39 - Hélos
Dans le sillage de la fin du monde, les deux camps s'étaient réunis pour adapter leur stratégie. À l'écart des maisons en ruine, les guerriers de Mahr laissaient l'angoisse déchirer leurs entrailles.
« On doit l'arrêter. Revelio sera la première ville détruite par Eren... Je ne peux pas tolérer de mettre en danger mon père, imposa Annie, dont le regard semblait fusiller l'horizon sanglant.
- Nous avons tous et toutes des personnes auxquelles on tient, là-bas. Mais comment faire ? Porco ne peut plus se transformer, l'armure de Reiner est tombée... Le temps qu'ils se reposent, tu penses pouvoir nous rapprocher, Peak ? Questionna le général aux allures autoritaires.
- Il faudrait juste qu'on puisse passer outre les autres soldats...
- Excusez-moi ! »
La voix criarde du soldat du bataillon sonna le glas de la bataille. Entourée par des éclairs véhéments, la guerrière brune s'érigea en tant que titan protectrice des siens, tandis que les autres, trop fatigués, saisissaient leurs armes. Armin Arlert leva les bras en l'air en signe de paix. Derrière lui, ses amis surveillaient le bon déroulement des négociations. Sur les toits qui s'effritaient, ils paraissaient menaçants.
« Nous ne voulons pas nous battre ! Écoutez, vu la vitesse à laquelle vont les titans colossaux, le continent va finir ravagé dans l'heure qui arrive !
- Qu'est-ce que ça peut bien vous faire ? Cracha Galliard en baissant son fusil.
- Nous ne savions rien du plan d'Eren jusqu'à présent ! Mais vous l'avez entendu, vous aussi ? Dans ce lieu étrange... Je pense que cet endroit relie tous les eldiens : alors ceux du continent l'ont aussi entendu, exposa le stratège. Nous voulons l'arrêter ! Nous avons des armes, le titan colossal, et les Ackerman ! Vous avez le féminin, le cuirassé, le mâchoire, le charrette... Si on met de côté nos différends, on peut peut-être sauver vos familles ! »
Deux prunelles céruléennes fixaient le soldat d'un air surpris. Depuis quand Armin avait tant d'initiative ? Annie l'avait connu beaucoup moins serein et confiant... Une étrange sensation vint l'étreindre, à la constatation de cette évolution. Il méritait d'avoir confiance en lui et en son intuition. Elle imagina le visage de son père, et le souvenir de leurs retrouvailles larmoyantes fit écho à une plaie qui déchirait le monde.
« Il n'a pas tort, général. Murmura Reiner. Pour les avoir connus comme alliés... Je peux vous affirmer qu'ils seront d'une précieuse aide. »
Le plus vieil homme continua de sonder l'intrus comme s'il souhaitait deviner son passé et son avenir. Néanmoins, face aux tremblements et aux bruits de l'apocalypse, il soupira face à l'inéluctable.
« Nous acceptons de faire une alliance avec vous, monsieur... ?
- Oh mais Armin tu as commencé sans moi ! Cria une militaire qui atterrit à ses côtés. Enchantée commandant Magath, j'ai beaucoup entendu parler de vous ! Je suis la commandante Hanji Zoe, majore du bataillon d'exploration. Oh mon dieu, le titan charrette ! Tu es tellement mignonne, mais pwah ! Je peux te brosser les dents ?
- Euh... Émit la voix titanesque de Peak. Non, je vais m'en passer.
- Tant pis ! Dépêchons-nous, on n'a pas toute la journée ! »
D'un geste de la main, les soldats du bataillon se rangèrent derrière leur leader, silencieux et anxieux de devoir combattre aux côtés de ceux qui avaient été leurs cibles. Sasha murmura un dernier au-revoir à Nikolo, qui allait rester pour secourir les blessés causés par la guerre. Leur dernier baiser possédait le goût des remords étouffés.
Avec regret, Braun détailla le visage de tous ces anciens frères, de toutes ces anciennes sœurs. Son cœur fut englouti dans la mer de ses remords. Cependant, sa mélancolie fut balayée, quand les prunelles de Jean plongèrent dans les siennes. Son cœur rata un battement, et ses doigts tremblèrent d'infortune, lorsque dans ses yeux, l'ombre de Berthold chatoya. Le cœur au bord des lèvres, celles du guerrier frémirent d'amour, et il eut l'impression de revoir son sourire.
