Chapitre 14
Je me tenais près de mon père, Zab, qui se tenait lui-même près de l'Alpha.
En face, un groupe de Kitsunes avait pris place. Un homme frêle et lumineux s'était assis au centre de leur cercle.
Nous nous trouvions dans la partie commune de la clairière, où avaient lieu tous les rassemblements. Nous étions assis sur des rondins de bois mouillés par la légère pluie de cette nuit mais ça ne semblait gêner personne.
La tension régnait sur le petit groupe que nous étions, contrairement aux renards qui semblaient détendus. Mon père abordait toujours un air serein mais un œil averti tel que le mien remarquait la crispation de sa mâchoire ou sa stature plus droite que d'habitude. L'Alpha Cléon, lui, se contrôlait moins, tout son corps était tendu. Il avait même placé sa fille et sa femme derrière, pour bien montrer qu'il n'était pas totalement confiant.
Avec un peu de honte, je me surpris à reprocher cette attitude. C'était peut-être parce que j'avais découvert de nouvelles choses ces dernières semaines... comme le fait que j'avais eu des parents Kitsunes aimants, que ma mère m'avait envoyé une lettre pleine de remords, de détermination et d'amour... mais je voyais les Kitsunes autrement désormais.
Oh, rien n'indiquait que les rumeurs sur eux étaient fausses mais c'était à moi de le découvrir, par mes propres expériences, pas par des racontars de forêt.
Discrètement, je le pensais, je me rapprochai du groupe des renards. Trois regards se tournèrent vers moi et me fixèrent sans un mot, leurs pupilles plongées dans les miennes. Deux pairs d'yeux verts venant du groupe en face et une autre, couleur jaune-doré que je connaissais bien, m'observaient.
Le petit homme au visage enfantin qui se trouvait au centre du cercle des Kitsunes s'avança, me lâchant du regard seulement quand il se trouva face à l'alpha Cléon.
Ses yeux vert émeraude brillaient d'intelligence et de malice et deux fossettes creusèrent ses joues quand il sourit. Je ne pus m'empêcher de sourire légèrement à mon tour.
Cet homme respirait le calme et la bonté.
- Je suis Gabriel, l'Alpha de la meute des Kitsunes qui partage cette forêt avec votre clan. Comme dit précédemment, j'aimerais conclure un accord avec votre meute. Nous sommes voisins après tout, tâchons de nous entendre.
La courbe joyeuse de mes lèvres fana aussitôt. C'était l'Alpha des Kitsunes.
Je retins avec peine les exclamations stupéfaites qui me venaient à l'esprit et tentai de rationaliser. Oui, c'était l'Alpha des renards. Oui, il était réputé comme n'hésitant pas à se salir les mains pour parvenir à ses fins. Oui, son apparence était délibérément innocente pour tromper ses ennemis. Oui, il avait voulu m'envoyer loin de mes parents alors que je n'étais qu'un bébé.
Mais...
Si son clan voulait le venger, dix ans après qu'on ait tenté de le tuer, c'était qu'il devait être un minimum aimé. Et, même si c'était par des Goupils... ça restait une affection sincère. Les loups n'étaient pas forcément mieux, à chasser leurs membres parce qu'ils étaient différents, même si c'était sous le choc.
Oh bon sang, je n'aurais jamais pensé dire ça un jour...
...Peut-être qu'il fallait leur laisser une deuxième chance et essayer de connaître ces voisins que nous détestions sans raison.
Je me reconcentrai sur ce qui se passait, mordant ma lèvre. J'étais moi-même confuse de ce que je pensais. Je n'étais pas habituée à voir les renards de cette façon. On m'avait toujours appris, j'avais toujours dit, qu'ils étaient mauvais.
Puis j'avais été chassée parce que j'étais comme eux et ça avait tout chamboulé.
L'Alpha des Kitsunes conclut avec un sourire lumineux, sans se soucier de si nous allions accepter, comme si c'était évident.
Il était fort, très fort.
- Sans oublier que vous abritez ma petite-fille. Quel monstre serais-je si je ne rejoignais pas ma famille ?
Il fit un geste ample pour montrer la silhouette derrière lui et je la vis.
Eylin.
Cachée derrière son père, dans une robe blanche sans fioritures, elle était aussi pure qu'un ange. Ses traits étaient fins, sa peau aussi blanche que l'ivoire et ses cheveux flamboyants comme une rivière de feu. Ses grands yeux verts, aussi vifs que les miens, mais entourés de grosses cernes violettes, m'observaient.
Elle s'avança.
- Aleïa...
- Lou, l'interrompis-je.
Elle se stoppa, une immense surprise sur le visage. Puis elle respira longuement en haussant les épaules, ferma les yeux et sourit tristement.
- Lou. Tu ne peux pas savoir à quel point tu m'as manquée. Chaque nuit, je pensais à mon enfant, si frêle lorsque son père l'avait emmenée. Je rêvais de nos retrouvailles, et te voilà enfin.
Elle se rapprocha de nouveau, leva les bras puis les reposa, n'osant pas m'enlacer.
Je sentais le regard brûlant de ma meute sur mon dos. L'Alpha, Léna, mon père. Et ma mère qui ne m'avait pas lâchée des yeux depuis que je m'étais approchée des Kitsunes.
Ils me regardaient tous. Même Gabriel, l'Alpha des renards.
Tout le monde.
J'ouvris la bouche avant de la fermer. Que voulais-je dire ? Que dire à cette femme, cette mère que je ne connaissait pas ?
Je la dévisageai alors qu'elle baissait le regard, sa main agrippant un pan de robe, gênée.
Malgré tout, elle me faisait face. J'arrivais à comprendre pourquoi sa lettre était si déterminée malgré sa réserve évidente. C'était une battante sous ses airs polis et réservés.
Elle avait l'air de beaucoup m'aimer, même si nous ne nous étions jamais vues et que je ne semblais pas forcément heureuse de la voir, au bout de quinze ans.
Je m'obligeai à avancer d'un pas. Si nous ne faisions pas d'efforts, personne n'en ferait jamais. Autant commencer cette relation mère-fille sur de bonnes bases.
Tremblante, j'avançais de nouveau pour l'enlacer. Elle ne bougea pas, comme statufiée, et je l'entourai de mes bras. C'était étrange cette odeur de vanille, personne dans la meute n'avait cette odeur.
Ça sentait bon.
Je la sentis frémir et reculai. Elle pleurait.
J'en fus désemparée. Voir cette femme si frêle perdre ses moyens me brisait le cœur.
- C'est rien, sanglota-t-elle, c'est la joie de te retrouver qui me met dans tous mes états.
Je souris en repensant à mon retour dans la meute, quand j'avais fondu en larmes sous les yeux étonnés de Léna.
Nous n'étions pas mère et fille pour rien.
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