32 - Anamnese

Entre les vestiges de Shiganshina, les trois soldats revivaient leurs souvenirs d'antan. Chaque ruine, derrière leurs prunelles attentives, devenait une demeure dans laquelle des fantômes souriaient. Ils rencontraient à nouveau leurs voisins ; les personnes qu'ils connaissaient de vue, ou les enfants détestables. Enfin, l'ancien foyer des Jäger se découpa parmi les décombres, et Eren crut apercevoir, une dernière fois, le visage aimant de sa mère.

La présence de ses deux amis le poussait à avancer, malgré les remarques acerbes qu'il souhaitait faire à sa sœur. Elle semblait regretter de laisser le caporal seul, et cela le plongeait dans une colère noire. Le détenteur du titan assaillant ignorait comment ce lien entre eux s'était créé, mais il n'était pas sensé exister. Cette inconnue dans l'équation semblait tout chambouler, et cela le faisait paniquer. Son plan pouvait-il se dérouler sans encombre, avec un tel bouleversement ?

La cave semblait s'être construite à ciel ouvert. Les escaliers s'enfonçaient dans la terre, vers le début d'un enfer qui semblait n'avoir aucune fin. Armin passa en premier, éclairant le boyau de terre avec une lanterne. La lumière vacillante éclaira un verrou. Le blond se retourna vers son ami. Ses iris bleus, à la fois incertains et tremblants de curiosité, lui firent cette demande muette à laquelle il répondit par un hochement de tête.

La clé rouillée semblait bien lourde, dans sa main. Le brun tenta, pendant de longues secondes, de faire rentrer celle-ci dans la serrure, mais ses efforts étaient vains. Ce n'était pas la bonne. Hanji le pressait, Mikasa lui demandait si tout allait bien, les jambes d'Armin tremblotaient.

« Ce n'est pas la bonne clé.

- Quoi ? Mais... Je suis certaine que c'était celle du docteur Jäger... Murmura Ackerman.

- Comment va-t-on faire ? »

Hanji sembla réfléchir à une solution pour ouvrir cette porte. Le blond, aux côtés de la jeune fille, murmurait des plaintes paniquées. Seul Eren demeurait devant la porte, les yeux dans le vague. L'asiatique posa sa main sur l'épaule de son frère, lui intimant de reculer. La surprise qui passa dans ses prunelles émeraudes lui donna une curieuse impression. Dans son cœur, la satisfaction de l'inattendu et les affres d'une part d'ombre dansaient une valse cadencée.

« Reculez. »

Ses muscles se tendirent sous la contraction explosive, et son pied vint enfoncer la porte en bois. Elle entendit les exclamations de la cheffe d'escouade, ressentit le souffle coupé d'Armin, et plongea dans les prunelles à la fois agacées et choquées d'Eren.

« La voie est libre. »

L'obscurité baignait leur découverte dans les ténèbres. Hanji alluma une lampe, sur un bureau poussiéreux, et la pièce fut remplie d'une lueur chatoyante. Le trio redécouvrit les affaires de Grisha : une balance, des documents et des fioles étranges. Il y avait, contre le mur, des cartes enroulées représentant les systèmes anatomiques humains.

« On dirait presque un laboratoire, commença Hanji.

- Mon père était docteur, il descendait ici pour fabriquer ses remèdes...

- Tout fait sens. À première vue, ces remèdes n'ont rien d'exotique... Et tous les livres semblent parler de médecine. »

Armin feuilletait avec une avide soif de connaissance les livres du médecin. La militaire, dont la moitié du visage était recouverte de bandes blanches, continuait son analyse.

« « Il n'y a rien de suspicieux ici », c'est ce qu'il voulait faire penser aux gens.