Kirchstein détourna le regard, ignorant le trouble qu'il avait causé dans cet homme devenu obsession impromptue ; et Reiner crut que le sol se dérobait sous ses pieds.
***
Un horizon blanc surplombait son sillage écarlate. Ce monde d'au-dessus, aussi immaculé que l'innocence des enfants qui sous ses foulées expiraient, pourrait-il y faire vivre les autres ? Les nuages, étalés au loin, revêtaient l'apparence d'un océan de neige et de glace, dont les courbures rappelaient les collines autour de Shiganshina.
S'il faisait descendre ce paradis sur Terre, seraient-ils capables de vivre librement ?
Sous les pieds du démon, les hurlements berçaient de manière lointaine ses élucubrations – comme une mélodie que le soldat entendrait sous l'eau. Le brun sentait ses joues s'inonder- mais son choix était nécessaire. Égoïste et apocalyptique, certes, mais c'était la seule solution afin que le cercle de la haine ne soit brisé.
Il avait cassé la roue des malheurs au prix du monde entier.
Le détenteur de l'originel savait qu'il avait pris une obscène décision. La pire, probablement. Faire quelque chose d'impardonnable, pour qu'ils puissent tous survivre.
Il n'était plus que l'abomination face à laquelle le monde se retrouvait à feu et à sang.
Devant ses prunelles humides, les titans colossaux fixaient d'un œil vide l'étendue de leur désastre. Des marées ensanglantées recouvraient les cadavres, lorsque leur voûte plantaire s'élevait vers les cieux. Revelio n'était plus que le théâtre d'une tragédie antique. Les murs sur lesquels il s'était reposé jadis rejoignaient les ruines du mur Rose, lorsque celui-ci fusse détruit.
Était-il destiné à devenir l'ombre de ses ennemis ? Les guerriers avaient-ils ressenti cette détresse et ce désespoir, quand le chant des condamnés perçait leurs tympans ?
Au moins avait-il accompli ce pour quoi il était né, se dit-il avec lucidité. Eren Jäger n'était que le démon de la Terre, celui qui l'eusse détruite pour mieux la reconstruire.
Il osait juste espérer que ses amis ne viennent achever sa lugubre élégie.
***
Les deux hauts gradés s'étaient séparés- afin de discuter rapidement d'une stratégie adaptée. Levi, assis dans un chariot de fortune, lançait des regards mauvais vers ceux qui furent ses adversaires. Sasha, comme à son habitude, murmurait dans son coin des recettes qui faisaient hurler son ventre. Le feu crépitait au sein du cercle des alliés d'infortune.
« Mais bordel tu vas arrêter de gargouiller ?! Hurla Porco, qui n'avait pas tenu trois secondes avant de râler.
- T'as qu'à me nourrir, si t'es pas content !
- Euh, je suis pas certain que ce soit le moment de s'engueuler pour un peu de bruit, exposa Jean d'un air calme.
- Je t'ai rien demandé la grande perche !
- Porco, calme-toi un peu, tu veux ? Lui demanda le capitaine des guerriers. »
Le roux se mit à grogner discrètement, râlant d'une part de devoir obéir à Reiner- mais également de devoir la fermer face à des démons insulaires. Mais c'était ignorer le tempérament de Porco Galliard, que de penser qu'il s'arrêterait là.
« Dis-moi, Jean c'est ça ? Comment il s'appelait, cet ami à toi déjà... Ah oui, Marco, n'est-ce-pas ? »
L'évocation de ce nom plongea le groupe dans une torpeur nivéale. Les deux guerriers impliqués dans la mort de ce fantôme fixèrent leur camarade d'un air surpris.
« Tu sais qu'Annie était impliquée dans sa mort, si je me souviens bien ? Elle t'en a parlé ? Tu sais ce qui lui est vraiment arrivé ? »
La colère ressentie par le roux se propagea dans les entrailles de Kirchstein, rallumant une flamme qu'il pensait éteinte depuis bien longtemps. Il se mit à fixer les deux blonds en silence. Depuis des années, la mort de son ami le taraudait. Le soldat ignorait s'il aurait pu l'empêcher, s'il aurait pu mieux faire. Leonhardt détourna les yeux vers la terre qui couvrait les pavés, presque poussiéreuse.
« Je lui ai arraché son harnais de manœuvre tridimensionnelle, expliqua l'ancienne soldate du bataillon. Ses prunelles se mouvaient dans le vide immense qu'elle observait. C'est pour ça qu'il s'est fait dévorer par un titan.
