Chapitre 23

JERICO

La température est agréable ce matin, Alec et moi courons depuis près de 2 heures, les sous-bois du domaine sont des terrains d'entraînement idéaux pour varier les exercices. Entre les passages sur sols instables dus à la boue, les flaques, les pierres d'apparences stables reposent en réalité en équilibre créant des surfaces saillantes, avec la capacité de se mouvoir sous notre poids. On varie nos courses en fonction des chemins que la nature nous offre au quotidien, cela nous permet de renforcer notre agilité, notre équilibre, nos réflexes, ainsi que notre cardio dans le but d'optimiser nos conditions physiques.

Savoir tirer avec tous types d'armes est nécessaire dans ce monde particulier, notre univers dérangé, un domaine atypique où règne violence, terreur, règlements de comptes, richesse et pouvoir. Et si vous êtes désarmé ? Que reste-t-il du soldat que vous êtes ? Qui prendra la peine de sauver la vie d'un homme qui supplie qu'on l'épargne sous la menace d'un ennemi plus chanceux ?

Moi je vais vous répondre. Personne. Car on ne peut pas se permettre de miser sur une âme charitable, de tout parier sur la défaillance du flingue pointé sur nous, ou encore de compter sur la chance.

Alors pour palier au risque d'un combat inégal, mes hommes et moi sommes physiquement capable de retourner une situation à notre avantage, il faut être conscient que les pièges sont courants, les ennemis redoutables, les menaces grandissantes mais il est primordial de garder à l'esprit, qu'un jour l'adversaire nous imposera un choix.. ce choix, cette putain de décision qui condamnera nos frères d'armes, notre famille, notre avenir.

C'est pour cette raison que j'ordonne une condition physique irréprochable, pour ne pas souffrir du regret, rongé par l'incertitude d'avoir donné le meilleur de soi même. D'avoir précipité la perte de ses camarades, d'être détruit par cette dernière pensée, qui nous traverse à l'instant où l'on succombe fatalement à notre destiné.

Une brise plus fraîche me reconcentre sur notre fin de course, le vent s'est levé et la pluie menace de s'abattre sur nous, la météo semble s'acclimater à nos humeurs ces temps ci. C'est essoufflés que nous arrivons à l'arrière du domaine, les gouttes de transpiration ruisselantes traversent nos tenues de sport, nous gagnons le bâtiment des chambres pendant que le domaine vit sous une effervescence journalière, tout le monde est à son poste, quand des crépitements de graviers nous alertent.

Ben trottine dans notre direction avec un vêtement à la main.

- Patron, le doc vient de me rendre la veste d'Elena qu'on avait oublié dans la salle de consultation. Je vous la confie, je dois retourner gérer les commandes pour les clients de la semaine.

- Merci Ben, le gratifié-je d'une accolade, je te fais confiance pour mener à bien ton travail.

- Comme toujours patron ! S'exclame t-il tout sourire en repartant sur le même rythme qu'il était arrivé

- Tiens.. il a fait tomber une enveloppe au passage, m'indique Alec en la ramassant, pff un vrai gosse qui perd ses jouets.

- Il reste un exemple dans les activités du domaine en tout cas, pas comme certains.

- Tu parles du petit jeune qui t'avait tiré dessus sous le stress ?

- Que.. quoi ? Mais comment tu le sais ? Le fixais-je sous la surprise de sa révélation

- Hum.. comme ça, annonce t-il mystérieux, j'ai mes sources.

- Alec revient !

- Je ne t'entends pas, je suis déjà parti ! Un rire enfantin comme autrefois empli les environs

- Je suis sérieux ! Dis-moi comment tu l'as appris ?!

- Tu lui demanderas lorsque tu pourras lui parler à nouveau ! S'engouffre t-il expressément dans le hall du bâtiment

- Mais Elena n'est même pas encore rétablie ! Répliqué-je, une fois la distance qui nous séparait réduite à quelques mètres

- ...

Le son de nos pas sur le carrelage devient inaudible, comme stoppé dans leurs élans les pieds d'Alec étaient rivés au sol, les miens ne mirent pas plus longtemps avant de les rejoindre. Alec pivota dans ma direction le regard chargé d'un mélange de malice et de trahison, puis me gratifia d'un sourire provocateur en me claquant le dos.

- Jerico, je n'ai jamais insinué que c'était Elena qui m'en avait informé.. rétorque t-il à voix basse, mais je suis ravi d'apprendre que vous vous entendez mieux.

- Hum.. donc je viens de me cramer tout seul..

- Jerico..

- Nan mais c'était sous le coup de la colère aussi, vous m'avez laissé comme un con.

- Jerico !

- Quoi ! Pas besoin de gueuler !

- Regarde.. la lettre, elle est pour toi.

- Pour moi ? Insistais-je le regard méfiant en acceptant la lettre qu'il me tendait

- Elle n'est pas à Ben, elle devait être dans une des poches de la veste d'Elena.

