1 - Angst


Direct avant, direct arrière, chassé frontal. Mikasa ne laissait pas son adversaire reprendre son souffle. Elle enchaîna les coups de poing et les coups de pied de manière logique, amenant son partenaire là où elle le souhaitait, pour finalement le faire tomber avec un fauchage de la jambe arrière.

Elle appréciait faire mordre la poussière à ces hommes, trop égocentriques, trop droits dans leurs idées reçues, trop hautains. Ils ne l'appréciaient pas, non plus. Elle peinait à trouver des partenaires d'entraînement, car ceux-ci refusaient de se battre avec elle, pour ne pas être humiliés. Parce que leur sexisme ambulant les empêchait de la voir comme un être humain avec le même potentiel qu'eux. Non, elle était une femme. Alors elle était forcément moins bonne qu'eux, moins douée, moins forte. Alors le plus souvent, elle combattait avec le sac de frappe qui, lui, n'avait pas un ego aussi surdimensionné qu'eux.

Son compagnon grogna dans la poussière qu'il avait été gentil avec elle, sinon elle n'aurait pas réussi à le mettre à terre. Soudain, elle alla au sol avec lui et l'immobilisa avec une clef d'épaule, et l'homme poussa un petit cri.

« Ackerman, ne laisse pas ta fierté baisser ta garde. Si tu restes au sol pour le contrôler, tu ne peux plus te défendre s'il n'est pas tout seul, ou si des titans arrivent dans ton dos. Relève-toi. »

Mikasa releva sa tête et croisa le regard gris du caporal Levi. C'était bizarre de le voir aussi grand, elle n'avait pas l'habitude. Elle retint son grognement et se redressa, laissant l'homme reprendre sa respiration et bouger son épaule pour soulager sa douleur. Elle le dépassa de quelques centimètres, ce qui lui fit lever les yeux.

« Reçu, caporal. »

Il avait raison. Elle le savait. Mais elle avait voulu, ne serait-ce qu'un instant, que quelqu'un lui dise qu'elle était meilleure que ce type qui se prenait pour un champion. La soldate avait souhaité lui faire abandonner le combat pour passer à un autre adversaire plus intéressant.

« Ne me prenez pas pour un faible caporal, je l'ai laissée faire pour ne pas la froisser. »

Juste avant qu'il ne puisse se remettre en garde, elle lança sa jambe en l'air dans un mouvement latéral et lui asséna un fouetté haut à la tête, ce qui le fit chuter une seconde fois. Celle qu'on surnommait "le miracle de l'humanité" soupira, tentant de retenir ses coups face à cet idiot. Ses remarques ne devraient pas la faire réagir. Elle le savait, ça aussi. Mais ça lui plaisait, de lui faire manger la poussière. C'était la seule chose qui égayait sa journée.

« Ackerman, ça suffit. Ta fierté est une faiblesse que l'ennemi peut utiliser pour te mener où il veut. Ne le laisse pas te provoquer inutilement. »

Elle lui lança un regard noir, mais le caporal avait déjà les yeux rivés sur le combat d'Armin et de Christa. La combattante soupira et se remit en garde, tandis que son partenaire, agacé, lançait vers elle ses poings pour la toucher. Elle esquiva son direct sur le côté, enroulant son épaule devant sa tête, et riposta avec un uppercut au niveau des côtes - frappant pile à l'endroit où le foie se trouvait, et son adversaire se tordit en deux à cause de la douleur.

À la fin de l'heure d'entraînement en combat, la salle était devenue vide. Seul Eren restait avec elle, à frapper le sac de frappe en hurlant. Elle l'observait avec amusement s'arracher la peau des phalanges contre le cuir, alors qu'elle s'étirait. Elle n'avait jamais été très souple des adducteurs, et ne pouvait pas faire le grand écart facial ; seulement le latéral. Dieu savait pourquoi.

« Frappe correctement au lieu de vouloir frapper fort, tu vas te faire mal pour rien.

- Et comment veux-tu que je fasse, hein, madame je sais tout ?

- Commence par engager tes hanches dans ta frappe. »

Son frère grogna, mais appliqua ses conseils malgré tout. Le sac vola un peu plus loin que lors de ses frappes précédentes, et elle vit la joie passer dans son regard émeraude. La jeune femme trouvait ses yeux magnifiques, si colorés. Elle, n'avait que des yeux marrons d'une profondeur troublante pour quiconque se plongeait dedans. Elle n'aimait pas ses yeux, et aurait tout donné pour être sa véritable sœur, si cela lui avait permis d'avoir de tels yeux. Peut-être était-ce grâce à eux qu'il voyait la vie si différemment d'elle ?