- Annie n'a fait qu'obéir à mes ordres. »
L'accusateur tressaillit quand le timbre de voix de Reiner interrompit la meurtrière. Lui, n'essayait pas de fuir du regard. Il le fixait, comme supplicié sur une croix de fer. Il attendait qu'on ne vienne achever son agonie. Il attendait son châtiment.
« Marco avait surpris une conversation qui devait rester entre Berthold et moi. Craignant qu'il nous ai grillés, j'ai jugé que le plus sûr moyen de le réduire au silence était de le faire tuer par un titan. Alors... Je l'ai immobilisé sur un toit... Et j'ai demandé à Annie de retirer son harnais pendant que je le tenais. »
Au fil de son discours, le visage du guerrier fut creusé par des rides de regret. Ses iris d'or, fixés dans les prunelles horrifiés du colossal, cherchaient un moyen d'achever son élégie : du dégoût, une envie de meurtre ; quelque chose qui justifierait la fin de son existence. La vue du cadavre de Marco était tout ce que Jean pouvait voir, malgré l'éclat dans les yeux de Reiner.
« Il s'est retrouvé coincé et s'est fait dévorer par un titan, surgi dans son dos.
- Quelles ont été ses dernières paroles ?
- "En discutant, je suis sûr qu'il y aurait moyen de s'entendre..." Répéta le coupable, un voile opaque cachant les lueurs de ses prunelles. »
À l'horizon, les deux chefs agitaient leurs bras- réglant des conflits d'un passé qu'ils n'avaient jamais vu. Néanmoins, les iris clairs de Jean s'agitèrent, pendant que sa respiration, haineuse, tranchait l'air du district dépourvu de ses murs.
« Ouais, c'est ça... En dialoguant dès le départ, on aurait pu éviter ce désastre...
- Qui aurait cru qu'on serait réunis pour une même cause, hein ? Essaya d'ajouter Armin. Celui-ci se sentait de trop, mal à l'aise face à la tension inconnue entre Braun et l'homme qu'il n'avait jamais cessé d'admirer.
- En regardant Marco se faire déchirer... Continua Reiner, enfermé dans ses souvenirs aux allures oniriques. Je... me demandais pourquoi une chose pareille était en train de se passer. Pris d'un accès de fureur, j'ai abattu ce titan... Je rageais qu'il ait tué mon ami...
- Ça suffit, l'interrompit Jean. Le poids des remords a dû faire vriller ton cerveau...
- Il ne faut pas me pardonner... Je suis une ordure.
- Assez. Arrête, maintenant. »
Leurs mains tremblaient autant de désespoir que d'incompréhension.
« Bon, en route tout le monde ! S'écria Hanji en arrivant à leur niveau. Faites disparaître ces têtes de déterrés et montrez-moi vos têtes de soldats ! Le colonel Magath a connaissance d'un dirigeable que nous pourrions utiliser. Nous allons donc nous diviser en trois groupes : un premier groupe, composé de Peak, du général, de Jean, Connie et Sasha, s'occupera de combattre les pro-jäger quand nous arriverons à leur niveau, permettant aux autres d'avancer. Le second groupe, composé d'Annie, de moi-même et de Galliard, va permettre aux autres de décoller – et ils pourront les rejoindre si on en a le temps. Le reste, soit Reiner, Mikasa et Armin, ira dans le dirigeable pour poursuivre Eren. Le but du premier et du second groupe est de gagner du temps- dès que possible, il s'agira de rejoindre le dirigeable car sa mise en route est longue. Ainsi, les deux groupes se prêteront main forte. Des questions, des interrogations, des incompréhensions ? Parfait ! »
La hâte n'était pas son fort. L'enfant observait le groupe se scinder, combattre, suer, pleurer. Personne avait ouvert les yeux, lorsqu'Eren l'eusse étreinte. Elle l'avait attendu, depuis 2000 ans. Elle l'avait attendu si patiemment, si impatiemment ; qu'elle avait cru mourir d'une agonie éternelle. Ainsi, celle qui patientait lui avait montré sa triste existence ; une accusation inique, un hasard douloureux, et une vie à servir un immonde homme qui s'était servi de sa force et de son corps.
L'amour n'avait jamais foulé le chemin sinueux qu'elle avait emprunté.
Le voir absorber son frère l'avait confortée dans cette idée : Eren Jäger allait exaucer son ultime souhait. Le monde hurlait, et la pitoyable mélopée qui s'échappait des condamnés la fit sourire. Pour la première fois, en 2000 ans.
