3 - Asche


Mikasa ne pouvait sciemment pas dormir. Tout d'abord, car son angoisse semblait enfler à chaque seconde, sur le point d'exploser dans sa cage thoracique. Elle avait peur, si peur de ce qui allait se passer aujourd'hui. Elle souhaita, dans une prière muette, que le soleil ne se lève jamais.

Ensuite, car ses camarades non plus, n'arrivaient pas à dormir. Depuis le couvre-feu, elles ne faisaient que parler à voix basse, comme si la jeune femme ne pouvait pas les entendre. Sasha déprimait car si elle mourait aujourd'hui, elle ne pourrait plus jamais manger un steak. Christa, elle, l'écoutait d'une oreille attentive et lui offrait toute la compassion dont elle était capable. Cela faisait des heures qu'elle entendait leurs murmures, et elle n'avait pas le cœur à leur dire de se taire ; puisque c'était peut-être la dernière fois qu'elle entendait leurs voix. Alors, Mikasa se taisait et les écoutait. C'était la meilleure chose qu'elle savait faire, se taire et écouter.

« Tu sais, Sasha, j'ai peur de mourir demain sans avoir embrassé la personne que j'aime.

- Tu parles d'Ymir ?

- On peut dire ça... Imagine si elle meurt. Je n'aurais jamais eu l'occasion de lui dire à quel point je me sens bien quand elle est là. Enfin, je pense que j'ai plus de chance de mourir qu'elle...

- Si tu pars défaitiste, c'est sûr que quelque chose se passera mal. Alors imagine toi avec elle après l'expédition, et ça se produira peut-être !

- Je ne t'imaginais pas si sage, Sasha.

- C'est mon côté sérieux d'avant expédition ça, ça va passer. »

La jeune femme pouvait décrire avec précision chaque irrégularité du plafond. Dès qu'elle fermait les yeux, les images de ses quelques amis et proches s'imposaient derrière ses paupières. Leurs corps déchirés, leurs membres éparpillés, leurs visages teintés d'une horreur impalpable. Non, elle préférait encore garder les yeux ouverts. Les tâches présentes sur le plafond, elles, n'étaient pas écarlates. Elle savait qu'elle devait penser à autre chose. Elle essayait, mais les discussions de ses amies l'empêchaient de se changer les idées.

Par conséquent, elle se redressa dans son lit et commença à s'habiller en vue de sortir. Les deux jeunes femmes sursautèrent, surprises que leur amie ne dorme pas à cette heure si tardive. Ou si matinale, cela dépendait du point de vue.

« Oh Mikasa, on t'a réveillée ?

- Non, en fait, je n'ai pas pu dormir.

- On est désolées, on aurait dû faire moins de bruit.

- Je crois que je n'aurais pas pu dormir, même sans vos murmures. Je vais juste marcher, essayer de me changer les idées avant l'expédition. »

La jeune femme enfila ses bottes dans le silence, puis se dirigea vers la sortie de la chambre. Néanmoins, elle s'arrêta devant la porte de celle-ci, et se retourna vers la petite blonde.

« Tu sais Christa, il nous reste un peu de temps avant l'expédition. Il n'est pas encore trop tard pour lui avouer. »

La jeune fille écarquilla les yeux, puis rougit légèrement à cette pensée. Cependant, un grand sourire étira ses lèvres charnues, et son regard fatigué se teinta de reconnaissance.

« Tu as raison, Mikasa. Merci. »

Ainsi, l'asiatique passa le pas de la porte en se dirigeant vers l'extérieur. La petite l'avait remerciée. Elle n'aurait peut-être pas de regrets, comme ça ? Au fond d'elle, une étrange sensation étreignit son cœur. Elle avait pu l'aider, et elle se sentait heureuse d'en avoir été capable. Durant les rares occasions où ses proches avaient des doutes, elle ne savait que dire ou que faire. C'était un domaine qui lui faisait grandement défaut, les liens sociaux. Par conséquent, la soldate ressentait une certaine satisfaction à avoir pu passer outre cette incapacité sociale.

L'aube ne s'était même pas encore levée. Le vent frais de la nuit fouetta son visage, et ses cheveux s'envolèrent dans tous les sens. L'air froid lui perçait les poumons, mais elle préférait cette sensation à celle d'enfermement que lui procurait l'angoisse. L'horizon resta sombre, étrange, mystique. Elle cherchait à déceler le moindre indice, un quelconque signe ; mais celui-ci restait mutique.