Elle vit le caporal approcher d'eux, le dos droit, comme si cela lui faisait gagner deux centimètres. À cette pensée, la soldate se retint de rire. Ce n'est pas qu'elle n'était pas capable de faire ses 50 pompes de punition, mais elle venait de s'étirer, et c'était une mauvaise idée de faire tant de pompes alors que ses muscles étaient refroidis.

« Pourquoi tu t'entêtes à combattre ces types qui n'ont clairement pas le niveau de t'affronter ? »

Elle se sentit transpercée par ses iris gris, et elle vit Eren se retourner vers elle, les sourcils froncés. Mikasa savait que voir son supérieur la complimenter indirectement allait l'agacer, car il lui enviait sa capacité à réussir tout ce qu'elle entreprenait. Elle le comprenait, par ailleurs ; enchaîner les réussites tout en esquivant les défaites devait être agaçant pour quiconque était proche d'elle. Alors elle n'en parlait jamais, ne se vantait pas ; de peur de froisser les quelques personnes qui tenaient à elle.

« Les autres ne veulent plus combattre avec moi, car ils savent qu'ils vont perdre et ne veulent pas être humiliés par une femme. »

Son supérieur hiérarchique fronça les sourcils, et elle se sentit soudain nerveuse. Elle appréciait que le caporal lui prête tant d'attention en combat et lui donne des conseils, mais cela était parfois gênant et la bloquait. Dès qu'il était dans les parages, l'asiatique avait l'impression d'avoir beaucoup moins de liberté, de souplesse et de force ; et elle ne prenait aucun risque. Sans lui, elle ne se bridait pas et tentait les coups de pied retournés sautés, les feintes audacieuses et des coups qu'elle ne maîtrisait pas totalement.

« Je leur imposerai alors. Allez prendre une douche, vous puez tous les deux la mort.

- Oui caporal ! »

Eren le salua, et Mikasa l'imita avec une seconde de décalage, puis ils se dirigèrent vers l'extérieur de la grande salle d'entraînement. Dehors, les nuages étaient noirs et menaçants, et le vent les portait vers eux à une vitesse affolante.

« On ferait mieux de se dépêcher ou une douche ne sera plus nécessaire. »

Alors ils coururent jusqu'aux dortoirs, à vive allure, comme si le diable était à leurs trousses. Effectivement, derrière eux, le caporal Levi marchait tranquillement, les observant avec lassitude. Il admirait leur attachement, même si, selon lui, cela consistait à avoir une faiblesse en plus. Ici-bas, s'attacher à quelqu'un était comme une rébellion envers ce monde injuste, une provocation. Et il en avait eu assez d'être blessé à force de provoquer.

« Quelle fierté d'ailleurs. « Ils ont peur de perdre contre moi », Mikasa quand même.

- Quoi ?

- Ta manière de parler était super hautaine ! Ce n'est pas étonnant que plus personne ne veuille se battre avec toi si tu les traites comme ça.

- Je les traite comme ça justement car ils ne veulent plus se battre avec moi.

- Fais des efforts un peu. »

Mikasa leva les yeux au ciel. Elle se permettait de laisser glisser quelques émotions sur son visage quand elle était seule avec Eren. Après tout, c'était son frère, la personne qu'elle aimait le plus au monde. Même s'il la décevait, souvent. Cela l'énervait, qu'il soit du côté des autres hommes, même si elle était sa sœur. Pourquoi était-il incapable d'être solidaire avec elle, et de voir que c'était les autres qui avaient un problème ?

La soldate se sépara de son frère au niveau des douches, ôta ses vêtements qui collaient à sa peau à cause de la sueur, et alluma l'eau au-dessus d'elle. Elle frissonna au contact de l'eau froide, mais au bout de quelques secondes, celle-ci se réchauffa. Elle poussa un soupir d'aise en sentant l'eau chasser la transpiration qui coulait sur sa peau, la réchauffant au passage. Mais Ackerman n'avait pas le temps d'en profiter. À vrai dire, elle n'avait jamais le temps d'en profiter ; car la fin de leur entraînement juxtaposait l'heure de dîner, et elle n'avait que dix minutes pour se laver, se rhabiller et aller dans la salle commune. Ainsi, la brune accomplit ces gestes presque de manière automatique, tant elle était habituée par sa routine quotidienne. Mais bientôt, celle-ci serait brisée, comme probablement certains membres de son escouade. Elle priait juste pour que cela ne concerne pas ses proches.

