6- Versprechen


Cela faisait quatre jours que Mikasa était dans cette pièce. Quatre jours qu'Hanji menaçait Levi pour qu'il la fasse sortir. Quatre jours qu'on lui cassait les couilles.

Le caporal soupira en s'affalant sur sa chaise, devant son bureau. Il avait donné l'autorisation à Eren de voir sa sœur, mais était un peu anxieux de la finalité de cette rencontre. Et s'il l'aidait à s'échapper ? Peut-être que l'enlèvement de Jäger était leur plan depuis le début. Le soldat prit une gorgée de thé noir et observa le liquide onduler dans la tasse. Cette situation ne donnait rien. Erwin voulait des résultats rapides, mais pour le moment, il n'avait rien à lui présenter. La jeune femme avait continué de scander la même version avec ferveur, et l'enfant des bas-fonds commençait à être convaincu par cette rengaine haineuse. 

Cette constatation eut l'effet d'un pincement au cœur. Il ne voulait pas qu'elle le déteste. Après tout, elle avait tout son respect pour ses compétences et sa bravoure, même s'il doutait de ses bonnes intentions et de sa véritable nature. Malgré tout ce dont il l'accusait, Levi était incapable de la haïr. Tout ce qu'il avait fait était pour le bien de l'humanité, afin d'avoir une preuve ; et il n'avait jamais fait ça par pure haine. Par sadisme ou sarcasme, parfois. Mais jamais par haine.

On frappa à sa porte. Le militaire donna l'autorisation d'entrer tout en se redressant sur son siège. Sans surprise, Kirstein et Arlert franchirent la porte en bois peinte en rouge qui donnait sur son bureau, et le saluèrent. Il leur répondit d'un coup de tête, et reprit une gorgée de thé. Il s'attendait à leur visite. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'ils ne passent la porte de son bureau.

« Caporal, nous venons au sujet du soldat Ackerman, commença Jean. Nous souhaitons avoir un droit de visite, comme Eren.

- Jäger est son frère, il a eu une dérogation de la part du major. Vous êtes ses frères ?

- Euh... Non.

- Alors vous pouvez retourner à vos occupations. »

À la suite de cet échange, le plus grand baissa les yeux, ravalant sa frustration. Son ami, qui fixait le caporal depuis son arrivée, se redressa. Prenant une posture altière, le blond se tenait le dos droit, et le regard plongé dans celui de son supérieur. Levi fut surpris par son attitude, ne s'attendant pas à autant de confiance de sa part.

« Caporal, puisque vous refusez de nous accorder une visite, alors permettez-nous de témoigner pour elle.

- Mais c'est une merveilleuse idée ! »

Hanji interrompit leur échange et pénétra dans la pièce avec une bonne humeur tout sauf naturelle, mais seul Levi semblait le remarquer. Elle lui lança un regard noir, avant de se servir dans son tiroir. Elle sortit quelques feuilles et un stylo.

« Pour éviter une quelconque modification de votre témoignage, je me porte garante de sa pérennité en l'écrivant moi-même. Par ailleurs, le caporal aurait dû le faire avant d'enfermer votre amie, mais il n'est pas très friand des procédures. »

Il se retint de lever les yeux au ciel, et se contenta de finir son thé. Le maniaque reposa sa tasse lentement, prit la théière entre ses mains et se servit une seconde tasse en prenant garde à ne pas renverser une seule goutte sur le bureau en bois.

« Nous vous écoutons.

- Lorsque nous avons été confrontés au titan féminin, Jean, Reiner et moi-même, nous avons eu la chance d'en avoir réchappé. Ainsi, celle-ci était partie vers la formation centrale, un peu à notre droite, et nous nous sommes dirigés vers la gauche en avançant, pour essayer de vous rejoindre, caporal. Et c'est sur cette route que nous avons croisé Mikasa.

- C'est le premier élément qui nous indique qu'elle est innocente.

