8 - Sturm
Cela faisait quatre nuits de suite, depuis son cauchemar, que Levi ne dormait pas - ou beaucoup trop peu. Il tournait encore et encore entre ses draps blancs. Ses songes tourbillonnaient dans sa tête et emportaient toute la fatigue qu'il pouvait bien ressentir. Une véritable tempête s'était installée dans son crâne, détruisant dans son sillage les étreintes de Morphée. Le brun songeait au titan qui avait saccagé son escouade, à Ackerman qui avait promis de l'aider malgré ce qu'il lui avait fait, à ce type qui avait assassiné les titans qu'ils s'étaient donné du mal à capturer. Il réfléchissait également à la signification de son rêve, s'il était possible qu'un titan puisse parler et ressembler à un singe. Le soldat n'avait jamais pris la peine d'imaginer les titans sous des formes autres qu'humaines, cela lui semblait logique. Comme le soleil qui faisait place à la lune, comme l'hiver qui succédait à l'automne, comme les étoiles qui disparaissaient à la lumière de l'astre solaire. Pourrait-il y avoir des chats géants, des écureuils titans ? Ils salissaient déjà partout, alors il n'osait imaginer les calamités que cela pouvait causer.
Il aperçut une faible lueur émaner de sa fenêtre. L'insomniaque se redressa, s'enroulant dans ses draps pour ne pas perdre la chaleur, et alla observer l'aube se lever. Il adorait ces moments où le jour faisait place à la nuit, où l'obscurité rencontrait la lumière. Il avait l'impression que ces instants étaient empreints d'une magie invisible à l'œil des êtres vivants. L'homme fut surpris d'apercevoir une silhouette féminine partir depuis le camp au pas de course, et il put deviner l'identité de la femme qui s'éloignait dans la brume. Ses cheveux noirs volaient au gré du vent et de ses foulées, et il observa Ackerman courir en pestant dans son coin. Il avait dit à cette idiote de se reposer. Elle devait avoir de sacrées courbatures avec leur séance de la veille, étant donné que son corps avait été forcé à l'inactivité. L'ancien assassin poussa un soupir et continua sa contemplation, observant sa silhouette longiligne se dessiner sous les rayons du soleil levant. Il quitta le rebord de sa fenêtre plusieurs dizaines de minutes plus tard. Le solitaire saisit un des paquets de thé qu'il avait et mit de l'eau à chauffer. Une journée qui ne commençait pas avec une bonne tasse de thé ne valait pas la peine d'être vécue. Il se posa devant son bureau, la théière et sa tasse reposant sur des sous-tasses en dentelle. L'amateur de thé caressa le bois sombre du bout des doigts comme il le faisait chaque matin. Il avait pris l'habitude de le faire avant de boire son thé, tout d'abord pour vérifier si la poussière ne s'était pas installée sur le meuble en bois. À présent, cela faisait partie de son rituel matinal.
Il prit le temps de quelques minutes pour savourer son thé, avant de poser son regard sur le tas de paperasse qu'il lui restait à faire. Le maniaque soupira, se maudit quelques instants d'avoir eu la superbe idée d'accepter sa montée en grade, et se saisit d'un stylo. Autant rentabiliser son temps.
***
La sportive s'installa à la table de son amie à l'appétit titanesque. Ses cheveux étaient encore humides même une heure après sa douche, et ils diffusaient autour d'elle une flagrance semblable à celle du citron et du thym. La brune salua ses amis d'un geste de tête général, et commença à manger avec entrain.
« Wow, tu as récupéré ton appétit Mikasa !
- C'est la reprise de l'entraînement, ça me galvanise. »
En effet, elle se sentait enfin apaisée après des journées remplies d'angoisse. Elle croqua dans un morceau de pain, pendant que les effets de la course s'agitaient encore en elle. Courir pendant l'aube lui avait manqué. La jeune femme adorait cette solitude, l'air frais, l'impression de faire la course avec le soleil. Voir les feuillages opalins des arbres être frappés par les rayons lumineux, observer la brume s'envoler, découvrir le monde chaque matin. C'était un moment qu'elle adorait, qu'elle se réservait à elle seule.