Elle déambula dans le camp, sans un bruit. La brune eut l'impression d'être un fantôme dans une ville morte. Rien n'indiquait que sa brigade était en vie. Elle était seule, et de ce fait, se sentait si légère. Seule face à la lune qui la toisait de sa lumière céleste. Ackerman avait la sourde impression qu'elle était libre, pour la première fois de sa vie. Sans attaches. Dérivant dans un océan agité, sans bouée de sauvetage pour lui permettre de rester à la surface. Elle s'enfonça dans les ténèbres, encore et encore. Les ramures des arbres lui chantaient une mélodie rassurante, mais tout ce noir l'effrayait et l'attirait. L'effrayait, car elle ne voyait pas ce qui l'attendait. L'attirait, car elle voulait précisément savoir ce que cachaient ces feuillages.

Soudain, la jeune recrue entendit une branche craquer derrière elle, et elle se retourna furtivement. Elle pouvait deviner une silhouette humaine, plus petite qu'elle, dans son sillage. Malheureusement, les nuages faisaient barrage à la lumière d'albâtre de la lune, et le miracle de l'humanité ne perçut plus rien. Elle entendait le bruit d'une respiration calme, comparée à la sienne qui s'accélérait sous la volonté pernicieuse de son imagination. Elle se demanda qui était devant elle, pourquoi cette personne était debout à cette heure, pourquoi elle la suivait. Mais, devant l'avalanche de questions qu'elle se posait, la solitaire resta muette et attendit de déceler de l'animosité chez l'autre ou non. Débuter la conversation pourrait être un moyen de lui faire baisser sa garde.

Ainsi, le silence s'installa entre les deux soldats, pendant de longues minutes. Elle se demanda même, au bout d'un certain temps, si elle n'avait pas imaginé cette présence. Puis, Mikasa remarqua que l'aube commençait à se lever ; les nuages s'évaporaient, et une douce lumière éclaircit le paysage. Devant elle se tenait le caporal Levi, qui la détaillait d'un air ennuyé.

« Tu devrais encore dormir à cette heure-là, Ackerman.

- Et vous de même, Caporal. »

Il se contenta d'hausser les épaules d'un œil morne. Une soudaine interrogation lui vint en tête, mais elle l'étouffa sans sourciller. La plus jeune ne voulait pas savoir pourquoi il n'arrivait pas à dormir, de peur de percevoir une parcelle d'humanité en cet homme.

« Si tu penses que ton petit Jäger est si faible, tu devrais l'achever toi-même. Il souffrira beaucoup moins que si c'était un titan qui lui arrachait les tripes. »

Une vive colère explosa dans ses veines, et son visage se crispa sans qu'elle ne le veuille. À nouveau, l'envie de le tuer saisissait ses tripes, et ses poings se retrouvèrent fermés ; comme s'il était dans la paume de sa main et qu'elle voulait l'écraser. Il n'était malheureusement pas si microscopique.

« Caporal Levi, je vous promets que cette expédition aura pour vous un goût de cendres.

- Chaque expédition a un goût de cendres pour moi, gamine.

- Alors celle-ci sera pire. Quand vous vous y attendrez le moins, vous regretterez de m'avoir mise en colère.

- Commence par couvrir tes arrières, et tu pourras te préoccuper de passer à travers celles des autres. »

Tous ses membres commencèrent à trembler, pendant que dans ses yeux sombres se reflétaient les éclairs de la haine. L'homme la toisa, observant chaque tremblement, chaque ride, chaque mouvement. Il ne savait pas exactement quelle était la raison pour laquelle il l'avait suivie. Puis, le plus petit se persuada qu'il ne l'avait pas vraiment suivie ; mais qu'il avait juste écouté son instinct. Il sentait, au fond de lui-même, que la jeune femme était spéciale. La mettre en rogne n'était peut-être pas la meilleure idée qu'il eut, mais c'était la seule chose qu'il savait particulièrement bien faire.

« Allez, bouge ton cul et va manger. On ne va pas tarder à se préparer à y aller. T'as intérêt à ne pas être un boulet, Ackerman.

- Je vous emmerde. »

Une pointe de satisfaction passa dans ses iris gris, puis le brun lui tourna le dos et se dirigea vers la salle commune. Derrière lui, Mikasa tenta de contrôler sa respiration devenue erratique sous le coup de sa colère. Ce connard lui tournait le dos tout en ayant connaissance de ses menaces. Il la provoquait ouvertement, et c'était encore pire que s'il l'avait insultée. C'était en grognant que la jeune femme commença à courir en direction de la salle commune, bousculant de manière effrontée son supérieur au passage.

