Chapitre 1 - Nuit Mortelle

Désorientée, une jeune femme courrait à travers les bois qui bordaient sa maison. La forêt était dense, la lune à son apogée et pourtant, la pâle lumière de cet astre ne lui était d'aucune utilité. C'était à peine si elle pouvait voir là où elle mettait les pieds. Elle avançait dans une obscurité presque totale, sans relâcher sa cadence soutenue. Brusquement, elle sentit quelque chose lui agripper l'épaule avec force, lacérant sa chair. La douleur sourde qui l'envahit la fit lâcher un hurlement de terreur. Projetant sa tête en arrière afin de heurter cette chose qui la poursuivait, elle s'extirpa de sa prise et reprit sa course, secouée de soubresauts. Son épaule la lançait et elle ne pouvait pas s'empêcher de gémir, sachant sa fin proche. Elle trébuchait, tombait et se rattrapait à des arbres sans prendre un instant en compte qu'au fur et à mesure, la bête se rapprochait, insatiable. Au loin, elle entendait des voix hurler son prénom comme si elle était leur unique chance de survie. Elle ne se retourna pas. Brusquement, elle se prit les pieds dans la racine d'un arbre et tomba en avant, son corps roulant indéfiniment contre la terre. Sa tête vint violemment percuter un tronc d'arbre, la sonnant. Elle ne sentait plus cette douleur incisive qui la faisait crier. Elle ne savait plus pourquoi elle se trouvait là, dans cette forêt si familière. Ses paupières se mirent à cligner de plus en plus lentement et elle put voir deux yeux dorés s'approcher d'elle dans l'obscurité, laissant l'impression d'un souffle tiède contre sa peau. Elle savait qu'elle pouvait enfin fermer les yeux. C'est ce qu'elle fit.

Brusquement, elle se réveilla en sursaut dans sa chambre dénuée de vie, peinant à respirer. Ses yeux parcoururent les murs, le sol, le plafond ; absolument tous les endroits qu'elle pouvait voir. Tout semblait normal, pas de bête qui voulait lui faire la peau. Elle passa une main tremblante dans ses cheveux, tentant de retrouver un souffle correct. Elle avait déjà fait de nombreux cauchemars : on ne pouvait pas avoir vécu la vie qu'elle avait vécu sans avoir des retours de bâton plus ou moins violents. Mais jamais elle n'avait eu de rêve aussi réaliste, aussi tangible. Elle était couverte de sueur, tremblante et encore sous le choc. Soudain, elle lança sa couverture au sol en quête d'un peu de fraîcheur, d'air ; mais le regretta aussitôt, sentant des milliers de piqûres dans son épaule. C'était à ce même endroit qu'elle avait été griffée dans ce rêve. D'un pas hasardeux, elle se dirigea vers sa salle de bain personnelle, étant une jeune femme de dix-neuf ans qui avait besoin de plus d'espace qu'un couple ou qu'un garçon de sept ans à peine. Elle poussa la porte et alluma la lumière, le regrettant presque aussitôt, plaquant une main contre ses yeux. La lumière semblait insoutenable, inondant violemment la pièce. Elle avait déjà ressenti cet effet, évidemment, après une longue soirée comportant de nombreuses choses illicites.

Elle s'approcha prudemment du lavabo, prenant soin de ne pas trébucher sur les affaires sales qui traînaient à terre, alluma le robinet et plongea instantanément sa tête en dessous. L'eau glacée ruisselait sur ses cheveux et tombait en petites gouttelettes dans le vasque en céramique. Enfin, ce devait être de la céramique, pour ce qu'elle en savait. Elle attrapa une serviette posée sur le petit meuble couvert d'une couche importante d'autres serviettes et habits en tout genre, et frotta ses cheveux. Lorsqu'elle releva la tête, elle vit son reflet maladif : deux yeux rouges entourant des prunelles vertes ternes, des joues vermeilles et un teint de cadavre. En réalité, cette Joyce qui lui faisait face ressemblait plutôt à la Joyce qu'elle connaissait. Celle qui aimait les longues soirées avec des amis qu'elle venait de se faire et qui préférait largement la présence de ceux-ci que celle de ses parents. La Joyce qui avait quitté la maison, deux ans plus tôt, avec cinquante dollars en poche. Son reflet lui renvoya une expression sarcastique, sachant que cette Joyce avait fait des choses inavouables.

