Chapitre 2: la théorie fallacieuse
En partant d'un simple mensonge, il est aisé de créer une vérité capable de changer la face du monde. On part donc du principe qu'un mensonge peut œuvrer pour le bien commun. Dans ce cas, est-ce qu'un mensonge qui devient une vérité reste un mensonge ? Minute papillon...
Ce que l'on perd une fois, ne peut être regagné. Cependant, les dieux, dans leur infinie omnipotence, peuvent compenser.
Ce que je venais de perdre, je le savais désormais, je ne pourrai plus jamais le retrouver. Il y a parfois ces choses que l'on sait parce que le destin vous envoie un signe qu'on ne peut pas simplement ignorer.
-Mais que ? Qu'est-ce que tu viens de... de vomir ?
Mon passé. Je crois que je venais de régurgiter mon passé. J'en étais même sûre. J'étais fille de joaillier et se trouvait sur le sol, à mes pieds, un topaze rayon de lune. C'était à mes yeux la plus belle pierre au monde et à l'époque où mon père semblait m'aimer encore, il m'appelait...
-Mon topaze... murmurai-je dans un soupir.
Mais je savais, au fond je savais la vérité.
Je levai un regard contrit vers Arthur car je ne pouvais faire autrement. Je ne pouvais pas avoir atterri ici par hasard. La fuite n'était donc pas une option.
-Selon toi, d'où je viens ?
Il afficha un air surpris en entendant ma question qui était bien évidemment rhétorique.
-Je viens d'un monde où je ne peux pas retourner. Tu me considères dangereuse ? Tant mieux pour toi, mais sache que si tel est le cas et que tu cherches à me supprimer, je saurai me montrer à la hauteur de tes appréhensions. Après tout, n'est-ce pas dans la nature de l'homme de vouloir survivre aux dépends des autres ?
Il avait le regard tourmaline bleue et je ne pouvais y lire qu'une infinie méfiance doublée d'une crainte, ma foi fort peu justifiée. Il semblait tenir palabre avec lui-même, ce qui, dans mon imagination donnait une scène tout aussi comique que pathétique.
Pendant ce temps, je ramassai la pierre pour la conserver et c'est là que je remarquai avec stupéfaction que je ne possédais pas de poches et qu'en plus de cela j'étais habillée comme une... une paysanne en robe de lin couleur taupe.
-Regarde moi, je suis vêtue d'une robe... on dirait... une cueilleuse de pâquerette qui en fait des couronnes ! S'il te plait quoi ! Je ne sais même pas où je suis ! Ou qui tu es ! Tu es peut-être un pervers ! Comme ton vieux !
-Oh! Oh! Oh! Oh! s'exclama t-il avec le charisme d'un centenaire incontinent se plaignant de la jeunesse. Ne me compare pas à cette raclure de poubelle ! Si je travaille pour lui, c'est bien pour rembourser mes dettes ! Rien de plus ! Je n'ai rien à voir avec ses trafics discutables !
Il était plutôt mignon avec les sourcils froncés, cela lui donnait quelques années de plus. Et ses cheveux immaculés rendaient son âge indéterminable, il avait cet air intemporel. Et il me dévisageait vraiment étrangement.
Après un long soupir, qui ressemblait plutôt au râle d'agonie d'un pépé Toufik en fin de vie, il se prépara pour me sortir sa grande tirade de héros aux prises avec le destin.
-Tu es vraiment chanceuse. Dans un sens seulement car tu n'es pas tombée sur le bon gars. Il faudra donc que je t'emmène avec moi. J'accepte, mais je ne veux...
-Essaye seulement de menacer et je te ferai avaler ta langue.
Ces mots eurent l'effet escompté. Enfin, pas tout à fait, car je voulais qu'il se taise. Pas qu'il s'étouffe littéralement avec sa langue.
Pour le coup, un râle d'agonie était le bienvenu, cela se serait accordé à merveille avec ses yeux exorbités et son visage qui se colorait de rouge. Je n'aurais pas du rire mais j'étais pliée tellement fort que je suis passée à deux doigt de l'accompagner dans la tombe. Ce fut au moment où il sembla lâcher son dernier soupir que je me rendis compte que je venais très certainement d'ôter la vie à un homme par la force de la pensée. Cette idée me fit l'effet d'un horrible frisson.
Et cela ramena aussi le jeune Arthur à la vie. Dommage.
Le temps de reprendre sa respiration, il me lança un regard assassin avec le mot « SALOPE » écrit en gras, en majuscule et en clignotant.
-Je suis désolée, murmurai-je en tentant de reprendre mon sérieux.
