Partie 3 (1)

2 avril 2012 - Ville de Kuki, zone industrielle.

Rindo Haitani, 23 ans.

- PUTAIN ! ÇA SAIGNE !

Tandis que mon collègue était agenouillé sur le sol, recouvrant avec force la plaie profonde sur son bras à l'aide de sa main, les autres employés de l'usine se précipitaient chacun leur tour dans tous les sens. L'un était en train d'appeler les secours sur son téléphone, d'autres nettoyaient le sang abondant sur le sol et les vêtements de mon collègue... mais la majorité, eux, restaient plantés là, ne sachant pas quoi faire.
Moi, j'y étais maintenant habitué à la vue du sang, après 23 ans d'existence. Cela ne me faisait absolument rien carrément. La preuve, me voilà en train d'arriver, la trousse de secours à la main avec le plus grand calme possible. Puis après m'être agenouillé près de mon collègue, j'ouvris la trousse et en sortit du désinfectant ainsi qu'un peu de coton.

- Ok, commençai-je à dire, ça risque de piquer un peu.

De là, j'éclaboussai d'une prise le désinfectant sur le coton, avant de le passer non sans douceur sur le bras de mon collègue, qui se mit à hurler de douleur. Les autres employés tentèrent de le rassurer alors que je repassai une seconde couche. Une fois chose faite, je nettoyais par la suite tout le sang sur son bras, cette fois avec plus de douceur.

- Putain Haitani, dit alors mon collègue en grimaçant, je te déteste.

- Oh arrête, en vrai t'es bien content que je sois là.

Il se mit à sourire, rétorquant avec narquoiserie "c'est vrai". Je lui souris à mon tour, enroulant le bandage autour de sa blessure.

- Et voilà ! Dis-je enfin. C'est comme s'il ne s'était rien passé.

- Heureusement que Rindo était là, sinon le temps d'attendre les pompiers, t'aurais perdu ton bras, parla alors un autre collègue.

- Vraiment, rétorqua un autre. Bravo à Haitani !

Le reste du groupe applaudit, tout en me couvrant d'éloges. Un sourire embarrassé apparut sur mes lèvres : c'était toujours ça quand un membre se blessait à cause d'une machine. Je ne dis pas qu'être employé dans une usine de blanchisserie et travailler 37h auprès de différentes machines de pliages - pour la plupart assez à risques - est une chose simple, mais lorsque je vois tous ces collègues autour de moi, qui sont majoritairement plus âgés et qui travaille dans cette usine depuis plus longtemps que moi, en train de m'applaudir (bêtement), c'est limite assez gavant. Les gars sérieux, faites plus attention la prochaine fois, vous avez quand même une bonne vingtaine d'expérience devant vous.
Alors pourquoi je sauve toujours vos sales gueules ?

- Allez, dis-je alors en regardant le groupe, retournons au travail, sinon le patron va encore nous faire une crise de nerfs.

L'avantage d'être considéré comme l'infirmier - ou le sauveur - de l'entreprise, c'est que le reste de l'équipe pouvait t'obéir au doigt et à l'œil, d'autant plus si on dégageait un certain charisme et de la gentillesse auprès d'eux. En fin de compte, ça ressemblerait presque à un gang...
... Putain Rin, recommence pas avec ça. Les gangs, c'est du passé maintenant. Alors efface ça de tes souvenirs.
C'est sur ces dernières pensées que je me remis comme les autres au travail.

///

Une journée comme une autre.

Je passai le reste du temps à plier, trier et ranger du linge pour hôpitaux, jusqu'à ce qu'un collègue se blesse à une machine et interrompt tout le travail de chacun, avant de reprendre son activité, comme si rien ne s'était passé.
Tout ça 9h par jour.
Quelle vie.

Je saluai donc mes collègues après cette longue - et banale - journée tout en sortant de l'usine, me dirigeant vers ma voiture.

Une journée comme une autre.

Mais le meilleur moment, c'était lorsque je rentrai chez moi le soir.

