ayant décelé dans mon ton quelque chose de peu innocent.
-Je vois que j'aurais peu à vous instruire.
Le train avait enfin quitté l'ondée et pénétrait dans les campagnes.
-Dans ce cas, quelle identité devrai-je endosser, puisque je ne viens pas d'ici ?
Il me fixa un instant, l'air pensif.
-Vous avez bien le profil d'une lady... cependant, les natifs du feu ne sont pas vraiment des aristocrates... Ils sont connus pour être parfois quelque peu... discourtois.
Cette remarque me fit hausser les sourcils.
-Natifs du... feu ?
-Oui, ceux qui sont blonds ou roux.
-Quoi ?
-Quel est ton signe astrologique ?
-Bélier.
-Les pires.
-Pardon ?
Il eut un petit rire ironique et joignit ses mains avec un air solennel.
-Les natifs du bélier sont des combattants. Je me fais justement passer pour l'un deux car c'est plus facile. On leur reproche leur impulsivité qui peut toujours se révéler être un atout dans certaines situations. Aussi on les voit rarement à la cour et dans les évènements mondains. Ce sera pour nous une circonstance avantageuse. Tu pourras ainsi te faire aisément passer pour ma sœur et je n'aurai nul besoin de te vouvoyer.
-Tu as une sœur ?
-Oui. En quelque sorte.
-Elle est morte elle aussi ?
-Non, aveugle. A Cause de moi.
Je ne pus m'empêcher de lui saisir les mains à nouveau pour lui témoigner mon soutien.
-Cet accident dont je t'ai parlé... il l'a rendu aveugle. Elle est encore jeune... elle est trop jeune... T'as quel âge toi d'ailleurs ?
- 17 ans... Baisse-moi ce sourcil.
-Fais attention, tu es en âge de te marier, tu seras beaucoup courtisée par des hommes et des femmes pas toujours très honnêtes. Fais attention.
Quelque chose me fit tiquer.
-Des femmes ?
-Qu'y a t-il d'étonnant là dedans ?
-De là d'où je viens... il est assez mal vu de... courtiser une femme... quand on est une femme.
Arthur fronça les sourcils.
-Donc tu n'aimes pas les femmes ?
-Si ! bien sûr que si ! J'adore les brunes !
-Attends, quoi ? Les brunes ? Pas les blondes ?
-De quoi tu parles ?
-ç a marche dans ce sens : la terre appelle l'eau et le feu, l'eau appelle la terre et l'air, l'air appelle l'air et le feu appelle l'air et la terre. C'est le cycle des éléments.
-MAIS. DE. QUOI. TU. PARLES ?
Arthur s'interrompit son dans son laïus pour froncer les sourcils tellement fort que ceux si menaçaient de faire la révolution pour réclamer leur liberté.
-Mais d'où viens tu ?
Cette question sonnait différemment de toutes les autres, comme si elle laissait sur son passage un écho fantomatique. C'était une question que je ne m'étais jamais posée, chose surprenante puisque ma vie pouvait se résumer à cela : me poser des questions. Mais une réponse commençait à me venir.
-Je viens d'un monde délicieusement imparfait où la vie est éphémère et le temps disloqué. C'est un monde construit sur un paradoxe, celui de l'éternité.
Arthur sembla rester un instant pensif.
-c'est poétique.
Il marqua une pause.
-Mais... C'est sensé vouloir dire quoi ? Exactement...
Et revoilà le regard du merlan frit... Il m'avait presque manqué. Sa petite tête me fit rire de façon un peu sarcastique.
-Je n'ai jamais compris le monde dans lequel je vivais car être conscient dans un tel monde relève presque de l'inconscience... C'est un monde où les extrêmes s'attirent et où la violence la plus gratuite côtoie l'innocence la plus pure. Où l'amour et la haine sont deux sentiments jumeaux. Où l'enfer est pavé de bonnes intentions. C'est un monde à première vue terrible mais cela dépend simplement de tes perceptions. Il y'a ce qui dépend de toi en tant qu'être humain. Et ce qui ne dépend pas de toi, simplement parce que tu n'es pas le seul être humain sur terre. Une fois que l'on apprend à lier ces deux phénomènes et à les gérer... tu peux enfin changer tes perceptions.
-Et toi, comment elles sont tes perceptions ?
-Chamboulées.
Je n'avait pas vu les paysages défiler, préoccupée par le souvenir d'un monde qui m'avait rejeté. Le contact soudain de l'eau gelée, dure comme du ciment me revint en mémoire. J'avais oublié cette sensation de noyade et la détresse de ce moment là. Une chute vertigineuse avait chamboulé mes perceptions, m'avait forcée à accepter l'idée que mon destin ne m'appartenait pas. Et aujourd'hui encore j'étais à la merci d'un homme qui m'était presque étranger mais qui avait dans son regard quelque chose de plus profond encore que l'océan.
-Toi, c'est quoi ton signe astrologique ?
-Cancer.
-C'est quoi leurs caractéristiques à eux ?
Il marque une pause pour réfléchir dans une position exagérément peu naturelle.
-Nous sommes des gens prévenant. Comme les crabes qui sortent sur la plage armés de leur carapace, nous avons un pied dans la mer, un sur la terre. Un avantage par rapport aux poissons. Nous sommes perdus dans le temps, quelque part entre passé et futur. Certain d'entre nous sont des visionnaires, d'autres de grands nostalgiques, attachés aux anciennes valeurs et aux traditions. Nous jouons aussi parfois le rôle de médiateur, ce qui nous place à un rôle médian dans la société. Grace à notre esprit d'analyse, les meilleurs d'entre nous deviennent des référents. Des inspecteurs, des subordonnés ou même des médiateurs.
-Je vois. Toi et moi on n'est pas trop fait pour s'entendre ?
Il eut un sourire de sphinx assez séduisant et plutôt énigmatique. Je ne l'avais jamais vu ainsi.
Le train entra en gare.
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