- Oui... Si on veut camoufler quelque chose aux brigades spéciales, la conforta le stratège, c'est logique que ça n'apparaisse pas au premier coup d'œil. On devrait chercher dans des endroits inattendus. »

Eren et Mikasa, restés dans leur contemplation des vestiges de leur enfance, se mirent au travail. Le soldat secouait les livres vers le bas, pour faire glisser sur le sol quelque document compromettant. Sa sœur adoptive, de son côté, fouillait le bureau avec nostalgie. Ils n'avaient jamais eu le droit d'entrer dans cette pièce, mais pourtant, celle-ci lui semblait familière. Comme si Grisha était encore là. Elle prit un livre à la couverture céruléenne dans ses mains, encore plongée dans ses illusions d'enfance, et un verre chuta sur le plancher. La vision de cet ustensile la plongea des années auparavant, quand elle le lui apportait avant qu'il ne passe la nuit à travailler. Les remerciements rassurants du docteur berçaient encore son être dans une torpeur chaleureuse.

Néanmoins, lorsqu'elle se pencha pour ramasser la tasse en bois, ses yeux sombres s'alignèrent avec une cavité présente dans le meuble. Son cœur loupa tout d'abord un battement, pour ensuite s'engager dans une course excitante.

« Eren. Il y a une serrure, ici. »

Les trois autres soldats inspectèrent le bureau. La tension qui s'était installée dans la pièce semblait danser au-dessus d'eux, au rythme du chant amusé des Parques. Lorsqu'Eren dirigea la clé vers la fente sombre, celle-ci rentra parfaitement dans la mystérieuse serrure. Le tiroir s'ouvrit facilement. Les affres de l'impatience et de l'anxiété se mélangeaient avec l'odeur de la sueur.

« C'est vide ?!

- Attends, regarde plus attentivement... Murmura Armin, qui appuya à plusieurs reprises sur la planche en bois. Il y a un double fond. »

Hanji saisit une sorte d'objet entouré d'un drap sale, le reniflant avec curiosité.

« Étrange... On dirait que ça sent la menthe et le charbon. Peut-être pour éloigner l'humidité et les insectes ? »

Trois livres aux couvertures bigarrées reposaient dans le tiroir. Armin déposa le premier sur le bureau, le regard figé sur celui-ci ; comme si les réponses allaient sourdre l'épaisse préface. La main d'Eren se posa sur le recueil, tremblante.

« Je me demande ce que mon père voulait me montrer... »

Sa voix était secouée par des trémolos, et cela faisait longtemps que Mikasa ne l'avait pas vu dans cet état. Peut-être qu'il était redevenu le Eren qu'elle avait connu, il y a bien longtemps ? Elle posa sa main sur le livre, en guise de soutien. Leurs regards se croisèrent, et c'était la première fois où cet échange n'était pas teinté d'amertume.

La couverture dévoila une représentation de trois personnes. Eren prit le bout de papier, silencieux, et examina les figures austères qui s'y découpaient.

« C'est un portrait ? Demanda Eren.

- Fais-moi voir, demanda Hanji avant de se pencher sur leur découverte. Non... C'est bien trop détaillé pour avoir été dessiné par quelqu'un.

- Au dos, c'est l'écriture du docteur Jäger ! Intervint Mikasa en pointant du doigt les lettres discrètes. »

La militaire tourna la feuille et commença sa lecture.

« Ce n'est pas une illustration. Ce dispositif utilise la lumière réfléchie sur le sujet et imprime l'image sur un papier spécial. On appelle ça une photographie. Je viens d'un endroit en-dehors des murs, où l'humanité vit de manière prospère... L'humanité n'a pas disparu. Je prie pour que cette personne qui trouvera ces livres soit une fidèle patriote. »

S'en suivit un récit effroyable, étrange, inimaginable, d'une société non loin d'eux. Des descriptions exotiques traçaient les traits réels de bâtiments surréalistes, de moyens de déplacement incroyables et d'un fonctionnement affreux. Mikasa entendait la voix de celui qui l'avait recueillie, alors qu'elle imaginait ce gigantesque appareil voler au-dessus de la ville qu'il décrivait. Toutes ces informations se mélangeaient : des brassards jaunes, des personnes enfermées dans des murs, deux enfants qui ne souhaitaient que rêver, des soldats qui contrôlaient les entrées et sorties...

