34 - Schmerz
Bonjour ! Enfin, la suite d'à mon signal, me direz-vous ! Le rythme de publication reprendra comme celui d'avant : tous les deux jeudi, car on change pas une équipe qui gagne. Comme énoncé précédemment, il y aura des spoils du manga - mais toujours détournés, comme vous l'avez vécu dans les 33 premiers chapitres. Bonne lecture et je suis heureuse de vous retrouver !
***
« Eren Jäger, tu es soit totalement idiot, soit le pire traître que cette Terre ait porté. »
Deux prunelles azurines détaillaient d'un air implacable la silhouette de l'homme en face d'elle. Le détenteur du titan assaillant se tenait dans l'encadrement de sa porte, et la nuit qui tombait dessinait dans son dos des ailes de sang. Ses longs cheveux étaient attachés en chignon derrière son crâne, et se confondaient à merveille avec les ténèbres qui l'entouraient.
« Tu es au courant que venir me voir n'était pas la meilleure stratégie, si tu voulais t'enfuir ?
- Je voulais savoir si l'enfant allait bien. Et toi aussi, par la même occasion. »
Par réflexe, la reine Historia recouvrit son ventre de ses deux bras, alors qu'une grimace fielleuse déformait son visage d'ange. Un léger sourire prit place sur les traits du soldat.
« Connard. C'était quoi, tout ce bordel à Revelio ?! Tu as osé faire un attentat pendant une conférence internationale... Maintenant, le monde entier va nous voir comme une menace à exterminer ! Hurla la souveraine. Je ne comprends pas ce qu'il s'est passé, dans le néant que constitue ton crâne.
- Dans cette conférence, Will Tyber parlait du danger que nous représentions et de la nécessité d'exterminer tous les Eldiens...
- Grand bien lui fasse : à présent, tout le monde est d'accord avec lui !
- J'ai dévoré le titan marteau ! Cela nous fait une arme de plus... Et nous avons gagné. On a fait de gros dégâts sur leurs forces militaires, et nous sommes prêts militairement pour défendre l'Île du Paradis.
- Prêts militairement ? La reine ricana d'un air méprisant. Et tu te prends pour qui pour décréter ça ? Le Bataillon est séparé en deux, entre ceux qui sont pour le régime actuel et ceux qui veulent que tu prennes MON trône. La population sent cette scission et la partage.
- Les Jägeristes sont une majorité... Ce n'est que l'influence de nos amis qui les effraie de l'afficher.
- Amis ? Comment tu peux penser une seule seconde que nous sommes encore tes amis ? Le Bataillon a perdu confiance en toi, quand tu as fait ça sans MON aval et sans LES avoir consultés. Tu as déclenché, délibérément, une guerre.
- Ce sont eux qui ont déclenché la guerre, il y a 7 ans ! Et ne crie pas autant. Une femme enceinte devrait éviter de stresser...
- Ne me dis pas ce que je dois faire ! »
Furibonde, la blonde commença à marcher dans la petite cabane de bois, faisant grincer les planches sous ses foulées véhémentes. Son abdomen proéminent semblait se mouvoir avec ses pensées.
« Pourquoi es-tu là, Eren ?
- Je te l'ai dit. Je voulais voir si tout allait bien.
- Ose me prendre pour une idiote encore une fois, et titan assaillant ou non, tu regretteras de m'avoir mise en rogne.
- L'avenir dépendra de cet enfant, que tu le veuilles ou non. Aussi, évite d'aller dans les cités à partir de ce jour. Le climat va devenir anxiogène.
- Explique-moi ce que tu comptes faire, charogne !
- Prends soin de toi, Historia. »
L'homme mystérieux tourna le dos à la jeune femme, dont le visage devint rouge de colère. Historia Reiss se baissa pour prendre une de ses sandales, et la lança en direction du brun qui s'éloignait dans l'obscurité. Sa chaussure s'échoua sur le sol humide, et elle hurla, seule, alors que son poing s'écrasait contre la table à sa gauche.
Quelques contractions la plièrent en deux, et elle vociféra des malédictions contre cet homme qui avait tant changé depuis qu'elle l'avait rencontrée. Elle sentit, dans le fond de ses entrailles, des coups qui tapissaient sa paroi utérine, et elle eut l'impression que l'enfant qu'elle portait voulait la prévenir.
