19 - Spannung
Mikasa pouvait entendre le bruit de la pluie qui s'écrasait contre les tuiles de la maison. Le feu qui crépitait dans la cheminée apportait une ambiance chaleureuse dans le foyer de la brune. En face d'elle, Levi épluchait des pommes de terre, et les projections de lumière provenant des flammes lui donnaient un air serein. L'asiatique admira ses traits glabres avec attention, pendant que son cœur entamait une aubade amoureuse.
« Maman, j'ai fini ! Tu en penses quoi ? C'est bien ? »
À ses côtés, une petite fille aux cheveux de jais lui tendait une broderie. L'enfant avait ses cheveux lisses, et des prunelles d'acier. Cette scène avait un goût de déjà-vu pour la plus jeune Ackerman, mais elle mit ce songe de côté pour se concentrer sur les lignes qu'avaient formé les fils colorés.
« C'est superbe, ma chérie. Tu sais, cette technique est transmise de génération en génération... Lorsque tu auras des enfants, tu pourras leur apprendre aussi.
- Hein ? Mais, je ne comprends pas, comment pourrais-je avoir des enfants ? »
Gênée, Ackerman dévia son regard vers l'ancien soldat, qui semblait absorbé par les pelures de pommes de terre. Malgré son éternel air blasé, elle aperçut dans les traits de son visage, les traces amusées de la moquerie.
« Levi, pourquoi ne lui expliques-tu pas ?
- Oui, papa, s'il-te-plaît ! Je veux savoir ! »
Le brun s'arrêta et lança un regard profondément agacé au miracle de l'humanité, qui lui adressait un rictus rieur. Il posa le couteau avec lequel il épluchait les légumes, et fit un léger sourire à la petite fille.
« Je ne suis pas vraiment un expert sur le sujet. Mais tu sais quoi ? Le docteur Jäger doit nous rendre visite, aujourd'hui. Tu pourras lui demander. »
La femme rigolait de la gêne de son mari, et ils se regardèrent tous les deux en souriant pendant que leur fille opinait. Le bonheur recouvrait totalement son cœur, et Mikasa continuait de donner des conseils à sa fille, sous l'œil attentif de son ancien supérieur. Soudain, quelques coups retentirent contre la porte en bois.
« En parlant du loup. »
L'ancien militaire se leva de son siège et se dirigea vers la porte d'entrée. Sereine, la brune continuait de parler à sa fille, d'une manière si douce qu'elle se surprenait elle-même. Le crépitement du feu était toujours aussi rassurant, à côté d'elles.
« Vous tombez bien, on parlait justement de - »
Elle entendit la voix d'Ackerman défaillir, et une plainte rauque passa ses lèvres sèches. Mikasa jeta un coup d'œil vers l'homme qui partageait sa vie depuis tant d'années, et ses yeux s'écarquillèrent lorsqu'elle aperçut sa petite silhouette défaillir. Un vide abyssal prit la place du bonheur dans lequel elle baignait depuis bien trop longtemps. Le corps de Levi s'effondra contre le plancher. Son sang s'étalait déjà sur le bois clair, et l'ancienne soldate se fit la réflexion qu'il aurait détesté ces taches.
« Désolé pour l'interruption. »
Elle leva les yeux vers l'assaillant de l'homme qu'elle aimait, et fut paralysée sur place lorsqu'elle croisa les deux prunelles émeraude de son frère. Dans sa main, il pointait en sa direction un couteau ensanglanté. La femme aux cheveux de jais n'eut pas le temps de se demander pourquoi, ni comment. Elle saisit le ciseau posé sur la table en face d'elle, et le serra dans cette main qui n'avait pas versé de sang depuis bien longtemps.
« Allez, faisons tout ça de manière calme. J'imagine que personne ne veut avoir le crâne scindé en deux, hein ? »
À ses côtés, un barbu brandit une hache vers le plafond. Dans les verres de ses lunettes, le feu prenait une dimension hasardeuse, menaçante, terrifiante. Les flammes se reflétaient dans l'acier transparent, et la jeune femme sentit tout son corps trembler sous l'adrénaline.
« Cours ! »
Elle se jeta sur le grand blond en hurlant. Celui-ci retint son poignet avec difficulté. Mikasa oublia le regard si clair de son frère, le cadavre de son amant sur le sol, le brasier qui la consumait. L'asiatique oublia ce pour quoi elle s'était battue depuis qu'elle fut née, et ne vit que la survie de sa fille.
« Maman, tu me fais peur !