- Ensuite, lorsque nous avons entendu le hurlement d'Eren, Mikasa était perchée sur une branche avec notre camarade Sasha Braus. Il a hurlé quand le titan féminin a décimé votre escouade, s'est transformé et l'a combattu. Comment Mikasa aurait-elle pu être à deux endroits en même temps ?

- Enfin, lorsqu'elle s'est envolée vers le combat des titans pour sauver Eren, je l'ai suivie. Par inattention, elle a heurté un titan et a failli en mourir. J'ai tué celui-ci et l'ai ramenée vers Hanji. Je ne l'ai pas quittée des yeux, et si elle avait été le titan féminin, alors je l'aurais vu. »

Il pouvait entendre la plume de la femme s'agiter. Elle traçait sur la feuille blanche des lignes et des courbes sombres, sans faire de pause ou reprendre sa respiration. Les deux soldats se tenaient devant eux, et les regardaient à tour de rôle. L'homme avait fini sa seconde tasse de thé. Leur témoignage était-il fiable ? Après tout, ils semblaient très proches de l'asiatique.

« Qui me dit que vous n'êtes pas les titans colossal et cuirassé, et que votre témoignage n'est qu'un leurre pour nous détourner de votre amie, le titan féminin ? »

Hanji stoppa ses gestes. Si les titans spéciaux étaient humains, il lui semblait évident que ces deux gaillards en étaient également. En effet, la coïncidence était trop grosse. Or, contrairement au féminin, il ne savait même pas s'ils s'étaient fondus dans l'armée ou dans la population. Les deux jeunes hommes écarquillèrent les yeux, et il pouvait voir de la sueur couler sur le front du plus grand. Avaient-ils peur d'être accusés à tort, ou d'être découverts ? Était-ce de la panique ou de la surprise ? Le monde semblait s'être arrêté. Seuls leurs regards s'agitaient sous les émotions qui crépitaient sous leurs paupières.

« Caporal... C'est une théorie intéressante, je le conçois. Mais nous ne sommes pas des titans. Quand nous sommes blessés, nous restons en convalescence, comme Mikasa. Quand nous nous coupons, nous saignons, nous ne nous transformons pas, comme Mikasa. Quand nous allons en expédition, nous risquons nos vies pour vaincre les titans et regagner notre liberté. Comme Mikasa. »

Le plaidoyer d'Arlert sembla convaincre son amie, qui l'observa d'un air entendu. Il ne savait plus quoi penser. Si Ackerman n'était pas un titan, alors tout ce qu'il avait fait était horrible. Son innocence confirmait ce sentiment confus qui le prenait aux tripes : le monstre, c'était lui. Comment justifier son enfermement après leur témoignage ? C'était probablement la raison pour laquelle il avait repoussé cette confrontation avec ces deux soldats. Car le haut gradé savait, au fond, qu'il avait tort. Il le savait, mais il devait trouver un coupable pour passer à autre chose. Le brun l'avait trouvée elle, et ne souhaitait pas changer de cible. Mais il devait se plier à la vérité. C'était la meilleure manière de trouver le véritable coupable.

« Merci pour vos témoignages. Vous pouvez disposer. »

Armin et Jean saluèrent leurs deux supérieurs, et s'éclipsèrent en silence. Son amie reposa le stylo de manière parallèle à la feuille décorée de paragraphes sans ratures, et Levi se demanda comment elle avait fait pour écrire si proprement et si vite. La scientifique plongea son regard ambré dans le sien, le visage fermé ; et un assaut silencieux débuta entre les deux soldats. Elle attendait des excuses et qu'il admette ses torts.

« Je sais. Je vais la libérer.

- Fais attention à toi, elle pourrait glisser et te frapper malencontreusement dans les parties. Je suppose que des excuses ne seront pas de trop.