Elle se redressa rapidement et son épaule la lança une nouvelle fois, une douleur sourde qui faisait siffler ses oreilles. Ce n'était pas possible qu'elle se soit cognée en pleine nuit, elle dormait comme un cadavre dans son cercueil : droite et sans bouger. Doucement, elle releva son débardeur et ce qu'elle vit la laissa bouche bée. Un tatouage prenait place sur tout son omoplate, des traces de griffes qui la ramenaient, une nouvelle fois, à ce mauvais rêve délirant. Qu'avait-elle fait la veille ? Est-ce qu'elle était sortie, s'était faite tatouée, et était revenue sans en avoir aucun souvenir ? Comment est-ce que quelque chose comme ça pouvait arriver ? Les questions et les doutes se mirent à l'assaillir et elle décida de se diriger vers la chambre de ses parents, située un peu plus loin dans le sombre couloir de sa maison victorienne. Peut-être qu'eux savaient pourquoi elle se réveillait avec ce genre de connerie tatouée sur elle. Elle prévoyait déjà leur première réaction : "tu es sortie sans nous prévenir et tu t'es faite tatouée alors que tu étais sous l'emprise de la drogue !" Sauf que ce n'était pas ce qu'il s'était passé, enfin elle ne le pensait pas.

Elle traversa une nouvelle fois sa chambre, gardant son bras collé à son corps pour éviter les mouvements brusques, et ouvrit prudemment la porte de sa chambre. Avec la chance qu'elle avait, elle tomberait sur Lewis qui irait raconter à leurs parents qu'elle tentait de s'enfuir. Elle passa sur la pointe des pieds devant la porte de son petit-frère et ne s'étonna pas de ne pas entendre de bruit, après tout il ne faisait aucun bruit en dormant. Elle le remerciait pour ça. Joyce posa délicatement une main sur sa porte et la poussa. Ses yeux s'habituèrent rapidement à l'obscurité et elle le vit roulé en boule sous sa couette, laissant dépasser une touffe de cheveux bruns.

- Tu as intérêt de dormir, morveux, souffla-t-elle. Sinon je viens et te frappe avec ton oreiller.

Elle ne reçut aucune réponse et décida de le laisser dormir, étant donné que c'était ce qu'il faisait. Elle fit demi-tour et se dirigea vers la chambre de monsieur et madame Jefferson, prenant soin de ne pas faire craquer le parquet. Grâce à l'habitude, elle connaissait les endroit à éviter et savait que la latte devant la chambre parentale était on ne peut plus sensible. C'était une vieille maison dans laquelle vivait sa famille et elle avait eu de la chance qu'il aient accepté son retour avec autant de compréhension, surtout après le fiasco de son départ. Bien sûr, elle n'avait plus le droit de sortir ou même de fumer ne serait-ce qu'une cigarette ou de boire une bière sans alcool. Mais ils savaient qu'empêcher une jeune femme de 19 ans de faire quoi que ce soit était une perte de temps. Elle était prête à tout sauf à se plier à des règles qu'elle n'acceptait pas.

Arrivée devant la porte, Joyce la poussa sans frapper, sachant immédiatement que quelque chose n'allait pas. Il n'y avait pas le moindre signe de ses parents mais le lit n'était pas fait et le sol était jonché d'éclats de verre. Ce qui était assez surprenant, étant donné qu'elle n'avait rien entendu. Et puis, les Jefferson étaient à cheval sur des principes stupides : on prenait soin des objets de valeurs, on ne faisait jamais de mal aux autres et on essayait toujours de tendre la main à une personne dans le besoin. C'était cette première règle à laquelle ils avaient dérogé, et elle savait que jamais ils ne le feraient de leur plein gré. D'un regard, elle examina le radio-réveil posé à côté du lit. Il était 4 heures du matin et le réveil n'était pas activé. Encore une chose que sa mère n'aurait jamais faite. Cette maniaque de la propreté et de l'ordre n'aurait jamais oublié d'activer son fichu réveil.

Elle fronça les sourcils, agacée, puis alluma la lumière du couloir. Si ses parents ne se trouvaient pas à l'étage, ce qui était évidemment le cas, ils devaient se trouver au rez-de-chaussée. Jamais, et elle accentuait ce mot, ils n'auraient laissé le jeune Lewis en sa compagnie. Ils avaient retenu la leçon lorsqu'ils étaient rentrés et que la police les attendait, avec l'un de leur enfant menotté. Elle avait retenu cette leçon : il ne fallait jamais dire à un enfant de flic qu'une fête entre adolescents alcoolisés allait avoir lieu. Elle attrapa une veste à sa mère, posée contre la table de chevet, et l'enfila maladroitement. Elle savait que le chauffage d'en-bas n'était pas allumé : jamais madame Jefferson n'acceptait de le laisser allumer au rez-de-chaussée s' ils se trouvaient tous à l'étage. Elle tenta de passer son bras dans la manche avant de grimacer de douleur. Elle allait juste poser la veste sur ses épaules. C'était une bonne idée.