Elle pria pour que sa solitude ne finisse par l'étrangler, dans son étreinte serpentine. Que les écailles ne lui lacèrent la peau de son cou. Que le venin ne l'achève par des morsures fielleuses. Peut-être se retrouveraient-ils ensemble en enfer, pour pouvoir crier éternellement la douleur de leur damnation.
***
Les murmures frais des chants d'automne venaient caresser ses bras nus. Des notes graves, éparses dans une mélodie apaisante, tournoyaient encore entre ses songes et sa conscience du réel. Trois doigts graciles vinrent frôler le haut de son dos, à travers son t-shirt trop grand pour elle, et descendirent le long de ses côtes. Mikasa grogna en souriant, pendant que la main familière du chanteur s'engouffrait dans ses cheveux courts.
« Allez gamine, c'est l'heure de se réveiller.
- Tes chansons m'ennuient tant que je me rendors dès que j'entends ta voix...
- Ne me flatte pas, je vais continuer de te casser les oreilles sinon.
- Avec plaisir. »
L'endormie se retourna. Le drap glissa sur son corps athlétique, et elle détailla le caporal-chef Levi dont la silhouette découpait une ombre éthérée dans les nimbes du matin. Celui qui partageait son quotidien lui souriait de manière imperceptible, tandis qu'il arrangeait le foulard qui bordait ses clavicules.
« Je ne sais pas quand on va se revoir, j'ai été affecté à la surveillance de l'autre macaque.
- Je te parie 3 steaks que tu ne tiendras pas deux semaines sans lui trancher la gorge.
- Braus et Kirchstein ont une influence néfaste sur toi.
- Tu as éludé le sujet.
- Je vais essayer de tenir plus de deux jours, mais je ne te promets rien. »
Le militaire à l'éternelle nuque rasée enfila ses bottes, et l'asiatique le contempla pendant quelques secondes. Ses yeux en amande se plissèrent sous l'inquiétude.
« Ne laisse pas la haine aveugler ta prudence.
- Tu joues les philosophes ?
- Je suis sérieuse, Levi. Tiens la promesse que tu as faite au major Erwin, et reviens en un seul morceau. »
Dans son ordre implacable, la femme qui avait des ombres dansantes au milieu de ses regards éperdus s'était redressée sur le matelas. Son interlocuteur interrompit ses actions pour venir prendre entre ses mains son visage diaphane, et il caressa une stigmate d'autrefois de son pouce froid.
« Comment pourrais-je continuer de te faire chier avec mes chansons débiles, si je crève ?
- Exactement. Donc je te l'interdis.
- Bien, commandante Ackerman. Je suivrai votre ordre en dévouant mon cœur à vos baisers. »
Sans que la concernée ne puisse pousser un râle de surprise face à sa déclaration, le haut gradé vint l'embrasser avec l'application d'un religieux face à une déesse hyaline. Mikasa prit une grande inspiration, humant l'odeur de son amour une dernière fois, avant que la distance ne la sépare de ses lèvres attractives.
« Comment suis-je sensée te laisser partir si tu me dis des trucs comme ça ? Sois désagréable comme d'habitude, ce sera plus simple pour moi.
- Tu pues de la gueule le matin, mais j'adore toujours autant t'embrasser.
- Sombre idiot, pars ou je te vire de cette chambre avec un coup de pied dans les fesses.
- Je serais curieux de voir ça. »
D'un sourire, il lui déposa un dernier baiser sur son front, et l'ombre de l'être aimé se dissipa dans les limbes de ses souvenirs.
Au milieu des ondes oniriques de songes remplis de tubercules fris, Sasha Braus gesticulait dans son lit à la manière d'une condamnée à la potence. Ses gestes brusques attirèrent l'attention d'une grande femme aux cheveux de jais, qui retombaient de manière lisse sur ses tempes. Ses courtes mèches laissaient apercevoir sa nuque, ainsi qu'une myriade de cicatrices qui la décorait. La militaire, dont la tenue faite de noir mettait en valeur sa musculature sèche, se redressa au chevet de l'endormie en se frottant les yeux.
Mikasa ne s'était pas rendu compte qu'elle avait rejoint son amie dans les bras du sommeil. Le rêve qu'elle venait de faire lui fit un pincement au cœur, quand elle se rendit compte que cela faisait trop longtemps qu'elle n'avait pas vu Levi... Mais elle évitait d'y penser, afin que l'angoisse et l'inquiétude ne paralysent pas ses actes. Le filet de bave qui s'écoulait sur le menton de sa meilleure amie la dégoûta, et elle se mit à pester.