Au fur et à mesure de cette anamnèse glaçante, les mots formèrent une mélodie, chuchotée dans les abîmes de ce théâtre infernal. Celle-ci, accompagnée par la harpe d'Apollon au-delà de l'horizon, résonna dans la large poitrine d'un guerrier.

***

Lorsque Reiner ouvrit les yeux, une immense sensation de vide happait l'intérieur de sa cage thoracique. Le crépitement d'un feu de bois le berçait, tandis que des voix lointaines le gardaient conscient. Au milieu de cette accalmie, son corps hurlait. Sa tristesse et sa douleur suintaient à travers ses pores. Au milieu de l'élégie qui le noyait au sein d'une chose qu'il ne savait pas, mais savait également ; le hurlement de ses contradictions le fit grimacer. Le guerrier entendit, de manière fatale, son prénom hurlé par son amour, et il se réveilla en sursaut.

Sieg, Annie, Peak et Galliard l'observaient d'un air éperdu. Braun passa sa main sur son visage humide, et remarqua que ses jambes produisaient encore un peu de vapeur. Il détailla chaque visage, à la recherche d'une réponse qui comblerait le vide dans son esprit.

« Il s'est passé quoi ?

- On a perdu, cracha Porco. Putain ! On était cinq putains de titans, et on n'a pas été foutus de vaincre des débiles qui volent et un gamin qui crie beaucoup...

- Il faut dire qu'ils avaient plus de ressources que nous ne le pensions, débuta la brune. Pock ne contrôle pas encore totalement le mâchoire, et de notre côté, il n'a suffi que d'un soldat pour qu'on perde presque le capitaine... En plus, Annie est efficace pour le combat, mais c'était plus sage de la laisser de notre côté, au cas où Eren ferait le tour pour fuir. Leurs nouvelles armes étaient parfaites pour annihiler ton armure, Reiner. Et Berthold... »

La blonde donna un léger coup de coude à la guerrière, qui laissa sa phrase en suspens. Ce n'était pas le prénom de son ami de toujours qui glaça son sang : mais son absence. Il retira la couverture qui dissimulait son torse dénudé et son pantalon ensanglanté, s'exclamant :

« Où est Berthold ? »

Sa voix fut comme un murmure terrifié, et son ton fit baisser les yeux aux quatre guerriers. La peur s'agitait en lui, ravageant sur son passage toutes ses précédentes interrogations. Reiner ne voulait pas savoir. Il ne voulait pas accepter ça. Comment était-ce possible ? Ils s'étaient promis... Ils s'étaient promis de retourner à Revelio ensemble...

« Où est-il ?! Leur hurla-t-il, ravalant autant qu'il le pouvait les larmes qui lui montaient aux yeux.

- Ils t'ont fait exploser, commença le roux, et tu étais inconscient. Je t'ai récupéré avant qu'ils ne te fassent du mal, et je tiens juste à dire que tu es vachement lourd... Mais bref. J'ai réussi à m'accrocher à Annie qui s'enfuyait. On a réussi à battre en retraite comme ça...

- Concernant Berthold, souffla Sieg Jäger, nous n'avons pas pu le sauver. Vous tirer de là était déjà un miracle. Il est avec eux. Probablement mort à l'heure qu'il est. »

Les prunelles d'or détaillèrent le visage austère du plus vieux, à la recherche d'un quelconque trait amusant ou regard annonçant la supercherie. L'angoisse et la haine le faisaient trembler. Soudain, il se leva sans un mot : seul son souffle semblait trancher l'air en deux. Le guerrier s'éloigna dans la forêt. Sa large silhouette s'estompa dans l'obscurité. Peak fit un mouvement pour le rejoindre, mais elle fut retenue par la poigne d'Annie.

« Laisse-le, fit son amie. Il a besoin d'être seul pour digérer cette information.

- Quand même... Il risque de se perdre, il ne sait même pas où on est...