- La ferme. »

Elle lui lança un sourire, le premier qu'elle lui adressait depuis des jours. Lorsqu'elle le laissa enfin seul, Levi abandonna sa posture droite pour en adopter une plus voûtée, plus naturelle. Il ne se sentait pas prêt à accepter cette vérité, à libérer cette femme, à essuyer son courroux pour sa méprise. Mais la faire patienter un peu plus lui semblait déjà impardonnable, maintenant qu'il se rendait compte de son innocence. Le geôlier posa ses coudes contre le meuble brun, prit sa tête entre ses mains. Ses mèches se déformèrent sous ses doigts, mais il n'avait que faire de sa coiffure. Il voulait respirer un peu, avant d'être étouffé par ses remords.

***

Cela faisait de longues minutes qu'ils s'observaient. Seules leurs respirations ponctuaient leurs regards. Eren fixait sa sœur, abasourdi par sa position, son visage et ses plaies. Une rage sourde s'agitait dans son ventre, et se mélangeait avec son incompréhension et son inquiétude. Elle avait l'air si fatiguée. Ses traits étaient si tirés qu'elle paraissait avoir dix ans de plus. Ses poignets, à force d'être enserrés par ces chaînes qu'il savait froides et tranchantes, étaient en lambeaux. Un mélange écarlate et brun cachait sa peau diaphane. Comment pouvait-on la traiter de cette manière pour une simple supposition ?

Le garçon-titan baissa les yeux de honte, brisant cet échange silencieux qu'ils avaient depuis lors. S'il énonçait ses doutes auprès de l'identité du titan féminin, serait-elle traitée ainsi ? Il n'avait jamais douté de l'innocence de Mikasa. La garde du titan et ses techniques ne lui correspondaient absolument pas. En revanche, un certain visage revenait sans cesse dans son esprit, le hantait et le torturait. Mais il ignorait comment c'était possible, quelles étaient ses raisons. Était-ce vraiment elle qui avait tué l'escouade du caporal ?

« Je sais que tu es innocente.

- Je sais que tu n'en as jamais douté. »

Ainsi était leur relation. Ils savaient, et c'est tout ce qui importait. La prisonnière avait mal partout. Son ventre se tordait sous la violence de ses contractions utérines. Ses épaules s'étaient probablement déplacées, vu l'inconfort de la position qu'on lui imposait depuis des jours. Elle ne savait même plus si c'était la quatrième, la cinquième, ou la sixième journée. Mikasa avait presque oublié qui elle était, ici. Pourquoi elle était là, qui comptait pour elle, pour quelles raisons elle avançait. Elle avait oublié ses parents, le sang, le couteau, l'écharpe rouge. Tout ce rouge. Et l'immensité du ciel, le vent sur son visage, la couleur opaline des feuilles et les nuages qui ressemblaient à des montagnes. La soldate avait presque oublié tout cela.

« Son style de combat était très particulier... On aurait dit Annie. Sa garde, ses techniques... Tout concorde. Mais je ne suis pas encore sûr. Il faut que j'enquête encore un peu. Je ne veux pas lui faire subir ça, si elle est innocente... »

Son cœur sembla cesser de battre. Pendant cet instant, elle se souvint de tout. Qui elle était, pourquoi elle était là, qui elle devait protéger. Mikasa se souvint de ses parents, du sang, du couteau, de l'écharpe rouge. Et l'immensité du ciel, le vent sur son visage, la couleur opaline des feuilles et les nuages qui ressemblaient à des montagnes. La soldate se souvint de tout, et une rage folle remua en elle, faisant battre son cœur plus vite. Elle plongea ses iris exténués dans le regard émeraude de son frère.

« Enquêtons en silence, chacun de notre côté, murmura le jeune homme, et nous prendrons une décision ensemble. »

Pour la première fois depuis une semaine, un sentiment de bonheur l'étreignit. Elle se doutait que la prudence et la contenue de son frère cachaient quelque chose, mais la joie de pouvoir faire quelque chose avec lui et la confiance qu'il plaçait en elle occultaient cette interrogation. Un fin sourire déforma son visage d'albâtre, mais il retomba dès que le bruit de la porte retentit, fracassant cette émotion si légère. Le jeune homme se raidit sur place, ne sachant pas qui écouter entre sa rancœur et son respect. Alors Eren ne fit rien, et laissa le caporal approcher de lui.

