35 - Willensfreiheit
Notes de l'autrice : ce meme de qualité en média est proposé par la talentueuse olyakrmn ! Et merci aussi pour les 40k c'est juste énorme j'en pleure presque ! Rigolez bien et bonne lecture !
***
Les prunelles d'acier du caporal-chef Ackerman semblaient encore plus tranchantes que la lame avec laquelle il jouait. Sieg Jäger, en face de lui, était encerclé par toute la compagnie qui accompagnait le soldat de le plus fort de l'humanité. Simples fusils d'assauts et véritables fusils de précision étaient tous braqués sur lui.
L'air suspicieux que le brun continuait de lui lancer dansait avec l'aura dangereuse qui entourait sa petite silhouette. Sieg sentait les affres des envies meurtrières qui rendaient l'atmosphère lourde et suffocante, et cela le déconcentrait dans sa lecture. Celles-ci viciaient l'oxygène, étouffant les êtres vivants dans une pernicieuse angoisse.
Néanmoins, le haut gradé rangea sa lame. Son sang bouillonnait dans ses veines, et le tsunami de haine ravageait les rives du Styx, dont les remous fielleux faisaient fondre les créatures infernales.
Il voulait enfin lacérer sa peau et le faire hurler, jusqu'à ce qu'Erwin Smith ne l'entende, dans les profondeurs des Enfers. Il jubilait de le traîner sur une plaine d'épines pour déchirer ses tissus, et que son sang ne trace infiniment son chemin vers l'échafaud. Si Levi devait se glisser dans la peau de Thanatos pour assurer sa vengeance, alors il enfilerait les vêtements du dieu de la mort. Haineux et haï des mortels et des dieux, sans merci ni discernement pour ceux qui étaient destinés à pourrir le royaume d'Hadès.
Il porta sa tasse de thé noir à ses lèvres, et continua de transpercer l'être qu'il avait juré d'anéantir de ses pupilles d'onyx. Celui-ci fit mine d'être désintéressé de la situation, comme à son habitude, et continuait sa lecture devant le gardien des Enfers. Le barbu était une proie qui faisait mine d'être intouchable devant un prédateur, et ignorait l'enfant des bas-fonds.
La langue de Levi claqua contre son palais, et ses soldats commencèrent à relâcher leur attention, du moins en apparence. Le militaire savait que ses camarades ne se détournaient aucunement du macaque qui avait leur sang sur les mains. Le sang de leurs familles, amis, connaissances. Le sang des Eldiens.
Les voltigeurs reprirent leurs discussions, et lorsqu'un arôme amer fut porté par la brise automnale, le ricanement des astres fit trembler les épaules du titan bestial.
***
« J'arrive pas à croire qu'il a filé ! »
Deux hommes aux silhouettes graciles frôlaient les murs de la ville. De courts cheveux blancs, rasés à même le crâne, donnaient une forme ovale à sa tête. Le second avait quelques mèches blondes qui tombaient sur ses oreilles, et la finesse de celles-ci s'apparentaient à un immense champ de blé. Des capes sombres camouflaient l'uniforme caractéristique du bataillon d'exploration.
« Je t'avoue que cela m'a surpris, de la part d'Eren... Mais cela fait bien longtemps que je ne le connais plus.
- Dis pas ça, Armin... C'est qu'une phase ! Il est peut-être un peu désorienté.
- Au point de faire un attentat ? Ce n'est pas de la désorientation, mais une haine incroyable... On pourrait tout arranger en dialoguant... Après tout, cela fait plus de cent ans qu'il n'y a eu aucune communication entre l'Île et le monde. »
Connie serra les dents à la mention des erreurs de Jäger. Enfin, en étaient-ce vraiment ? Après tout, par la faute des Mahr, sa mère était condamnée à rester coincée sur son propre foyer, dans cette enveloppe monstrueuse, dénuée de bon sens et de lucidité... Sans eux, elle serait encore avec son père. Les ruines de son enfance n'auraient pas porté le nom fantôme de Ragako.
« Vu l'attitude de Floch... Je pense qu'on tient notre traître. Franchement, le libérer dans la nature, comme ça...
- D'ailleurs, vous aviez pu en parler au général Zackley, toi et Mikasa ?
