30 - Nebel
Eren fut pris au dépourvu, lorsque le titan mâchoire lui arracha la chair de son mollet. Jäger tomba, un genou au sol, en hurlant de douleur. Profitant de cette diversion, Reiner utilisa ses dernières bribes de conscience pour pousser un cri ravageur. Celui-ci fit sursauter tous les soldats qui se réjouissaient, quelques secondes auparavant, de son trépas.
De l'autre côté du mur, Levi stoppa sa folie meurtrière en voyant le titan charrette courir vers le babouin. Celui-ci prit une caisse, et réalisa un lancer suffisamment puissant pour que celle-ci s'écrase au milieu de Shiganshina. Armin, contre les tuiles, s'appuyait sur Jean. Son épaule brûlait d'une douleur incommensurable, et il pouvait sentir le sang dégouliner sur son torse. Il se demanda pourquoi Reiner avait crié, d'un coup. Était-ce un signal pour Berthold ? Le blessé vit un projectile voler en leur direction, et il retint son souffle.
« Tu te sens bien Armin ? Vite, je vais te faire un garrot !
- Attends ! Ce cri... Vite, il faut s'éloigner de Reiner ! Là-haut, le colossal arrive ! On va être soufflés par l'explosion !
- Merde ! S'écria Hanji. Éloignez-vous tous de Braun ! »
Jean saisit Armin contre lui et vola difficilement, le plus loin possible du titan cuirassé. Dans l'air, Berthold, dans la caisse, attendait de s'approcher du sol pour exploser la ville entière. Néanmoins, il aperçut la carcasse immobile de Reiner, et son sang se glaça dans l'horreur. Il sortit du tonneau en hurlant le nom de son camarade, s'envolant vers lui. Il était hors de question qu'il le perde maintenant. Pas maintenant qu'ils avaient une chance.
Le guerrier vola jusqu'au corps immobile du blond, terrifié par l'idée de sa mort. Le détenteur du colossal posa une main sur le large torse de son ami d'enfance, et fut rassuré de sentir ses palpitations cardiaques.
« Reiner ? »
Le guerrier doré avait probablement transféré sa conscience dans son système nerveux périphérique. Ses prunelles sombres tombèrent sur les cheveux clairs du titan mâchoire, qui attaquait sans relâche Eren. Il griffait les parties durcies, mordait la carapace faite de cristal. Il était le plus adapté à ce combat. Berthold ressentit une certaine amertume. Sieg avait mis en danger Reiner, à s'entêter pour qu'il le combatte... Annie ou Porco auraient été meilleurs. Reiner était fait pour protéger, pas pour tuer.
« Difficile de croire qu'ils t'ont acculé, comme ça... J'ai besoin que tu fasses quelque chose pour moi... Tu vas devoir bouger un peu. Je vais terminer tout ça. »
Sa main enlaça doucement ses doigts dans les siens, et la pression qu'exerça ceux du blond le rassura. Puis, Eren, à sa gauche, écrasa la gueule ouverte de Porco contre le sol. L'homme aux cheveux corbeau utilisa son équipement pour s'envoler vers eux. Hanji s'apprêtait à attaquer le guerrier, quand Armin l'interpella. Jean avait défait sa ceinture pour l'attacher autour de son épaule, limitant ainsi l'hémorragie.
« Attends, c'est notre dernière chance de négocier ! »
Ce dernier s'envola difficilement vers un bâtiment, pendant qu'il sentait encore les doigts de la mort qui lacéraient ses tissus musculaires.
« Berthold, arrête-toi ! »
Celui-ci se hissa sur le toit d'une chapelle, attentif aux dires du blond. Il enserrait son épaule ensanglantée, le visage tordu par la douleur.
« Berthold, on peut discuter ! »
Cette tendance à discuter lui fit penser à Marco. Le visage du feu soldat se superposa à la scène du champ de bataille, et le brun se fustigea mentalement. Il ne pouvait pas être tendre, pas cette fois. Reiner comptait sur lui. Et pour lui, il mettrait ses sentiments de côté.
