Chapitre 3
Tout le monde se réunissait au centre du village, j'apercevais même Léna qui boudait dans son coin mais bien présente. L'ambiance était tendue, chaque loup était impatient. Au moindre bruissement, nous sursautions, nos nerfs mis à rude épreuve.
Enfin, après ce qui me sembla une éternité, l'alpha Cléon apparut. Immédiatement, nous nous agenouillâmes.
Sans dire un mot, il nous tourna le dos et s'avança vers le côté des bois plus sombre. Nous le suivîmes aussitôt et nous arrêtâmes au ruisseau qui délimitait les habitations.
Je m'observais avec satisfaction dans l'eau pure. J'avais encore pris des muscles grâce à mes nouveaux entraînements. Mon visage fin arborait un sourire radieux, renforcé par mes grands yeux perçants vert émeraude.
Je levai la tête et fus happée par la vision grandiose de la forêt en face, qui semblait plus verte, plus odorante, plus moelleuse... Je voulais y aller et me retins de toute la force de mon être de partir en courant pour devancer ma famille.
A regret, je me retournai.
Le dos large et musclé de notre père à tous se courba. Ensuite, sa chemise s'élargit avant de se déchirer et tomber au sol, en lambeaux. Une fourrure brune le recouvra peu à peu, l'homme laissant place à la bête.
Autour de moi, les transformations commencèrent. J'entendais des gémissements plaintifs, des cris de douleur et des os qui craquaient... Je voyais des larmes, je voyais des bêtes.
Pour une fois, je ne voulais pas être à leur place.
Au bout de quelques minutes qui leur semblèrent sûrement interminables, chacun fut transformé. Nous pûmes enfin franchir le ruisseau.
Ah que j'en avais rêvé de ce moment. Depuis la dernière chasse, à vrai dire.
L'odeur plus profonde des vieux arbres, le sol tapissé de mousse verte et spongieuse, la liberté...Oh oui, j'en avais rêvé, de cette partie-là de la forêt.
Avec un frisson de plaisir, je trempais mes pieds dans l'eau fraîche. A mes côtés, je voyais les loups, ma famille, qui faisaient de même.
Tout naturellement, à mesure que l'enthousiasme se propageait, des hurlements s'élevaient, criant à la lune, le grand globe blanc et bienveillant encore discret dans le ciel pâle d'avril. Je criais à m'en perdre la voix, grisée par le vent léger qui soufflait dans mes cheveux.
Je sentais la présence de ma mère, grande louve rousse qui m'arrivait à la hanche, et de mon père, un loup discret au pelage sable. Il avait l'air inoffensif à ses côtés, elle que l'on remarquait de loin. Il ne fallait pas s'y fier, c'était un des loups-garous les plus redoutables. Il secondait l'alpha en tant que bêta et le méritait pleinement.
Lorsque nous commençâmes à courir, je ne pensais plus à rien. La tête me tournait, l'adrénaline exacerbait mes sens et je m'enivrais du parfum lourd des sous-bois. L'herbe fraîche et la mousse chatouillaient mes pieds nus et je sentais la douce chaleur de ma meute.
Mais peu à peu, la lune grossissait. On aurait dit qu'elle tombait sur Terre. Qu'elle allait m'écraser. J'avais mal à la tête.
L'astre brillait de plus en plus fort et m'aveuglait.
Si auparavant je me sentais légère, plus maintenant. Une migraine horrible tambourinait dans mon crâne et je tremblais. Je m'arrêtai brusquement, le cœur au bord des lèvres et, d'une voix faible, appelai mes parents.
Les yeux des deux loups devinrent inquiets quand ils se tournèrent vers moi, la langue pendante.
Soudainement, je hurlai. Il me semblait qu'on m'arrachait les cheveux, emportant ma tête par la même occasion.
La respiration coupée, je me penchai au sol et vis mes mains. Mes mains, elles...elles...Elles étaient recouvertes de poils roux et se terminaient par de longues griffes tranchantes.
C'était des pattes, des pattes d'animal.
Mon hurlement avait arrêté tout le monde. J'entendais des murmures inquiets, reconnaissant à peine les voix, terrassée par la terreur et l'impression terrible, effrayante, que mon être se déchirait de partout. Les sons retentissaient dans mes oreilles, se déformaient, se distordaient et se remixaient, cassés et brouillés comme un disque rayé.
- Que se passe-t-il ? Elle se transforme ?
- Mais elle est humaine !
- Comme ça doit être douloureux...
- Mais elle ne peut pas être loup-garou, on l'est à la naissance !
- A moins d'être mordu...
- Aucun de nous ne l'aurait mordue, vu les risques que ça présente.
- Alors qu'est-ce qui lui arrive ?
J'étouffais, mes pattes couleur rouille sur mon visage resté humain tentaient d'essuyer les larmes qui coulaient abondamment le long de ma mâchoire. Oui, que m'arrivait-il ? Awéin s'approcha de moi, toujours sous sa forme de louve et passa sa langue râpeuse sur ma joue pour me réconforter. Je repris espoir.
Tout allait bien se passer. J'étais avec ma meute, tout irait bien.
Les oreilles qui sortaient de mon crâne ne me faisaient plus peur désormais. Ma famille allait m'aider, comme d'habitude. Je n'étais sûrement pas la première louve à se déclarer aussi tard.
Tout irait bien.
Je me tordis une nouvelle fois de douleur, crachant presque mes poumons tant je souffrais.
J'entendais sans comprendre les chuchotements brumeux. Mes oreilles percevaient le moindre crissement lointain pour l'amplifier.
- Attendez, il y a un problème.
Malgré ma souffrance, je reconnus la voix familière de Léna. Celle-ci semblait mal en point.
Je me tournai vers elle, grimaçant suite au tournis que cela me causa. Alors que je relevai les yeux, soulagée que la nausée ait presque disparu, elle recula précipitamment pour me pointer ensuite du doigt en tremblant de dégoût.
- Pourquoi a-t-elle plusieurs queues ?
Ce fut l'explosion. Tout le monde parlait en même temps, se détachait soudainement de moi, comme Awéin le fit.
Des murmures haineux retentissaient. Je savais ce qu'ils disaient. Les seuls hybrides qui se transformaient et dont la forme animale avait neuf longues queues touffues étaient les charognards avec qui nous cohabitions tant bien que mal, tout en les détestant.
Une Goupil, j'étais une affreuse Goupil.
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