- Je veux que tu aies peur ! Cours ! »
Soudain, elle vit l'arme de son assaillant se lever au-dessus de sa tête, et une vive douleur explosa dans son épaule droite. L'ancienne soldate aperçut son sang jaillir devant elle, et la blessée se retourna une dernière fois vers sa progéniture effrayée. Mikasa tendit la main vers ses yeux terrifiés, si semblables à ceux de Levi, et elle s'effondra contre le sol.
« Putain, Sieg ! On avait dit qu'on tuait juste le père ! »
Son propre sang rejoignit celui de son époux, à quelques mètres d'elle, et dans le mélange des deux liquides garance bouillonnait les affres de ses angoisses.
Mikasa se réveilla en sursautant. Son épaule droite la faisait souffrir, et elle dû toucher son membre endolori pour s'assurer qu'il était en bon état. À ses côtés, Sasha ronflait, et l'aube venait éclairer sa silhouette endormie.
La soldate passa sa main dans ses cheveux. Sa peau diaphane était recouverte d'un voile de sueur, et ses doigts tremblaient encore un peu. Elle avait souvent rêvé de la mort inéluctable de ses parents... Mais être à leur place, avec Levi... Les joues de la jeune femme prirent une teinte rosée à ce songe. Avoir une fille avec lui... Tout semblait si logique. Si évident. Quelle idiote ! Ce cauchemar mettait probablement en scène ce qu'elle souhaitait, au fond... Et reflétait ses peurs les plus atroces. Avoir un foyer avec ce sale nain ? Tss, n'importe quoi.
Ackerman s'habilla en vitesse, enfila ses chaussures, et s'éclipsa de la petite pièce en prenant garde à ne pas réveiller ses camarades. La combattante se retrouva bien vite dehors, et la température fraîche l'aida à se remettre de ce foutu rêve.
Elle préférait les paysages verdoyants plutôt que l'agitation perpétuelle de la ville. Les rayons du soleil arrivaient à passer à travers les toits des maisons et des chapelles. Néanmoins, le mur qui les entourait empêchait l'asiatique de se retrouver éblouie. Ainsi, quelques nuages recouvraient encore les ruelles, et cette brume opaque donnait une apparence mystique à la ville en éveil.
La jeune femme arpenta la place principale. Quelques enfants, déjà réveillés, couraient le long des étalages que les marchands peinaient à monter. Le miracle de l'humanité pouvait déjà sentir les effluves des épices, et le parfum des légumes de la fin de la saison.
Elle n'eut pas le temps de flâner dans la ville, qu'un gamin la tira par la manche. Celui-ci avait un visage rond, et deux yeux bleus fixaient son écharpe rouge. Il était petit, frêle, délicat. Au-dessus de ses traits, ceux d'une petite brune aux yeux gris se superposa, et la rêveuse dû ravaler les dernières traces de ses relents d'angoisse.
« Vous êtes madame Mikasa ?
- Oui, c'est moi.
- Un grand monsieur blond m'a demandé de venir vous trouver. Il m'a donné ça et m'a dit de sortir de la ville juste après. Il m'a dit que vous sauriez ce que cela signifie. »
L'enfant tordait entre ses doigts une petite pomme rouge. Alors ainsi, le grand jour était arrivé. La jeune femme dû prendre de grandes inspirations avant de pouvoir répondre à son petit interlocuteur.
« Merci pour le message. Tu sais ce qu'il te reste à faire, hein ? Va jouer en dehors de la ville, avec tes parents et tes amis. Joue longtemps.
- Pourquoi ?
- Sinon tu ne pourras plus jamais jouer avec eux. Alors, fais-le, hein ?
- D'accord, madame Mikasa. Bonne journée. »
À la suite de ces mots, le garçonnet tourna le dos à son interlocutrice et s'éloigna vers une myriade de maisons. Elle observa pendant quelques secondes cette courte silhouette secouée par des foulées imprécises, puis la jeune militaire se hâta de se rendre dans le bâtiment où ses camarades dormaient. Comment allait-elle s'y prendre pour les faire sortir de la ville ? Elle avait moins d'une heure... Depuis combien de temps ce gamin longeait les rues à sa recherche ?
Mikasa entra dans le large bâtiment avec le souffle court. Quel était le meilleur moyen de déplacer tout le monde sans avoir à s'expliquer ? Elle n'avait pas le temps de trouver une excuse pour chacun de ses amis... Soudain, une idée fusa dans son esprit vif. Qui de mieux que le major Erwin ? Et puis, elle n'avait pas à dire toute la vérité... Elle avait bel et bien reçu un message de Reiner Braun. Comment le tourner de manière à déplacer tout le bataillon ?