Elle savait que c'était enfantin. Son supérieur ne manquerait probablement pas de la punir après l'expédition. Mais sa colère se radoucit après l'avoir aperçu presque tomber, et la satisfaction de l'avoir déséquilibré lui sembla suffisante pour le supporter aujourd'hui.

De son côté, il s'attendait à tout sauf à ça. Son regard suivit la silhouette de la jeune fille tressautant au rythme de ses foulées, et une pointe d'amusement prit place dans son ventre. Au moins, il s'était détendu deux minutes avant l'expédition. L'ambiance dans la salle de restauration était tout autre. Il pouvait observer tous les visages fatigués, torturés par leur imagination. Tous mangeaient dans un silence de mort, comme s'ils rendaient déjà hommage à leurs camarades disparus, et peut-être à eux-mêmes.

Chaque soldat présent dans cette pièce voulait ralentir les secondes qui passaient trop vite. Même lui. À sa table, Erwin récapitulait le plan de A à Z. Il ne l'écoutait que d'une oreille. Ses pensées se dirigeaient vers le jeune Jäger. Si son escouade l'entraînait déjà depuis un mois, c'était pour mieux préparer l'expédition. Ses soldats les plus compétents l'encadraient et le surveillaient. En effet, il ne savait pas encore si c'était un atout pour l'humanité, ou un cheval de Troie. Pour la première fois depuis quelques années, il accorda sa confiance en un autre être humain que lui-même et Erwin ; à savoir toute son escouade. Ils avaient survécu à de nombreuses expéditions jusqu'à présent. Ils n'étaient pas faibles. Ils survivraient.

Malgré lui, les minutes passèrent ; et l'ancien bourreau des bas-fonds se retrouva sur sa monture, en rang avec toute la brigade. À ses côtés, Petra lui lança un sourire jovial, entourée par les trois autres hommes de l'escouade. Ils voyagèrent dans un silence mortuaire pendant de longs kilomètres, jusqu'à rejoindre l'une des portes du mur. Celle-ci s'ouvrit dans un vacarme assourdissant ; les poulies rouillées crissaient sous le poids de la pierre.

Toute la brigade traversa le mur par groupes, puis se tenait devant celui-ci, en attendant les autres blocs pour achever la formation.

« On se voit après l'expédition, caporal !

- Prenez soin de vous, lui somma Auruo. »

Il hocha la tête en signe de réponse, et vit son escouade s'éloigner vers le centre de la formation, avec Eren au centre de celle-ci. De son côté, il pouvait entendre Kirstein déblatérer des inepties à Ackerman, qui l'observait d'un air désintéressé.

« Et c'est ainsi que j'ai réussi à achever ce sanglier ! Mais dis-moi, ça ne te gêne pas que je parle autant ?

- Jean, si ça te permet de te détendre avant l'expédition, je t'écouterai. Je doute que tu veuilles me donner des conseils pour chasser le gibier.

- Mmh, bien vu... »

Mikasa lui adressa un fin sourire. Elle appréciait le jeune homme, même si Eren ne pouvait pas l'encadrer. Il était intelligent, et cachait son sérieux sous son air taquin. Depuis Trost, elle savait qu'il était digne de sa confiance ; et souhaitait lui prouver qu'il pouvait également compter sur elle. La jeune femme savait qu'elle avait manqué à son devoir, en réagissant comme elle l'avait fait au district attaqué par les titans, il y a quelques mois. Mais c'était Jean qui lui avait fait ouvrir les yeux. Ainsi, plus jamais elle n'abandonnerait. Peu importe les pertes. Peu importe ses sentiments. Tout cela pouvait attendre qu'elle soit en sécurité pour s'y adonner.

La soldate entendit, au loin, la voix du major s'élever vers le ciel bleu. Elle perçut, au dessus d'elle, une myriade d'oiseaux s'envoler au-delà du mur, virevoltant vers des horizons moins rouges. La mission débuta sans qu'elle ne le sache vraiment : dès que son chef de groupe, le caporal Levi, lança son cheval au galop, tout son groupe suivit. Elle jeta un dernier regard en arrière, dans l'espoir vain de croiser le regard de son frère une dernière fois. Cependant, elle ne réussit pas à distinguer ne serait-ce que sa silhouette dans la foule informe, et la combattante détourna les yeux avec un goût de défaite dans la gorge.