- Nous avons eu une brève discussion, pour voir Eren pendant sa captivité... Il pensait qu'il nous avait trahis, qu'il prendrait le parti de Mahr, car selon lui, il rencontrait de manière secrète Yelena. Le général avait aussi peur qu'il soit manipulé par Sieg, et qu'il était dangereux de l'approcher...
- Yelena ?
- Elle suit Sieg partout... Tu ne te souviens pas des volontaires anti-mahr ? Ils ont participé à l'assaut à Revelio, aussi...
- Ah, les espions là ? Je ne les ai que peu croisés, ils parlent plus au caporal-chef et à la majore Hanji...
- Bref, on ne sait pas vraiment de quel côté ils sont... Et avant qu'on ait pu convaincre le général de voir Eren, il nous a congédiés.
- Mmh... Il a toujours été bizarre de toute manière. »
Les deux militaires s'engouffrèrent dans les petites rues. Derrière eux, une ombre agile se glissait dans les recoins, avec l'application d'un soldat en terrain ennemi.
***
« T'es vraiment une mauviette, Falco ! »
La jeune fille s'arrêta et se tourna vers son ami. Ses cheveux de jais, coupés de manière droite au-dessus de ses épaules, lui donnaient une allure d'autant plus candide. Néanmoins, la flamme qui animait ses yeux d'or dégageait les affres de la soldate en pleine guerre. Elle le plaqua contre le mur en pierres d'une des maisons qui composaient l'étroit passage, et sa colère, grondante, déforma les traits de son visage.
« C'est la faute de ces démons si Udo et Sofia sont morts ! Tu ne te souviens pas de leurs cadavres ?! Il faut que je te rafraîchisse la mémoire ?! C'est ta faute si on n'a pas pu les venger, avec tes paroles de sorcier !
- Arrête ! Tu penses qu'on aurait fait quoi, nous deux, contre leur armée entière ? On serait tombés en essayant d'entrer dans le dirigeable ! On a évité la mort grâce à moi !
- Et tu crois qu'ils ont fait comment, Reiner, Berthold et Annie, quand ils sont partis les châtier ?!
- Ils ont utilisé leur cerveau ! Les affronter de front ne sert à rien... Surtout qu'on a pas de titans, nous. On aura notre chance de venger Udo et Sofia quand on lancera l'affront sur l'Île... »
Son interlocuteur serra les poings. Ses courts cheveux blonds étaient dissimulés sous une capuche aux allures sales. Ses prunelles d'or tremblaient, face à l'intimidation qu'il ressentait face à sa camarade.
« Gaby. Entraînons-nous, jusqu'à la prochaine offensive. Et on pourra se battre aux côtés de ton cousin et des autres. Mais je vais tellement me démarquer que ce sera moi que Reiner choisira pour être son successeur !
- Tu n'arrives pas à ma cheville, Gleis ! Je vais te mettre une raclée ! »
La jeune fille vint frapper le visage de l'apprenti guerrier avec son propre front, puis s'éloigna en profanant des insanités. La douleur vint enlacer Falco dans une nimbe angoissante, et il ne put empêcher quelques larmes de danser dans le coin de ses yeux.
« Putain, on va être en retard au stand de tir par ta faute !
- Mais c'est toi qui t'es arrêtée...
- La ferme ! »
Pendant que la frustration étendait ses tentacules au-dessus des deux enfants, un bruit régulier rythmait la respiration du camp de Revelio.
Tic. Tac. Tic. Tac.
***
Autour de la table, l'angoisse avait pris place sur la chaise vacante. Les héros de Shiganshina, tels qu'ils étaient appelés par la population, se fixaient en silence. Mikasa observait chaque soldat présent dans la pièce, et observait les changements qu'avaient opéré la vie et la guerre sur leurs enveloppes. Tous étaient plus grands et imposants, mais dès qu'ils avaient l'occasion de faire une pause, les souvenirs du champ de bataille voûtaient leurs épaules. Les cheveux de Jean avaient poussé sur la partie haute de sa tête, et ses mèches claires retombaient sur ses tempes de manière séduisante. Armin avait coupé ses cheveux plus courts, mais paraissait toujours un peu perdu sans l'aval du major Erwin. Sasha avait les cheveux plus lisses, toujours attachés en une unique queue de cheval ; et son visage s'était affiné avec l'âge. Connie avait pris en carrure, mais ses cheveux étaient légèrement moins courts qu'à l'accoutumée. La majore Hanji n'avait pas changé d'un pouce : seul un bandeau noir camouflait son œil gauche, dissimulant les blessures d'une époque où elle avait trop perdu. Quant à elle, Ackerman avait remplacé sa longue chevelure de jais par une coupe à la garçonne, beaucoup plus pratique sur le champ de bataille.
