31 - Zwickmühle
Eren glissa et tomba le long du mur, s'accrochant aux pans de pierre par réflexe. La nuque du titan assaillant s'écrasa contre le sol, alors que tout son corps tremblait en une onde de choc.
« Putain Eren, c'est pas le moment de se suicider ! T'es vraiment inutile ! »
Le regard à la fois effrayé et agacé de Kirschtein croisa les iris vides du titan colossal, et Atropos coupa le fil tendu en ricanant. Son rire macabre arriva aux oreilles du soldat, dont les lames étaient sorties vers son ennemi. Berthold se sentit mal pour son ancien camarade. La bataille était déjà gagnée, il pouvait abréger les souffrances de Jean. Au nom de leur amitié d'antan. Le géant prit de l'élan avec son bras, et sa main vint s'écraser contre le mur. Le soldat du bataillon d'exploration esquiva avec facilité, et c'est en hurlant qu'il planta ses grappins dans les dents du géant.
« Jean, pensa le guerrier. Tu t'es bien battu. »
Une fournaise s'échappa des muscles du titan. Le souffle balaya le soldat comme une feuille se balançant face à une tornade, s'accrochant désespérément à la branche qui le maintenait en vie. L'air était brûlant. Ses yeux devinrent humides à cause de la chaleur étouffante, et même si ses mains tremblaient, il se força à ne pas lâcher. Pas de suite. Le colossal eut un regard vers la silhouette d'Eren, en contrebas. C'était fini. Ainsi, par égard pour celui qui avait partagé des années de sa vie, il décida d'abréger les souffrances du militaire.
Quel idiot. S'il avait su, avant de s'engager dans ce stupide corps d'armée, qu'il finirait brûlé vif par un de ses amis, le jeune homme aurait fait demi-tour et aurait mené sa vie tranquille au sein du mur Sina. Mais l'amour avait bouleversé ses plans. La fournaise devint encore plus véhémente, et des flammes bleues caressèrent ses mains frémissantes.
Tout devint insupportable. L'air ardent qui rentrait dans ses poumons le consumait de l'intérieur. Son corps hurlait une symphonie désespérée. Jean finit par lâcher. Il adressa une dernière prière aux Parques qui le portaient dans sa chute. Il espéra, pendant que les dernières esquilles de sa conscience s'échappaient, que Mikasa pourrait avoir cette vie qu'il avait tant rêvée. Le brûlé l'imagina soudain. Sa chevelure noire dévalait ses épaules. Devant elle, la jeune femme tenait un bébé qui avait ses yeux sombres. Un sourire aurait pu fendre son visage, s'il en avait eu la force.
Enfin, deux prunelles d'une couleur océan se superposèrent derrière ses paupières, et son corps calciné s'écrasa contre des tuiles rouges.
Berthold put enfin apercevoir le titan d'Eren, une fois la vapeur envolée. Celui-ci semblait s'être durcit de tout son être, bloquant ainsi définitivement le second trou de Shiganshina. Dans son dos, le garçon-titan s'accrocha à sa nuque, et déchira les chairs brûlantes de ses lames acérées. Eren plongea sa main dans la plaie sanguinolente dans un cri de rage, et en tira le corps du guerrier, surpris par la diversion utilisée pour l'avoir.
Le cri de son frère fit frissonner Mikasa. Le titan cuirassé se tenait dans cette rue étroite, et d'une volonté commune, Connie et Sasha s'envolèrent en direction de Reiner. Mais celui-ci avait appris de ses erreurs. Son bras frappa les toits des mansardes à côté de lui, et une pluie de débris s'interposa entre les deux soldats et le guerrier. Springer réussit à bondir de pierres en pierres, et dans son élan, la lance frappa la maxillaire du cuirassé, explosant les tendons qui maintenaient sa mâchoire. L'arme de la mangeuse de patates, malheureusement, explosa au contact des météores rougeoyants, et la déflagration la propulsa contre la ceinture d'astéroïdes qui protégeait l'astre destiné à mourir.