Ils chevauchèrent pendant de longues heures dans les plaines. Seuls les bruits des sabots frappant contre le sol s'élevaient dans les airs. L'angoisse sourde, qui remuait dans son ventre jusqu'à présent, semblait avoir étalé ses tentacules sur l'ensemble de ses camarades, si bien que personne n'osait briser ce silence pesant. L'homme s'attendait à voir apparaître l'un de ses monstres hideux à tout bout de champ, et l'attente de cet enfer le rongeait. Il détestait languir de cette manière. Il préférait faire face au danger et l'éliminer directement. Ce flottement le faisait réfléchir à toute allure, et Levi était un homme d'action, non de réflexion.

Peut-être arriveraient-ils jusqu'à la cible sans accroc ? Tout cela était bizarre, bien trop bizarre. Le vétéran avait survécu à assez d'expéditions pour que cette situation lui paraisse anormale. Les titans sentaient quand ils étaient là. Ils ne pouvaient sciemment pas louper un tel festin. Où étaient-ils passés ? Les attendaient-ils ? Impossible, les titans ne possédaient pas d'intelligence humaine. Ils étaient seulement mus par leur désir de les bouffer. Ils n'étaient que des géants débiles. Dangereux, mais débiles.

À sa gauche, il perçut un fumigène rouge, le premier depuis des heures. D'un geste mécanique, il le relaya, et attendit la réponse du centre de la formation, à deux kilomètres à peu près d'eux. Ses yeux fixaient l'horizon opalin, et les secondes passèrent. Erwin n'avait-il pas vu son signal ? Chaque minute était précieuse, car c'était une minute de plus accordée aux titans pour les rattraper. Il pesta quand il vit, plus loin, un fumigène rouge à sa droite. Approximativement, il devait provenir d'un groupe à 6 kilomètres, au moins. Étaient-ils tombés dans un piège ? La non-réponse du centre de la formation l'inquiétait.

« Caporal, permission de parler sans artifices ? »

Armin Arlert était parvenu jusqu'à lui, et l'observait d'un air inquiet. L'homme hocha la tête, observant du coin de l'œil le ciel devenir rouge.

« Je pense que la formation a été perturbée. S'ils n'ont pas relayé les fumigènes ou prévenu les autres ailes, c'est peut-être car nous avons un traître dans nos rangs. Ou alors c'est ce que pense le major, et qu'il veut le vérifier. Dans tous les cas, il semblerait que nous soyons encerclés par les titans.

- Quelle est la solution idéale pour toi ?

- On ne pourrait pas les éviter indéfiniment. Je propose qu'on atteigne la forêt devant nous, et que nous les attendions pour donner de l'avance au major Erwin.

- Très bien. Donne ces ordres au soldat Ackerman : préviens le chef de groupe à notre gauche de notre plan. Direction la forêt, puis on en tranche un maximum. Qu'elle revienne le plus rapidement possible.

- Reçu, caporal. »

Lorsqu'elle reçut cet ordre, la rage de Mikasa sembla doubler de volume. Ce qu'il se passait n'était pas normal, et on voulait l'éloigner du centre de la formation, car Eren y était. C'était à contre-cœur qu'elle changeait de direction pour se diriger vers sa gauche. En théorie, le dernier groupe se trouvait à trois kilomètres d'eux.

Le silence était encore plus pesant, mais cela ne l'embêtait pas. Devant elle, des champs de blé sauvages ondulaient sous les désirs du vent, et au-dessus d'eux, des nuages noirs venaient rencontrer la cime des montagnes au loin. Elle se perdit dans la contemplation de ce paysage pendant de longues minutes, passant à côté d'un cadavre ensanglanté. C'est lorsque sa jument émit un bruit sourd qu'elle daigna poser les yeux devant elle.
Le champ de blé s'était transformé en champ de morts. Elle pouvait apercevoir, à sa droite, quelques membres déchiquetés dont les mains étaient tendues vers un au-delà plus doux. Certains visages avaient pris leur indépendance et tenaient compagnie aux asticots qui se tortillaient dans la boue. Le tonnerre gronda, la faisant sursauter. Elle se redressa dans ses étriers, lames prêtes à déchiqueter, mais seul le silence lui répondit.