Levi avait pesté quand il avait retrouvé ses mèches éparpillées sur le sol, mais les cheveux repoussaient. Il aurait le temps, après cette guerre qui semblait éternelle, de perdre ses mains dans son épaisse chevelure. Son amour pourra jouer la mélodie du bonheur à loisir.
Nikolo passa en un coup de vent pour embrasser la mangeuse de patates, et s'éloigna vers la cuisine qui était devenue son quartier général. Ancien soldat dans la marine de l'empire Mahr, il avait commencé à travailler en tant que chef cuisinier après sa captivité sur l'Île du Paradis. Il avait rencontré Sasha alors qu'elle venait manger tous les jours sa cuisine, et grâce à son engouement pour ses talents culinaires, il avait été sauvé de la guerre éternelle entre Mahr et Eldia. Alors qu'auparavant, il avait bataillé avec ferveur contre ces démons ; il avait appris qu'ils étaient loin de l'être. Comment des démons pouvaient apprécier autant ses plats ?
« Bon. Qui a une idée d'où pourrait être cet idiot suicidaire ?
- Il va probablement tenter d'entrer en contact avec Sieg, murmura la commandante du bataillon d'un air songeur.
- Il est sous la surveillance de Levi... Mikasa ignora les sourires amusés, quand elle prononça la prénom de leur supérieur. S'il fait un pas de travers, il le tuera. Je ne comprends même pas pourquoi on ne l'a pas fait plus tôt.
- Jusqu'à présent, il avait un arrangement avec le général Zackley, et Eren était toujours de notre côté... Tuer son frère aurait pu être une catastrophe diplomatique.
- Depuis quand tu fais genre de t'y connaître en politique, crâne d'œuf ? Ricana Sasha en s'étirant.
- Toi, madame je bouffe trop juste avant de partir en guerre donc je loupe la bataille, ferme ta bouche ! La politique c'est aussi simple que la cuisine !
- Tu parles, tu faisais cramer toute la bouffe à la 104e !
- Les gars, s'interposa le détenteur du titan colossal, c'est pas le moment de se disputer. »
Le duo comique termina leur bisbille en grognant, chacun d'un côté de la table. Petit à petit, les ricanements de Kirchstein se firent moins tonitruants et prononcés, parmi ses amis aux qualités humoristiques exceptionnelles, pour se métamorphoser en fragments de rire éclatés sur les parois de sa culpabilité. Ses regards vers la brune s'étaient amoindris, pour demeurer dans ses pensées pleines d'horizons dorés.
La bataille de Shiganshina l'avait changé en un autre homme, et cette inique transformation demeurait l'un des principaux cauchemars de l'explorateur des mers lointaines. Armin avait observé, pendant ces années cauteleuses, les changements intérieurs du leader aux valeurs trop humaines. Sa triste transformation. Parfois, ses iris le regardaient comme un ancien fantôme qui reviendrait parfois à la vie ; et les similitudes qu'il partageait de plus en plus avec Berthold enserraient son cœur dans une détresse exsangue.
« Il faudrait prévenir le caporal, continua Armin d'un air absent. Mais nous avons le soucis des jägeristes qui commencent à s'organiser...
- Tu es certain que c'est juste pas ce tocard de Floch qui s'invente des alliés ? Répondit Connie sur le ton de la rigolade.
- Nos camarades ont l'air d'hésiter face à tous les éloges que Floch lui fait. En plus, les critiques à l'encontre du gouvernement s'enveniment... Les manifestations deviennent violentes.