« Si j'accepte de parler, accepterez-vous de mourir ? On veut seulement deux choses ! Eren, et éradiquer l'humanité à l'intérieur des murs ! Voilà la cruelle vérité, Armin ! Tout a déjà été décidé : vos vies sont destinées à se terminer aujourd'hui ! »
Le stratège serra les dents. L'ennemi semblait déterminé. Pourtant, Berthold avait toujours été un soldat qui suivait les ordres, incapable de proposer ses idées ou d'imposer sa volonté. Pourquoi un tel revirement ?
« Comment as-tu pu être notre ami, si c'était ton but depuis le début ?! Hein ? Pourquoi avoir sympathisé, Berthold ? Ne nous considères-tu pas comme tes amis ? »
Son interlocuteur s'envola, et les deux interlocuteurs atterrirent sur le même toit. Chacun avait une lame dans le creux de sa main.
« Pourquoi tant d'empressement, Armin ? Ne voulais-tu pas parler ? Je sais ce que tu fais. Tu gagnes du temps. Mais vu le sang que tu perds, du temps, tu n'en as plus vraiment, pas vrai ? »
Mikasa, à la suite de ces paroles, observa la blessure de son ami avec inquiétude. Elle hésitait. Le titan mâchoire était une menace pour Eren, et même s'il avait l'air d'avoir la situation sous contrôle, celui-ci semblait déterminé à en finir avec lui... Mais elle ne pouvait pas laisser Armin. La jeune femme se sentait comme scindée en deux. Que faire ? Il lui suffirait de s'envoler rapidement vers Berthold pour lui trancher la tête...
« Tu essaies de laisser tes amis m'encercler, pendant que les autres vont finir Reiner ! Mais ta ruse ne fonctionnera pas... Regarde comme tu trembles. Comme si tu pouvais faire quelque chose contre moi. »
Il planta son regard orageux dans les iris incertains de son ancien camarade.
« Vous êtes de précieux amis pour moi. C'est pour cela que je veux que vous ayez une mort rapide... Je ne veux pas que vous souffriez.
- Est-ce que ça a quelque chose à voir avec ce que l'autre type a dit... ? Qu'on est des démons ?
- Non. Vous n'avez rien fait, et n'êtes pas des démons. Mais vous devez juste mourir... C'est comme ça. »
C'en était trop. Mikasa se propulsa et se retrouva derrière leur ennemi, faisant sursauter son ami d'enfance qui ne s'y attendait pas. La lame derrière sa nuque, elle trancha l'air comme la faucheuse tranchait les vies. Néanmoins, Berthold vint parer son attaque du plat de sa lame, déviant au dernier moment le verdict de la Mort. De son autre bras, la déesse meurtrière dirigea sa seconde lame vers sa tête. Le guerrier l'esquiva d'un mouvement de buste, défiant la faucheuse encore et encore, et grimaça lorsque l'arme trancha son oreille. Il profita de son déséquilibre pour frapper l'asiatique d'un coup de pied haut, ce qui la fit tomber un peu plus bas. Armin cria son prénom, mais le guerrier se dirigeait déjà vers lui.
Le miracle de l'humanité lança sa lame dans l'air, créant des tourbillons lacérant le vent. Le détenteur du colossal le para au dernier moment, alors qu'il n'était qu'à quelques mètres du blessé. L'attaquante se propulsa vers celui qui menaçait son ami, et après une dernière esquive, Hoover s'éloigna du jeune homme. Nul ne pouvait défier éternellement la Mort, quand la faux acérée dessinait leur nom dans le ciel.
« Armin, ne le poursuis pas ! On ne sait pas quand il va se transformer. »
Le traître s'éleva dans le ciel, pensant que plus rien ne pouvait être fait pour changer le destin. Le monde était juste cruel. Le sang chaud qui coulait sur sa joue ne serait bientôt qu'un mauvais souvenir, chassé par la main rugueuse de Reiner. En contrebas, Hanji et son escouade frissonnèrent d'horreur.