« Tu as beau avoir vieilli, tu es toujours si écœurante.
- Je t'entends, Mika. J'espère que ce n'est pas ce que tu diras à mon enterrement.
- Parce qu'en plus tu faisais semblant de dormir ?
- Je ne voulais pas te réveiller... »
Deux grands yeux sombres, parsemés d'éclats d'ambre, se posèrent sur la combattante. L'endormie s'étira en souriant, alors qu'une pléthore de faisceaux lumineux éclairait la pièce. Le soleil venait de se lever, lui aussi.
« Alors, cette opération ? Vous avez réussi à vous débrouiller sans ma formidable force de frappe ? Aucun de vous n'est venu me voir en deux semaines, je me suis sentie abandonnée ! Et aucune information n'a fuité... Le bruit court, dans les rues, qu'Eren a flanqué une dérouillée à Mahr.
- C'était... compliqué. On a réussi à récupérer Eren, mais la scène était difficile à voir. Il a tué, en majorité, des civils... Nous, on s'est occupés des militaires. Eren a réussi à récupérer le titan marteau grâce au mâchoire, qu'il a utilisé comme casse-noix...
- Eren a vraiment fait ça ? Wow, ça change de l'image de héros que la population semble avoir de lui...
- Malheureusement. Je le reconnais de moins en moins.
- Je vois ça... Et Reiner ? Annie ? Ils étaient là ?
- On avait réussi à isoler les deux autres Mahr. Reiner a tardé à apparaître, et Annie est arrivée en même temps que le bestial. D'ailleurs, Sieg nous a rejoints pendant notre fuite dans le dirigeable. J'ai retenu comme je le pouvais Levi, qui mourrait d'envie de le découper vivant... Hanji l'a mis sous sa surveillance depuis une semaine et demi, et elle a emprisonné Eren pour insubordination et prise d'initiative infructueuse. Il y a toute une compagnie pour l'arrêter s'il venait à nous trahir. Et toi alors ? Nikolo a pris soin de toi ?
- Il avait plutôt intérêt, avec l'intoxication alimentaire qu'il m'a causée !
- Il ne savait pas, pour les champignons... Il n'a pas grandi ici.
- Oh mais ne t'en fais pas, il a su se faire pardonner. »
Le large sourire de la soldate fit presque ricaner son amie. Ackerman profita du silence et de la sérénité que lui offrait son éternelle sœur d'armes, et ferma les yeux pour se délecter de cette torpeur rassurante. Toute l'angoisse qu'elle avait accumulée dans sa cage thoracique s'échappa avec ses expirations apaisées. La peur d'échouer, les incartades malheureuses causées par la main d'un frère qui n'en était plus vraiment un, les pertes, le sang, les larmes, la terreur dans les yeux de ceux qui s'envolaient par sa faute... Tout disparut quand Mikasa laissa s'échapper un long souffle salvateur.
Néanmoins, comme la vague qui se retire du sable humide, la houle revint s'agripper à la terre ferme. Tout revint quand la porte s'ouvrit à la volée. La peur d'échouer, les incartades malheureuses causées par la main d'un frère qui n'en était plus vraiment un, les pertes, le sang, les larmes, la terreur dans les yeux de ceux qui s'envolaient par sa faute... Toute l'angoisse qu'elle avait accumulée dans sa cage thoracique la frappa de plein fouet.
Jean arrêta sa course devant les deux femmes qui l'observaient en silence. Sa respiration erratique ne l'aidait pas à aligner les quelques mots qui se hâtaient de sortir de sa bouche sèche. Ses mains enserraient ses genoux en une poigne implorante. Ses cheveux, devenus plus longs sur le dessus, recouvraient la partie basse de son crâne rasé. Ses deux prunelles s'ancrèrent dans les iris de Mikasa, et une sensation de détresse débuta une valse avec l'angoisse passée du champ de bataille.
« Eren s'est enfui. On ne sait pas où il est. Bordel, je sais pas qui a donné la surveillance de la cellule à ce tocard de Floch, mais c'était la décision la plus stupide de l'histoire de l'humanité !
- Quoi ?! Depuis combien de temps ?
- On sait pas ! Ce connard a fait mine de s'être endormi, et il n'a aucune idée de quand il a pu se faire la malle ! Si tu veux mon avis, il l'a libéré de son plein gré. T'as vu comment il tirait sur les civils car c'étaient des Mahr ou des Eldiens alliés à eux ?