- C'est la merde. »
Tous poussèrent un commun soupir d'exaspération. Cela faisait des mois que les habitants descendaient dans les rues, scandant des slogans avec la ferveur des condamnés à la potence. Ils réclamaient Eren Jäger, détenteur de l'originel, en tant que roi à la place de la descendante des Reiss.
Un immense fracas fit trembler la bâtisse. Les poutres laissèrent échapper poussière et échardes, qui vinrent danser avec les planches du sol. Le séisme bruyant fut si bref que Sasha crut qu'elle avait rêvé. Mais son ami chauve était bel et bien au sol- la secousse l'avait fait tomber alors qu'il tenait en équilibre sur les barreaux arrière de sa chaise.
« Bordel, c'était quoi ça ?! »
Les soldats se redressèrent d'un geste commun, comme si leurs mouvements avaient été synchronisés par leurs années d'entraînement ensemble. Cependant, avant que les héros de Shiganshina n'aient pu se ruer à la fenêtre, les cliquetis des chargements de fusils résonnèrent dans la pièce exiguë.
« Hep hep hep, un pas de plus et on vous explose la cervelle. »
Mikasa détailla avec stupeur toute une compagnie qui les menaçait. Une kyrielle de canons était dirigée en leur direction, tandis que Foster les observait de haut. Son sourire sardonique ravivait cette lueur amusée qui dansait dans ses iris. Ils semblaient sortir de la cave, utilisée par Nikolo dans le but de stocker les vins. Nul n'osait reprendre son souffle, de peur de déclencher les déflagrations meurtrières.
« Ah, vous devez vous demander ce qu'il se passe, hein ?
- Floch, tu fais une connerie, prévint Jean d'un ton implacable. Eren ne voudrait pas ça...
- Je veux exactement ça. »
Une silhouette se détacha du corps d'uniformes. De longs cheveux bruns tombaient de manière lisse dans son large dos. Deux émeraudes aux éclats sombres se posèrent sur d'anciens camarades, et une ancienne sœur. Le traître fixa, pendant une seconde de trop, le visage fatigué de Sasha, et l'ombre de la satisfaction sembla s'emparer de son visage d'albâtre.
« Eren... Murmura la brune aux cheveux courts.
- Sortez du bâtiment, ordonna le revenant énigmatique. Si vous esquissez un seul geste brusque, nous n'hésiterons pas à vous tuer. »
L'homme aux desseins sibyllins leur fit un signe de la main. Sa paume était barrée d'une large plaie, qui faisait couler du sang sur son poignet. Le détenteur de l'originel fit un geste en direction de la porte, et les soldats armés jusqu'aux dents menacèrent le groupe de leurs canons brillants.
« Vous attendez quoi ?! Allez, plus vite ! »
Sous les cris du roux, les héros de Shiganshina marchèrent dans le sillage d'un démon qui souhaitait déchirer le monde par sa haine.
***
« Je voulais avoir une conversation avec vous, au calme. Il n'est pas nécessaire de nous affronter pour résoudre les problèmes d'Eldia. »
Les cliquetis des roues en bois s'écrasaient contre les pierres. Les mains liées dans le dos, les anciens de la 104e brigade d'entraînement fixaient Eren Jäger, qui semblait voir au-delà de l'horizon un avenir incertain.
« Nous voulions te parler aussi, Eren ! S'écria son ami d'enfance. On aimerait clarifier les choses et que tu nous expliques le fond de ta pensée... Pourquoi avoir fait le choix de partir seul à l'attaque de Mahr ? Tu t'es vraiment rangé du côté de Sieg et Yelena ? »
La question du stratège laissa un silence plein de mystères et de secrets.
« Je suis libre.
- Hein ? Murmura Connie, qui ne le quittait pas des yeux ; tout comme ses camarades.
- Quoi que je fasse. Quels que soient mes choix. Toutes mes décisions sont issues de mon libre arbitre.
- Et le soir de l'inauguration du chemin de fer ? Tu as rencontré Yelena, hein ? Même après ça, tu as conservé ton libre arbitre ? Questionna Jean, qui grimaçait de haine face à cette trahison calculée à l'avance.
- Absolument.