« Il prend de la hauteur ! Vite, mettez-vous à l'abri ! »
Berthold Hoover illumina le ciel de Shiganshina comme une étoile qui explose. Autour de lui, le souffle de sa transformation ravagea toutes les habitations. Moblit, dans le dos d'Hanji, la poussa dans un puits dans lequel elle tomba. La cheffe d'escouade jeta un dernier regard à son éternel ami avant de se fracasser contre les parois sales du trou. L'escouade de Levi eut tout juste le temps de se réfugier derrière un bâtiment. Ils furent tous secoués par l'onde de choc. Mikasa observa le titan mâchoire s'envoler face à la déflagration, pendant qu'Eren fut également balayé. Elle hurla le nom de son frère, qui ancra ses doigts dans le sol, résistant à la pression du vent.
« Ne me dites pas que, de tous ceux qui étaient là... Armin haussa la voix. Nous sommes les seuls survivants ? »
Les recrues de la 104e brigade se fixèrent avec horreur. Devant eux, le titan colossal envoyait des débris dans toute la cité. Les projectiles créaient de la fumée noire, qui s'envolait en direction du ciel bleu. Levi, de l'autre côté du mur, fut attiré par ces sillons sombres... Il s'inquiétait. Avaient-ils pu éviter la déflagration ? Le caporal espérait que tout le monde aille bien... Le visage de son amour s'imposa dans son esprit. Elle était forte. Elle survivrait.
Néanmoins, des pierres le firent sursauter. Les derniers titans furent broyés par les météores. Les maisons s'effondrèrent sur elles-mêmes en une chorale dissonante. Le haut gradé entendit les soldats hurler face au jugement dernier.
« Oh, celui-ci était un peu haut... Je vais essayer de faire un jeu parfait ! »
Erwin et Levi hurlèrent aux soldats de se mettre à couvert, alors que le singe lançait une seconde salve. Ils avaient déjà imaginé comment pallier cette offensive, ensemble, mais si tous les soldats étaient morts... Cela pouvait être compliqué. À l'abri derrière un bâtiment, l'enfant des bas-fonds entendit à nouveau la dernière mélodie des égarés. Après que les autres météorites eurent écrasé les autres soldats, le chef d'escouade déambula entre les maisons.
« Repliez-vous avec les chevaux derrière les dernières maisons ! »
Un roux pleurait, les mains sur la tête, dans l'allée principale ; pendant que tous les autres exécutaient déjà son ordre. Agacé, le caporal le prit par ses cheveux et le tira.
« Tu veux crever ou quoi ?! Lève-toi ! »
Il allait continuer de l'insulter, mais le commandant Smith s'imposa entre les rangs des survivants. Levi détestait la faiblesse. Une guerre ne se gagnait pas avec des larmes et des cris de désespoir. Profitant de l'accalmie, Erwin commença à lui expliquer la situation.
« Les lancers du titan ont détruit les premières maisons.
- Ne peut-on pas battre en retraite derrière le mur ?
- Le titan colossal s'est transformé, et est en train de ravager la ville. »
Cette information l'angoissa plus que ça ne devrait l'être. Il eut envie de demander à Erwin s'il avait vu des survivants. Si Reiner était tombé, si Eren combattait toujours. Mais ce n'était pas le moment.
« De plus, les escouades de Marlene, Dirk et Klaus ont été décimées avec la première salve de titans. En d'autres termes, nos forces restantes de ce côté du mur consistent dans les nouvelles recrues, le caporal Levi et moi-même.
- Erwin... Dis-moi que le plan pourrait marcher. »
Les deux hommes se fixèrent sans un mot, pendant que les pierres faisaient trembler le monde autour d'eux.
Les derniers survivants dans l'enceinte de Shiganshina avaient rejoint Eren. Il n'y avait plus aucune trace du mâchoire, ni même de Reiner. Ils ne savaient même pas qui était le remplaçant d'Ymir, mais cela n'avait pas d'importance.