Elle écouta les discussions autour d'elle d'une oreille distraite. L'asiatique aperçut Eren à une table à côté de la leur. Elle se demandait si Armin avait eu l'occasion de lui parler de leur découverte de la veille. Son frère avait eu l'air si perturbé par la possibilité qu'Annie soit le titan féminin, que cette certitude allait peut-être briser quelque chose en lui. Elle le comprenait. Accorder sa confiance à quelqu'un et finir par être trahi était une sensation désagréable, qui coulait dans sa gorge tel un nectar acide. Comment savoir si l'Autre était digne de sa confiance ? Là était la principale question de son existence, à laquelle elle n'avait toujours pas trouvé de réponse.
Elle sentit une main se poser sur son épaule, ce qui la fit tressaillir. La soldate n'était pas friande des contacts physiques, alors dès le matin... Elle tourna la tête vers Jean, qui l'observait avec une intensité qu'elle ne lui connaissait pas. Il est vrai qu'elle n'avait pas eu l'occasion de lui reparler depuis l'expédition. Elle n'avait pas eu le temps de s'excuser pour sa conduite encore dangereuse, ni de le remercier pour l'avoir sauvée.
« Tu viens avec moi quelques instants, s'il-te-plaît ? »
Sa voix était enraillée, et son ton semblait trahir quelque chose de grave. Mais Mikasa n'arrivait pas à déceler d'autres indices sur le visage de son ami. Elle hocha la tête et s'éloigna du réfectoire avec lui, jetant un œil distrait à Christa et Ymir qui partageaient joyeusement leur petit-déjeuner, à gauche de la porte de sortie.
Ils parcoururent quelques mètres et s'arrêtèrent à deux pas d'une place vide. Personne ne semblait encore occuper le régiment. Ils devaient tous être en train de manger. La jeune femme n'était pas habituée au silence en la présence de Jean, et celui-ci l'angoissa un peu. Elle se sentit obligée de prendre la parole. La majore de la 104e brigade d'entraînement ne supportait pas de rester debout à ne rien dire, alors qu'il avait l'air de ne pas aller bien.
« Je n'ai pas eu l'occasion de te remercier pour l'expédition... Si tu n'avais pas été là, je serais probablement morte. Alors merci, et désolée pour mon comportement pourri.
- Justement, Mikasa... Cette semaine a été très éprouvante, pour moi. Te savoir enfermée, accusée d'un crime que tu n'avais pas commis... Ça m'a vraiment beaucoup énervé. »
Elle écarquilla les yeux, alors qu'il se retournait vers elle. Dans ses prunelles dansaient l'angoisse et le soulagement, la peur et la confiance, l'amour et la haine. La soldate avait l'impression qu'une tempête s'agitait sous son crâne, et qu'elle était impuissante face aux émotions de son ami. Elle ressentit le besoin urgent de l'aider, mais la brune ne sut quoi dire. Les mots restaient bloqués au fond de sa gorge, comme si cette tornade l'avait rendue muette.
« Alors j'ai pensé, beaucoup. Je suis content que tu sois sortie. Je ne t'en veux pas pour ton empressement. Je me serais probablement précipité, si c'était toi qui avais été en danger.
- Jean... »
Elle cligna des paupières plusieurs fois. Lui, oscillait entre regarder le sol et la fixer de longues secondes, sans trouver de juste milieu. Son interlocutrice n'osait pas interrompre son flot de paroles, de peur qu'il ne s'arrête et n'étouffe dans ses émotions qui semblaient déborder.
« Je veux te protéger, Mikasa. Pas seulement en tant que camarade, ou ami. J'aimerais être avec toi dans tous les petits moments de tous les jours... Te protéger, te chérir... T'aimer. »
Ses yeux s'écarquillèrent pendant que des rougeurs apparaissaient sur les joues du jeune homme. Elle crut que son cerveau venait de disjoncter. Voulait-il vraiment dire cela ? Ou était-il seulement maladroit ?
« Euh... Je t'aime beaucoup aussi, Jean... Tu fais partie des personnes que je veux protéger.