- J'ai bien remarqué... Désolée Sasha, on va y aller.
- Courage les gars ! Et dites à Nikolo que je commence à avoir faim ! »
Les deux soldats s'engouffrèrent dans les escaliers, le souffle vague et les pensées qui divaguaient. Les hadales des possibles engloutirent ces deux lueurs d'espoir, sans qu'ils ne sachent vraiment que leur camarade et frère les avait poussés dans ces abîmes ignées.
Lorsque les deux militaires se hâtèrent à l'extérieur, une silhouette longiligne se découpa parmi le quotidien routinier du marché. Les étalages grouillaient de légumes, fruits, épices venues d'un autre monde ; mais une femme était là, camouflée derrière une capuche trouée et le journal du jour. Elle abaissa le papier jauni par l'usure, et les observa avec l'application d'une guerrière en mission de renseignement.
Peak Finger se glissa dans l'obscurité des ruelles, à la manière d'une oracle qui souhaitait fuir ses implacables prophéties.
***
Il avait envie d'elle. Dieu, qu'il avait envie d'elle quand il faisait noir. Dieu, qu'il avait envie d'elle quand il avait mal. Il voulait qu'elle l'apaise, qu'elle l'enlève, qu'elle le berce, qu'elle soit douce, ou violente ; il ne savait même plus.
Ainsi, le capitaine allait tomber dans ses bras pour ne jamais revenir. Elle serait sa compagne de voyage, pour l'éternité.
Dans une pièce sombre et étroite, Reiner était assis sur un tabouret au bois rongé par le temps. Devant ses yeux d'or, dont les lueurs d'espoir n'étaient plus qu'une légende lointaine, une arme à feu reposait sur le bureau en bois. Cela faisait des heures qu'il était enfermé, seul, dans cette salle qui ressemblait à une prison angoissante. Des heures qu'il nettoyait son fusil d'assaut, pièce par pièce, avec une application emplie de dévotion. Pour ce dernier voyage.
À présent, le guerrier était démuni face aux démons qui tournoyaient dans ses songes. Ses mains ne pouvaient plus repousser les salves monstrueuses de ses regrets, et celles-ci le noyaient sous un océan d'amertume. Dans sa gorge, l'épais liquide s'engouffrait dans ses poumons, paralysait ses veines, tyrannisait ses muscles et empoisonnait ses organes.
Et il avait beau vomir son désespoir chaque nuit, ses tonneaux de Danaïdes se remplissaient de manière sempiternelle.
Il avait cru pouvoir rejoindre Berthold, lorsqu'Eren était apparu dans cette cave insalubre. Falco Gleis, un des apprentis guerriers qui passait les sélections pour devenir son successeur, semblait s'être lié d'amitié avec cette façade que son ancien camarade avait arboré tout ce temps, ici, chez lui. Alors l'enfant l'avait tiré par la main avec ce visage insouciant qu'il aurait aimé conserver toute sa vie.
Il ne voulait pas que ces gamins ne lui succèdent. Que ce soit le blond, ou sa cousine Gaby, puisque les deux petits Udo et Sofia étaient décédés à la suite de l'offensive de Jäger... Ces gamins méritaient une vie longue et paisible. Non pas la cruelle blague qu'il avait vécu pendant ces longues années...
Il avait envie d'Elle quand il avait mal. Quand la douleur était insupportable. Seulement, depuis deux ans, sa vie n'était qu'une plaie béante qui suintait sans accalmie.
Une vie de mensonges, de faux-semblants et d'hypocrisie... Personne ne méritait ça. Sauf lui, peut-être. Tout d'abord, il avait cru aux mensonges de sa mère. Ils vivraient tous les trois, avec son géniteur, si ses prouesses guerrières étaient suffisantes. Puis, il avait cru aux illusions prodiguées par les Mahr : les eldiens étaient des démons qu'il fallait éliminer. Quelle surprise l'avait étranglé, lorsqu'il s'était rendu compte qu'ils n'avaient rien de plus démoniaque que les humains qu'il connaissait déjà. Qu'ils méritaient autant de vivre que sa mère, ses amis, et les Mahr. Et un dernier mensonge avait fini de le faire pencher dans le vide : il n'avait pas été le guerrier choisi pour être le cuirassé. Marcel le lui avait dit, avant que sa chair ne soit arrachée par les dents du titan sans volonté d'Ymir : il avait convaincu les autorités de le choisir plutôt que de sélectionner Porco.