« La visite est terminée, Jäger. Retourne t'entraîner.
- Oui, caporal. »

Il ne lui jeta aucun regard, ne le salua même pas ; et accrocha le regard de sa sœur jusqu'à ce qu'elle ne soit plus visible. La tension s'insinua dans la pièce au départ du soldat. La mine d'Ackerman s'était renfrognée à la vue de cet homme. Elle tentait de ne pas céder à la peur diffuse des possibilités qu'il possédait. Néanmoins, la part de fascination et de respect qui subsistait en elle lui permettait de rester saine d'esprit.

Sa main effleura un barreau et ses prunelles grises se posèrent sur elle. La blessée en avait assez d'avoir ce regard sur elle. Mais d'un autre côté, elle ne voulait pas qu'il la quitte des yeux. Ce paradoxe la fit frissonner d'effroi, et elle mit ce songe sur le compte de la fatigue. Ou était-ce les yeux du caporal qui la faisaient frissonner ? Il prit son temps pour entrer dans cette cage. Ses bruits de pas feutrés la faisaient trembler malgré elle. Il s'immobilisa devant la jeune femme, l'observant de haut.

« T'as pas l'air si grande à genoux. »

Depuis sa captivité, l'homme avait redoublé d'imagination pour la blesser. Elle ne savait pas si c'était pour son plaisir personnel ou pour lui faire perdre ses moyens. Néanmoins, son interlocutrice avait développé un certain sens de la répartie grâce à lui.

« Vous êtes sûr ? J'essaie de m'adapter à votre taille, mais c'est compliqué d'être encore plus proche du sol. »

Levi lâcha un petit soupir amusé. Cependant, son cœur semblait peser des tonnes. Il se sentait lourd. Les tremblements de son corps lui faisaient mal, et il ignorait pourquoi il se sentait triste de la savoir effrayée. C'était dans l'ordre des choses. Le militaire l'avait enfermée et menacée. Cesserait-il de regretter un jour chacune de ses actions ? Il se rapprocha d'elle, et elle eut un mouvement de recul. Une ombre de désespoir passa dans ses prunelles, et il tourna la tête pour qu'elle n'aperçoive pas cette émotion. Le brun se mettait beaucoup trop à nu, et il n'y pouvait rien lorsqu'elle était là.

Il saisit délicatement l'un de ses poignets, et elle tressaillit au contact de sa main chaude. Mikasa étouffa un gémissement de douleur lorsqu'elle fut délivrée de ses chaînes, et ses bras tombèrent un à un devant elle. La souffrance qu'elle ressentait tordait ses traits, mais elle essayait de se distraire de celle-ci en observant son geôlier. Il pouvait lire toutes ses interrogations dans ses prunelles noires, toutes ces questions haineuses qu'elle ne parvenait pas à formuler. L'homme essayait de ne pas détourner les yeux. Il avait fait un choix, et aussi pourri qu'il eusse été, il devait prendre ses responsabilités. Alors, d'un air absent, le soldat se mit à appuyer un peu sur les deltoïdes de la femme aux cheveux noirs, pour faire passer la douleur des contractures.

« Les soldats Arlert et Kirstein ont témoigné en ta faveur. Faute de preuve, tu es innocentée. »

Il se concentrait pour masser ses muscles endoloris, et ses gestes la paralysaient. La jeune femme resta immobile, à le fixer comme s'il était un fantôme. Elle ne savait pas quoi en penser. Elle ne savait pas pourquoi il la menaçait, et la massait quelques jours après. La prisonnière ne savait pas à quoi il pouvait bien songer et pourquoi il agissait toujours de manière si étrange.

« Est-ce une façon désastreuse de présenter ses excuses ?

- J'ai toujours eu le chic pour faire des choix atroces. »

Il plongea, une fois encore, son regard dans le sien. Ses mèches noires encadraient son front et continuaient le dessin de ses traits crispés. Mais ses yeux contrastaient avec cette expression éternellement calme. Elle avait l'impression de faire face à une tempête et de ne rien pouvoir y faire. Levi semblait rongé par les regrets, mais méritait-il son pardon ? Elle n'avait jamais été très rancunière. Comment pouvait-elle nourrir sa rancune envers lui lorsqu'il la regardait comme ça ?