- Non, pas comme ça. Je t'aime tellement que je pourrais mourir pour toi. Je t'aime tellement que tu pourrais me demander tout ce que tu veux, je le ferais... Je t'aime comme Christa aime Ymir, Mikasa. »
La concernée perdit ses mots. Son cœur paniqua quand il l'observa avec tant d'intensité. Comment pouvait-il l'aimer ? Elle était froide, têtue, incroyablement compliquée. Elle vit dans son regard à quel point il était sincère, et nerveux. Ackerman ne pouvait pas lui mentir, mais elle ne voulait pas le blesser. Comment pouvait-elle ne pas le faire souffrir, dans cette situation ? Elle prit une grande inspiration avant de se lancer.
« Jean, je suis, comment dire ? Surprise par tes sentiments. Cela me touche que tu aies tant d'estime pour moi...
- Il ne s'agit pas d'estime, mais d'amour.
- Oui... Mais Jean, je suis désolée, je ne partage pas tes sentiments. Tu comptes énormément pour moi, et tu es devenu l'un de mes rares amis... Je suis désolée de ne pas pouvoir t'offrir davantage. »
Il baissa la tête, et elle crut voir s'ajouter, dans la tempête qui s'agitait dans son regard, la tristesse. Le miracle de l'humanité voulut le prendre dans ses bras pour le consoler, poser sa main sur son épaule en guise de réconfort, comme il l'avait fait si souvent pour elle. Mais elle n'osa pas, se demandant si c'était une bonne attitude à adopter envers quelqu'un qui venait de se faire rejeter. Le plus grand redressa son regard vers elle, et le faux sourire qu'il lui adressa lui brisa le cœur.
« D'accord, merci d'avoir écouté mes conneries. Au moins, je te l'aurais dit avant que l'on crève.
- Jean...
- Je n'ai pas besoin de ta pitié, Mikasa. J'avais besoin d'une seule chose, que tu ne peux pas me donner... Ce n'est pas grave. Je vais survivre. »
Le jeune homme passa à côté d'elle pour rejoindre les autres dans le réfectoire, la laissant seule sur la place vide. Son regard se perdit sur les dalles asymétriques. Elle se sentait à la fois si triste et gênée, perdue, confuse. Comme si la jeune femme était perchée sur la cime d'une montagne escarpée, et qu'elle venait de découvrir qu'elle avait peur du vide. Elle qui ne vivait que pour protéger les siens, elle venait d'en blesser un. La soldate se sentit nulle, indigne de l'amitié et de l'amour de Jean. Elle décida de lui emboîter le pas et de rejoindre Sasha, avant qu'elle ne finisse son plateau.
Il n'avait rien perdu de la scène. Levi ne pouvait pas voir le visage de la jeune femme, mais il avait clairement reconnu le genre de regard qu'avait eu Kirstein. Son poste d'observation n'était formé que d'une petite fenêtre qui donnait sur un des couloirs de l'étage. Le haut gradé s'était interrompu lorsqu'il avait vu deux imbéciles seuls sur la grande place, et était resté par simple curiosité. Hanji lui aurait sûrement rétorqué qu'il était la plus grosse commère du régiment, mais elle avait quelques niveaux de plus que lui dans ce domaine.
Sortaient-ils ensemble ? Le brun se perdit dans ses songes, alors que la place était devenue vide. Cela expliquait leur proximité qu'ils avaient eu lorsque Kirstein avait ramené la jeune femme blessée, pourquoi celui-ci l'avait suivie et protégée... Pourquoi il avait tant tenu à avoir un droit de visite, à ce qu'elle soit libérée. Son cœur se serra doucement, comme si l'on pinçait son muscle cardiaque pour limiter l'afflux de sang. Puis, le caporal secoua la tête dans le vide, tentant de chasser ces pensées.
« Levi, tu fais encore ta commère ? »
Il étouffa le rire qui naissait dans le fond de sa gorge. Il ne se savait pas muni d'un don de prémonition. "La commère" se retourna vers son amie, qui n'avait pas l'air d'aller trop mal, malgré ses pertes d'hier.
« Ferme-la, lunettes de merde.
- Roh t'as encore une tête affreuse, ça fait combien de temps que tu n'as pas dormi ?