- Parlons d'abord de la suite, proposa le barbu. On s'occupera de Reiner après. »

Alors que les trois autres parlaient de la possibilité d'une autre offensive, le blond s'enfonça entre les arbres sombres. Sa respiration se faisait de plus en plus erratique. La vérité le frappait perpétuellement, mais les coups invisibles ne pourraient jamais l'achever. Ils ne rentreraient pas ensemble. Était-ce sa faute s'il était mort ? S'il avait réussi à gérer les soldats du bataillon, Galliard lui serait venu en aide, et il ne serait pas...

Il serait là.

Le guerrier doré s'appuya contre un arbre, et commença à frapper l'écorce de celui-ci en criant. Pourquoi ? Pourquoi lui ? Il aurait dû mourir à sa place. Ils auraient dû le sauver... La brûlure de ses phalanges ensanglantées n'était rien, comparée à la douleur qui déchirait son cœur. Il entendit son tibia craquer contre le tronc solide, et le blond s'effondra lorsqu'il tenta de prendre appui sur sa jambe blessée. Épuisé, l'amant malheureux se laissa choir contre l'objet de sa violence. Les larmes coulaient enfin sur son visage glabre.

Il ne comprenait pas. Y avait-il quelque chose à comprendre ? Était-il condamné à rester seul, dans la mer de ses mensonges, jusqu'à s'y noyer ? Berthold avait été la bulle d'oxygène qui l'avait fait vivre malgré la marée écœurante. Sans lui, le poison délétère contaminait tout son être, le consumait lentement, jusqu'à ce qu'il n'en reste rien. Ses mains, recouvertes des traces amères de son propre sang, vinrent recouvrir son visage tordu par les sanglots.

Les sanglots tristes du guerrier perdu firent écho aux pleurs d'une petite fille, qui enlaça cette silhouette en sachant que son étreinte ne l'atteindrait pas.

***

Hanji était en train de recoudre les plaies du caporal. Le récit du père d'Eren avait bouleversé tout le bataillon. Ils n'avaient pas encore la force de ramasser tous les cadavres, et chacun fixait le vide devant eux. Seul Floch semblait animé d'un flot inextinguible de paroles, décrivant à quel point le major Erwin était un héros.

« Il a mené ses soldats à l'offensive, n'hésitant pas à se sacrifier ! C'était un homme d'honneur, dévoué corps et âme à l'humanité ! Même quand le titan féminin nous a balayés, il tentait encore de se battre ! C'était le vrai vainqueur de cette bataille, le vrai héros de l'humanité...

- Bon, tu vas la fermer ta gueule ? L'interrompit le caporal.

- Hein ? Mais, caporal...

- J'en ai assez entendu. Tu déranges les morts et les blessés avec tes conneries. Laisse ceux qui ne se sont pas cachés se reposer en paix.

- Mais je...

- Floch, l'apostropha la doctoresse. La chaîne de commandement n'est pas rompue. Obéis. »

Le roux pesta dans son coin, et son regard convergea vers le regroupement formé à quelques mètres de là. Eren, Mikasa, Armin, et Connie veillaient leurs camarades blessés. Sasha, encore consciente, écoutait silencieusement les murmures de ses amis ; tandis que Jean était plongé dans un sommeil inquiétant.

« Et s'il ne se réveillait jamais ? S'inquiétait le blond.

- Mais si, tu verras, il nous emmerdera tellement qu'on va regretter son état ! Tentait de le rassurer le chauve. »

La femme valant cent soldats posa sa main sur l'épaule de son ami d'enfance, et ses opales noires posèrent sur Jean un regard inquiet.