« Comment on va faire pour le vaincre ?
- On va faire une diversion ! Puis Mikasa va l'achever ! S'écria Sasha.
- Eren, tu peux essayer de le battre ? »
Le géant hocha la tête, et un éclair de détermination brilla dans ses prunelles. Ils foncèrent sans réfléchir davantage. Armin demeura en retrait. Sa tête tournait, et il dut s'asseoir pour faire cesser ses vertiges. Son teint était beaucoup plus pâle que d'habitude. Le stratège observa Eren, qui avait attrapé la cheville du colossal. Celui-ci fut soulevé vers l'arrière, et le coup de pied fatal du titan envoya son ami d'enfance en haut du mur. L'inquiétude, et la sensation d'être inutile, vinrent l'enserrer comme une prison invisible. Ses amis tournoyèrent autour du visage de leur ancien camarade, alors que Mikasa lançait ses lances en direction de sa nuque. Néanmoins, le corps du géant émit soudainement une fournaise ardente. Les lances ne pénétrèrent pas la chair, et face à l'onde de choc, elles explosèrent derrière la jeune femme.
C'était trop.
S'il était blessé, autant sauver ses amis...
Le blessé aperçut Jean rattraper son amie d'enfance dans sa chute, et ils rejoignirent rapidement l'observateur.
« Il faut sauver Eren... !
- Mikasa, tu saignes ! Tu te sens bien ?
- J'ai les oreilles qui sifflent... Mais je tiens encore debout. Tout va bien se passer.
- Bordel, regardez qui revoilà ! »
Armin plongea en plein désespoir, quand il vit le titan cuirassé marcher vers eux.
De l'autre côté de l'enfer, Levi et Erwin tentaient toujours d'adapter leur stratégie initiale à la situation. Le caporal pointa du doigt le titan d'Eren, qui était encore inconscient en haut du mur.
« Puisqu'il n'y a aucune chance de riposte, soyons d'accord sur une chose : tu dois fuir, Erwin. Réveille Eren, fuis avec lui et autant de soldats que possible. Juste... Essaie de prendre Mikasa avec toi.
- Les chevaux s'échappent ! Fit une voix derrière eux. »
Le commandant tourna les yeux vers deux recrues qui criaient. Floch Foster et Marlowe Freudenberg, si sa mémoire était bonne. Le roux, au sol, lui hurlait que plus rien n'avait d'importance.
« Ces soldats étaient incroyablement forts et ils sont morts ! À quoi bon protéger les chevaux, s'il n'y a plus personne à ramener à la maison ?! »
La jeune recrue avait attiré l'attention de tous les survivants.
« Maintenant que j'y pense, je suis certain qu'ils ont tous pensé comme moi ! Pourquoi je me suis dit que je serais différent ?
- Si tu les utilises comme diversion, tu pourras fuir, reprit le brun à voix basse.
- Et toi, Levi ? Que feras-tu ?
- Je vais combattre le titan bestial.
- Tu n'arriveras même pas à l'atteindre.
- Peut-être bien. Mais si tu rentres sain et sauf, avec Eren... Et Mikasa, alors il y aura encore de l'espoir. Quelle immense défaite... Si on ne fait rien, personne n'en ressortira vivant. »
Levi pouvait presque sentir le souffle de la faucheuse sur sa nuque rasée. Il sentait, au fond de lui, que plus rien ne serait comme avant, après cette bataille ; surtout s'ils perdaient. Mais la défaite était inacceptable, si celle-ci impliquait la mort de son amour. Il ferait face à ce macaque, même s'il n'avait ni gaz ni lames. Il le déchirerait avec ses ongles et ses dents, si cela pouvait les aider à gagner du temps.
« Oui, si on part du principe qu'il n'y a aucun moyen de riposter. »
Les prunelles onyx de l'enfant des bas-fonds reprirent une lueur d'espoir.