« Je la retrouverai. »

Le caporal écarquilla les yeux, et son cœur rata un battement dans sa poitrine. Son visage était ferme, mais sans aucun trait de colère ou de tristesse. Elle semblait évoquer une évidence, et il eut envie de pleurer. Mais le plus petit ravala le torrent de larmes qui menaçait de voir le jour, et se mura dans le silence en attendant que l'orage ne passe. Il l'avait accusée à tort, privée de liberté, humiliée. Et elle souhaitait l'aider ? Ou était-ce une manière de racheter son honneur auprès des autres ? Il ne savait pas si Mikasa le faisait pour elle ou pour lui, et cette dernière possibilité le bouleversait. Il ne comprenait pas, il ne comprenait rien. Qu'étaient-ils ? Était-elle aussi paumée qu'il ne l'était ? Le militaire baissa les yeux sur les taches qui décoraient la peau de ses bras et effleura doucement les gouttes de sang coagulées.

« Je me rachèterai. »

Les secondes semblaient s'être arrêtées, le temps de quelques promesses murmurées entre les barreaux d'une cage. Il avait envie de la prendre dans ses bras, et dès que cette pensée traversa son esprit, il brisa le contact physique qu'ils avaient et se releva précipitamment. Qu'est-ce qu'il lui prenait ?

« Je vais t'aider à te lever et je vais t'emmener à la salle de bain du bâtiment. Tu schlingues, mais tu pourras enfin te laver sans Hanji. »

La caporal s'exécuta, passant ses mains dans le creux de ses aisselles pour la redresser avec aise. Elle poussa sur ses jambes qui étaient restées inactives pendant trop longtemps, et ses muscles, contractés, tremblaient sous la charge de son poids. Comment avait-elle pu faiblir en si peu de temps ? La constatation de sa propre faiblesse lui faisait froid dans le dos. Rien n'était vraiment acquis, et elle se jura de redoubler d'effort pour compenser cette perte de ses capacités. Le caporal passa un bras derrière son dos et vint saisir le creux de ses obliques pour la soutenir dans sa marche. Il espérait qu'elle n'entende pas le raffut que son cœur faisait. L'homme avait rarement été aussi proche de quelqu'un physiquement. Elle passa son bras au-dessus de ses épaules pour avoir un autre appui, et ils commencèrent à marcher. Mikasa piétinait, et rattrapait davantage ses déséquilibres qu'elle n'avançait véritablement.

Elle fut surprise lorsque l'odeur de l'homme vint à ses narines. Surprise de ne pas l'avoir sentie plus tôt. La flagrance semblait ressembler à de la menthe, mélangée à quelque chose de plus épicé, caractéristique de sa sueur. Lorsqu'il soufflait, elle pouvait reconnaître l'odeur âpre du thé noir. La blessée n'osait même pas imaginer à quel point elle puait. Ainsi, elle se concentra sur la chaleur qui émanait de son corps ; la première source de chaleur qu'elle connaissait depuis une semaine. Elle avait eu si froid, ici, et cette sensation la réconfortait davantage que sa discussion avec Eren. Mais la brune repoussa le surplus d'émotions qui tourbillonnait dans son ventre. Elle en avait assez, de ressentir tout et son contraire. Elle souhaitait juste que tout redevienne comme avant.

Une éternité plus tard, elle put enfin se doucher seule. Appuyée sur l'un des murs froids du bâtiment, l'eau ruisselait sur son corps et semblait effacer les traces de son calvaire. La jeune femme n'était pas encore capable de lever totalement les bras à cause de ses deltoïdes tétanisés ; alors elle s'adaptait et utilisait un bras après l'autre, rapidement, pour souffrir le moins possible. Elle frotta ses cuisses du mieux qu'elle pouvait. Ses menstruations, malgré les soins d'Hanji, avaient séché et des croûtes s'étaient formées à l'intérieur de ses cuisses. Elle les détachait avec la savonnette, et elles tombaient une à une sur le sol blanc, tachant celui-ci de couleurs garance et brune. La soldate passa ses doigts dans ses mèches noires et gratta son cuir chevelu malgré ses douleurs aux épaules. Elle soupira d'aise sous les jets d'eau tiède qui la caressaient. Ici, l'imbroglio s'estompait. Elle se sentait enfin sereine.