En effet, le commandant Erwin leur avait annoncé il y a peu de temps une nouvelle expédition au-delà du mur Rose, pour juger la dangerosité de la zone en vue de reconquérir le mur Maria sur le long terme. Ils devaient, par petits groupes, atteindre des bâtiments abandonnés et éloignés des villes pour y établir des QG éphémères, et déterminer de leur véritable pertinence sur le terrain. Elle cherchait à combattre l'angoisse qui la prenait aux tripes à chaque fois qu'elle y pensait. Elle n'était pas avec Eren. Son frère était dans le groupe du major Erwin, qui devait prendre l'infrastructure la plus importante du secteur. Elle était avec Armin et Reiner, et son bâtiment était à 4 kilomètres de celui d'Eren. Oui, elle angoissait à l'idée de le perdre. Qu'allait-il faire si elle n'était pas là pour le protéger ? Certes, elle était consciente que ce n'était plus un enfant. Sous sa forme titanesque, il pourrait l'écraser très facilement. Mais il était tête-brûlée et fonçait dans la gueule du loup à chaque fois qu'il y avait un danger. Si elle n'était pas là, le major Erwin pourrait-il le retenir ? Le protéger des menaces qu'il encourrait ? Plus les jours passaient, plus ces idées lui tordaient le ventre.

Ainsi, elle arriva au réfectoire la boule au ventre. Elle prit son plateau ; ainsi que des œufs durs, le plat principal composé de purée et d'un bout de pain, et une pomme ; et se dirigea vers la place libre à côté d'Armin. Celui-ci avait un bleu sur la joue, marque faite par un direct du bras gauche de Christa qu'il n'avait pas su éviter.

« Elle ne t'a pas loupé.

- On ne dirait pas qu'elle a autant de force hein ? C'est ma faute, j'ai une mauvaise garde.

- Ne t'en fais pas, à force de te prendre des coups, elle s'améliorera.

- Très rassurant, merci Mikasa... »

Elle esquissa un sourire, et mangea ses œufs lentement. Le goût de la perte se baladait toujours dans sa bouche, et son regard se dirigea vers l'idiot suicidaire, assis à une table juxtaposant la sienne. Il se disputait avec Jean, à propos d'un sujet qu'elle ignorait. Tout en l'observant, son ventre se tordit encore, et un haut-le-cœur la prit.

Si elle le perdait, à quoi bon continuer ?

Sasha, en face d'elle, remarqua son peu d'engouement face à son repas, et lui demanda si elle se sentait bien. Mikasa lui répondit que ce n'était rien, qu'elle n'avait tout simplement pas faim ; et lui tendit son assiette pour qu'elle la mange. Des étoiles dans les yeux, celle-ci la prit avec reconnaissance sans tout du moins lâcher le morceau.

« Tu sais, tu devrais manger un peu plus. Avec les entraînements et l'expédition à venir, ce serait bête que tu sois incapable de faire quoique ce soit.

- J'en serai capable, Sacha. Je n'ai juste pas faim ce soir. Et regarde, je mange des œufs et une pomme. Ce n'est pas comme si je ne mangeais rien.

- Waw, c'est vrai que tu vas avoir plein d'énergie avec ça... »

Elle se contenta de croquer dans sa pomme et d'observer les autres personnes assises à sa table. Ils semblaient tous calmes, détendus, comme s'ils ignoraient délibérément que leur voisin ne serait peut-être plus à leur côté la prochaine fois. Peut-être pas même eux.

Mourir dérangeait Mikasa dans la mesure où elle ne serait plus là pour protéger les gens qu'elle aimait. Que ce soit Eren, Armin ou encore Sacha à laquelle elle s'était attachée, elle craignait pour leur vie si la sienne s'éteignait. Peut-être était-ce une opinion altière, mais elle se savait compétente pour protéger les personnes auxquelles elle tenait. Elle leur faisait malgré tout confiance. Mais elle avait davantage confiance en elle, et elle savait que cela pouvait les agacer. Notamment Eren. Il haïssait cette partie protectrice d'elle. Pourtant, après avoir vu sa mère dévorée par un titan, il aurait dû comprendre pourquoi elle tenait tant à ce qu'il soit en sécurité. Il devrait comprendre.