« Sasha ! »
Mikasa fit un pas vers l'avant. Le sang qui recouvrait le visage de sa meilleure amie fit grogner la bête sauvage, enfermée en elle. Connie récupéra le corps vacillant de la blessée, et s'éloigna. Elle était ainsi seule, devant la bouche à moitié ouverte de Braun. Derrière elle, une petite tête blonde arriva en trébuchant.
« Mikasa ! Hurla Armin. C'est trop risqué !
- Non, c'est parfait ! »
La cheffe d'escouade Zoe sembla resurgir des enfers. Du sang ruisselait sur une moitié de son visage. Ses éternelles lunettes avaient disparues, laissant un œil fermé à jamais. Elle virevolta, lançant sa dernière arme vers le titan cuirassé qui était de profil par rapport à elle. L'autre côté de sa maxillaire explosa, et la bouche immense s'ouvrit sans aucune résistance.
« C'est ta chance, Mikasa ! »
Alors qu'elle plantait ses grappins dans les tissus musculaires du blond, elle esquiva le bras qu'il tendait vers elle pour la balayer. Telle une danseuse mortelle, l'air se scinda en deux quand la brune tournoya. Ses pieds glissèrent sur la langue humide du guerrier, prenant l'appui nécessaire à cette ultime déflagration.
« Reiner, sors ! »
Elle plongea la lance dans la gorge du blond, et l'explosion fit voler les longues mèches de ses cheveux corbeau. Reiner fut projeté hors de son titan. Des vestiges de muscles et tendons rougeoyants étaient encore accrochés à son corps et à son visage dénué de cheveux. Néanmoins, avant que les survivants ne puissent capturer le traître qui avait taché leurs vies d'hémoglobine, une chevelure rousse attira le regard d'Armin. Il était là. Le remplaçant d'Ymir s'envola rapidement, tandis qu'un énorme nuage de gaz demeura derrière lui. Son corps heurta violemment celui de son camarade, et il s'éloigna tout aussi rapidement qu'il ne fut arrivé, avec leur ennemi contre lui.
« Il ne maîtrise pas son équipement tridimensionnel ! Hurla Arlert à l'intention de ses camarades. On peut facilement le coincer !
- Connie, avec moi ! Mikasa, je veux que tu ailles voir ce qu'il se passe avec Eren !
- Reçu ! »
Les deux soldats s'envolèrent à la suite du guerrier qui, dans l'air, vacillait sous le poids de Braun. De son côté, la brune s'envola vers les toits, et courut vers la porte intérieure du mur. Les restes du titan colossal fumaient, et cette vision la rassura. Eren et Jean avaient réussi.
Le détenteur du titan assaillant traînait le corps meurtri de Berthold Hoover. Le regard fixe, ses émeraudes reflétaient une vision lointaine de cette même scène.
« Bordel, Jean... J'aurais dû me douter que tu connaissais son plan... Mais je pensais que tu ne l'appliquerais pas, idiot... »
Devant lui, une silhouette longiligne était entièrement noire. Il n'y avait plus un seul vêtement, ou cheveux ; rien que des escarbilles d'un ancien camarade. Dans son dos, le corps du réceptacle colossal dégageait de la vapeur depuis l'endroit où ses membres manquaient : les bras, les cuisses. Eren détourna les yeux de son ancien ami, alors que les sillons fatigués de sa transformation creusaient son visage.
« Je savais que ce serait différent... Mais je n'avais jamais douté, un tel instant, que ce serait toi, le sacrifice... »
Un bruit sourd le fit sursauter, et à quelques mètres de lui, il aperçut un titan avec une longue gueule. Dans son dos, un homme blond le fixait. Une brume opaline s'échappait de différentes parties de son corps. Le petit géant sauta sur le toit sur lequel il se tenait, et des lueurs rouges s'échappaient de ses iris. Le soldat poussa un juron, et prit le corps du guerrier contre lui, alors que sa lame menaçait froidement sa nuque.
« Putain ! Je vais le tuer avant que vous ne puissiez le récupérer ! »
C'était donc le titan bestial. Sieg. Il continuait de l'observer d'un air fasciné. Le blond ouvrit la bouche, et sa voix si semblable à la sienne confirma ses doutes.