Ah, qui était-il pour reprocher à un grand frère de vouloir protéger sa famille ?
Face à cette marée de mensonges qui avait ravagé sa vie, Reiner n'avait été capable que d'une chose : façonner un dernier mirage, un ultime radeau qui le maintiendrait à la surface. Celui d'être un combattant loyal, qui se battait pour que l'humanité soit sauvée du joug des titans. Le guerrier était devenu soldat, son empathie était devenue protection, et son maître mot était la dévotion envers ses frères et sœurs d'arme.
Quelle atroce illusion, à laquelle il s'était accroché comme un naufragé à la dernière bouée de sauvetage. Une superbe farce. Berthold avait bataillé pour le faire revenir sur le rivage. Pour que les vagues ne le noient plus, tandis qu'il tentait de lui hurler ses borborygmes dissimulés sous la houle. Le guerrier doré avait accosté sur la terre de son amour, et il put enfin inspirer un air autre que vicié.
Néanmoins, le sol s'était dérobé sous ses pieds, et il avait sombré dans l'océan de ses hantises. Le blond avait coulé comme l'ancre rouillée d'un navire fantôme, et cela faisait deux ans que rien, absolument rien, ne le hissait à la surface.
Ainsi, s'il était condamné à se noyer éternellement, autant étouffer entre ses bras et céder à son désir pour Elle.
De ses deux mains rugueuses, il attrapa le corps du fusil et le posa sur ses larges cuisses. Le contact froid du canon entre ses mains lui provoqua un frisson d'horreur. Le capitaine des guerriers de l'empire prit son temps pour saisir les cartouches entre ses doigts, et les insérer dans la lame-chargeur. Chaque cliquetis résonnait dans son crâne comme le glas du jugement dernier.
Il enfonça la première cartouche dans la chambre de l'arme à feu, et Reiner fixa l'arme dans un silence mortuaire. Comme s'il faisait quelques minutes de silence pour honorer cette farce ridicule qui lui servait de vie. Ou peut-être écoutait-il cette vieille chanson, l'élégie cruelle du fusil, qui lui murmurait tristement : « Eh bien ? Qu'attends-tu ? Utilise-moi. »
L'ancien soldat humidifia ses lèvres avant de plaquer la crosse de l'arme contre le sol froid. Le canon gris se retrouva devant son visage tiré par le désespoir. L'une de ses mains glissa contre le corps du fusil, et s'immobilisa une fois que ses doigts frôlèrent la queue de détente. De sa seconde poigne, il pencha le canon vers sa gorge.
Contre la base du cerveau. Plus de régénération. Plus de douleur. Plus de souvenirs.
Il avait envie d'Elle quand il faisait sombre. Quand les ténèbres étaient rois. Seulement, depuis deux ans, sa vie n'était qu'un long tunnel dénué d'une quelconque lumière.
Le massacre de Revelio se rejoua devant ses prunelles comme un théâtre dramatique, avec les enfants et les civils écrasés comme de vulgaires insectes. Puis, celui de Shiganshina s'ajouta à la triste commémoration, et il ne sut, finalement, de quel côté il devait être. Ses mains tremblaient pendant que les fantômes hurlaient dans ses oreilles.
Deux iris sombres brisèrent la chorale macabre, et la danse mortuaire s'évanouît devant le visage souriant de Berthold. Le fusil s'échoua contre les tibias du guerrier, alors que ses mains tremblantes enserraient son amour déchu ; mais il ne rencontra qu'un vide éperdu. Les vestiges de son idylle disparurent avec les derniers relents de ses espoirs.
Ses prunelles d'or furent remplies de larmes, et pendant qu'il positionnait le canon dans sa bouche grande ouverte, une porte s'ouvrit.
« Braun tu- »
Galliard se stoppa net en voyant l'arme prête à exploser le crâne de son supérieur. Le désespoir se mélangea avec la panique d'avoir été découvert avant d'avoir pu appuyer sur la queue de détente, et la danse erratique des émotions vint appuyer douloureusement sur sa trachée. Reiner étouffait.