Et en cet instant, je ne percevais plus aucun bruit, une multitude d'informations traversaient mon esprit, toutes plus insensées les unes que les autres, pour quelle raison Elena m'avait elle écrit cette lettre ? Que contient elle ? A quel moment comptait elle me la remettre ? Avait elle pour idée de s'enfuir avec pour seules explications, une simple lettre ?

Regrettait elle notre rapprochement ? Parce que moi, je ne regrettais rien de nous.

Une seule façon d'en avoir le cœur net, un dernier coup d'œil à mon ami subitement silencieux, dont l'expression faciale était maintenant devenue sérieuse et craintive, face à la découverte de son contenu.

" Bonjour Monsieur Ridzonni,

Ou devrais-je dire Jerico, rien ne sert d'être trop formel suite à l'altercation que vous et vos hommes avez créé dans mon bar. Je n'en n'aurais pas tenu rigueur si vous n'aviez pas amoché mon fils, et dérangé mon business ce soir là.

Malheureusement, je suis quelqu'un de rancunier, je n'apprécies pas qu'un gamin tout juste capable de gérer une équipe et prochain successeur des affaires Ridzonni, me cause des emmerdes pareil.

De ce fait, il me fallait une mise en garde convaincante, et quoi de mieux que votre petite copine pour vous rappeler que l'on ne joue pas dans la même cour.

Alors pour régler notre mésentente je vous propose le 10 au soir, 20 heures, à l'entrepôt désaffecté situé aux alentours de notre domaine.

Vous passerez le bonjour à votre charmante tigresse, si elle fait toujours partie de ce monde. Au plaisir de vous rencontrer en personne."

Je garde une préférence pour l'arrogance de ma sublime brune ensommeillée.

L'auteur de cette putain de lettre n'est autre que le fils de pute qui a torturé Elena, les mots couchés sur le papier sont une invitation à combattre, une rébellion, une vengeance. Le prix pour la paix, afin de détenir enfin le respect mérité, pour celui qui ressortira vainqueur de cette confrontation sanglante.

Ma rage a transformé la lettre en un chiffon étranglé dans mon poing, je ne discerne que les battements de mon cœur qui cognent dans mes oreilles. Un goût cuivré se répand sur ma langue, la morsure que je me suis infligé me balance dans cette sombre réalité qu'est mon quotidien.

Une soif de vengeance m'anime pendant que je me dirige d'un pas déterminé vers ma chambre, cependant, une force extérieure me retient fermement par le bras.

- Qu'est-ce qui ce passe Jerico, bordel explique moi enfin ! S'agace t-il

- Le connard qui a orchestré l'enlèvement d'Elena désire faire ma connaissance.

- Il est complètement con ce mec, il est au courant que tu vas le descendre ?

- Pas encore, je compte le prendre à son propre jeu.

- Bon, accepte-t-il sans protester, et il souhaite faire ça quand ?

- Ce soir, à 20 heures.

- Mais on ne sera jamais prêts ! S'exclame t-il les yeux écarquillés, en tapotant le cadran de sa montre

- Ça tombe bien, je n'ai jamais suggéré de s'y rendre ensemble.

- Je viens avec toi !

- Non, ordonné-je d'une voix stricte, tu veilleras sur Elena et le domaine en mon absence.

- Ils seront armés et chez eux ! Tu as réfléchi à la possibilité de te faire buter ?!

- Je ne suis pas effrayé à l'idée de mourir seul.. cela fait-

- Ça fait partie des risques du métier, bla bla bla, mais Elena ?! Hurle t-il, tu y as pensé deux secondes ?!

- Développe ? Réclamais-je une explication, les sourcils froncés par l'incompréhension

- Comment est-ce que réagira le père d'Elena, s'il apprend que la mission de sa fille s'est soldé par l'assassinat du client sous sa protection ?!

- Je.. je.. Bégayais-je en prenant conscience de la gravité de mes actes

- Elle va être humiliée, maltraitée, violentée, abusée, rien n'est plus important que le respect et la réputation dans la mafia, et tu le sais Jerico.

- Ce fumier est loin d'être un idéal d'amour paternel. Craché-je de rancœur

Je n'ai pas peur de mourir, hors j'ai peur de la perdre, et savoir qu'elle serait dans la merde par mes agissements me rends fou. J'inspire profondément au moment où des souvenirs de nos premiers échanges traversent mes pensées, insolents, vulgaires, uniques. J'esquisse un sourire en coin quand je me remémore ses joues empourprées, la première fois où je l'ai surnommé, beauté.

- Alec.

- Oui ?

- Je veux toute l'équipe dans mon bureau d'ici 20 minutes, on a un plan à mettre en place.


Alec m'écoute attentivement, un large sourire mettant en évidence ses fossettes, avant d'exécuter mes ordres sans discuter. Un bref passage auprès d'Elena, afin de m'assurer qu'elle se porte bien et la journée reprend son cours, avec son lot d'inconvénients. 

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