Je garai ma voiture au parking de l'immeuble, pris l'ascenseur et cherchai les clés de mon appart. Puis à peine ouvris-je la porte d'entrée que Rimi, ma petite princesse de 5 ans, me sauta dans les bras.

- PAPA !

Un grand sourire se forma sur mes lèvres tandis que j'attrapai ma fille afin de la porter dans mes bras, malgré mon mal de dos. Après tout, j'étais capable de tout pour cette gamine. Avant, je n'aurais jamais imaginé avoir d'enfant, surtout avec la vie de merde que j'ai eu. Lorsque Kami est tombé enceinte, j'ai même été odieux avec elle car je savais d'ores et déjà que je n'aurais jamais été prêt à être un père digne de ce nom. Mais Kami n'a jamais lâché l'affaire : elle était déterminée à élever cet enfant, avec ou avec moi. C'était la seule option qu'elle m'avait proposé.

- Papa, tu m'as trop manqué.

- Qu'est-ce que tu racontes princesse, on s'est vu ce matin.

Ma fille me regarda avec un large sourire, avant de m'enlacer fortement. Vous comprenez pourquoi le soir était le meilleur moment de ma journée pourrie ?
Kami arriva par la suite, un sourire tendre sur ses lèvres. À l'aide d'un torchon, elle essuyait ses mains couvertes de sauce.

- Rimi, et tes devoirs, tu les as finis ? Dit-t-elle en reprenant notre enfant dans ses bras.

- Mais je voulais dire bonjour à papa...

- C'est fait, maintenant retourne à ton poste, jeune fille.

Elle fit une moue boudeuse assez adorable avant de retourner dans le salon. Kami la regarda faire, avant de se retourner vers moi :

- Bienvenue à la maison.

- Je suis rentré.

Nos lèvres se firent un doux baiser. Kami me demanda ensuite comment s'est passée la journée, et comme d'habitude, je lui répondis nonchalamment tout en enlevant ma veste et mes chaussures.

- Ça sent bon, ajoutai-je, qu'est-ce que tu nous a fait ?

- Hum, j'ai essayé de faire un gratin, aujourd'hui.

Alors que je marchai derrière elle, mes pas s'arrêtèrent, laissant place à un air surpris sur mon visage. Ma copine se tourna, sourcils froncés :

- Quoi ? J'ai voulu rénover, pour une fois.

- Kami, je viens de passer 9h à plier des serviettes, et je meurs de faim.

- Pourquoi tu juges déjà alors que t'as rien goûté ?! S'exclame-t-elle alors en me fouettant le bras avec son torchon.

Je me mis à rire tandis qu'elle se mit à me pourchasser, tout en fouettant sa serviette devant moi. Rimi se tourna vers nous tout en riant à son tour.

- Allez, fais-moi un vrai manger, femme !

- Ta gueule, et reviens par ici que je t'en colle une !

- Hey, pas de gros mots devant la petite ! Tu me dois 500 yens !

- La ferme !

- 600 yens !

- C'est pas un gros mot "la ferme" !

- 700 yens !

- Ta gueule !

- 800 yens !

- Je vais te tuer, Rindou !

Je pris ma fille dans les bras tout en lui rétorquant de me protéger avec amusement. Et durant plusieurs minutes, nous étions là à nous amuser ensemble, comme une vraie famille.
Et c'était tout ce qu'il me fallait. Une famille que j'aime.

///

Le soir, après avoir dîné tous les trois, je m'approchai par derrière de Kami qui faisait la vaisselle et l'embrassai sur le cou, tout en la tenant par la taille.

- Finalement, il était pas si mal ce gratin, dis-je avec narquoiserie.

Elle se tourna lentement vers moi d'un air à la fois lassé et moqueur.

- Je te jure, je t'aime autant que je te déteste.

Je lui souris gentiment pour réponse, avant de l'embrasser chastement sur les lèvres :

- Je t'aime aussi.

Avec plein d'amour et de tendresse dans nos regards, nous entamons un nouveau baiser, suivi de plusieurs. De là, juste derrière à quelques mètres, Rimi, qui était installée sur le canapé, se retourna subitement vers nous :

- Papa regarde ! Y'a tonton Ran à la télé !