Elle se dirigea vers la rambarde d'escaliers et descendit doucement les marches, l'estomac noué. Elle savait que quelque chose n'allait définitivement pas. Quelque chose s'était passé, une chose suffisamment grave pour que ses parents ne soient pas à l'étage en train de dormir. Elle arriva rapidement en bas, sentant une odeur particulière, une odeur vaguement familière : métallique et âcre. Elle tenta vainement de suivre celle-ci et se dirigea vers la cuisine, suivant un instinct qui ne l'avait jamais trompé. Lorsqu'elle poussa la porte, un léger cri sortit de ses lèvres et elle plaqua une main contre sa bouche, tentant de réprimer la nausée qui montait.

Ses parents étaient là, gisant dans leur propre sang.

Brusquement, elle se précipita vers la salle de bain juxtaposée à la cuisine et régurgita tout ce que son estomac pouvait contenir. La vision d'horreur restait imprimée sous ses paupières. Ce n'était pas la première fois qu'elle voyait autant de sang mais ça n'avait jamais été celui de personnes qu'elle connaissait. Et le fait que le buste de son père se trouvait sous la table et que ses jambes se trouvaient à l'autre bout de la pièce avait tendance à la rendre malade. Elle sentit sa tête tourner lorsqu'elle se releva et sortit mécaniquement son portable afin d'appeler la police. Elle n'était plus en mesure de réfléchir. La femme lui demanda d'attendre dans un endroit sécurisé, un endroit fermé de préférence où elle pouvait être inaccessible. Elle y avait pensé avant même qu'elle ne lui en parle mais quelque chose vint troubler ses plans : Lewis. Il était seul, là-haut, tandis que leurs parents étaient morts et que le tueur rôdait peut-être encore. Elle devait le protéger. Ses jambes se dirigèrent d'elle-même vers les escaliers qu'elle gravit en vitesse. Son petit-frère était seul, endormi, et n'avait aucune conscience du drame qui se déroulait.

La jeune femme glissa sur le parquet à l'étage, cognant son genou avec force contre le sol, et se redressa. De toute façon, son intégrité physique était vraiment superflue à l'instant. Elle poussa la porte de sa chambre à la volée, se jeta sur son lit et tenta de le réveiller par tous les moyens. Alors qu'elle le secouait avec force, elle sentit une substance poisseuse sur ses jambes et sur ses mains. L'odeur était familière désormais, ancrée dans ses narines jusqu'à la fin de ses jours. Portant une main tremblant sur le haut de sa couverture, elle la retira et lâcha un hoquet de surprise. Voilà ce qu'elle n'avait pas vu lorsqu'elle était entrée dans sa chambre la première fois : son petit frère était mort, et pas de la plus douce des manières. Elle ne pourrait pas le décrire, sachant que même son esprit tordu ne le voulait pas.

Abattue, elle posa son crâne contre le sien, humant ses cheveux bruns qui sentaient le caramel, le prit dans ses bras comme lorsqu'il n'était encore qu'un bébé, et ferma les yeux. Rien de tout cela ne pouvait être vrai. D'abord ce tatouage mystère, puis la mort de ses parents et enfin celle de Lewis. Ce n'était qu'un terrible cauchemar. Elle n'avait qu'à fermer les yeux, attendre, et tout irait mieux. Elle se réveillerait et insulterait son petit frère de morveux, en plaquant sa tête dans son pancake.

Soudain, elle entendit la porte de la chambre s'ouvrir et entendit une succession de pas lourds venant dans sa direction. La blonde n'ouvrit pas les yeux, à quoi bon ? Si on venait la tuer, qu'elle ait les yeux ouverts ou fermés ne changeait rien. Elle ne comptait pas se débattre dans les deux cas. Elle allait bientôt se réveiller. Subtilement, elle resserra sa prise sur Lewis et le serra plus fort contre elle, sentant un soupçon de chaleur émaner de son corps sans vie. Elle sentit une paire de bras s'emparer d'elle et la porter. Elle lâcha l'emprise qu'elle exerçait sur son petit frère et garda les yeux fermés. Une voix se mit à murmurer à son oreille et elle l'écouta, à moitié morte elle-même.

- Je suis le lieutenant Grimshaw, souffla la voix près de son oreille. Je vais te sortir d'ici et ensuite, nous aurons à parler, Joyce Jefferson.

La voix s'éteignit dans l'obscurité alors qu'elle sombrait dans l'inconscience. Alors que le noir la submergeait, une pensée se fraya un chemin dans son esprit embrumé, une pensée qui la poursuivra jusqu'à la fin de ses jours : ces appels désespérés, dans ce cauchemar, étaient ceux de sa famille sauvagement assassinée, et elle ne les avait pas aidé. Elle les avait entendu et, au lieu de les aider, elle avait préféré s'enfuir. C'était un monstre.

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