Ymir Fritz souriait, et ses yeux devinrent humides. Humides de joie, d'extase et de sérénité. Enfin, tout allait se terminer. Enfin, elle pourrait se reposer.
Elle se pencha vers la marée d'étoiles qui la reliait à l'univers, et observa les soldats du bataillon. Ils allaient trop vite. Elle les observa, grimper clandestinement à l'arrière de ce train qui roulait à pleine vitesse. Ce n'était pas ce qui était prévu : mais peu importe. Elle savait comment les briser, et ce n'était pas une poignée d'enfants lointains qui anéantiraient ses espoirs de paix.
Dans le sable, elle dessina le visage d'une jeune femme aux traits rieurs ; et le souffle porta les grains fins dans la tempête d'astres mortuaires.
« Je prends les commandes ! »
Sasha s'installa parmi les deux cadavres des conducteurs. Elle n'y connaissait pas grand-chose, mais elle devait juste faire en sorte de ne pas renverser le tout, hein ? Connie, installé sur le toit de sa cabine, fusillait les pro-jäger qui tentaient de rentrer par voie aérienne. Jean s'occupait de l'accès intérieur. Il culpabilisait de devoir mettre un terme à la vie de ses anciens camarades ; mais semblait satisfait de refaire le portrait à certains d'entre eux.
Au bout du wagon, le titan charrette sortait les militaires avec ses pattes et sa gueule allongée. Des hurlements de frayeur fusaient, quand ses yeux ternes croisaient leurs prunelles effarées. Le général Magath, installée à l'intérieur du char improvisé qui tenait sur son dos, fusillait les malheureux qui croyaient pouvoir s'en sortir.
Ils secouaient la fourmilière en espérant pouvoir atteindre la reine, et avancer au maximum ceux qui allaient l'affronter.
Quelqu'un serra les poings. Elle n'avait guère l'habitude d'agir et de prendre part aux conflits du monde. Néanmoins, pouvait-elle faire une exception, quand la guerre pouvait mettre un terme à sa terrible tragédie.
***
Lorsque Sasha essaya d'arrêter le train, elle envoya valser une vingtaine de pro-jäger vers l'avant – à cause du freinage un peu trop brutal. Elle ne devina guère combien d'entre eux étaient passés sous les roues de la locomotive, et elle pria pour ne jamais le savoir.
« Hey, fais attention ! Heureusement que Peak était là pour nous retenir ! Bougonna Connie en agitant son poing vers le ciel.
- Pardon, pardon, c'était pas mon projet de vie, d'être conductrice de train ! »
Le premier groupe se précipita vers le dirigeable. À l'arrière, les deux derniers groupes s'épaulaient – fusillant les derniers soldats qui tentaient de les arrêter.
Lorsqu'ils arrivèrent devant l'engin, Hanji leur hurla des encouragements dignes des plus belles guerres, heureuse que tout se soit déroulé de manière parfaite – peut-être même un peu trop. Le général et quelques guerriers commencèrent à remettre l'aéronef en condition. Ils n'étaient pas des techniciens, mais chaque soldat devait pouvoir régler les soucis majeurs, car le personnel technique pouvait manquer.
« Ne relâchez pas votre garde pour autant, prévint Armin.
- Comment auraient-ils pu arriver avant nous ? Puis on a déglingué les derniers ! Soupira le chauve en rechargeant son fusil.
- Armin a raison, c'est notre ultime bataille, affirma Kirschtein. Il faut faire attention. »
Le blond jeta un regard à Mikasa, qui observait du coin de l'œil Levi, traîné dans le dirigeable. Hanji, bien décidée à le laisser se reposer, poussait le petit chariot de fortune sous les insultes du caporal. Le stratège avait peur que ses préoccupations ne l'empêchent d'agir. Tout d'abord, c'est Eren qu'ils allaient arrêter là... Et l'état de Levi impliquait qu'il ne serait pas là pour arrêter Eren, quitte à le tuer. La situation était bien compliquée...
« Comment comptez-vous arrêter Eren ? Questionna Annie d'un air torturé. Je doute qu'une discussion mette fin à son désir d'éradiquer le monde.
- Je vais ramener le Eren d'avant, débuta la brune en détournant les yeux. Si je réussis à... »
Ackerman ne finit jamais sa phrase. Le sifflement des balles à côté de leurs têtes vinrent abaisser le centre de gravité des militaires. Quelques projectiles s'enfoncèrent dans l'un des réservoirs ; mais ce n'est pas cette vision qui la poussa à hurler au lieu de parler. L'abdomen de Sasha Braus prit une teinte écarlate, pendant que son corps tombait en arrière.