- C'est mon putain de problème. »
Elle leva les yeux au ciel. Les deux amis se dirigèrent vers le réfectoire, comme tous les matins depuis des années. Et comme tous ces autres matins, elle lui exposait ses théories folles qu'il n'écoutait qu'à moitié. Des camarades manquaient, d'autres étaient apparus. Erwin avait déjà fini son café noir avec un demi-sucre. Le major attaquait à présent sa tartine garnie de miel en les observant.
« Que vas-tu faire, vu que tes sujets d'expériences sont morts ? »
La scientifique accusa le coup. Le désespoir creusa ses traits fatigués, mais elle se reprit et adopta une expression moins torturée.
« Je pensais essayer de faire des expériences avec Eren et son consentement, évidemment. Ce sera peut-être même encore plus intéressant que celles faites avec les autres.
- D'accord. J'espère que tu arriveras à trouver quelque chose. J'ajouterai dans le programme de Jäger au moins deux heures avec toi en soirée, tu en feras ce que tu voudras. »
Hanji lança un sourire de remerciement au blond et entama son petit-déjeuner. La salle commença à être bruyante, et ce brouhaha assourdissant noya les discussions banales que ses camarades avaient à présent. L'enfant des souterrains posa sa main en dessous de son menton pour soutenir sa tête, et balaya la pièce du regard. Quelque part, dans cette pièce, un traître mangeait à leur table. Ses yeux se posèrent sur la table des brigades spéciales. Même lorsqu'ils mangeaient, ils puaient le dédain. L'observateur fut attiré par un mouvement dans la salle. Arlert se leva pour quitter la pièce, et Ackerman le rattrapa bien vite. Sa hâte d'aller à la rencontre de son ami lui mit la puce à l'oreille. Puis, il se fustigea mentalement. Ces derniers jours, elle était beaucoup trop dans son champ de vision, et il tombait sur elle par hasard. Seulement par hasard.
« Armin ! »
Le blond se retourna dans le couloir fait en pierres grises. La lumière du jour mettait en valeur les joints insipides et ternis par le temps. La jeune femme arriva à son niveau, anxieuse. Sa discussion avec Jean l'avait distraite de leur mission actuelle.
« Tu as parlé avec Eren ?
- Pas encore, je vais d'abord aller parler au major. Je vais l'attendre devant son bureau, là.
- D'accord. Alors dès que je les croise, je parlerai à Berthold et Reiner. J'espère juste tomber sur eux au moment où Annie ne sera pas là.
- Elle n'est pas du genre à les coller, tu n'aurais vraiment pas de chance si cela arrivait. »
Elle hocha la tête. La journée était consacrée, pour la plupart des groupes, au nettoyage de certaines parties du régiment. Elle avait entendu Connie se plaindre du fait qu'il était assigné aux écuries, et Sasha lui avait offert un bout de sa pomme pour lui donner du courage. L'asiatique vagabonda dans les couloirs, consciente que les autres soldats étaient encore au réfectoire pour la majorité. Mais elle n'avait pas vu les deux soldats qui l'intéressaient. Ainsi, elle déambula dans le régiment pendant des heures. Pour renforcer sa patience, la combattante se convainquait qu'elle vérifiait les zones à nettoyer.
Aux alentours de onze heures, elle abandonna ses recherches pour aider Sasha dans le bâtiment qui stockait l'équipement général du bataillon. Celle-ci jouait la comédie et faisait semblant d'être épuisée, et son cinéma la faisait doucement rire.
« Oh Mikasa, je te lègue mon dernier steak, mon oreiller ainsi que ma collection de flèches...
- Sasha, tu as survécu aux titans, une serpillière ne va pas t'achever...
- Mais c'est LA serpillière ! L'originelle ! La première de toutes les serpillières ! Son pouvoir est immense, et m'affaiblit déjà... »
La comédienne fit semblant de s'écrouler sur le sol encore mouillé, poussant un dernier soupir exagéré. Mikasa se concentra sur les joints qu'elle nettoyait à la brosse à dents ; et faillit exploser de rire face aux bêtises de son amie. Elle tenta de se contenir et prit la voix la plus autoritaire qu'elle put :
« Sasha, tu vas devoir repasser la serpillière là où tu es, tu exagères !
- Adieu... Mon amie. »
Et la mangeuse de patates lâcha la serpillière qui l'éclaboussa au passage, lui faisant pousser un soupir indigné. La victime des éclaboussures prit l'originelle serpillière dans ses mains et la posa sur la tête de son amie, qui ressuscita très vite pour la jeter à l'autre bout de la pièce.