« Il y a un moyen ?
- Oui.
- Pourquoi tu gardes ta foutue bouche fermée alors ?
- Si le plan marche, tu pourras vaincre le titan bestial. Mais pour cela, tu auras besoin des vies de toutes nos recrues ainsi que la mienne. Je vais devoir mentir à ces jeunes... »
Le stratège soupira en s'asseyant sur une caisse, face au mur. Dans ses yeux, des éclats incertains dansaient.
« Je veux voir le sous-sol. Tout ce que j'ai fait et sacrifié, c'était dans l'espoir d'assister à ce jour. J'ai pensé, beaucoup trop de fois, que la mort serait plus simple. Plus accessible. Et maintenant, je suis suffisamment proche pour chercher et trouver les réponses à mes questions ! Elles sont juste là... »
Le major leva son unique bras vers le ciel, le visage dirigé vers le sol. Autour d'eux, les éternels météores faisaient hurler les derniers rescapés du Styx.
« Tout ça, est-ce que c'est juste dans ma tête ? Mon rêve n'est-il vraiment qu'une illusion d'enfant ? »
Le plus petit s'agenouilla devant son ami, les yeux plissés. Ce n'était pas le moment d'avoir des états d'âme, il le savait... Néanmoins, en voyant le désespoir déformer ces traits glabres, Levi sentit quelque chose bouillir dans son ventre. Une chose innommable, innommée. Une certitude qui ne pouvait être hurlée.
« C'est grâce à toi, si nous sommes arrivés aussi loin. Alors je vais faire le choix. Abandonne ton rêve et meurs, Erwin. Mène nos soldats jusqu'en enfer. Je vais envoyer le titan bestial dans les profondeurs du tartare. »
En plein déchaînement de l'horreur, les deux hommes semblaient être deux côtés opposées d'une même pièce. Pile, Levi avait l'air déterminé à abattre ce titan, afin de sauver le maximum de personnes. Face, Erwin souriait, soulagé de ne pas avoir à faire un dernier choix égoïste. La montagne de cadavres sur laquelle il se tenait était devenue trop instable. Un dernier souffle individualiste l'aurait fait chuter.
Alors, le commandant Smith avait réalisé son dernier discours. Il n'avait pas caché le sacrifice qu'ils allaient faire : l'implacable mort allait venir faucher leurs faibles vies. Mais la mort du titan bestial pourrait permettre à l'humanité de gagner cette guerre immuable. Ils allaient dédier leurs cœurs à l'humanité une dernière fois.
« J'annonce notre dernière opération ! Nous réaliserons une charge cavalière. Notre but : courir jusqu'au titan bestial. Je vais confier les explosifs à la première ligne. Nous allons tout lui envoyer : fumigènes de couleur, explosifs. Au moment où il tirera, cela devrait réduire la précision de ses lancers. »
Ils s'étaient mis d'accord pour utiliser les titans de taille moyenne pour qu'il puisse atteindre leur ennemi. Le bataillon fit trembler le monde sous les sabots de chevaux. Hurlant face à leur mort certaine, les derniers survivants laissèrent, devant eux, les traces colorées de leur terreur. Celles-ci bouchèrent la vue du macaque. Les premières lignes se saisirent des lances explosives conçues par Hanji- une version améliorée de celles servant à passer à travers l'armure de Reiner. Les armes, faites pour avoir une portée plus grande mais bien moins puissantes que les originelles, s'étirèrent dans l'horizon.
De nuque en nuque, ses lames s'émoussaient à chaque morceau de chair tranché. Levi progressait en même temps que la salve désespérée des sacrifices. Sur le champ de bataille, chaque visage était tiré de traits affreusement terrifiés.
« Soldats, soyez enragés ! Soldats, hurlez ! Soldats, combattez ! »
La plaine était recouverte d'un manteau caligineux. Des nuages noirs, émanant des lances fumigènes, se mélangeaient aux couleurs vertes. Sieg ricana.