Il n'y avait plus rien. Elle avait probablement dû contourner la vague de titans qui s'était écrasée contre ce groupe. Le cœur serré, elle jeta un regard à cette montagne ensanglantée en un dernier hommage, puis rebroussa chemin. Elle avait dû chevaucher un kilomètre avant de tomber sur eux ; et elle craignait que son groupe n'ait pas pu rejoindre les arbres à temps. Les pleurs des nuages se déchaînèrent sur les champs de blé, l'herbe et le sang ; et elle fut trempée en quelques secondes.

Elle vit les silhouettes incongrues de trois titans devant elle. Ils se déplaçaient comme des marionnettes, et semblaient plutôt amorphes. Cela lui mettait la puce à l'oreille. Peut-être les titans ressentaient-ils de la fatigue après un assaut ? Elle planta son grappin dans la nuque du plus grand, et les trancha toutes de manière méthodique. Ils s'écroulèrent sans un bruit ni réaction, comme des poupées de chiffon. Elle remonta sur son cheval et poursuivit son ascension. Quelques corps pourrissaient déjà à vue d'œil, mais elle n'aperçut aucun cadavre de l'un de son groupe. Elle se permit, pendant quelques secondes, d'espérer qu'ils soient en sécurité. Elle devait intercepter ces titans avant qu'ils ne mettent en danger Armin, ou Jean, ou même Eren. Même le caporal, malgré le fait qu'il soit aussi fort qu'elle, voire davantage. Une erreur d'inattention était vite arrivée après tout. Elle se fustigea mentalement. Ce nain n'avait pas besoin de son inquiétude.

La soldate du bataillon se retourna par réflexe, et aperçut six titans marcher vers elle. Son regard en leur direction sembla déclencher chez eux quelque chose, car ils se mirent à courir vers elle. Son cœur se tordit sous l'angoisse que lui procuraient ces géants anthropomorphes, et la brune pesta. Les ramures des arbres apparaissaient dans son champ de vision. La forêt devait être à environ 800 mètres, mais elle n'était pas certaine de l'atteindre sans se faire rattraper. Mikasa pouvait peut-être parcourir 500 mètres avant que le premier ne l'attrape. Elle pesta et se retourna. Ils étaient trop éloignés les uns des autres pour qu'elle ne les tue tous d'un coup. Mais peut-être pouvait-elle en tuer trois en une attaque, se raccrocher à la jambe de l'un d'entre eux pour s'élever, et les finir en deux ou trois attaques. Oui, elle pouvait faire cela. Sa jument galopait toujours à travers les plaines, ignorant les géants monstrueux à ses trousses.

Une dizaine de mètres seulement la séparait de cet escadron de la mort. L'héritière des Ackerman se redressa sur ses étriers, sortit ses lames dont le sang qui les recouvrait auparavant s'était évaporé, et elle s'éleva dans les airs. La pluie lui fouettait le visage et rendait sa vision floue. Cependant, elle réussit à esquiver les mains géantes qui se tendaient vers elle et les mâchoires qui claquaient dans son sillage. La combattante en tua, comme elle l'avait prévu, trois d'entre eux. Il lui restait la moitié. Perchée sur le crâne du moins grand, elle voltigea dans les airs juste avant que celui-ci ne l'écrase contre son crâne comme un vulgaire moustique, et elle trancha les épaules, trapèzes compris, de celui en face d'elle. Le sang l'éclaboussa et l'aveugla deux secondes, et elle finit sa course dans la nuque du second, qui s'écroula à son tour. Enfin, ses lames étant émoussées, l'asiatique chargea sur le dernier et l'éborgna avec celles-ci avant de les remplacer, et le finit en un coup bien placé.

Perchée sur cette seconde montagne de cadavres, elle en profita pour observer les alentours. La plaine qu'elle surplombait semblait calme, si l'on ignorait les grondements des nuages. Seule la forêt semblait s'agiter. Le vent portait à ses oreilles le crissement des feuilles, les bruits étouffés des lames qui tranchaient la chair, et quelques hurlements. Elle plissa les yeux et aperçut des masses humanoïdes au pied des arbres. La jeune femme n'était pas arrivée à temps pour les prévenir, et espérait que cela n'ait aucun impact sur la vie de ses camarades.

Elle se replaça sur sa jument et approcha prudemment de cette masse informe. Ils étaient trop nombreux pour qu'elle prenne le temps de les compter. Ils s'agitaient sous les arbres, s'accrochaient aux troncs, tentaient de grimper de manière infructueuse.