Ces mots me firent instinctivement un électro-choc. Pas seulement moi, mais je le sentis auprès de Kami également, qui se retourna vers notre fille juste après avoir entendu ses paroles.

- Quoi ?! M'exclamai-je en même temps que ma petite-amie.

Je me dirigeai sans plus tarder vers le salon, avant de m'asseoir près de Rimi, les yeux fixés sur l'écran de télé : Là, il y avait bien une photo de mon frère qui passait dans une chaîne d'info nationale. Le journaliste disait que l'un des membres phares du Bonten - le nouveau gang phare de tout Tokyo - était actuellement recherché dans tout le pays. Je n'aurais jamais cru que ça arriverait un jour, et pourtant, même si depuis mon départ au Tenjiku je n'avais plus vraiment de nouvelles de Ran (il avait souvent tendance à envoyer des cadeaux plus-que-luxueux à Rimi, mais sans plus) je m'étais fortement douté de ses activités illégales au sein du Bonten. Je ne savais presque rien de cette organisation, mis à part que meurtres, jeux d'argents illégaux, prostitutions et drogues s'y tramaient par là.
Rimi, qui venait d'entendre tout comme nous les propos du journaliste, se tourna vers moi :

- Pourquoi la police recherche tonton Ran, papa ?

J'avais entendu ma fille, mais j'étais tellement concentré sur la télé que je ne prêtais plus attention à rien. Je me contentai de fixer - le regard paralysé - la photo de mon frère, tout en écoutant les crimes qu'il a pu commettre, d'où les raisons de sa fugitivité.

- Hum..., commença Kami, Rimi viens, il est temps d'aller prendre ton bain. Allez.

Sans même protester, Rimi escalada le canapé avant de se précipiter dans la salle de bain. Une fois que Kami fut sûre qu'elle était bien dans son bain, elle revint vers moi, qui n'avait pas détourné le regard de la télé.

- Rindo.

Elle m'appela une fois, deux fois : là, je me tournai subitement vers elle.

- Quoi ? Répondis-je froidement sans le vouloir.

- Je sais pas, ça à l'air de te choquer de le voir aux infos. Tu t'attendais à quoi ?

Elle a raison. Le cœur de Ran s'était noirci au fil des années depuis le Tenjiku, et les crimes se sont accumulés chez lui. Parfois, je me demandais si c'était une bonne chose de m'être séparé de lui, ou si ça n'allait strictement rien changer si j'étais resté à ses côtés.
Mes yeux se tournèrent à nouveau vers la télé : je crois que d'une manière ou d'une autre, ça n'allait rien changer. Ran avait fait son choix, et j'avais fait le mien.

- Hey, murmura alors Kami en me prenant la main.

Son toucher me fit tourner le regard vers le sien.

- Si y'a bien une chose que tu ne dois pas faire, c'est te sentir coupable. Tu me l'as dit toi-même, c'était sa décision de se séparer de toi.

J'hochai doucement la tête, bien qu'il y ait un côté de moi qui ne pouvait s'empêcher d'être inquiet.

- J'ai dû mal à comprendre... Pourquoi il est recherché seulement maintenant ? Je veux dire..., il aurait quand même pas trahi le Bonten ?

- On s'en moque Rindo. Les histoires de gang, tout ça... c'est derrière nous. D'accord ?

Sa main serrait fortement la mienne tandis que Kami me fixait intensément, chose pour me dire qu'elle insistait à ce point pour que je ne me mêle pas des affaires de Ran. Elle savait que je m'inquiétais pour lui, et elle en avait marre de ça après qu'il m'en ait fait baver ces sept dernières années. J'ai eu beau refaire ma vie, quelque part, Ran était toujours là, derrière moi, à surveiller mes arrières. La preuve, quelques mois après l'accouchement de Kami, il était venu nous voir par surprise, pour me féliciter.
Puis lorsque Rimi avait fêté ses 1 an, il était encore revenu par surprise : "J'allais pas rater le premier anniversaire de ma nièce" avait t-il dit.
Et à cette époque, il commençait à s'enrichir grâce au Bonten, qui venait tout juste de se créer. Depuis lors, même si ses venues se sont faites plus rares, ça ne l'empêchait pas d'envoyer des cadeaux à Rimi ou de m'envoyer de l'argent, comme des virements bancaires (allez savoir comment il a obtenu mon RIB) ou des chèques que je recevais par courrier.
Donc juste avec tout ça, je pouvais comprendre l'inquiétude de ma copine.