« Regarde donc ! Ils m'offrent un feu d'artifice ! Ces idiots viennent de signer leur arrêt de mort, comme c'est triste ! »
Une énième pierre fut écrasée entre ses deux mains, et il lança à l'aveugle. Le capitaine des guerriers entendit le chant mortuaire des suppliciés, et cette mélodie le conforta à achever le dernier couplet. Lorsqu'il vit cette terre trouée, noyée sous le sang des démons ; le fils aîné de Grisha Jäger poussa un long hurlement.
Levi était à deux titans d'atteindre le singe, quand un éclair frappa la plaine, éclairant des ombres informes dans le brouillard. Une immense silhouette sembla se mouvoir, et de gros bruits de choc firent sursauter le seul soldat qui volait. Néanmoins, il vit le babouin tourner la tête vers lui, alors qu'il plantait son grappin dans son épaule. Le singe cria encore une fois, pendant que Levi levait ses lames au-dessus de sa tête.
Reiner se sentait un peu mieux. Après la transformation de Berthold, Porco l'avait sorti de sa prison de chair. Ils s'étaient réfugiés dans une maison, attendant de voir comment la situation évoluait. Les deux guerriers ne savaient pas comment se déroulait le plan de Sieg, mais ils avaient convenu que Reiner était plus en forme que Galliard. Il avait du mal à maîtriser son nouveau pouvoir, et sa concentration l'épuisait. Ainsi, le guerrier roux observait le déroulement du combat, prêt à réagir en cas d'urgence.
« Les gars, je vais gérer Berthold avec Eren, commença Armin. Occupez-vous de Reiner. Visez la mâchoire pour pouvoir lui exploser la nuque par la bouche, ce sera rapide.
- Mais, Armin... »
Agacé, Jean confia ses fusées à Mikasa en silence, prit le blessé par le bras et l'éloigna. Il fixa la brune dans les yeux pendant quelques secondes, et lui transmit sa détermination par sa prise ferme sur ses armes.
« Je vous rejoins. Hors de question de laisser cet idiot tout seul.
- Très bien. Soyez prudents. »
La militaire hésita à retenir ses deux amis. Cependant, le vent lui murmura qu'il devait en être ainsi. Ackerman ne savait pas d'où lui venait cette certitude. Elle s'envola avec ses autres camarades, en direction du géant cuirassé. Elle allait laisser le sort décider quelle serait l'issue de cette bataille. Armin, lui, ne semblait pas être d'accord avec les intentions de son ami.
« Non, Jean ! Je dois le faire ! S'il-te-plaît, va avec les autres !
- Il en est hors de question. Tu ne tiens même pas debout. Quel est ton plan ?
- C'est rien ! Laisse-moi gérer.
- Armin, je ne céderai pas. Tu me connais. »
Les deux hommes se fixèrent en silence. Autour d'eux, les pas des deux titans résonnaient. Ils n'avaient pas le temps de se prendre la tête.
« Berthold perd sa force avec son aura brûlante. Il a énormément maigri depuis ce moment. Il faut réussir à l'épuiser, puis à l'extirper de sa nuque. Mais on ne peut pas s'accrocher à ses muscles, alors ça ne marchera pas... »
Il espérait que son ami ne serait pas assez intelligent pour deviner le reste. Pendant de longues secondes, Kirschtein sembla réfléchir.
« Tu as raison. Ce plan est nul. J'en ai un meilleur, je vais aller aider Eren... Reste à l'abri, d'accord ?
- Non ! Je refuse de rester là à ne rien faire !
- Tu as perdu trop de sang, Armin. S'il-te-plaît, fais-le pour moi. »
Les lueurs inquiètes dans ses yeux l'émouvaient. Le voyait-il enfin ? Malgré le sang, l'odeur de brûlé et la hâte de la guerre, le cœur du blond tambourina dans sa poitrine. Non par peur, non à cause de l'adrénaline dans ses veines, mais bien à cause de ces deux prunelles fixées dans les siennes. Soudain, Armin eut envie d'y croire. Croire qu'ils allaient s'en sortir, et voir l'océan ensemble. Il eut envie de croire qu'ils pouvaient vaincre Berthold sans sacrifier leurs vies.