« De près, tu ne ressembles vraiment pas à ton père... Je comprends ce que tu as traversé. Tous les deux, nous avons été victimes de cet homme. Il t'a lavé le cerveau, hein ? »
Le visage de son interlocuteur fut recouvert par celui de son géniteur. Puis, Eren aperçut – en un éclair vif, cet homme et une version plus vieille de lui parler. Quelques mots lui vinrent aux oreilles : Ymir, stérilité, démons, chemin. Il fut sorti de sa transe par le hurlement soudain du titan féminin, qui glissait le long du mur. Ses phalanges durcies comme du cristal laissaient des traces effrayantes dans la paroi murale.
La course-poursuite de Connie et Hanji déboucha sur l'allée principale de Shiganshina. Le roux maîtrisait de mieux en mieux les déséquilibres de l'équipement tridimensionnel, et la cheffe d'escouade se fit la réflexion qu'il aurait été un précieux allié, s'il avait été de leur côté. Néanmoins, Annie Leonhart arriva dans l'artère de la cité.
« Connie, attention ! »
Elle était trop proche pour qu'ils s'arrêtent convenablement. Hanji se jeta sur le soldat, et leurs deux corps roulèrent dans une pièce d'une maison déserte. Quelques secondes plus tard, la guerrière aux cheveux blonds passait en courant devant la fenêtre. Le roux et Reiner étaient accrochés à ses épaules.
« Bordel, on les avait presque ! Cria Connie, frustré. »
À la fenêtre, les deux soldats observèrent la silhouette d'Annie s'éloigner. Ses phalanges s'enfoncèrent dans les parois du mur, et elle entreprit une escalade experte.
« Je te viendrai te chercher, Eren, et je te sauverai ! Hurla Sieg avant de se détourner de lui. »
Le titan charrette se détourna du guerrier brun, le laissant aux prises de leur ennemi, et entama sa course en esquivant les ennemis qui arrivaient. Ils n'avaient pas le temps de récupérer Berthold : c'était trop risqué. Peak ignora son cœur qui tremblait et réprima ses pensées qui allaient vers Reiner. Elle fut rapidement derrière Annie, et laissa à Shiganshina une part amère d'elle-même.
« Jean respire encore ! »
Mikasa se retrouva devant Eren. En-dessous de lui, il y avait un corps calciné, dont les traits du visage lui rappelaient un ami important. La brune chercha à trouver une explication, tandis que les larmes montaient. Ce n'était pas Jean, hein ? Ce corps, ça devait être quelqu'un d'autre. Quelqu'un de banal. Un des brigades spéciales, peut-être.
« Jean ? »
Les autres survivants arrivèrent derrière elle, mais leur présence ne la fit pas réagir. Connie, qui aidait Sasha à marcher, fut paralysé par la situation. Hanji, de son côté, observa la scène d'un œil désolé.
« On n'a qu'à injecter le produit à Jean et lui faire bouffer Berthold ! Qui a la seringue ?!
- Je l'ai. »
La cheffe d'escouade avança de quelques mètres. Le boîtier noir, à la lumière du soleil, semblait aussi intriguant qu'effrayant. Armin arriva, et sa respiration sifflante qui se coupa sortit Mikasa de sa léthargie. Elle vit son regard azur se dilater d'effroi, et il se précipita sur les cendres de son camarade. Le hurlement de ce prénom secoua quelque chose en elle. Ackerman vit son ami d'enfance se déliter devant la mort imminente de son amour. Il hurla son prénom, encore et encore, comme si cela pouvait le faire revenir à la vie.
« Hanji ! Je t'en supplie, c'est ma faute ! C'était mon plan, mais il m'avait promis qu'il en avait un meilleur ! J'aurais dû être à sa place... J'aurais dû... »
Mikasa n'en pouvait plus. Elle se rapprocha de son ami et posa une main sur son épaule.
« Armin... Ce n'est pas ta faute...
- Très bien. On va injecter la seringue à Jean.