- C'est faux, l'interrompit Mikasa. Ils te manipulent... »
Les prunelles opalines de celui qu'elle appelait sa famille la fixèrent d'un air glacial. Malgré ces années durant lesquelles ils s'étaient éloignés, la jeune femme connaissait son frère. Elle refusait qu'il puisse être celui qui causait les cauchemars de milliers d'enfants ; vu tous les mauvais rêves que la chute de Shiganshina avait causé dans leur foyer.
« Tu n'aurais jamais rien fait qui puisse mettre en danger des enfants ou des innocents... Même s'ils habitent dans un pays ennemi ! Je le sais car tu as toujours pris soin de ceux que tu aimais... Souviens-toi ! Après m'avoir sauvée des ordures qui m'avaient enlevée... Tu m'as passé ton écharpe autour du cou, tu m'as soutenue, accueillie... C'est bien la preuve de ta gentillesse ! »
Elle interrompit sa litanie pour reprendre son souffle. Elle nageait en plein cauchemar. Eren ne pouvait pas être devenu cette espèce de monstre qui avait détruit leurs vies il y a des années. Il ne pouvait pas s'être transformé de manière intentionnelle en tortionnaire d'enfants. Au sein de son crâne, le sang dans ses veines battait de manière furibonde. Une aiguille tordue raclait sa cervelle en une migraine foudroyante.
« Durant mon séjour à Revelio, j'ai pu m'entretenir avec Sieg, continua-t-il en ignorant la brune. À cœur ouvert, entre frères. Il m'a appris énormément de choses, il détient beaucoup plus d'informations que Mahr. Mikasa, tu te souviens de ce que j'ai dit sur les Ackerman, quand tu voulais sauver le caporal ? Vous n'êtes que des esclaves au service de leurs maîtres. Toi et tous les tiens, vous n'êtes que des moutons. Et tu sais ce que je déteste le plus au monde ?
- Eren, arrête ! Scanda Armin en voyant les prunelles de son amie se dilater d'horreur.
- Espèce de... Le détenteur du titan colossal serrait ses poings d'amertume.
- Les lâches qui n'ont aucun libre arbitre. Les soumis. Leur simple vue a toujours suffi à me révulser. Et j'ai enfin compris pourquoi. Je ne supporte pas les lobotomisés qui se contentent d'exécuter les instructions sans jamais rien remettre en question. »
Ses épaules tremblaient. Elle ne pouvait pas croire ça. Alors avec Levi... Non, impossible. Elle avait fait ses propres choix... Ne s'était-elle pas détachée de l'emprise de son frère depuis longtemps ? Rien ne sortait de ses lèvres sèches. Pendant ces deux années, elle avait cherché à oublier ce qu'Eren avait dit, en ce jour funeste. Elle avait cru que ce n'était qu'une manière d'essayer de sauver Jean : mentir. Après tout, ce n'était pas la première fois qu'il le faisait... La soldate avait étouffé cette partie d'elle qui semblait être l'écho de ces révélations.
« Je vais être franc avec toi, Mikasa. Je te hais. Depuis qu'on est gamins.
- Eren ! Comment oses-tu ?! »
Alors que les yeux de l'asiatique devenaient larmoyants, Jean s'élança dans la direction de celui qu'il appelait autrefois son ami. Une immense détresse immergea son cœur, et la jeune femme peina à respirer pendant que le crâne de Kirchstein s'écrasait sur le visage d'Eren. Celui-ci tomba en arrière, en un immense fracas, et deux jägeristes pointèrent leur canon en direction de l'assaillant. Le bruit des armes qui se rechargeaient sonnait le début d'un déchirant conflit.
« Que se passe-t-il ?!
- Ce n'est rien, fit le détenteur de l'originel en se relevant. Restez en dehors de tout ça. »
Le sang qui coulait depuis son nez ne suffisait plus à faire paniquer Mikasa. Dans son être, tout semblait mourir. Les veines qui, auparavant, faisaient battre son sang de manière furieuse, tombèrent dans une torpeur nivéale. Comme si l'hiver avait pétrifié son être. Comme si la neige avait figé ses organes dans l'horreur et le froid.