« Wow. Tu ne roules pas une pelle au fusil j'imagine ? »
Sa respiration s'accéléra en une turbide éprouvante, et il se retrouva noyé, immergé, encore et encore. Le silence qui suivit sa demande fit grincer le roux des dents. Il avança d'un pas, les mains devant lui ; comme quelqu'un qui voudrait atteindre une personne sans l'effrayer.
« Hey, Reiner. Éloigne-moi ça de là, c'est dangereux. Tu pourrais te blesser.
- C'est le but d'une balle dans la tête.
- Ne fais pas de conneries. Tu crois qu'on a pas souffert d'assez de pertes avec ce putain d'Eren Jäger ? Il faudrait en plus qu'on te perde toi ? »
Au moins avait-il réussi à déloger ce foutu canon de sa bouche, se rassura le guerrier flamboyant. Mais il voyait bien le visage tiré de son rival d'antan. Porco détaillait ses cernes éternelles, ses yeux rougis, et les traits désespérés qui régissaient ses expressions faciales. Depuis la bataille de Shiganshina, il avait radicalement changé d'attitude. Doux avec les enfants, sérieux et pragmatique dans ses devoirs guerriers, s'écrasant perpétuellement devant ses vindicatives attaques.
Il avait pensé que cela passerait. Mais la perte de Berthold Hoover l'avait changé à jamais.
« Tu n'as plus qu'une poignée d'années à tenir... On prépare la riposte. J'aimerais que tu sois là quand on va écraser ces tocards qui ont tué Berthold. »
Sa voix tonitruante frappa l'océan dans lequel il se noyait, séparant momentanément les pans d'eau pour laisser inspirer le malheureux guerrier. La foudre scindait les vagues, bataillait avec les créatures abyssales qui souhaitaient le tirer vers le néant.
Un sanglot fit exploser le venin qu'il consommait depuis des années. Reiner se pinça l'arête du nez, plissant ses paupières avec force pour que les larmes ne l'étouffent pas. Il sentit son fusil quitter ses mains rugueuses, mais dans ses prunelles, ses pleurs rendaient toute la pièce floue.
Pendant quelques secondes, le roux se tint devant sa silhouette frémissante. L'arme à feu était trempée entre ses mains, et il ne savait comment réagir face à cette détresse. Il n'avait jamais été doué pour ça. De quoi avait-il besoin ? D'affection ou d'espace ? D'encouragements ou d'insultes ? Cette situation le mettait profondément mal à l'aise.
S'il le laissait sans armes, peut-être arriverait-il à se reprendre seul ?
Reiner sentit deux mains fouiller les poches de son pantalon, ainsi que son couteau glisser en dehors de sa poche. Il tenta d'apercevoir, au-delà de ses sanglots, le visage de son camarade ; mais tout était trop flou.
« Tout ira bien... Le guerrier flamboyant fit une pause, cherchant ses mots de manière maladroite. Le général Magath te cherche pour la contre-offensive. Après tout, avec la trahison de Sieg, tu portes un sacré poids sur les épaules... Alors ne t'affaisse pas maintenant, capitaine. Tu as encore un bout de chemin à faire avant de rejoindre Hoover. »
Le souffle rauque de Braun se répercuta contre les murs de la pièce, accompagné par le son des foulées de Porco Galliard. Celui-ci laissa le haut gradé seul. Reiner se retrouva déchiré entre sa douleur et son devoir, comme il l'eusse été autrefois entre son devoir et ses désirs. Néanmoins, le souhait qu'il avait formulé sur l'île du Paradis, jadis, n'était pas devenu désuet.
Il ne voulait plus verser de sang, ni connaître d'autres affreuses pertes. Il ne voulait plus être baigné dans la gloire et être érigé en tant que guerrier salvateur de l'espèce humaine.
Il avait juste envie de céder et de la rejoindre dans son lit. Il voulait juste abandonner et laisser son désir pour Elle guider l'acte final de sa vie.
L'ancien soldat souhaitait juste que le tourbillon infernal dans lequel il brûlait ne se calme, pour laisser place à l'accalmie qu'il avait tant cherchée.
Reiner Braun priait juste pour que le déchaînement des enfers ne cesse enfin.
***
Hep hep hep, ne partez pas tout de suite. Si vous avez aimé le passage avec Reiner, j'ai écrit toute une fanfiction sur cette partie, très semblable à l'histoire d'à mon signal. Elle s'appelle "élégie", et elle comporte 8 chapitres. Du coup, c'est un peu comme si vous lisiez une fanfic alternative à à mon signal... :)
À dans deux semaines !
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