- Tiens bon, Jean ! Continue de respirer ! Bougonna Connie. »
La militaire s'agenouilla devant Eren, qui fixait toujours son rival d'un air vague, et elle tendit la boîte noire vers lui. Son œil n'était pas encore bandé, si bien qu'il pouvait voir les croûtes recouvrir le globe oculaire maltraité. Soudain, un soldat surgit du sol et s'accrocha au toit de la maison.
« Cheffe d'escouade Hanji ! Le caporal Levi est dans une situation critique ! »
Floch Foster, si Armin avait bien retenu son nom, semblait avoir été poursuivi par des démons, tant ses prunelles étaient remplies d'horreur et de terreur. Dans son dos, le petit corps du caporal était attaché grâce à leurs capes vertes.
« J'ai cru qu'il était mort en tentant d'abattre le titan bestial, mais j'ai vu qu'il respirait encore ! Alors je pensais qu'on pouvait lui donner l'injection ! Qu'est-ce que vous en pensez ?! »
Mikasa se figea sur place, et observa attentivement l'homme présent sur le dos du soldat. Elle eut beau reconnaître sa coupe particulière et sa petite taille, elle ne voulait pas y croire, ne pouvait pas y croire. En voyant son ami de longue date, Hanji reprit la seringue contre elle, fixant le visage blafard du maniaque.
« Hanji ? »
Eren attendait, main tendue vers l'avant, le miracle qui sauverait son ami d'une mort certaine. Dans l'œil de la militaire, des lueurs certaines et désolées réalisaient leur dernière danse macabre. Floch se hissa sur le toit, déposant le corps exsangue du caporal. Mikasa se précipita à son chevet, les larmes aux yeux. La soldate porta ses doigts à sa nuque, de manière saccadée, et fut délivrée des affres terribles de ses angoisses, lorsqu'elle sentit le lent battement de son cœur.
« Je vais utiliser la seringue sur Levi. »
Face à cette déclaration, le stratège se leva d'un bond. Ses poings tremblaient. Son expression était douloureusement tirée vers l'horreur. De son côté, Eren observait attentivement sa sœur, et suivit le mouvement d'Armin. C'était le moment de régler l'erreur qui s'était glissée sur le chemin du destin.
« Tu avais dit que tu l'utiliserais... Sur Jean.
- Je vais faire revivre l'homme le plus fort de l'humanité, Armin... Jean est un bon soldat. Un bon leader. Mais nous avons besoin de la force de Levi... Ne laisse pas tes émotions influencer tes choix. »
Le blond explosa en sanglots, et la cadette Ackerman se sentit mal, de ressentir tant de soulagement à l'idée que Levi ait une deuxième chance... Qu'ils aient une seconde chance. Son frère tenta d'arracher la boîte sombre des doigts de la militaire, défiant l'autorité de la cheffe d'escouade.
« Jean a toujours pris les bonnes décisions. Si nous avons pu vaincre à Trost, c'est grâce à lui. Si les soldats ont eu le courage de continuer, encore et encore, au gré des expéditions, c'est grâce à lui. Il a sauvé tout le monde, ici. Levi ne devrait pas être sauvé. Je peux même abréger ses souffrances, si vous voulez. »
Eren sortit une de ses lames, et chaque survivant l'observa comme s'il était devenu fou. Il défia longuement du regard Mikasa. Celle-ci ne vit plus son frère. Elle voyait un inconnu, dont les décisions lui paraissaient aussi absurdes que dangereuses. Inconsciemment, elle serra le corps affaibli de son semblable.
« N'y pense même pas, Eren.
- Lâche cette seringue, fit Hanji d'un ton implacable, ou je serais forcée d'utiliser des méthodes que je n'aime pas.
- Levi est un Ackerman. Il ne supporterait pas l'injection.
- De quoi tu parles ? »
Il daigna lâcher l'objet tant convoité avec dédain, tandis que le garçon-titan pointait les deux amants de sa lame.
« Le clan Ackerman était, à l'origine, des humains modifiés pour être asservis. Ils tissaient des liens avec les membres de la famille royale pour devenir leurs chiens de garde. C'est pour ça que Mikasa me protège toujours. Ce n'est qu'une esclave avec la force d'un titan. »
La violence des mots de l'espoir de l'humanité eut un effet sur chaque survivant. D'abord sur Armin, qui cessa de sangloter pour observer avec effroi son ami. Puis, sur tous les autres, fronçant les sourcils face à cette révélation. Enfin, Mikasa fixa celui qui fut sa seule famille pendant tout ce temps d'un air éberlué.