« Tu sais pourquoi tu n'as jamais été capable de séduire Mikasa, Jean ? Demanda le blessé en s'approchant de son éternel soutien. »
Le poing de celui qui avait tant changé frappa de plein fouet l'abdomen du leader, qui cracha une plainte douloureuse. L'affreux assaut d'un démon contre un ange finit dans un bain de sang. Les phalanges laissaient, sur la peau diaphane du soldat, d'amères traces d'hémoglobine. Le passage à tabac ne dura qu'une vingtaine de secondes, durant lesquelles les vétérans de la 104e étaient impuissants. Les cordes qui enserraient leurs poignets les empêchaient d'agir contre celui qui maltraitait l'un des leurs, et les lèvres de Mikasa ne pouvaient murmurer que des supplications d'arrêt.
« Tu fais simplement pas le poids ! S'écria l'assaillant. T'as jamais été à la hauteur ! Personne ne te remarquera jamais, t'es qu'un faible tout juste capable de lancer un assaut ! Depuis que tu as bouffé Berthold, t'as même perdu tout ce qui te rendait spécial. T'es plus qu'un déchet incapable de la moindre initiative : à part celle de poser mille questions sur ce traître de Reiner.
- Eren, arrête ! »
Les prunelles onyx de Levi se superposèrent à l'horrible scène, et elle crut entendre sa voix rauque lui demander ce qu'elle foutait. Armin s'interposa devant le corps de Kirchstein, au sol, qui tremblait de tétanie ; et Eren prit le temps de l'observer d'un air surpris. Néanmoins, ces relents d'émotions humaines s'évanouirent au moment même où ses anciens amis les remarquèrent ; si bien qu'ils ne surent s'ils n'étaient pas le fruit de leur imagination.
« Comme je vous l'ai dit, il n'y a aucune raison de nous affronter. Pour peu que vous nous guidiez jusqu'à Sieg... Vous deux, ordonna-il en s'adressant aux deux soldats qui surveillaient la scène, redressez-les.
- C'est ça ce que tu voulais nous dire ? S'écria Armin, essoufflé. Détruire Mikasa et Jean, c'est ce que tu appelles liberté ? Franchement, le plus soumis d'entre nous n'est peut-être pas celui que tu crois...
- Fais attention à ce que tu dis. »
Les deux amis furent capturés par la milice du diable, et pendant que leurs blessures s'ouvraient de manière éternelle face à l'écho des paroles du traître, des flammes ravageaient le palais royal. Devant les grilles faites d'acier, la population scandait la déchéance du gouvernement et de la reine. Le corps déchiqueté du général Zackley décorait les pavés d'organes sanguinolents. La moitié de son visage possédait l'horreur de la mort, alors que son œil sortait. Il n'était plus qu'un puzzle que les jägeristes avaient explosé pour pouvoir construire l'œuvre finale : celle de la destruction.
***
Les oiseaux chantaient la mélodie du renouveau entre les pins frôlant le ciel. Leur envol groupé dessinait d'étranges lettres parmi les nuages hyalins, mais Levi Ackerman ne pouvait guère y prêter attention. Devant lui, la cible de son éternelle haine lisait d'un air trop paisible à son goût. Au fond de lui, le haut gradé n'attendait qu'une chose : que ce tocard fasse le moindre faux pas pour l'éviscérer. Là était son souhait le plus sanguinolent : traîner cette enflure jusqu'à ce qu'il ne crève de douleur.
Mais le brun devait attendre les instructions. Sa mission était de faire en sorte que ce connard n'aie aucun contact avec Eren, en attendant que les doutes sur les deux frères ne s'envolent. Derrière lui, son escouade chantait à la manière d'oisillons égorgés des hymnes glorieux. Le caporal-chef se redressa, et tira une bouteille d'une des caisses que ses soldats semblaient protéger davantage que l'humanité.
« C'est nouveau, vous picolez pendant le service ?
- Mais non, caporal-chef ! Mais là, c'est un grand cru Mahr... En temps normal, il n'y a que les brigades spéciales qui y ont droit !
- Des jeunes de chez nous ont fait des pieds et des mains pour s'en procurer un petit stock, expliqua l'une des jeunes recrues. On ne va quand même pas les laisser là ! Allez quoi, faut bien se détendre un peu !
- Il y a du thé pour se détendre, à ce que je sache.
- Caporaaaaal... Scandèrent tous ses subalternes d'une même voix suppliante.