« Traîtresse ! Souiller ainsi le corps de ton amie, morte pour te protéger du complot des produits ménagers !
- Oh, mais je ne voulais que transmettre les pouvoirs de la première serpillière à ton corps pour te redonner la vie, et cela a marché. »
Sasha l'observa avec des yeux ronds, et elles explosèrent de rire ensemble. Cela faisait une éternité que Mikasa n'avait pas ri avec Sasha. Avec l'expédition, les deux amies n'avaient pas eu la tête à dire de telles inepties. La brunette, par son habile bêtise, réussissait à faire rire le miracle de l'humanité pendant que tous les autres y échouaient. Elle ne savait pas pourquoi, ne voulait même pas y réfléchir. La taciturne se sentait juste bien avec elle. Elle pouvait être elle-même, et cette dernière remerciait la mangeuse de patate pour cela. Les relents de son angoisse semblaient s'être évanouis, à présent. Elle se sentait sereine, apaisée. C'était peut-être une bonne journée, finalement.
« Vous avez de la chance que ce soit moi qui soit tombé sur vous, les filles. Allez, remettez-vous au travail avant que le caporal Levi ne débarque et vous oblige à récurer tout le bâtiment. »
La voix posée de Mike les fit sursauter. Il s'avançait tranquillement dans le couloir, marchant sur le sol qu'elles venaient de laver. Sasha se releva précipitamment, récupérant au passage la serpillière originelle.
« Reçu ! »
Sasha se remit au travail silencieusement, alors qu'elle continuait à nettoyer les derniers joints du couloir. Le grand blond passa le pas de la porte derrière elles, et une fois qu'il fut assez éloigné, elles se regardèrent pour ricaner de bon cœur. Au même moment, la soldate aperçut les silhouettes de ceux qu'elle avait cherché toute la matinée, et son cœur rata un battement. Elle posa la brosse à dents dans le sceau rempli d'eau trouble.
« Désolée Sasha, j'ai vraiment besoin de faire quelque chose d'important. Ne t'en fais pas, je reviens dans pas longtemps.
- Quoi ? Tu abandonnes encore ton poste ? Déserteuse ! Amie indigne !
- Fais attention à la serpillière, elle pourrait tenter de se venger... »
Sur ces mots, elle s'élança au fond du couloir, en prenant garde à ne pas salir leur travail. Elle entendit son amie grommeler au loin. Pour se faire pardonner, Mikasa lui donnerait son dessert, la prochaine fois qu'il y en aurait. Elle déambula dans le labyrinthe fait de couloirs et de passages. Les bruits de pas et la voix des deux hommes guidaient son chemin. À côté d'elle, les portes brunes défilaient les unes après les autres, identiques dans leur austérité. La sportive arriva à les rattraper après qu'ils aient quitté le bâtiment pour pénétrer dans celui qui renfermait les bureaux des hauts gradés. Elle se sentit reconnaissante face à ce hasard, car cela lui ferait moins de détours à faire avant de rejoindre Sasha et de finir leur travail. De toute manière, cette dernière devait se rendre au réfectoire à présent, pour ne pas à travailler seule.
Les deux soldats se retournèrent vers elle, surpris par sa présence. Berthold l'observa d'un air étonné, alors que Reiner lui adressa un sourire enjôleur.
« Tiens, Mikasa. Tu viens nous tuer, nous aussi ? Il paraît que tu es le titan féminin. »
Le brun lança un regard plein de sous-entendus à son ami, qui l'ignora royalement. La jeune femme ne savait pas trop si elle appréciait le blond ou non. Il était parfois adorable, parfois insupportable. Elle avait l'impression qu'il abritait deux personnes totalement différentes en lui, et cela lui donnait une dimension incompréhensible et imprévisible qui la troublait. Néanmoins, il s'était érigé en tant que grand-frère de la 104e brigade d'entraînement, et il avait sauvé Armin...
« Si je suis sortie, c'est que je ne le suis pas. Je voulais vous parler d'Annie. »
Le plus grand fronça les sourcils et réagit au quart de tour.