- D'accord, dis-je, je te promets de pas m'en mêler.

Un petit sourire se forma sur ses lèvres, peu convaincue par mes mots.

- Je te le promets Kami, ajoutai-je afin de la rassurer. Je m'en mêlerai pas.

Cette fois, son sourire s'élargit, avant qu'elle m'embrasse la joue. Elle se lève par la suite, rétorquant avec taquinerie qu'elle allait voir si Rimi ne s'était pas noyée dans le bain. Je me contentai de sourire pour réponse, puis une fois partie, mon regard se tourna à nouveau vers la télé.

...

- Et c'est ainsi que les 3 petits cochons réussissent à chasser le méchant sorcier, et vécurent heureux tous les trois dans une grande ferme enchantée.

Maintenant allongé sur le lit en compagnie de ma princesse dans sa chambre, ses yeux me fixèrent étrangement, les sourcils légèrement froncés.

- Mais papa, c'est pas ça l'histoire des trois petits cochons.

Je levai les yeux incrédule vers le haut :

- Ah.

De là, ma petite fille se mit à rire, avant de m'enlacer par la taille, une étreinte que je lui rendis.

- Papa...

- Oui ma puce.

- ... Est-ce que tonton Ran va bien ?

Mes yeux s'écarquillèrent le temps d'une seconde. Rimi me regarda, l'air légèrement inquiet.

- Quand tu l'as vu à la télé, t'avais l'air triste.

- Nooon, j'étais pas triste. J'étais...

Triste, c'est bien le mot.

- ... Surpris.

- Pourquoi ?

Je poussai un léger soupir, à présent pensif :

- Parce que... ton tonton est... comment dire... du genre imprévisible.

- Et ça veut dire quoi im-pré-vi-sible ?

- Qu'il a tendance à faire des choses où l'on ne s'y attend pas.

- Comme pour les cadeaux de Noël ?

- Exactement. Comme pour les cadeaux de Noël, de tes anniversaires, pâques et... et même la St-Valentin.

Mes sourcils se fronçèrent : je venais tout juste de me rendre compte du nombre de cadeaux que Ran offrait à Rimi chaque année.
À côté, un large sourire se forma sur les lèvres de ma fille :

- Moi, je l'aime trop tonton Ran.

Je me tournai subitement vers elle :

- C'est vrai ?

- Oui. Il est gentil, et il m'offre pleins de trucs. Mais...

De là, elle se releva légèrement afin de me regarder droit dans les yeux :

- Je l'aime pas autant que toi, papa.

Un douce expression s'étendit sur mon visage, tandis que je fixai Rimi, d'où le regard était identique à celui de sa mère. La seule chose qu'elle avait obtenue de moi, c'était mes yeux : un violet dégradé.

- Je t'aime aussi Rimi, répondis-je tout en la serrant dans mes bras.

Je lui embrassai ensuite le front avant de me relever du lit, tout en lui disant de dormir à présent.

- Bonne nuit papa...!

- Bonne nuit princesse.

J'éteignis la lumière, ne laissant que la veilleuse, puis ferma doucement la porte avant de la regarder une dernière fois.
Rimi ferma les yeux.

Tandis que l'appartement était à présent plongé dans l'obscurité - et que je n'entendais aucun bruit - lorsque je m'apprêtais à saisir un pas, j'entendis du bruit provenant du salon, alors que je venais tout juste de quitter la chambre de ma fille. C'était comme si une personne venait de tomber sur le sol, assez brutalement. Je me figeai tandis que mon coeur rata un battement.

- Kami ?