Notre relation était vraiment mal barrée.
-Ton nom.
-Quoi ?
-Ton nom.
-Lily.
Il ouvrit deux yeux ronds.
-Ce n'est pas commun comme prénom.
-Quoi ? Ahm bon ?
Ce dialogue de sourds commençait à tourner en rond : pour résumer : j'ai un prénom étrange et ce garçon est étrange. Le monde est petit ! Enfin, il était temps de sortir de cette pièce taupe qui commençait à agresser mes chakras.
-Est-ce que... est-ce qu'il y aurait des... pierres d'agates dans cette pièce ?
Décidément, Arthur devait me trouver particulièrement surprenante puisqu'il ne cessait de me regarder avec des yeux globuleux et un air hébété. Heureusement, le vieux pervers refit son entrée pour répondre à ma question.
-Tu es perspicace ma fifille ! Et toujours vivante... malheureusement....
-PARDON ?
Je pus percevoir un craquement quelque part dans la pièce, ce qui devait correspondre à l'état actuel de ma patience.
-Bref, les pierres d'agate procurent une stabilité intérieure, ce qui expliquerait pourquoi, alors que je suis livrée à moi-même, je suis d'une sérénité à toute épreuve.
Je me tournai vers le vieux crouton aux sourcils aussi épais qu'une serviette.
-Donnez m'en une pour que je m'en fasse un collier, je sens que ma stabilité intérieure ne va pas tenir longtemps.
-Ne te leurre pas d'illusions mon enfant, le déni n'est pas ce qui t'aidera.
-JE NE SUIS PAS TON ENFANT !
Toutes les pierres dissimulées un peu partout dans la pièce explosèrent simultanément et manquèrent de nous tuer tous les trois. Le vieil homme, fort de la leçon qui venait de lui être donné, s'empressa d'aller me préparer ma commande. Et Arthur... Que voulez-vous que je vous dise ? On ne change pas un merlan frit !
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Le bleu, ça ne me va pas au teint. C'est un fait. Kimono ou non, le bleu, ce n'est pas ma couleur. Le bleu, ça ne va pas aux rousses.
Enfin, après ça dépend mais personnellement, ça ne me va pas.
J'étais pourtant vêtue d'un coquet kimono bleu fleuri, très court, hein, sinon ce n'est pas drôle ! L'obi était d'un bleu clair qui tranchait avec la couleur bleue nuit du vêtement. Les longues manches étaient attachées par des cordes bleues tressées autour de mes bras. Et pour la première fois de ma vie, je crois, je portais des bas noirs sur des getas en bois.
Mais par quelle sorcellerie avais-je atterri au Japon ?
Arthur n'avait pourtant pas les traits asiatiques, mais après coup... le vieux... peut-être. On ne voyait rien avec tous ces poils blancs qui recouvraient son visage et lui donnaient l'air de se faire appeler le Vénérable Wu ou une bêtise dans le genre.
-Heureusement, j'ai toujours le kimono de ma sœur sur moi.
-Heureusement, j'ai appris à marcher avec ce genre de chaussures... Sens l'ironie dans ma voix petite fiente...
Je commençais à serrer nerveusement entre mes doigts le cristal d'agate en pendentif autour de mon cou en priant pour que je ne sois pas trop forte pour le briser. Cela pourrait avoir des conséquences vraiment... regrettables.
-Lily ?
-Arthur ?
Il prit un air solennel qui ne me plaisait guère.
-Est-ce que tu me jures ta fidélité et ta loyauté tant que nous serons ensemble ?
-Est-ce que j'ai le choix ?
J'avais l'insidieuse impression d'être en train de m'éveiller lentement et de découvrir que tout ce que j'avais vécu jusqu'alors n'avait été qu'un songe. J'avais vécu sous le joug d'une théorie fallacieuse selon laquelle j'étais Lily Hampton, héritière du grand empire de la joaillerie Lilithium. J'avais le sentiment d'être sortie d'un monde imaginaire. Car de là où je venais, personne ne savait, personne ne devait savoir que mon vrai nom n'était pas Lily et que ma seule identité était « expérience ». Personne n'aurait dû savoir que l'expérience ratée que je suis avait atterri ici par une forme d'ironie du sort.
Personne ne devait savoir que ma vie avait été depuis le tout début calculée, contrôlée, jusqu'à aujourd'hui. Mes yeux sont couleurs d'alexandrite et c'est une couleur qu'on ne trouve nulle par ailleurs. Mes cheveux sont d'opale de feu et ma peau change de couleur selon le soleil. Je ne suis pas une femme.
Je suis un mensonge.
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