Chapitre 5

Trois semaines. Trois fichues semaines que j'étais cachée. Trois semaines que je vivais dans la peur. A chaque bruit, aussi bénin était-il, je prenais la fuite. Mon abri du moment était un arbre aux larges feuilles ondulées. Il me protégeait autant de la pluie mais me maintenait dans une obscurité permanente qui me fatiguait énormément.

Autour de moi, que des ennemis. J'étais entourée par le territoire de mon ancienne meute d'où j'avais été chassée et par celui des Goupils, les fourbes de métier dont je partageais les gènes.

Chaque heure, chaque jour, je ne pouvais m'empêcher d'angoisser. Je me trouvais dans une des seules parties neutres de la forêt et ne craignais à priori rien pour l'instant mais mon cœur s'obstinait à battre irrégulièrement, devenant fou face à chaque bruissement de feuilles et me hurlait de prendre la fuite.

J'étais divisée, déchirée. Mon cerveau tentait de rationaliser en disant que j'étais en sécurité et que personne ne m'avait cherchée jusqu'ici. Mon cœur se serrait à chaque souvenir familial, et s'emballait. Et le pire de tous, le plus primaire, le plus fort, le plus profond, mon instinct. Lui me conseillait, m'ordonnait !, de me rendre, de ne pas forcer les loups à venir, qu'ils me trouveraient où que j'aille et que la punition se réduirait si je venais à eux.

Je connaissais bien ce discours, c'était celui de mon ancienne maîtresse lorsque nous apprenions les règles de la meute, petits. Je revoyais encore son doux sourire quand elle s'adressait à nous.

- Souvenez-vous bien, si vous faites une bêtise, ne vous enfuyez pas, on vous retrouvera. Venez de vous-même. Faute avouée à moitié pardonnée !

La petite salle de classe improvisée au pied d'un chêne s'exclama de sa voix fluette et unie un joyeux "oui maîtresse !"

Je revoyais Léna et ses tresses argentées qui encadraient son visage joufflu, Alfie au sourire moqueur, Blane qui semblait sonder l'âme de chacun de ses grands yeux bleus, Julien et ses cheveux toujours décoiffés... L'ambiance était si chaleureuse et amicale.

Peu à peu, l'image bienveillante s'effaça, vite suivie de mes anciens camarades.

J'étais de retour dans la forêt.

J'avais de nouveau faim.

J'avais de nouveau froid.

Autour de moi, rien sauf un geai qui m'observait à une dizaine de mètres, intrigué.

Je frissonnai. Bien sûr, qu'est-ce que j'imaginais ? J'étais toute seule désormais, dans la fraîcheur glacée et humide des sous-bois.

Personne n'était venu me chercher, on m'avait laissée pour morte. Depuis trois semaines, j'avais très peu dormi, terrorisée à l'idée qu'on pourrait m'égorger dans mon sommeil.

J'avais faim, froid, peur. Et surtout, j'étais seule, ce qui ne m'était jamais arrivé. Toujours, j'avais eu quelqu'un près de moi. Mes parents, Léna, Julien, et même des louveteaux.

J'avais toujours été entourée d'une brouhaha de bonne humeur qui me faisait vivre.

Plus maintenant. Je n'entendais plus que le silence oppressant de la forêt. Au fil des jours, même le chant des oiseaux s'était tu.

Restait seulement, pour une raison inconnue, ce petit volatile qui venait vers moi en sautillant. Il garda une distance d'environ deux mètres et commença sa toilette.

J'observai son bec, petit, acéré et jaune, qui grattait ses plumes. L'une d'elle se décrocha de la douce livrée et voleta jusqu'à moi. Je ne pus m'empêcher de la saisir.

J'observai la goutte de sang à la racine en me demandant si le pauvre animal avait eu mal lorsque le fin duvet s'était arraché. La plume, d'un beau bleu-gris mêlé de noir bruissait sous mes doigts curieux et je la levai plus haut pour capter un maximum de luminosité, le soleil n'étant pas totalement levé et ses rayons obscurcis par la cime verte des grands arbres. Je remarquai alors une éclaboussure blanche, minuscule voilier blême noyé par la mer noire. J'étais presque tentée de dire que c'était moi et que bientôt, ce fragment de lune se détacherait des flots sombres pour finir à terre.

Je pris une grande inspiration pour chasser ces pensées amères.

Mon regard se posa de nouveau sur la larme de sang et je remarquai que mon petit ami s'était encore approché et se trouvait désormais à quelques centimètres.

Ses yeux noirs brillants me scrutaient avec curiosité. Son regard curieux m'oppressait et j'avais de plus en plus mal à la tête. Tellement mal que j'avais l'impression d'être revenue aux premières semaines de mon exil quand je pleurais toute la journée et récoltais des migraines atroces.

Il décida qu'il n'y avait pas danger et sauta sur ma cuisse. Il était tellement léger que je ne sentais même pas son poids.

Ma faim s'était intensifiée en même temps que ma tristesse en revoyant mes anciens amis et me tordait les boyaux.

J'examinais le frêle animal qui avait élu domicile sur moi. Sentir enfin la présence d'un être vivant me remplissait de joie mais il y avait quelque chose d'autre.

Le geai étendit ses ailes, et j'admirai son corps rond.

Je déglutis.

Tout à coup, cet oiseau m'intéressait bien plus.

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