« Tu te souviens, dans la grotte ? Tu as dit que Marco devait être fier de moi. Que j'étais devenu le leader qu'il voyait en moi. Tu te souviens ?
- Oui, fit son interlocuteur en souriant. Oui, je m'en souviens.
- Tu crois en moi, Armin ? »
Un sentiment sourd s'empara de lui. Le stratège ne savait pas vraiment ce qui s'agitait dans ses entrailles, et il préféra ignorer les tourbillons qui ravageaient sa raison.
« Oui, je crois en toi.
- Alors fais-moi confiance, d'accord ? Va aider Mikasa, il y a probablement le mâchoire pas loin. Elle aura besoin de tes yeux.
- J'y vais. »
Juste avant de se détourner de lui, le jeune homme ébouriffa les cheveux blonds de son camarade. Un sourire fendit leurs deux visages, et chacun se détourna de l'autre ; marchant vers un avenir jonché de cadavres.
Jean s'envola jusqu'à Eren, qui s'était redressé en haut du mur. Il poussa dans ses réserves de gaz, virevolta à côté du titan colossal, en une dernière danse. Arrivé au niveau de son camarade, il se posa sur son épaule et commença à parler fort, pour qu'il puisse l'entendre.
« Oï, l'idiot suicidaire ! J'ai un plan ! Tu m'entends ? »
Un grognement fut émis depuis l'immense gorge d'Eren. Il observait avec incompréhension la silhouette longiligne de son éternel rival.
« Bien. Il faut que tu suives mon plan pour qu'on réussisse. Si tu le suis à la lettre, on gagnera cette foutue guerre ! Et tu pourras aller voir l'océan avec Armin et Mikasa. »
Il murmura ses consignes à Eren, tandis que la brise portait ses intentions aux Moires avides d'action. Un imprévu. Le fil qu'elles avaient tendu précédemment était devenu incassable. Atropos avait beau user ses ciseaux sur le filon de vie, celui-ci était devenu comme condamné à demeurer inflexible. Alors de frustration, Clotho, la fileuse, tissa une nouvelle fois le fil d'une autre vie. Lachésis le déroula en ricanant, alors que Jean fixait le titan colossal arriver à leur niveau.
« Allez, je compte sur toi. Grâce à notre victoire, je pourrai enfin avoir une petite vie tranquille ! »
Un sourire confiant se dessina sur son visage fin. Jean ne prêta pas attention à la brume mortelle qui cachait l'enfer, derrière lui. Pourtant, il aurait dû prendre garde au ricanement de Achlys dont l'influence se propageait comme la toile d'une araignée.
Le titan bestial voulut frapper l'insecte qui osait le déranger dans son jeu parfait, mais celui-ci était éminemment coriace. En un éclair, celui-ci lacéra son bras entier, et chaque parcelle de son membre découpé hurla d'une même voix au sein de son esprit. Était-ce le fameux Levi dont Reiner et Berthold avaient parlé ? Pendant une seconde, il fut fasciné par la vision de ses doigts qui chutaient, mais Sieg paniqua, lorsqu'il sentit quelque chose s'agripper à sa nuque. D'un geste, le guerrier protégea son point faible avec sa main, tournant la tête vers le militaire qui, au lieu d'attaquer sa vulnérabilité, plongea son regard dans les ténèbres. À présent aveuglé, il n'y avait que la douleur de son corps qui lui permettait de savoir où Ackerman se trouvait : tranchant ses deux talons d'Achille, le titan bestial s'écrasa au sol. Dans sa torture, il put entendre une voix bourrue, au-dessus de lui :
« Où est donc passé ton amusement de tout à l'heure ?! »
Le capitaine commença à durcir sa nuque, dans l'espoir de survivre à cette confrontation inattendue.