Je m'avançai lentement mais sûrement en direction du salon. Un caisson à tiroir posté à l'entrée du couloir, je l'ouvris doucement pour en sortir un flingue : étant tous deux d'anciens délinquants d'un gang, ça vous étonnait ?
L'arme à la main, j'entendis à nouveau quelque chose : cette fois, c'était de légers cris d'injures. Puis lorsque que j'arrivai pile vers ma cible, je me stoppai net :
Kami se tenait là, agenouillée au-dessus de Ran, qui était allongé au sol. Une main tenait ses poignets bloqués au dos, l'autre serrait un couteau contre sa nuque.

- Putain Rindo, dis à ta meuf de me lâcher bordel !

- Ran ?!

Mes bras tombèrent vers le bas alors que je regardai mon frère, les yeux agrandis de choc : Je rêve, il était bien là ?
Kami leva ses yeux cinglants sur moi :

- Tu savais qu'il allait venir ?!

- Quoi ? Mais non pas du tout ! Attends, lâche-le s'te plaît.

- Ouais, lâche-moi pétasse.

- Je préfère encore te descendre.

- Kami, lâche-le.

Elle me fusilla du regard, avant de finalement le lâcher. Kami se releva ensuite, puis se dirigea vers moi tout en me regardant. Au passage, elle me prit l'arme des mains et me murmura :

- Règle ça.

Elle partit du salon, tandis que je poussai un léger soupir, avant de me retourner vers mon frère, qui se releva à son tour : Il ajustait correctement son costume gris à rayures tout en fixant froidement ma copine.

- Putain c'est dingue, en six ans elle a pas changé celle-là.

Mes yeux se plissèrent, alors que je lui demandai d'un ton sec :

- Ran, qu'est-ce que tu fous ici ?

De là, le concerné me regarda, avant qu'un sourire ne se forme sur ses lèvres :

- J'avais envie de voir mon frère, c'est quoi cette question de merde ?

- À 22h en pleine semaine ?! Et après tout ce temps ?

Il ne répondit pas, se doutant très bien que je n'allais jamais avaler ce mensonge absurde.

- Et puis fais pas le con : je t'ai vu aux infos.

- Bon, tant mieux dans ce cas, j'ai pas besoin de te faire un récit.

Il s'asseya par la suite, aussi confortablement et sereinement sur le canapé. Je le regardai, outré : et en plus, ce fils de pute avait le toupet de mettre ses pieds sur ma table.

- Tu..., tu fais quoi là ? Demandai-je, ébahi.

Les yeux fermés, il me répondit en marmonnant :

- Je suis mort de fatigue.

Il les rouvrit la minute d'après, rétorquant de façon plus sérieuse :

- Et il faut que je me planque.

- Et tu t'es dit que la meilleure planque à trouver serait chez moi ? Avec ma femme et ma fille sous le même toit...?

Sa tête se pencha légèrement sur le côté, alors qu'il me répondit les sourcils froncés d'étonnement :

- Je savais pas que tu t'étais marié...

- Je me suis pas marié...!

- Tu viens de dire "ma femme".

- Quoi ? Mais non, c'est juste une façon de parler... et puis c'est surtout pas le sujet !

Je m'approchai ensuite, me plaçant devant lui d'un pas décidé :

- Tu peux pas rester ici, Ran.

Il me fixa pendant un court moment, sans répondre. Puis, les deux bras étalés sur le haut du canapé, il haussa des épaules :

- Donc tu veux pas m'aider ? Après tout ce que j'ai fait pour toi ?

Je levai un sourcil, offusqué par ses mots : pour la première fois, je n'avais jamais ressenti autant de colère pour mon frère, en le voyant si ingrat et sans-gêne.

- Tu te fous de moi là ? T'es sérieux ? Tu crois sincèrement, que je vais risquer ma vie pour toi et celle de ma famille, après tout ce que t'as fait ?!

- Et je peux savoir ce que j'ai fait à part prendre soin de toi et de Rimi ?

- T'étais pas là ! T'étais jamais là Ran ! Et maintenant tu veux quoi hein ? Tu veux tranquillement que je t'offre l'hospitalité après m'avoir abandonné ?