« Hein... ? De quoi tu parles, Eren ?
- Tu n'as pas des migraines, lorsque tu n'es pas d'accord avec moi ? C'est ton instinct d'Ackerman qui se réveille. Ta lutte contre ton asservissement te cause des maux de crâne, hein ?
- C'est... C'est faux...
- Dans tous les cas, les Ackermans ne descendent pas des mêmes ancêtres que ceux qui peuvent se transformer en titans. L'injection lui sera fatale. »
Un long silence berça Shiganshina. Une myriade de sentiments bouillonnait en elle, mais une chose était sûre : elle ne laisserait pas Levi mourir. Hanji s'approcha un peu du caporal, les yeux rivés sur le jeune titan.
« Ce serait bête d'inventer une histoire juste pour sauver ton ami, Eren.
- Mikasa sait que j'ai raison. Tu te souviens, de ce jour-là ? Quand on s'est rencontrés ? N'as-tu pas ressenti une force immense, quand je t'ai dit de te battre ? C'est là que tu t'es accrochée à moi. Que tu as ressenti ton potentiel.
- Eren, arrête...
- Vous voyez bien sa réaction. Faire cette injection, c'est tirer à pile ou face, alors qu'en l'injectant à Jean, on est assurés de sauver quelqu'un. Si c'était le destin de Levi, de mourir de la main du titan bestial... Alors ainsi soit-il. Qui sommes-nous pour modifier notre destinée ? »
L'amante désespérée ne voyait plus rien, autour d'elle. La jeune femme détailla les traits détendus de celui qui avait toujours été aussi fort qu'elle. Elle pensait vraiment qu'il était intouchable, que la Mort avait peur de lui, à juste titre. Sa main vint toucher sa joue froide, pendant que dans sa gorge, un nœud fait d'épines lacérait ses tendons.
« Que tout le monde s'éloigne. Je vais faire l'injection. Éloignez-vous !
- Mais, Hanji...
- Armin, il faut savoir laisser partir les personnes qu'on aime. »
Floch donna un coup de poing dans le ventre d'Eren, qui se plia en deux sous la force de la frappe. En voyant cela, le sang de la brune ne fit qu'un tour, et elle dut se retenir de sauter sur ce soldat pour l'éviscérer. Son visage se tordit dans une expression douloureuse, lorsque les maux de crâne revinrent. Hanji le remarqua, et le doute sembla s'installer pendant quelques secondes dans sa tête.
La nouvelle recrue éloigna le fauteur de troubles ; alors que les autres suivaient. Armin pleurait encore, observant avec horreur les dernières images qu'il aurait de Jean. Son amie se sentait à la fois heureuse de pouvoir revoir Levi, mais également horrible d'en être contente ; puisque cela détruisait son ami d'enfance. Ces deux émotions livraient une bataille affreuse dans son ventre, dont la violence aurait pu la faire vomir, si elle avait la bouche ouverte.
Hanji tira le corps inconscient de Berthold jusqu'au bord du toit, et s'agenouilla devant Levi. Elle remonta la manche de sa chemise, tâta l'intérieur de son coude pour trouver la veine, et positionna la seringue contre sa peau.
« Allez, Levi. Prouve-lui qu'il a tort.
- Oï, lunettes de merde, tu me condamnes déjà ? »
Hanji releva les yeux, surprise. Le visage de Levi était toujours aussi blafard. Elle ricana, persuadée d'avoir entendu une voix.
« Comme si tu pouvais toi-même revenir d'entre les morts...
- Et en plus tu me sous-estimes. Je vais t'étrangler quand je serai en état de le faire. »
Deux iris onyx semblèrent rire de son trouble, et la cheffe d'escouade sentit les larmes monter vers son œil valide. Elle mit sa main devant sa bouche, cachant son sourire fou qui déformait son visage, et faillit crier de joie.