« Ne t'en fais pas, Armin... Il est fort. Je suis certaine qu'il va finir par se réveiller. »

Comme si la voix d'Ackerman avait éveillé quelque chose en lui, tout le corps de Jean fut noyé dans ses sueurs froides. Il avait mal... Si mal. Il se redressa dans la pénombre, et lorsqu'il tourna la tête, un titan le fixait d'un air triste. Néanmoins, d'une manière assez surnaturelle, le soldat n'avait pas peur. Pourtant, son visage était atroce. La partie gauche de son visage était striée de muscles, et l'autre moitié n'était composée que d'os. Était-ce la vision de la mort ? Cette rangée de dents était-elle venue l'achever ? Les cavités de son nez, ainsi que celle de son œil droit, étaient si vides que c'en était fascinant.

L'unique iris du titan le fixait. Cet échange silencieux n'avait, finalement, rien d'intimidant. Des larmes dégoulinèrent sur les tissus musculaires rougeoyants, et Jean se redressa en sursautant. La lumière du soleil fut douloureuse pour ses iris, et il détourna son regard vers le côté.

« Aie, ça fait tellement mal...

- Sasha ? »

Il fallut deux secondes au militaire pour se rendre compte de la situation. À ses côtés, la mangeuse de patates était dans un piteux état. Ils semblaient être sur le mur, en sécurité. Avaient-ils gagné ?

« Sasha ?! Bordel, t'as foutu quoi encore ? T'es dans un piteux état ! Fit-il en soulevant la couverture qui la bordait, dévoilant des tissus encore imbibés de son sang.

- Jean ! »

Le concerné redressa la tête et aperçut Connie courir en sa direction. Celui-ci se jeta à son cou, et Kirschtein se sentit à la fois affreusement gêné, et terriblement perdu. Malgré tout, en sentant son camarade trembler dans leur étreinte, il ne fit aucun geste pour s'extirper d'entre ses bras.

« Je suis tellement content que tu sois de retour ! Bordel, tu nous as fait tellement peur !

- Hein ?

- Tu es réveillé ? Fit une voix féminine. »

La cheffe d'escouade Zoe fit irruption en rangeant son équipement tridimensionnel. Des bandes stériles recouvraient la moitié de son visage.

« Oui... Que s'est-il passé ? Je ne me souviens que de la transformation de Berthold... Est-ce que tout le monde va bien ?!

- C'est tout ce dont tu te souviens... ? Soupira-t-elle. Connie, raconte-lui. »

La militaire tendit le bras vers le ciel, et propagea dans le ciel une colonne de fumée opaline. La brise porta le message aux soldats disséminés dans la ville, à la recherche de survivants ou de matériel à récupérer. Mikasa, qui veillait le caporal de l'autre côté du mur, se releva soudain. Cet idiot avait souhaité retrouver le corps d'Erwin, et l'avait obligée de le prendre avec elle malgré son piteux état. Assis contre une planche de bois avec laquelle la soldate le traînait- et malgré les insultes qu'il crachait contre cette maudite charrette, il était devenu bien silencieux devant le corps de son ancien ami.

« Jean s'est peut-être réveillé...

- Va le voir. Je vais rester ici... »

Ses prunelles onyx restaient fixées sur ce corps sans vie, que sa cadette avait ramené du champ de bataille parmi tant d'autres. Il était à présent entassé avec les autres soldats, dans leurs derniers gestes mortuaires. La brune se pencha vers l'enfant des bas-fonds. Sa main s'engouffra dans ses mèches humides et sanguinolentes. Néanmoins, la sueur comme le sang ne la dérangeait pas- car il était là. Il avait survécu. Ses lèvres vinrent embrasser sa tempe, et sans un mot, elle s'envola en direction du mur ; laissant le caporal Ackerman seul avec ses fantômes.

« Est-ce que vous êtes en train de me dire... Commença Jean en se pinçant l'arête du nez. Que de tout le bataillon d'exploration... Il ne reste que nous 9, en plus du caporal qui est resté en bas ?

- Le combat s'est terminé il y a quatre heures... Murmura Armin qui retenait ses larmes de soulagement. On cherche les survivants... Mais on n'en a pas encore trouvé.