Sa présence la troublait, elle venait d'en avoir la preuve. Mais pour quelle raison ? Qu'est-ce qui pouvait être si troublant chez lui ? Elle n'avait jamais ressenti quelque chose de similaire, quelque chose de si paradoxal. Après tout, il était toujours le caporal Levi, l'homme détestable qui avait frappé son frère, qui l'avait enfermée et insultée également. Mais il était également celui qui avait sauvé Eren. Qui l'avait sauvée elle, à Trost. Et qui semblait la considérer comme un simple être humain, contrairement à tous les autres. Celle qui valait cent soldats décida d'ignorer ces émotions confuses. Cela passerait avec le temps. C'était probablement l'expédition, suivie de son emprisonnement, qui la mettait dans cet état. La situation s'apaisera, et ses sentiments également.

Cela faisait vingt minutes qu'il attendait la jeune femme, dans le couloir. Levi lui avait posé un uniforme qu'il avait lavé et repassé, ainsi que ses bottes dans le vestiaire, juste avant qu'elle ne rentre dans la douche. Il l'avait laissée seule, jetant un dernier regard vers sa silhouette amaigrie, et avait retrouvé son éternelle solitude entre les murs glacés de la bâtisse vide. Par quoi continuer ? Il ne savait pas comment s'y prendre pour découvrir l'identité du titan féminin. Il ne pouvait pas continuer d'enfermer les femmes du régiment en attendant de trouver celle qui avouera. Si seulement il avait davantage d'indices... N'importe quoi pour étayer ses recherches.

L'idée d'aller faire face à Erwin sans aucun élément l'angoissait. Il ne voulait pas le décevoir... Il avait été persuadé de l'identité de la traîtresse, mais sans cette certitude, il n'avait rien. Le major trouverait bien quelque chose. Il trouvait toujours une solution. L'enfant des bas-fonds avait l'impression que cet homme était une soluce vivante. Il transpirait la clairvoyance et la détermination, tandis qu'il suait de complexité et d'errance. Ce n'était pas la première fois qu'il se comparait à lui. Tout le monde le faisait. Il était plus petit, plus direct, plus inconstant et colérique. Il était obsédé par la propreté et l'ordre. Le soldat était moins charismatique, moins éloquent, moins parfait. Le jour et la nuit. Être à ses côtés n'avait rien changé. Erwin était devenu son étoile du berger, celle qu'il ne cessait de suivre pour ne plus se perdre. Alors pourquoi se sentait-il si paumé ? Peut-être que quelque chose avait bel et bien changé.

Peut-être bien qu'il eût changé.

Les gonds rouillés grincèrent sous le poids de la porte en bois. Mikasa rentra dans la bulle solitaire de l'homme aux cheveux rasés. Elle ne sentait plus l'odeur écœurante du sang et de transpiration salée. Les rides qui s'étaient creusées sous la fatigue semblaient s'être effacées. Seules les immenses cernes qui décoraient ses yeux noirs demeuraient visibles, preuves muettes de sa captivité. Elle s'appuyait contre la porte, encore trop faible pour se tenir debout par sa seule force. Ils restèrent dans cette bulle, à s'observer dans les yeux en silence. Pourquoi ces échanges si longs ? Pourquoi ses yeux la paralysaient ? Pourquoi ses prunelles lui coupaient le souffle ? Ils ne savaient pas, ne savaient plus. L'existence de l'un ou de l'une semblait répandre un écho dans leurs corps, comme une évidence. Il existait. Elle était là.
Et c'est tout ce qui importait.

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