Chapitre 21

JERICO

Je vais tuer quelqu'un.

Je tourne en rond comme un lion en cage, je fais les cent pas depuis hier soir, évidemment, je n'ai pas dormi, sa haine tapi dans l'ombre, Alec est aussi fou que moi, d'un naturel, imperturbable, toujours maître de ses émotions en toutes circonstances, hors à l'heure actuelle il est tout le contraire.

Fidèle à moi-même, je cogne un sac de frappe dans l'espoir vain d'obtenir prochainement des nouvelles de ma brune. Il est 7 heures du matin, la nuit fut étrangement courte, entre les recherches infructueuses dans les entrepôts désaffectés proches de la zone où sa voiture a été retrouvé la veille, les interrogatoires des témoins potentiels, l'analyse des traces de pneus présentes sur la route, et l'élimination des suspects figurants sur nos listes d'ennemis.

Mais qui serait assez inconscient pour s'attaquer aux Ridzonni ? Emettre la volonté de combattre mon cartel ? Être désespéré au point de s'abandonner aux conséquences de leurs actes. Ma vengeance impliquera une terrible agonie, qui servira de leçon aux individus qui tenteraient de me faire plier. Atteindre ma personne relève de la folie mais prendre pour cible un membre de mon équipe est tout bonnement hors de question.

Mon équipe fait partie intégrante de mon quotidien, elle est ma force dès lors elle devient ainsi fatalement ma faiblesse.

Elena est si discrète, tous ses faits et gestes sont calculés avec une précision effrayante, il faut bénéficier d'un bref échange en sa compagnie, la fréquenter puis l'observer au préalable pour savoir qu'Elena est redoutable. La brune détectera votre présence avant que vous ne doutiez de qui elle est réellement.

Une fois votre méfiance éveillée, votre destin est scellé, plus le temps de lui échapper, Elena élimine les menaces avec le même naturel qu'il vous faudrait pour respirer.

C'est une reine dans l'art de la manipulation, du camouflage, du combat et de la séduction. Il faut être au moins aussi fort ou intelligent qu'elle pour vous permettre ne serait-ce que de l'effleurer, alors qui a bien pu entreprendre de l'enlever ?

Un cartel voisin qui voudrait imposer sa domination ? Un groupe ennemi qui souhaiterait me voir périr ? Un chef à qui j'aurais causé du tort ?

Mais pourquoi s'en prendre à Elena, je ne comprends pas son implication dans cette histoire, pourquoi elle ? Connaissait- elle ses ravisseurs ? Trop de questions sans réponse se bousculent dans ma tête, je suis épuisé suite à ma séance toute la nuit durant avec ce pauvre sac, quand des bruits de pas captent mon attention.

- Alec ? Sondais- je l'état de fatigue de mon second, qu'est-ce qui t'amènes ?

- On a un problème.

- Je ne pense pas qu'on puisse faire plus grave que l'enlèvement d'Elena.

- Justement, ça concerne Elena, d'une voix mordante il s'approche de moi, si on récapitule les éléments à notre disposition, on sait qu'ils étaient plusieurs au moment de la kidnapper.

- Et qu'ils sont en position de lui tenir tête physiquement.

- Qu'ils n'ont aucun scrupule à blesser une femme.

- Et qu'ils ont découvert qu'Elena n'était pas une escorte mais bien un membre de ta garde rapprochée.

Putain la réponse est pourtant évidente.

J'étais tellement aveuglé par ma rage que j'en ai ignoré la principale cause de la présence d'Elena à mes côtés, évidemment qu'elle connaissait ses agresseurs, puisqu'il s'agit des hommes pour lesquels sa protection m'était requise.

Le clan des Onzini.

Ces fumiers ont compris qu'avec elle, ils ne pourraient jamais m'atteindre, alors ils ont dû préparer leur plan avec minutie et patienter d'une opportunité parfaite pour l'isoler.

- J'y vais.. grondé- je en bousculant presque Alec, ces connards vont avoir affaire à moi..

- Attends ! On n'est même pas encore sûr que ce soit eux les coupables !