D'un éclair, ses yeux se posèrent sur la silhouette allongée de Floch Foster, qui pointait vers eux un pistolet assassin. Sa chevelure rousse trahit son camouflage derrière le mur d'un bâtiment, et dans un réflexe impavide, son grappin vint se planter dans la gorge du vétéran de Shiganshina.
« Merde ! Sasha ! Connie hurla à s'en briser les cordes vocales, quand il prit conscience de la réalité. Enfoiré de Floch !
- N'y allez pas... Soupira l'assassin dont la voix s'étiolait. Tous... Sur l'île... Vont être tués... Notre... Démon... Notre seul espoir... »
La respiration erratique d'une soldate blessée fit écho aux dernières paroles d'un traître. Dans une marre de sang, l'amoureuse des patates observait le ciel bleu une dernière fois. À ses côtés, Connie et Jean se hâtaient. Ils essayaient, en vain, de soulever sa tête, de réduire l'afflux de sang qui dégoulinait de sa plaie, de la garder consciente.
« Sasha ?! Sasha, tu m'entends ? Continua Connie en secouant doucement ses épaules.
- C'est bon, beugle pas... Je meurs de faim...
- Il faut stopper l'hémorragie ! Criait Jean en appuyant sur son ventre.
- Tiens bon Sasha, tu vas t'en tirer !
- J'ai envie... D'un steak... »
Un tracé sanguinolent s'écoulait de sa bouche. Sasha Braus ferma à jamais les yeux. Tandis que l'un s'empêchait de pleurer en gardant sa tête dans ses bras, l'autre fixait cette silhouette sans vie qui fusse sa meilleure amie.
« Merde ! Il y en a plein d'autres ! Paniqua Hanji en voyant la marée humaine qui défilait vers eux.
- Hanji, ils risquent de nous poursuivre avec ce bateau, ou même de nous couler ! Lui fit remarquer Armin en lui pointant du doigt le menaçant appareil.
- Montez tous à bord et démarrez, leur imposa le général Magath. Vous pleurerez vos morts plus tard : il y en aura davantage. Je vais m'occuper du bateau.
- Mais capitaine...
- Galliard. J'ai une dette à payer à l'île du paradis. Si je n'avais pas écouté la haine... Alors peut-être que le monde serait en paix. Partez ! »
Le militaire s'engouffra dans les ruelles avec l'aisance d'un funambule qui oscillait vers le vide. Les soldats, non sans peine, abandonnèrent les deux corps, lorsque le moteur du réacteur gronda. Leurs yeux humides semblaient être un piètre tribut, devant la perte d'une sœur. Le cœur de Mikasa, trou béant dont s'écoulait ses souvenirs, n'était plus qu'une géhenne altière.
Combien de sacrifices devrait-elle encore faire ? Ses poings étaient si serrés qu'elle en saignait presque, et le regard désolé de Levi ne suffisait pas, ne suffisait plus. Ni sa main froide sur son épaule, ni ses paroles lointaines ne la sortaient de sa torpeur vengeresse. Eren lui avait, encore une fois, arraché une partie d'elle. Une migraine atroce vint sonner le glas de sa rébellion, et pendant que l'aéronef tremblait en prenant de l'altitude, elle crut que sa tête allait exploser.
Jamais la douleur n'avait été si assommante. Assise à même le plancher, ses oreilles bourdonnaient de manière à lui faire entendre une myriade de murmures. Le Eren d'avant n'aurait pas permis la mort de Sasha. Le Eren d'avant n'aurait pas assassiné, de sang-froid, des gens comme lui et elle.
Le Eren de ses souvenirs était mort, et Mikasa se rendit compte qu'il n'y avait plus que la haine, qui animait son corps d'antan.
Les aiguilles qui raclaient son crâne s'immobilisèrent, et la grimace fielleuse qu'elle faisait immortalisa le moment où ses chaînes tombèrent au sol. Le miracle de l'humanité, débarrassé de ses entraves fraternelles, jura au monde qu'il n'y aurait plus d'effusions de sang.
***
Le général fut abasourdi, lorsqu'il aperçut les cadavres portant l'uniforme eldien. Son arme devant lui, il arriva bien vite dans la salle des moteurs. Quelle ne fut pas sa surprise, lorsqu'il tomba sur un homme à l'air plutôt âgé. Ses mains trafiquaient le mécanisme du bateau, et pendant une poignée de secondes, ils s'observèrent sans savoir si l'autre était dans son camp.