« Bordel, t'imagines pas le dilemme que tu m'as imposée ! Bouge pas Shorty, je vais sauver un soldat et je te sors de là !
- Comme si je pouvais aller autre part... »
Sous le ciel azurin, un géant aux cheveux clairs poussa un râle effroyable. Sur le toit aux tuiles rougeoyantes, il n'y avait plus que le tronc d'un guerrier fatigué. Celui-ci ouvrit les yeux, quand une main pressée vint enserrer son corps. Le visage de Berthold se décomposa en une grimace paniquée, en voyant la gueule ouverte. Il tenta de se débattre, mais l'absence de ses membres rendit son échappatoire impossible. Le brun tourna la tête. Il aperçut les visages effrayés de ses anciens camarades. Les mains de Connie tremblaient. Eren se tenait debout, la bouche grande ouverte. Armin pleurait, la main devant sa bouche pour étouffer ses sanglots. À leurs côtés, Hanji n'observait même pas la scène, et semblait occupée à panser les plaies du caporal. Mikasa tenait la main froide de celui-ci, agenouillée devant le blessé, et ses iris attentifs à son trépas lui provoquèrent un frisson.
« Les gars, aidez-moi ! »
Son appel à l'aide fit frémir les spectateurs de son dernier acte. Sa tête s'agitait, de gauche à droite, comme si cette danse de désespoir pouvait le sauver. Lorsque l'haleine humide du titan le frappa, et que ses dents froides rentrèrent en contact avec sa nuque, son hurlement déchira l'accalmie que le ciel cherchait à conserver.
« Annie ! Reiner ! »
Les dernières syllabes de cet ultime prénom retentirent dans la ville entière, accentuées par les cordes vocales du brun, qui se déchiraient. La tête explosa sous la pression des maxillaires. Jean dévora la moelle épinière de son ancien ami. Sur son visage inexpressif, le sang giclait et dégoulinait. Floch détourna les yeux, posant son regard dédaigneux sur la cheffe d'escouade.
« Pourquoi Jean ?
- Levi est en vie. Cela aurait été idiot de lui faire subir un enfer supplémentaire, alors qu'il n'est pas aux portes de la mort, contrairement à Jean.
- Mais s'ils reviennent nous achever, on n'aura pas la force du caporal !
- C'est pour cela que je suis heureuse que tu sois là, Floch. Après tout, pour avoir survécu au bestial sans une égratignure, tu as dû faire preuve de beaucoup de bravoure. »
Le regard glacial de la militaire figea la posture de Foster. Il observa le titan longiligne chuter au sol. Des effluves caligineuses s'échappèrent de son corps. Tous les soldats s'envolèrent vers la nuque dégagée du géant, dont le corps humide de Jean s'extirpa. Armin sanglota, le corps du soldat reposant dans ses bras, entouré de Connie et d'Eren. Mikasa était rassurée de voir son ami sain et sauf, mais s'inquiétait terriblement de l'état de Levi. Seule la vision de ses yeux ouverts pouvait calmer le torrent angoissant qui agitait ses organes, mais ils demeuraient fermés. Alors elle fixait ce visage absent, encore et encore, dans l'espoir d'apercevoir des relents de vie.
« Ne t'en fais pas autant, Mikasa. Je t'ai dit qu'il était conscient, tout à l'heure. C'est normal s'il a des moments d'absence.
- Oï, vous faites beaucoup trop de bruit. »
La voix sifflante de son amour la fit sursauter, et un œil gris détaillait avec attention son visage. Au coin de ses yeux, ses larmes devinrent des perles de soulagement. Elle enlaça avec douceur et précaution son corps meurtri, et un ricanement désagréable fit écho dans ses oreilles.
« Ne crois pas être débarrassée de moi si facilement. »
Des prunelles émeraude fixèrent les retrouvailles de deux âmes palpitantes. Quelqu'un, délaissant les dessins abstraits qui s'effaçaient dans le sable fin, souffla vers l'univers des émotions primaires. Une vive colère, dans une tempête de feu, s'abattit de chaque côté d'un mur. Les deux faces d'une même pièce scintillèrent, tandis que leurs cœurs bourdonnèrent l'hymne de la vengeance.
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