Il se releva face à mes mots tranchants, rétorquant à son tour :

- Je te rappelle juste Rindo, que c'était ta décision de partir ce jour-là.

- C'était peut-être ma décision mais t'as jamais cherché à me contacter après ça. T'as complètement coupé les ponts avec moi Ran. Alors oui, tu offrais des cadeaux à Rimi, oui tu m'envoyais de l'argent alors que je ne te demandais jamais rien, précisons cela..., à part ça t'as fait quoi Ran ? T'étais là quand j'ai dû me saigner jour et nuit pour subvenir au besoin de Kami, de notre enfant ? Cette période m'avait déchiré psychologiquement, que j'avais juste envie de me trancher la gorge pour oublier toutes ces merdes qui nous tombaient dessus. Et j'suis certain que tu le savais mais, t'as rien fait. T'en avais absolument, rien à foutre. Parce que toi, tout ce qui t'intéressait, c'était te battre contre des gangs juste pour ta putain d'soif de pouvoir, au lieu d'aider ton frère qui galérait chaque jour pour trouver de quoi manger.

Mes yeux brillants fixaient intensément les siens, alors que mon frère fut incapable de répondre.

- Et regarde où ça t'a mené maintenant : à ta perte. Donc non Ran, je ne t'aiderai pas.

Auparavant, je n'aurais jamais pensé un jour dire des mots aussi blessants à Ran, car j'ai toujours pensé que ce serait l'inverse. Aujourd'hui, les rôles étaient carrément inversés : Ran avait besoin de mon aide, et j'avais refusé. Même si j'étais inquiet pour son cas - sachant qu'il allait certainement se faire tuer par le Bonten - tous ces douloureux souvenirs et vérités qui refaisaient surface venaient de me rappeler pourquoi je ne pouvais pas lui tendre la main en retour.

- Tonton Ran ! Entendis-je alors que mon regard était toujours posé sur mon frère.

On se tourna vers la petite voix de Rimi qui se précipita vers son oncle, avant de l'enlacer. Ran la prit dans ses bras, l'enlaçant à son tour. Kami, qui était dans la cuisine, arriva par la suite en vitesse, remarquant notre fille.

- Rimi, pourquoi t'es pas couché ?

- J'ai entendu papa crier dans le salon.

Kami soupira tout en détournant le regard avec dépit. Pendant ce temps, je fermai les yeux et me retournai, séchant rapidement les légères larmes dans mes yeux.

- Alors, comment va ma superbe nièce ? Dis-donc, t'as grandi toi, t'as quelle âge maintenant ?

- 5 ans, et 6 ans au mois de septembre.

- Wouaaah. Et tes cadeaux de Noël, tu les as aimés ?

- J'ai trop adoré !

- Ça c'est la nièce de son oncle.

Voir ma fille si heureuse dans les bras de Ran me détendit légèrement. Je crois même que je devrais remercier Rimi d'être venu à temps pour apaiser la colère que je portais tout au long de notre conversation.

- Bon allez Rimi, parla alors sa mère, au lit, maintenant.

Elle la prit dans ses bras avant d'aller dans la chambre. Une fois la porte fermée, Ran resta le regard fixé en direction du couloir :

- C'est dingue ça. J'avais jamais remarqué qu'elle avait tes yeux.

Il se retourna ensuite, un sourire bienveillant sur ses lèvres tandis qu'il poursuivit :

- Ok, j'ai compris. Tu veux pas m'aider, je comprends et respecte ta décision.

De là, il se dirigea vers la porte d'entrée :

- Et puis tu as raison...

Lorsqu'il l'ouvrit, il se tourna vers moi, esquissant le même sourire :

- ... Ce serait injuste de te causer plus de tort que je ne l'ai déjà fait.

Enfin, il la ferma par la suite, me laissant là, immobile. Une légère larme finit par couler sur ma joue droite tandis que mon regard était toujours porté sur la porte d'entrée, comme si j'espérais qu'il revienne.

Et puis merde.

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