- Tss ! Vous commencez à me gaver... Vous pourrez en profiter seulement quand la mission sera terminée. »
Un commun soupir de désespoir retentit dans la forêt. L'enfant des bas-fonds se pinça le nez en grommelant. Comment pouvait-on boire une telle horreur ? Le thé était clairement supérieur à cet alcool amer, et avait l'avantage de ne brouiller aucun sens.
« Vous pouvez vous détendre, caporal-chef. Ma lecture est trop passionnante pour que je puisse partir, plaisanta Sieg en ricanant, je voudrais d'abord finir mon chapitre.
- Je ne pourrai me reposer que lorsque ta vieille carcasse sera rongée par les vers.
- Charmant.
- Mais avant ça, j'ai une question à laquelle tu peux répondre.
- Pourquoi le ferais-je ?
- N'est-ce-pas dans ton intérêt de te montrer coopératif ? »
Le lecteur redressa sa tête, abandonnant les lignes qui formaient une histoire au fil des lettres, et referma le recueil en notant le numéro de la page dans un coin de son esprit. Un rayon de soleil se refléta dans ses verres doublés, si bien que son interlocuteur ne put voir l'expression de son regard.
« J'écoute.
- Redis-moi comment vous vous y êtes pris pour transformer des titans au sein de nos murs. »
L'ancien guerrier fixa le visage austère d'Ackerman pendant de silencieuses secondes. Au bout d'une dizaine d'entre elles, le caporal soupira, songeant que sa question resterait en suspens. Néanmoins, le blond se pencha encore vers lui, et sa voix lui susurra les promesses de la vérité.
« C'était un gaz de combat. Poussé par le vent, il s'est répandu comme un nuage et a totalement recouvert ce patelin. Il est produit à partir de mon liquide cérébro-spinal. En inhalant cette substance, tout descendant du peuple d'Ymir se crispe instantanément. Le corps se raidit, et le sujet perd aussitôt connaissance. J'ignore les subtilités du processus, mais il suffit que mon liquide cérébro-spinal pénètre dans l'organisme des descendants d'Ymir pour inscrire en eux l'Axe qui permet d'activer leur pouvoir de titan. Je n'ai alors plus qu'à émettre un ordre qui se transmet à eux via « le chemin » ainsi établi pour qu'ils se transforment. Tous ces titans sont, dès lors, liés à mon bestial et se retrouvent entièrement soumis à ma volonté. Ils obéissent à la moindre de mes injonctions.
- Ce patelin, pour ta gouverne, s'appelait Ragako. Tâche de t'en souvenir, barbu. T'as massacré tous ses habitants, je te signale !
- C'était un malheureux sacrifice, mais nécessaire. Je n'avais pas le choix. Si les Mahr se doutaient que j'œuvrais pour le renouveau d'Eldia, jamais je n'aurais pu mettre en place tout ce que je prévoyais pour apporter l'espoir à cette île. Mais tout ça, je te l'ai déjà expliqué lorsqu'on a débarqué. Pourquoi tu me fais répéter ? »
Les traits d'expression de Levi étaient tirés en une grimace fielleuse. Derrière lui, ses soldats se tenaient d'un air menaçant, armes dans les bras. Leur haine était si palpable qu'elle aurait pu blesser le détenteur du bestial.
« Parce que je perçois pas en toi la moindre once de remords. Je sais pas si t'as vraiment l'intention de tirer Eldia de la merde... Mais en tout cas, tu te fous totalement de nos vies.
- Tu dois pas avoir beaucoup de succès avec la gent féminine, toi. Mon conseil : cesse de présumer des sentiments d'autrui.
- Tss, j'ai plus la cote que tu ne l'imagines...
- Tant mieux pour toi. Et sinon... Quand est-ce que je vais pouvoir rencontrer Eren, qu'on procède à l'essai ?
- Cela ne dépend pas de moi. J'attends les ordres.
- Eh bien, tu devrais faire savoir à ta hiérarchie que ce serait une erreur de croire qu'on a tout le temps devant nous.
- Là-dessus, au moins, on est d'accord. »
La discussion entre deux rivaux sempiternels fut appuyée d'effluves viticoles et de l'aubade des oiseaux de la liberté.
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