Elle détourna son regard et se perdit vers la table des haut gradés. Ils semblaient sereins, eux aussi, si l'on oubliait le caporal Levi qui n'avait probablement jamais dû être serein une fois dans sa vie. Hanji exposait une de ses nouvelles théories à Mike, qui semblait davantage intéressé par sa purée. Le major Erwin opinait parfois, pour l'inciter à continuer, au grand dam du second blond. Elle se demandait si, après toutes les expéditions qu'ils avaient vécues, il leur arrivait d'angoisser à propos de celles à venir. Peut-être que l'habitude effaçait leurs peurs et leurs interrogations ? Elle en doutait. Ils devaient probablement feinter leur calme, pour conserver celui des troupes.

Une fois les repas terminés, chacun rejoignit son dortoir. Elle partageait sa chambre avec Sasha et Christa, dont elle appréciait relativement la compagnie. Elle était moins proche de la blonde, qui passait plus de temps avec Ymir. Néanmoins, la soldate était plutôt mal à l'aise en sa présence, car son côté enfantin lui rappelait celui qu'elle avait pu avoir par le passé. Et, par association, ce fameux jour où tout s'écroula.

L'asiatique s'allongea dans son lit de fortune, relâchant ses muscles légèrement courbaturés par les efforts des derniers jours. Ses deux compagnonnes de chambre discutaient du plan de leur groupe pour l'expédition à venir, et leur discussion renforçait ses angoisses. Elle avait l'impression que ses intestins s'enroulaient l'un sur l'autre, se serrant toujours plus dans une danse angoissante.

« Tu devrais davantage avoir foi en Ymir. Elle est très forte, tu sais. Elle survivra, j'en suis sûre.

- Je le sais. Mais je ne peux pas ne pas m'en inquiéter. Si je reviens à la base alors qu'elle n'y est pas... Je crois que je serais incapable de m'attacher à quelqu'un de nouveau. »

Ses paroles eurent l'effet d'une gifle pour Mikasa. Finalement, elle ressemblait peut-être davantage à Christa qu'elle ne le pensait. Elle ressentait la même chose vis-à-vis d'Eren, et même d'Armin. Que ferait-elle, si son meilleur ami et son frère n'en revenaient pas ? Pourrait-elle continuer sa carrière dans ce bataillon ? En serait-elle capable ?

Lorsque ses deux camarades fermèrent leurs yeux pour essayer de trouver le sommeil, elle continuait de fixer le plafond gris de la pièce. Tout était silencieux. La lune renvoyait une lumière céleste dans la pièce, lui permettant d'y voir de manière claire. Si seulement elle pouvait être toujours aussi clairvoyante...

Pitié, faites qu'ils reviennent tous les deux en un seul morceau.

Elle pouvait protéger Armin, vu qu'il était avec elle. Mais Eren était toujours sa principale source d'inquiétude. À partir de quel moment était-il devenu si indispensable à ses yeux, si important ? Elle savait bien qu'il ne partageait que peu ce sentiment. Pour lui, son éternelle camarade n'était qu'une grande sœur trop protectrice, qui aimerait l'enfermer dans une cage pour qu'il puisse vivre plus longtemps. Elle ne savait pas s'il partageait son affection, ou si celle-ci était affaiblie à cause de ce désir de protection. Peut-être ne la considérait-il même pas comme sa sœur ? Cette pensée lui fit mal au cœur, pendant quelques instants. Il était tout ce qui lui restait. Elle ne voulait pas, une fois encore, perdre toute sa famille en un battement de cil. Alors elle se battait pour qu'il survive, pour qu'il soit heureux. Mais quand pensait-elle à elle ? Quand se préoccupait-elle de ses désirs, de ses envies, de son futur ?

Tout ce qu'elle avait fait, elle le faisait pour lui. Cette dévotion s'éteindrait-elle un jour ?

Sur ses pensées, ses yeux se fermèrent et Mikasa sombra dans ses rêves insatiables de terreur, où son frère sous la forme d'un titan lui courait après pour la dévorer, jusqu'à ce que le caporal Levi ne lui tranche la nuque.

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