« Allez, amusons-nous encore ! »
Le soldat tourbillonna une fois encore, faisant disparaître momentanément le brouillard qui camouflait leur combat. Il trancha la main qui protégeait tant bien que mal les cervicales du géant. Lorsque ses deux pieds se posèrent sur le dos du macaque, ses bras s'agitèrent comme un ouragan impavide. Le sang gicla, encore et encore, et sembla même colorer la brume d'éclats sanguinolents.
Face au coup de lame final, un homme sortit en hurlant de la bête brune. Ses cheveux blonds et son regard bleu lui firent penser à quelqu'un, mais Levi fit abstraction de cette impression pour enfoncer sa lame dans sa bouche ouverte. Il réfléchirait plus tard. Il devait, tout d'abord, venger Erwin et les soldats morts pour lui donner cette opportunité.
« Hey, réponds-moi ! C'est quoi ces manières ? Y-a-t'il des survivants ? S'il y en a, même aux portes de la mort, l'injection les transformera en titan. Alors, tu te feras bouffer par qui, à ton avis ? »
Le sang ruisselait de sa bouche, tandis que ses deux iris le dévisageaient d'un air ahuri. L'aîné Jäger, pour la première fois de sa vie, était déboussolé par l'aura que dégageait un homme. Cette ombre dangereuse, mouvante comme un serpent venimeux, qui s'enfonçait dans sa gorge à l'en faire vomir. Ses deux prunelles grises redressèrent la tête vers le champ de bataille, cherchant inconsciemment la silhouette d'un homme debout, blond, avec un seul bras.
Le brouillard s'était levé. Devant lui, une marée de cadavres valsait au rythme de la brise. Mais une silhouette bien connue se tenait, là, écrasant les corps des soldats morts pour l'humanité. Ses cheveux blonds virevoltaient au rythme des murmures de la mort, tandis que ses prunelles bleues fixaient le corps qui pendait dans sa main. Le titan féminin marchait en observant le corps d'Erwin Smith, achevant ainsi les derniers soupirs de ceux qui n'avaient plus la force d'esquiver ses foulées. Le commandant pendait dans sa main comme un pantin désarticulé, et la même vision onirique de Mikasa, pendue à la main du titan bestial, fut un écho à cette réalité cruelle.
Ses deux mains écartelèrent les membres du major, et pendant que celui-ci poussait un dernier hurlement, une lame vint se nicher dans le dos de Levi Ackerman. Il fut projeté au sol par une jeune femme aux cheveux bruns. Le caporal n'eut le temps que de voir les sillons de muscles qui s'étaient détachés du visage de son assaillante, avant que le sol ne l'accueille dans ses bras d'argile.
« Sieg ! Tu vas bien ?! »
Le guerrier toussa du sang, lorsque la lame de son rival quitta enfin sa bouche. Comme une réponse à ce corps qu'il détestait déjà, Levi cracha quelques gouttes écarlates. Son ventre brûlait d'une fournaise acérée. Sa respiration devint erratique, mais il ne pouvait pas bouger. L'enfant des bas-fonds ne put observer que le corps de son ami s'écraser au sol. Quelque chose en lui hurla d'une manière encore plus douloureuse que l'arme plantée dans son corps. Lui-même s'ordonnait de bouger, de rattraper ce connard de singe et de l'achever, de trancher les pattes de cette gamine qui le transportait dans son titan aussi moche que petit.
« Hey, attends... Où tu vas...? Je lui ai promis de te tuer... »
Ackerman aperçut le titan charrette et le titan féminin s'éloigner, mais il ne voyait que le corps meurtri de celui qu'il avait suivi durant tant d'années. Sa vision devient soudainement floue. Ses oreilles commencèrent à bourdonner, et il eut l'impression d'entendre les rires de trois sorcières.
« Je lui ai promis !»
Le champ de mort fut recouvert par la vision des champs du châtiment, dans lesquels l'attendaient patiemment Kenny, Isabel, et Farlan.
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