Ce qu'il y avait dans la cave du docteur Jäger. Le major était obnubilé par cela... Leur faire croire qu'ils les avaient... Vouloir les échanger contre Eren. La jeune femme se félicita mentalement de son plan de dernière minute, et frappa à la porte en bois sombre du bureau du major. Elle entendit sa voix grave l'autoriser à rentrer.
« Oh, Ackerman ? Bonjour. Tu es bien matinale.
- On n'a pas le temps pour les politesses, major. Un gamin vient de me transmettre un message de Reiner Braun. »
L'homme au charisme inébranlable perdit son sourire bienveillant. L'angoisse de mentir à son supérieur l'étouffait, mais sa détermination à protéger ceux qu'elle aimait lui permettait de parler, sans l'hésitation qui caractérisait habituellement ses mensonges. Ses sourcils froncés montraient toute l'attention qu'il portait à sa soldate.
« Il m'a dit qu'il avait en sa possession ce que cachait la cave du docteur Jäger. Il nous propose de l'échanger contre Eren ; et si on n'est pas au lieu de rendez-vous dans moins d'une heure, il va le détruire.
- Hein ?! Où est le lieu de rendez-vous ?
- Au sud de notre position ! Ils nous attendent sur le mur Sina, entre le district de Stohess et de Hermiha.
- Nous n'avons pas de temps à perdre ! »
Le haut gradé se précipita en dehors de la pièce étroite, et l'informatrice se sentit mal de manipuler le major comme cela. Mais si ça lui permettait d'épargner Levi, ses amis, et Eren... En quelques minutes, tout le bataillon était réveillé et réuni dans une salle trop étroite pour leur réunion. Le blond hurlait les informations données préalablement par la brune, et ordonna de s'équiper le plus rapidement possible. Le bâtiment devint une fourmilière grouillante. Chaque soldat courait dans tous les sens pour se procurer lames, sangles, équipement tridimensionnel. Elle entendit les plaintes de Sasha, sur le fait qu'il fallait se presser sans avoir mangé, et son amie maudit Reiner Braun pour l'avoir réveillée si tôt.
L'empressement et l'angoisse firent enchaîner ses actions. La soldate s'équipait avec hâte, le cœur et les poumons enserrés dans les griffes crochues de la peur. Combien de temps s'était-il écoulé ? Arriveraient-ils à quitter la ville dans le délai accordé par son ennemi ?
« Mikasa ? Tu es vraiment pâle... Quelque chose ne va pas ? »
Son regard anxieux croisa les prunelles de son frère, et sa crainte en fut décuplée. Quelques images se superposèrent sur la réalité, et pendant un instant, la rêveuse s'était encore retrouvée dans la maison de sa jeunesse, avec sa descendance à protéger. Ce fut la main d'Eren sur son épaule qui la fit sortir de sa léthargie, et elle eut un mouvement de recul que le brun remarqua avec tristesse.
« Ecoute, je sais qu'en ce moment, c'est compliqué entre nous deux... Mais pourquoi tu t'éloignes de moi ? Je ne comprends pas tes réactions. Tu sembles... avoir peur. »
Un mélange de colère et de tristesse baignait dans l'émeraude de ses prunelles, et la jeune femme ne put répondre à ses questions, que déjà l'homme-titan criait.
« Qu'est-ce que tu as vu, Mikasa ? C'était pendant que tu m'as tenu la main, c'est ça ? Dis-moi tout ! Qu'est-ce que tu as vu ?! »
Le brun s'était mis à la secouer par les épaules, et la militaire ne comprenait pas pourquoi il hurlait. Elle sentait les regards de tous ses camarades sur eux, et Ackerman était nerveuse à l'idée d'être le centre de l'attention. Néanmoins, l'homme qui hantait ses rêves agrippa le poignet de Jäger, et ses prunelles acier transpercèrent le garçon d'une implacable rancœur.
« Lâche-la, Jäger. Si une femme ne veut pas te répondre, n'insiste pas. Ta mère ne t'a donc rien appris ? »
Le regard haineux de l'impulsif se posa sur la rachitique silhouette de son supérieur, et le cœur de Mikasa fut comprimé par cette sensation de déjà-vu. Les images du couteau ensanglanté saisit son esprit durant une fraction de seconde, et elle posa la main sur le torse de son frère pour le faire reculer.
« Eren. »
Sa voix avait des intonations de mise en garde, et le regard interloqué du seul vestige de sa famille lui fit mal. La brune ignorait pour quelle raison elle s'était interposée entre les deux hommes, protégeant le caporal contre son assassin onirique. Le colérique recula et s'écarta des deux Ackerman en pestant, lançant une dernière œillade haineuse à sa sœur.