« Qu'est-ce que tu lui veux ? »
Ses yeux s'écarquillèrent devant sa réaction. En effet, elle avait toujours apprécié Hoover pour son calme et sa gentillesse, il lui faisait penser un peu à Armin. Les deux hommes avaient l'air tendus. Était-ce en lien avec leur dispute de la veille avec la jeune femme ? Le brun la fusillait du regard, alors que Reiner semblait troublé par ses paroles.
« Ne réagis pas comme ça, Berthold. Désolé, il est sur les nerfs en ce moment. Que veux-tu savoir sur Annie ?
- Vous venez du même village qu'elle, si mes souvenirs sont bons.
- Exact.
- Est-ce que, du jour au lendemain, elle a déjà eu un comportement étrange ? Guérissait-elle plus rapidement que la normale ? »
L'enquêtrice vit les épaules carrés du blond tressaillir, alors que ses yeux se plissaient sur elle. Le brun jeta un regard paniqué vers Braun, qui déglutit avant de lui répondre. Leurs réactions étaient étranges. La jeune femme sentit son cœur accélérer. Elle pouvait sentir l'odeur du danger planer dans la salle, mais elle ignorait si cela provenait d'eux ou d'elle.
« Non, rien de tout ça. Pourquoi ces questions ?
- J'avais juste des doutes... Certains éléments portent à croire qu'elle pourrait être le titan féminin. »
Elle sentit le regard des deux soldats peser sur elle. Une certaine nervosité s'empara d'elle. La soldate sentait de l'hostilité provenir d'eux, mais elle s'interdit de ressentir une quelconque peur. Elle était bien plus forte qu'eux au corps à corps. Si cela dégénérait, l'asiatique pourrait les gérer rapidement. Alors pourquoi son ventre s'agitait-il comme cela ? Son instinct lui murmurait de déguerpir le plus vite possible, que ces deux-là étaient beaucoup plus dangereux qu'elle ne le pensait.
Le petit rire de Berthold interrompit ses pensées.
« C'est ridicule, voyons ! Annie, un titan ? Ce serait la meilleure ! Elle est trop renfrognée pour ça.
- Mikasa, je comprends que tu cherches à trouver un coupable, après avoir été accusée à tort. Mais tu te trompes de cible. »
Elle tressaillit lorsque la large main de Reiner s'abattit sur son épaule, dans une accolade qui avait l'air tout sauf amicale. La brune n'allait rien tirer d'eux. Au contraire, leurs réactions semblaient amplifier les murmures qui s'étaient insinués dans ses rêves depuis quelques temps. Annie n'aurait pas pu être seule. Quoi de mieux que deux complices venant du même endroit qu'elle ? Après tout, les titans qui avaient détruit Shinganshina étaient deux. Une paire efficace, destructrice, mortelle. Jamais l'un n'apparaissait sans l'autre.
Elle se sentit nauséeuse.
« D'accord, merci pour tout. J'avais quelques doutes, mais je suis heureuse de voir que notre amie ne nous a pas trahis. Merci de m'avoir rassurée.
- Mikasa, attends. »
La dénommée s'immobilisa. Le regard doré de Reiner la transperça. Elle n'arrivait pas à déterminer quelles émotions passaient dans ses yeux. Il avait l'air imperméable aux sentiments, immunisé contre les remords. Il n'avait pas l'air humain.
« As-tu partagé tes soupçons avec quelqu'un d'autre ? »
Son cerveau ne put s'empêcher de matérialiser le visage d'Eren et d'Armin. Son cœur s'emballa, de peur qu'il ne leur arrive quelque chose.
« Non, je voulais en parler avec vous pour m'assurer de son innocence. Je sais ce que cela fait, d'être accusée à tort, et je ne le souhaite à personne.
- Bien. »
La peur lui tordit l'estomac lorsqu'elle passa entre les deux hommes, qui la lorgnèrent. La combattante avait l'impression soudaine d'être enfermée dans une cage qu'elle avait construite de ses mains. Elle devait prévenir Armin, et vite. Quelle idiote, elle aurait dû écouter ses doutes avant de faire une telle connerie. La jeune femme s'éloigna d'un pas pressé vers les escaliers, qu'elle gravit en courant. Avec un peu de chance, elle arriverait au bureau du major avant qu'ils ne doutent d'elle.