« Je viens foutre ça en l'air, expliqua le haut gradé de l'armée des Mahr.
- Je ne dirai pas non à une paire de bras en plus, soupira de soulagement le militaire ennemi.
- J'ai posé des bombes au niveau des réacteurs, si ça t'intéresse.
- Je viens de faire la même chose avec le moteur. On va prendre part à un super feu d'artifice, toi et moi. »
Leur discussion fut interrompue par des bruits précipités, et des effusions de voix paniquées. Théo Magath déroula le fil menant à ses explosifs, et s'assit aux côtés du vieillard.
« Je me présente, Théo Magath, général de l'armée de l'empire des Mahr.
- Je suis Keith Shadis, chef instructeur de l'armée eldienne. »
Alors que chacun mettait un point d'honneur sur le parchemin de leur existence ; un nuage de fumée noir soulignait le sacrifice de deux vétérans.
***
Personne observait l'océan de nuages d'un air impitoyable. Dans le sillage de sa légion titanesque, un insecte volait vers l'origine afin de lui couper l'herbe sous le pied. Ils contournaient la ligne mortuaire et s'élançaient vers l'épicentre de sa haine.
Mais elle avait enfin pu ouvrir les yeux. Quelqu'un lui avait promis de mettre fin à ce monde. Et Ymir Fritz, dans son dernier acte désespéré, s'accrochait à cette promesse comme un toxicomane s'accrochait à son ultime dose.
Elle souffla sur l'horizon, et une tempête de sable vint danser avec l'ouragan d'astres qui régissait le monde.
***
Le silence berçait les soldats qui offraient leurs cœurs à l'humanité. Assis dans leur coin, à ruminer la perte d'une amie chère ; pilotant du mieux qu'ils pouvaient un engin énorme, ou observant avec dépit les nuages qui voilaient la surface du monde en sang... Aucun n'ouvrait la bouche, comme si l'acte final de cette rocambolesque histoire leur avait coupé le souffle.
Leur accalmie commune était un luxe qu'ils ne pouvaient obtenir. En effet, des turbulences vinrent perturber l'ascension des salvateurs. Lorsqu'ils observèrent par la lucarne, et qu'ils virent ces visages impassibles arriver sur eux ; la panique refit surface.
« Merde, les titans colossaux ! On a dû les contourner, et maintenant on est sur leur chemin ! Se lamenta Connie en songeant à ce que Sasha dirait.
- Je vais les ralentir ! Affirma Jean en remontant ses manches. Je peux gagner du-
- Non, je vais y aller ! Protesta Reiner. Ton titan est trop important pour atteindre Eren, je vais m'en occuper !
- Les gars, soupira Hanji d'une voix autoritaire, vous n'irez nulle part. Porco, tu peux accélérer un bon coup ?
- Accrochez-vous les nazes, ça va secouer ! »
L'aéronef émit un grincement inquiétant, pendant que les agitations de l'air faisaient trembler leurs jambes.
« On va tout faire pour se rapprocher au maximum d'Eren. L'aéronef risque de ne plus être en état – soit à cause de notre vitesse, soit à cause des titans colossaux. Je vais vous faire gagner du temps. Jean, avec ton titan, tu permettras à Peak de se hisser sur Eren, et elle sera chargée d'amener Armin et Mikasa vers lui, pour tenter une dernière fois le dialogue. Porco, Annie et Reiner, se chargeront de le mettre hors d'état de détruire le monde. Connie, avec Levi, tu t'occuperas de les protéger des menaces extérieures.
- Vous pensez que le caporal est en état ? Bafouilla le chauve. –
- Deux doigts sont suffisants pour tenir mes lames, ronchonna le concerné.
- Bien ! Armin... »
La 14e commandante du bataillon d'exploration se rapprocha du stratège. Un sourire barrait son visage fatigué par les responsabilités, et elle posa sa main sur son épaule – en guise d'ultime encouragement.
« Je te nomme 15e commandant du bataillon d'exploration. Tu es celui à qui le rôle sied le mieux, et tes camarades suivront tes décisions jusqu'en enfer. Oh, maintenant tu es le supérieur de Levi ; n'hésite pas à lui mettre un coup de pression de temps en temps.
- Hanji, il doit y avoir une autre solution... Grommela Mikasa en reniant en bloc la possibilité d'un énième sacrifice.