- Ne me dis pas que tu ne les a pas accusé également, ton corps a réagi à l'instant où tu as fais le rapprochement, comme moi.

- Ce n'est pas une raison pour foncer dans le tas sans preuve valable, et si jamais c'était bien eux, on rendrait sûrement la situation plus dangereuse pour Elena en s'y pointant sans stratégie !

- Putain tu veux que je reste là tranquillement à patienter qu'elle nous revienne dans une foutue caisse en bois ?! Hurlais- je à plein poumon l'inquiétude qui m'envahissait. C'est ça ?! Alors ne compte pas sur moi !

- Elle est blessée Jerico ! Et si elle ne pouvait plus se défendre ?! Je décèle dans ses iris une crainte viscérale, sa voix n'est plus qu'un murmure lorsqu'il termine de s'exprimer. Tu y as réfléchi..

La réalité me frappe quand je réalise qu'il a probablement raison, une stratégie s'impose, je rebrousse chemin pour rejoindre Alec au moment où un de mes gars déboule en panique jusqu'à nous. Sa respiration est erratique tant il s'est précipité, il reprend difficilement son souffle avant de nous annoncer par coupure une nouvelle qui nous fait brutalement manquer un battement de cœur.

- C'est.. c'est Elena, patron, elle.. elle a été balancé.. devant le portail.. de la demeure..

Jetée sur le bas-côté ? Ma Elena ? C'est surréaliste, je ne parviens pas à comprendre leurs motivations pour la maltraiter ainsi, je m'élance en direction de la sortie suivi par Alec, dès lors mon gars me met en garde.

- Patron.. m'esquive t-il en rompant tout contact visuel, attendez que le médecin vous ait autorisé à la toucher avant de la déplacer.. elle n'est plus dans le même état qu'à son départ..

D'un hochement de tête imperceptible je le remercie, et reprends mon chemin, je n'ai pu m'empêcher de courir afin de me rassurer inconsciemment de sa présence et de constater amèrement l'ampleur de ses blessures.

La scène qui se joue en face de moi vient de briser à l'instant mes fondations, mon cœur devient encore un peu plus sombre qu'il ne l'était déjà, mes pensées quotidiennement embrumées dès lors qu'une certaine brune se trouvait devant mes yeux, sont à présent rythmées au gré d'une tempête menaçante. Mes dernières foulées me mènent au corps d'Elena qui gît au sol, seule, inerte, inconsciente, grièvement blessée, ces fumiers se sont débarrassés d'elle comme d'un vulgaire cadavre, son visage est partiellement tuméfié, son corps a subi plus d'attaques qu'il ne pouvait en encaisser, et ses vêtements sont dans un état déplorables. De la terre, de la poussière et du sang en parsèment la majeure partie, Elena s'est débattue c'est une certitude, elle a voulu défendre le domaine au péril de sa vie, elle n'a pensé qu'à sa mission, me protéger.

Mon attention n'a pas quitté Elena quand je remarque que mes hommes encerclaient son corps pour prévenir d'un potentiel retour de nos ennemis, un faible sourire au coin de mes lèvres survint, elle a gagné leur respect, elle fait partie de la famille à leurs yeux, tandis que les miens se concentrent à nouveau sur la femme qui se joue de moi en permanence.

Le doute m'assaille alors que je me retenais de réclamer la précision fatidique, je caresse délicatement sa joue, une tendresse qui m'est inconnu, je ne parviens pas à discerner un souffle ou quelconque mouvement de sa poitrine.

- Est-ce qu'Elena est encore en vie ? Posais- je enfin la question

- Patron..

- Oui ! Elle l'est ! S'écrie notre médecin accourant, accompagné d'un brancard, son pouls est extrêmement faible, mais il est bien présent. Cette pauvre enfant a survécu je ne sais comment à des tortures que je ne souhaite même pas imaginer.

Je déglutis, c'est moi qui aurais dû être à sa place. Le médecin installe Elena avec l'aide de Ben et d'Heliott sur son brancard, j'ordonne à Alec d'organiser les directives du domaine pour la journée, quant à moi je resterai au chevet de ma brune. Je lui assure que les informations lui seront transmis dès qu'Elena sera en état de se réveiller et en capacité de communiquer.