Ils étaient donc trois, peut-être même davantage ? Pourquoi Annie avait-elle l'équipement de Marco ? Peut-être avait-il découvert tout ça, et ils l'avaient tué. De leurs mains, ou ils l'avaient donné en pâture à l'un des titans. Mais pourquoi avaient-ils laissé Eren reboucher le mur ? Les marches semblaient se multiplier au rythme de ses foulées. Pourquoi avaient-ils tué les titans de Hanji ? Avaient-ils peur qu'elle ne découvre un point faible, un indice qui pourrait les incriminer ? Sa tête semblait être assiégée par une tempête. La fuyarde fut soulagée de voir la porte menant au même étage que le bureau du major, et l'ouvrit avec une hâte qu'elle ne se connaissait pas.
Le temps sembla ralentir. Derrière la porte, elle aperçut le visage austère de Reiner Braun qui la toisait dans sa course. Elle frissonna d'effroi lorsqu'elle aperçut les lames de son équipement tridimensionnel sorties devant elle. Le blond avait dû l'utiliser pour monter plus vite qu'elle. Sa proie prit un appui sur le côté pour esquiver son attaque, mais il en lâcha une, la plus éloignée d'elle. La jeune femme ne put s'empêcher d'observer la lame tomber au sol, alors qu'une douleur aiguë saisissait son abdomen. Elle poussa un gémissement de douleur, alors que Reiner l'embrochait sur la porte. Son souffle se coupa face à la souffrance qui se répercutait dans tout son corps. Elle observa Berthold, sur le rebord de la fenêtre, qui fixait son ami d'un air désespéré.
« Putain Reiner, Marco ne t'avait pas suffi ?
- Elle est trop maligne, elle aussi. On a eu de la chance qu'elle se soit dirigée vers le major, et que personne d'autre ne soit au courant. »
Les prunelles dorées de l'homme la détaillaient avec une lueur malsaine. Elle eut un haut-le-cœur, et cracha quelques millilitres de sang qui coulèrent sur son menton. Son corps tremblait, elle se sentait faible, impuissante, bonne à rien. Pas assez forte pour prévenir les autres. Pas assez douée pour les sauver. Le caporal aurait-il réussi ?
Son camarade retira doucement la lame de son abdomen, ce qui la fit crier de douleur. Elle pouvait sentir l'acier déchirer ses tissus et ses vaisseaux sanguins. La brune pouvait sentir ce trou béant qui décorait son ventre. Elle tomba au sol, s'étalant dans la flaque de sang qui commençait à se former. La blessée lança un regard au-dessus d'elle, et vit son frère d'armes l'observer avec un sourire sardonique, qui déformait les traits de son visage glabre.
« Désolé, Mikasa. Sois mon petit miracle à moi, et meurs rapidement. »
Les deux traîtres s'élancèrent alors vers la fenêtre. Elle sentit l'odeur du gaz qu'elle utilisait, jadis, pour s'envoler comme eux. Elle se fit la réflexion que le caporal Levi allait la tuer pour avoir salopé le couloir comme ça. La soldate eut la force de tendre sa main devant elle, tentant de ramper jusqu'à l'une des portes ; mais le rouge qui décorait sa peau diaphane la paralysa. Le rouge. Mikasa détestait cette couleur, même si elle la portait chaque jour. Alors elle allait mourir comme ses parents, baignant dans son propre sang ? Elle étouffa un rire alors que ses oreilles bourdonnaient. Le mur gris commençait à s'assombrir.
Elle ne devait pas mourir, elle ne pouvait pas mourir. Pas avec ce qu'elle savait.
L'héritière des Ackerman ne pouvait pas laisser ses camarades en danger.
Le visage du caporal Levi prit toute la place dans sa tête, comme l'œil d'un ouragan. Ses deux iris gris la toisaient avec une expression agacée. Elle avait tenu sa promesse de trouver qui avait tué son escouade. La jeune femme espérait qu'il trouverait ceux qui l'ont tuée, eux aussi.
Sa main retomba mollement sur le sol, alors que les ténèbres l'engloutissaient.
Elle préférait largement le noir au rouge.
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