- Hey quatre-yeux, à quoi tu joues ? »
Un tremblement plus violent que les autres vint couper le courant du dirigeable. Ils entendirent Galliard ronchonner à propos de la monstrueuse machine qui n'était, à priori, pas capable de résister à quelques titans débiles.
« Laisse-moi partir de manière cool, Levi.
- ... Offre ton cœur à l'humanité, lunettes de merde.
- Oh c'est la première fois que je t'entends dire ça ! »
La doctoresse se dirigea vers le pont, et hurla au conducteur d'ouvrir la porte. La chaleur vint surprendre tous les soldats, et sans un regard en arrière, elle se laissa tomber dans le vide. Ils vinrent tous observer sa chute vers les géants, et leurs pleurs redoublèrent d'intensité.
« Ah, les titans sont vraiment incroyables... Murmura-t-elle en s'accrochant à la nuque du plus proche. »
Dans sa dernière danse, Hanji Zoe réussit à faire tomber quatre titans colossaux ; permettant au dirigeable de prendre suffisamment d'altitude afin d'éviter leurs fronts brûlants. Lorsque ses bras, carbonisés, lâchèrent ses grappins, la chute vint faire virevolter les cendres qui furent, auparavant, sa chair.
Elle se retrouva dans un champ lumineux. Devant elle, ses anciens amis observaient le ciel avec attention, et Erwin Smith l'aida à se relever en souriant.
« Salut, Hanji.
- Oh Erwin, j'ai tant de choses à te raconter !
- Et j'ai hâte de les entendre. »
Armin, la main devant la bouche, ne pouvait empêcher ses larmes de couler ; tandis que Levi observait l'horizon avec dépit. La pensée selon laquelle il était destiné à laisser ceux qu'il aimait derrière lui refit surface. Il observa son amante avec la détresse d'un condamné. Tomberait-elle, elle aussi ?
***
L'océan immaculé avait absorbé l'éclat écarlate du monde. Les nuages, de cette lueur garance, présageaient le dernier souffle d'Apollon. Dans cette prison de chair, son thorax et sa tête pendaient sous ses côtes. Mais son corps, lui, observait depuis sa colonne vertébrale les plaies causées par sa haine.
Un bruissement le fit sourire. Ils étaient enfin là, et ils avaient anéantis le titan de son frère. Même manipulé, le bestial n'était pas très bon au corps-à-corps. Avait-il voulu qu'il ne les arrête, de toute manière ? Il ne prit pas la peine de se retourner. Il sentait leurs deux présences, en plus de celle de Peak Finger. Celle-ci semblait être un peu plus éloignée, mais suffisamment proche pour pouvoir les sortir d'un mauvais pas.
« Bonjour, Armin, Mikasa.
- Eren... Bégaya son ami d'enfance. Tu sais ce que nous allons te demander.
- C'est inutile. Le grand terrassement ne peut plus être stoppé, même si je le souhaitais. »
Son thorax fit une rotation afin de croiser ces deux regards. Il s'était attendu à de la tristesse, du regret, de la supplication. Mais de la part de Mikasa, le démon insulaire n'avait guère prévu les affres de la colère.
« Sasha et Hanji sont mortes.
- J'en suis désolé... Mais je le sais déjà. Cela devait arriver, c'est dans l'ordre des choses.
- Et tu es en train de nous dire qu'elles sont mortes pour rien ?
- Si vous étiez restés tranquilles...
- Espèce d'enflure. La jeune femme fit une grimace fielleuse, lorsqu'elle saisit sa lame dans sa main. C'est donc ça, le monde dont tu rêvais ? Un monde bâti sur la haine et le sang ?
- Mika...
- Ne m'appelle pas comme ça ! Hurla-t-elle. La soldate tendit sa lame vers l'objet de son ressentiment, tremblante. Sasha pouvait m'appeler comme ça. Armin peut m'appeler comme ça. Mais toi... Toi...
- Mika, calme-toi, lui murmura le blond en lui prenant délicatement la main.
- Non je ne me calmerai pas ! Bordel, Sasha... Tu sais quelles ont été ses dernières paroles ? Gémit-elle en ayant les larmes aux yeux. Ses doigts, tremblants, recréaient dans l'air des mémoires macabres. Elle voulait un steak... Cette idiote voulait un steak... »
Les yeux d'Eren s'humidifièrent, mais son expression sereine demeura inchangée. Les bras d'Ackerman enserraient ses épaules, puis elle gratta nerveusement son cuir chevelu. Ses pupilles sombres, lames vengeresses d'une sœur en deuil, tranchaient la volonté d'un pantin du destin.