Réticent au début, il finit par accepter à contre cœur, je comprends ce qu'il peut ressentir, lui aussi s'est fortement attaché et rapproché d'Elena durant son séjour, je ne serais pas étonné d'apprendre que les deux complotent des crasses dans mon dos pour me faire payer certaines de mes réflexions à leur sujet.

Quand j'arrive devant la salle d'examen, le médecin me demande l'autorisation d'ausculter Elena, avec le soutien d'une infirmière, je ne réfléchis pas, j'accepte, il me précise avec bienveillance que l'infirmière va être dans l'obligation de la déshabiller afin de la soigner correctement. Je pince mes lèvres, je ne supporte pas le fait qu'Elena soit vulnérable dans ces conditions, chez moi, sous mon toit. Je respire un grand coup, passant une main sur mon visage et j'essaie de me résonner malgré la fatigue et la méfiance qui m'en empêche.

- Je vous en supplie, faites ce qu'il faut pour la sauver.

- Vous savez, avoue t-il calmement, sauver des vies, c'était déjà ma priorité avant d'en devenir mon métier, Monsieur Ridzonni.

Et sur ces mots, il me laissa patienter 3 heures, durant lesquelles l'attente fut interminable, je déambule le long du couloir, faisant les cent pas, ruminant dans mon coin, préparant mentalement mon offensive douloureuse, impitoyable, apathique, et violente. Je vais les faire souffrir, regretter, supplier, endurer les conséquences de leurs actes auprès de ma vipère. 

Le son d'une porte qui se déverrouille résonne à mes oreilles, le médecin se présente et je constate que ses gants sont maculés de sang, je ne peux me retenir de dévisager ces mains qui représentent le sacrifice d'Elena. Je n'attends pas plus longtemps avant de le dépêcher expressément de m'informer de la situation. Si j'avais su que le sang sur ses gants n'était rien face à la vérité qu'il allait m'annoncer, je me serais assis d'office.

- Monsieur Ridzonni, les informations que je vais vous transmettre ne sont pas réjouissantes, en effet, mademoiselle Delmorri a vécu l'enfer sur terre, son corps est tuméfié sur la quasi-totalité, sans oublier les deux plaies par balles au bras et à la cuisse gauche, les impacts ont par chance seulement perforé les tissues, sans faire trop de dégâts majeurs. D'autres entailles sont présentes, notamment au visage et aux bras provoquées par les débris de verres, certaines d'entre elles étaient profondes et ont nécessité que je les recouds. Elena a également reçu plusieurs coups d'une extrême violence au crâne, créant de ce fait de multiples commotions cérébrales, d'où le fait qu'elle soit inconsciente. Il va lui falloir énormément de repos si elle désire avoir la possibilité de retourner à ses habitudes.

- Merci de l'avoir examiné, le gratifiais- je sincèrement malgré ma voix grave, je vous en suis reconnaissant pour toutes ces années à nos côtés, de bons et loyaux services.

- Je vous remercie mais il reste encore une chose dont je dois vous faire part..

- Allez-y je vous écoute.

- Quand l'infirmière a tenté de retirer le pantalon de mademoiselle Delmorri.. comment dire.. il n'y avait plus de sous-vêtement, son intimité était directement dévoilée.

J'ai du perdre l'ouïe, car je n'entends plus rien, le regard dans le vide, la voix du médecin est un écho lointain, ses paroles ricochent contre mes pensées dans mon esprit, l'idée même qu'Elena ait pu être abusée, encore une fois, livrée à elle seule face à ces enfoirés me retourne l'estomac.

La rage me dévore de l'intérieur, corps, cœur et âme sont recouverts d'une épaisse couche de ressentiments qui les noircit, leurs offrants un aspect sinistre, ténébreux et dangereux.

Je ne retiens qu'une chose de cette journée et de l'absence d'Elena à mes côtés.

Meurtrière.


Les représailles seront définitivement meurtrières.

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