« T'es affreuse quand tu tires cette gueule, Ackerman. Oublie cet idiot et concentre-toi, l'ennemi n'est pas loin. »
Elle croisa les yeux inquiets de celui qui partageait son nom, et son cœur fut embourbé par son rêve et le sourire de ses songes. L'asiatique détourna les yeux et partit rejoindre le point de rendez-vous, ne prenant guère la peine de lui répondre. Elle était trop préoccupée par Reiner, par la réaction d'Eren, et par les conséquences de sa récente action. Elle n'avait pas donné une position trop éloignée de Stohess, ainsi, le major avait décidé de progresser sur le mur, afin de ne pas avoir le désavantage d'être repéré de loin. Monter les chevaux sur la muraille était trop long et compliqué, et c'est ainsi qu'ils progressaient en courant. La ville s'éloignait petit à petit. Mikasa pouvait sentir ses doigts trembler au rythme de ses foulées. À chaque expiration, elle priait les murs et les titans pour qu'ils se soient éloignés suffisamment. Il ne fallait pas les mettre en danger...
Néanmoins, elle se sentait mal à l'aise avec elle-même. La soldate venait de livrer un otage à l'ennemi, tout ça pour protéger un frère indigne, un amour à sens unique, et des amis simplets. L'échange ne semblait pas vraiment équitable, mais peu lui importait. Elle suivait toujours cette mission personnelle de protection sans relâche. Tant pis pour les habitants qui allaient mourir, tant pis pour l'humanité.
Elle aurait laissé le monde périr, pour continuer de veiller sur eux.
Quelque chose clochait. L'homme aux cheveux rasés sentait, dans l'atmosphère, une tension inhabituelle. Pourquoi un message de Reiner Braun surgissait maintenant ? Cela faisait des mois que ce traître faisait le mort... Levi ne croyait pas en cette histoire de trouvaille dans la cave de Jäger. Néanmoins, il connaissait suffisamment Erwin pour savoir que rien ne le détournerait de cette obsession. Lui faire une remarque n'aurait mené à rien d'autre qu'une querelle inutile. L'attitude de sa cadette l'inquiétait également. Elle paraissait exsangue, angoissée. Un fantôme de ce qu'elle était véritablement. Son frère était-il la cause de son état mental ? Toujours et encore ce maudit Eren Jäger, hein ? Un pleurnichard inutile la plupart du temps. Trop occupé à observer sa petite bite qu'à se rendre compte de la chance qu'il avait, d'avoir de telles personnes à ses côtés.
Levi haïssait ce gamin insolent et ingrat.
Soudain, un éclair fendit l'horizon. L'environnement devint froid et sombre pendant une fraction de secondes, et son souffle se coupa sous la surprise de la déflagration. Tout le bataillon s'arrêta en même temps, et les soldats tournèrent leurs regards vers la ville qu'ils venaient de quitter. Levi aperçut un singe géant au milieu des maisons et des chapelles lointaines. Son cœur loupa un battement, et le cauchemar qui l'avait hanté pendant plusieurs jours revint à la surface. Le brun aperçut ce même titan qui lui parlait, dans son rêve.
« Tiens donc, Levi. Ton enfer ressemble donc à cela ? Après tout, on dit qu'il est pavé de bonnes intentions. »
Il put sentir, effrayé, le sang chaud de Mikasa Ackerman dégouliner sur son corps paralysé, et l'horreur saisit ses tripes. Pourquoi était-ce le singe de ses hantises ? Le monde semblait s'être arrêté, observant avec attention les faits et gestes de la bête. Le bras gigantesque de celle-ci souleva quelque chose de translucide. Le gorille humanoïde se rétracta un peu sur lui-même, collant sa trouvaille contre sa nuque, et projeta le contenu de sa main dans les airs. Un éclat bleuté saisit son attention, et il eut peur de deviner ce qu'il était venu chercher. Le hurlement du titan bestial le fit sortir de sa léthargie, et deux autres éclairs vinrent interrompre la vie sur ces terres. Le singe avait disparu. Le cristal d'Annie Leonhardt volait à travers les nuages.
Ils s'étaient fait baiser.
« Soldats, oubliez Reiner Braun ! Retournez vite à Stohess ! »
À la suite de son ordre, le caporal croisa les pupilles inquiètes d'Erwin Smith, qui venait de se rendre compte de sa fatale erreur. Levi Ackerman pouvait entendre, dans le creux de son oreille, le rire amusé d'un macaque.
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