Elle s'approcha lentement de ce comité d'accueil, et tenta de repérer ses amis sur les branches, tout en gardant un œil sur les géants carnivores. La soldate espérait qu'ils ne pouvaient pas sentir sa présence derrière eux, vu les masses humaines qui s'agitaient au-dessus de leur groupe. Cependant, des bruits de sabots contre la boue vinrent à ses oreilles, et elle tourna la tête pour apercevoir deux soldats arriver à ses côtés, leurs capuches rabattues sur leurs têtes. Elle se montra tout d'abord méfiante, mais lorsqu'elle aperçut les cheveux blonds d'Armin, ses épaules s'affaissèrent sans le poids de l'inquiétude.

« Armin ! Je suis si contente de voir que tu vas bien !

- Je vais bien aussi, Mikasa...

- Oh, je ne t'avais pas reconnu sous ta capuche, Jean. »

Le plus grand haussa les épaules d'un air faussement indifférent, mais elle sentait qu'il était vexé d'être passé au second plan. Néanmoins, elle se concentra sur le visage désespéré d'Armin, dont les traits se crispaient un peu plus à chaque seconde.

« Nous sommes allés prévenir les autres groupes du plan... Mais un titan est arrivé, différent. Il a attaqué un des groupes, mais nous a épargnés... Il s'est passé quelque chose d'étrange. Au lieu de m'attraper, il a rabattu ma capuche sur mes épaules pour voir mon visage. On aurait même dit qu'il m'avait reconnu... C'est Reiner qui m'a sauvé...

- Tu veux dire elle ? Elle avait un corps typiquement féminin ! Des cheveux longs, des seins... Et cet idiot est resté planté là au lieu de fuir ! Il aurait pu mourir !

- Là n'est pas la question Jean ! Bref, et toi, l'autre groupe est au courant ?

- Ehm... Ils ont tous été massacrés. J'ai croisé au total neuf titans. Les trois premiers, proches du lieu de leurs morts, se comportaient comme des poupées de chiffon. Les autres se sont mis à courir quand je les ai regardés. C'était étrange aussi. »

Ses deux camarades semblèrent désespérés à l'idée qu'un groupe se soit fait décimer en si peu de temps. Armin apporta ses doigts sous son menton, et fronça les sourcils. Il faisait toujours cela quand il réfléchissait, et Mikasa trouvait ce toc assez drôle. Elle jeta un œil à la meute qui se dressait devant eux, sous les arbres. Les titans ne semblaient pas les avoir remarqués.

« Ce titan semblait avoir une intelligence humaine... Il saisissait nos câbles et protégeait sa nuque. Il commande peut-être les autres titans. Il faut prévenir le caporal, mais surtout le major Erwin. »

Les deux autres soldats opinèrent, et ils se rapprochèrent du troupeau monstrueux. Ils n'eurent même pas besoin de se défendre face aux bêtes géantes ; ils volèrent dans leur dos, abandonnant leurs montures, pour rejoindre leurs camarades dans les arbres. Armin sentit le regard doré de Braun sur lui, et les éclairs d'inquiétude dans ses iris trahissaient son visage neutre. Dès leur arrivée, le caporal se posa sur leur branche, les transperçant tous les trois de son regard d'acier. Ses vêtements étaient trempés d'eau et de sang, et son visage exprimait tout son dégoût. Il allait devoir laver cet uniforme comme jamais.

« Caporal, le groupe à notre gauche a été exterminé. Je n'ai trouvé aucun survivant. Sur la route, j'ai éliminé neuf titans, qui se comportaient de manière étrange.

- Caporal, nous avons prévenu les autres groupes comme vous nous l'aviez demandé. Cependant, nous avons croisé un titan possédant potentiellement une intelligence humaine et pouvant probablement contrôler ou commander les autres titans. En effet, il connaissait notre équipement et tirait sur les câbles, et se protégeait la nuque pendant sa course. Il a même pris le temps de baisser ma capuche et a semblé me reconnaître. Il nous a épargnés et s'est dirigé vers le centre de la formation. Je pense qu'il cherche quelqu'un. »

Le blond prit le temps de reprendre sa respiration, et jeta une œillade à sa camarade. La jeune femme fronça les sourcils, et la peur lui tordit l'estomac. Elle avait peur de comprendre où il voulait en venir.

« Je pense que ce titan, à l'apparence féminine, cherche Eren Jäger. »

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