- D'accord... Donc nous avons réussi à combler les brèches... Mais Reiner, Annie, le singe et les deux autres se sont enfuis... Berthold fut capturé... Puis il y a eu une dispute... afin d'utiliser la seringue sur moi ou le caporal... »

Le soldat tenta d'accrocher le regard de la belle brune, mais Mikasa gardait son regard baissé.

« Et je... me suis transformé en cette horreur... J'ai mangé Berthold... »

Le soldat eut un haut-le-cœur. Eren lui tendit une gourde, à laquelle il but de grandes gorgées. L'horreur déformait ses traits juvéniles. Maintenant qu'il était un putain de monstre, ses rêves à la capitale... Son ambition d'avoir enfin une vie tranquille... Tous ces espoirs étaient maintenant impossibles à réaliser, hein ?

« Jean... Je suis désolé... Fit la voix larmoyante d'Arlert. Si je ne t'avais pas parlé de ça...

- Alors tu serais à ma place, Armin. Tu mérites de voyager et voir tous les océans que tu veux... Sans être... Comme ça. »

Le blond explosa en sanglots à côté du ressuscité. L'ambiance était lourde, très lourde. La nuit vint bientôt recouvrir les pleurs d'un garçon dont le destin avait changé, ainsi que les murmures d'adieu à un ami de longue date. Mais les blessures ouvertes ne se renfermaient pas avec l'obscurité. Ni le deuil d'un homme qui avait donné sa vie pour la victoire, ni la culpabilité d'avoir sacrifié l'avenir d'un camarade, ni la sensation diffuse de trahison.

Eren s'enfonça dans les bras sombres des forêts de conifères. Il avait vu cette attitude, ces étreintes, ces baisers discrets. Il n'y avait plus aucun doute... Sa sœur et le caporal, ensemble. Comment avait-il pu passer à côté de ça ? C'était sa faute, s'il devait réaliser cela si rapidement... Il le savait. Le brun entendait ses propres murmures qui tranchaient le silence des ténèbres. La panique et la hâte se secouaient... Devait-il vraiment le faire rapidement ? Il y avait trop d'inconnues... Le prophète n'avait pas encore montré l'atrocité et la haine des autres envers eux...

Il suffirait de leur faire voir ce qu'il avait vu... Oui, Jäger pouvait faire cela. Il vit une lumière crépiter au loin, et s'approcha du feu qui projetait dans le ciel des danses caligineuses. Le détenteur du titan assaillant fut surpris d'arriver si près des guerriers. Lorsqu'il leur fit face, une brune aux yeux sombres se transforma aussitôt en petit titan, protégeant ses camarades de son corps. Eren leva ses mains vers le ciel. Une plaie barrait l'une de ses paumes, et le sang ruisselait sur son poignet.

« Je viens en paix.

- On accepte de dialoguer qu'à la condition que tu nous rendes Berthold. »

Les iris émeraude furent happés par deux prunelles d'or, baignant dans un océan rougeoyant. Le visage larmoyant de Reiner contrastait avec la posture altière qu'il arborait, debout devant lui. Les trois guerriers l'observèrent d'un air silencieux, tandis que Peak menaçait encore d'engloutir le soldat du bataillon. Eren venait jusqu'à eux... C'était leur occasion de le vaincre et de le ramener à Revelio. Ou était-ce un piège ?

« D'accord, abdiqua l'étranger. Nous rendrons Berthold lorsque mon entrevue avec votre chef sera terminée.

- Comment peut-on savoir s'il est vivant ? Répliqua Annie en détaillant le soldat de haut en bas.

- Vous devrez me faire confiance.

- J'accepte de dialoguer avec toi, Eren Jäger. »

Le capitaine de l'armée des guerriers Mahr se redressa. Il posa ses yeux, si semblables à ceux de leur opposant, sur sa démarche confiante. Eren tourna le dos aux guerriers, pariant ainsi avec le destin ; et les Moires ricanèrent face à son audace. Tous les guerriers observèrent le plus expérimenté d'entre eux s'éloigner, et dans les entrailles du titan cuirassé, la vengeance hurlait ses intentions d'une manière fielleuse. 

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