« Qu'aurais-je pu faire pour t'empêcher de devenir ce monstre ?
- Rien, Mikasa. Je suis né comme cela. Tu te souviens, quand j'ai tué ces brigands pour te sauver ? Avant de faire ta connaissance, j'étais comme ça. Tu n'aurais rien pu faire. Je suis né dans ce monde pour le détruire. »
La marche funèbre du titan originel s'immobilisa au-dessus des ruines de Revelio. Devant lui, les titans colossaux s'éloignaient, laissant fumée et cadavres dans leur sillage.
« Vous pouvez être libres, à présent. Et rien ne me rend plus heureux. »
Reiner sut exactement quoi faire, à ce moment-là. Sa lance semblait constituer une partie de lui-même ; et comme l'eusse été son fusil, elle semblait vouloir le guider dans ses gestes. Le sourire que faisait Eren raviva tout le désespoir qui empoisonnait son cœur. Le guerrier se souvint des yeux sombres de Berthold, de son prénom qu'il hurlait à s'en briser les cordes vocales, et de sa terrible absence.
« Fais ton devoir, Hélos, exigea Eren Jäger sans même lui jeter un regard. Sa déclaration troubla Reiner- pourquoi l'appelait-il Hélos ? La roue de la haine et du sang est brisée. Tu es le dernier rouage ; il ne manque plus que toi pour que la boucle soit détruite. »
Le fer laissa dans sa paume une trace indélébile, manifestation de sa colère et de son deuil. Reiner Braun en avait assez de faire son devoir. Celui-ci avait guidé sa vie, jusqu'à ce que son souffle ne s'y perde, ainsi que son amour. Derrière ses paupières, ses camarades l'épaulaient ; mais il ne savait plus trop s'ils étaient des guerriers de Mahr ou des soldats du Bataillon. Cela n'avait plus d'importance.
Le meurtrier se tourna vers le théâtre de son génocide, et croisa les prunelles attentives de Levi et de Connie. Il tendit la main vers la montagne de cadavres qu'il avait dressée sur son sillage.
« Ne sois pas trop long à te décider, je pourrais changer d'avis. »
Pour qui le prenait-il, à détourner les yeux ? Croyait-il que ce serait plus simple ? Sa lance commençait à le brûler, outil assoiffé du sang du démon. Elle était impatiente. « Qu'attends-tu ? Utilise-moi. Utilise-moi. Utilise-moi. »
« N'y-a-t'il aucun autre moyen ? Déplora Armin.
- Ma mort est la seule solution afin d'apaiser ton monde, Reiner. Sois le grand frère que tu aurais voulu être : prends la responsabilité de ma mort. Les autres n'en sont pas capables, peu importe à quel point ils me détestent. »
Résigné, le blond marcha jusqu'à la silhouette qui dépassait de l'immense titan. L'adrénaline s'insinuait dans ses veines, torrent insidieux qui lui hurlait sa soif de sang. Le détenteur du cuirassé éleva sa lance au-dessus de la nuque d'Eren. D'instinct, il retint sa respiration.
« Puisses-tu enfin apaiser ta colère dans la mort, Eren. »
Armin fut surpris de ne pas sentir, dans la main de Mikasa, une seule tentative d'interruption. Elle ne faisait que l'observer, des larmes coulant nerveusement sur ses joues usées par les batailles. Deux prunelles opalines s'accrochèrent aux siennes, et un sourire vint transpercer une dernière fois son cœur.
L'arme tranchante sembla bondir d'elle-même sur le crâne du supplicié, et celle-ci s'enfonça dans le creux de sa nuque. Des taches d'hémoglobine vinrent s'échouer sur l'uniforme blanc du bourreau, mais le dernier soupir du condamné ne suffit pas à apaiser son tourment. Un hoquet de désespoir vint briser sa bulle assassine, et Annie trancha le corps inconscient du frère d'un miracle.
La militaire en deuil trouva refuge entre les bras d'un soldat qui, face à ses tristes sanglots, ne put s'empêcher de la serrer contre lui. Ses deux doigts restants s'engouffrèrent dans sa chevelure corbeau, et il la berça dans l'aube d'un nouveau monde. Levi lui murmurait que tout était fini.
Le soleil s'éteignit, et Hélos descendit sur la terre des Mahr afin de prêcher un renouveau sans haine.
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