☠ Chapitre 37 ☠
Et les jours passent à une vitesse folle depuis que j'ai repris le chemin de l'école. Cette fichue routine hebdomadaire s'installe au fur et à mesure et me rend nerveuse. Je n'aime pas faire la même chose tous les jours. Me lever, aller au lycée, suivre les mêmes cours, rentrer chez moi, faire mes devoirs et dormir pour tout recommencer le lendemain.
- Je suppose que c'est pour fuir cette routine que je souhaite devenir journaliste, je soupire en sortant du lit pour débuter une nouvelle semaine de cours.
J'exerce la même routine, encore et encore, depuis deux semaines, et je sature. Littéralement. Je revois les mêmes élèves, les mêmes profs, les mêmes personnes encore et encore, et cela, tous les jours. La routine qui s'installe me fait rendre compte des jours qui passent sans que je n'ai à profiter d'un seul. Certes, je vais mieux depuis quelques temps car je n'ai plus le temps de me rappeler les attentats mais je passe à côté de ma propre vie en en ayant pleinement conscience.
- Tu rentres manger ce midi ? m'interroge ma mère avant que je ne parte de la maison.
- Non, les parents de Margaux m'ont proposé de manger chez eux.
- Tu passeras le bonjour à tout le monde alors !
- Compte sur moi.
Et je sors dans ce doux début de printemps. Le Soleil pointe légèrement le bout de son nez mais, pour autant, il ne fait pas froid. Ma simple veste en cuir me suffit amplement, je n'ai plus besoin de mes gros manteaux d'hiver. Et mon humeur varie beaucoup en fonction de la météo. C'est vrai que lorsqu'il pleut et qu'il fait froid, l'envie de rire et de profiter me passe un peu. Mais lorsque le Soleil brille, tout nous paraît plus brillant, plus joyeux, plus vivant, en somme. À cet instant, je ne peux m'empêcher de penser à celui qui me paraît le moins vivant de ce monde : Nathan. Je m'arrête au milieu de la rue, le regard vide. Ça fait maintenant deux semaines que je ne suis pas retournée le voir. Je n'ai plus la force de le voir dans cet état. Il a le corps froid, il est raide, il a maigri, il ne bouge pas. Il n'a pas l'air plus vivant que mes amis décédés il y a plus de trois mois maintenant. Mais il me manque. Terriblement. Je sais au plus profond de moi que s'il était vivant, ce serait lui mon tremplin qui me propulserait du côté de la joie et du bonheur. Je sais qu'il est le seul à pouvoir me rendre à nouveau heureuse et à pouvoir me faire vivre avec la douleur. Mais il n'est pas là et je suis infiniment seule avec moi-même, avec mes cauchemars et mes maux. Je veux qu'il revienne à la vie. Plus que tout.
- Allison ? Qu'est-ce que tu fous au milieu du trottoir ? Le bus va arriver d'une minute à l'autre.
Je mets un certain temps à me rendre compte qu'on me parle. Mais lorsque la voix atteint mon cerveau, je reviens brutalement à la réalité et fixe mon amie avec des yeux hagards.
- Désolée Margaux. Je repensais à Nathan.
Elle pose ses deux pouces sur mes deux joues et avant son geste, je ne m'étais pas rendue compte que je pleurais. Mais les larmes coulent et je n'arrive pas à les arrêter.
- Tu veux retourner chez toi ? m'interroge-t-elle. En me prenant le bras droit. Viens, je te ramène.
- Non, non, je dis avec force en me débattant pour qu'elle me relâche – ce qu'elle fait instantanément. J'ai envie de voir Nathan.
- Je croyais que ça te faisait du mal de le voir allongé sur « cette foutue table d'hôpital à la noix », s'exclame-t-elle en reprenant les termes exactes que j'ai déclaré quelques jours plus tôt.
Je soupire en m'adossant au muret d'une maison. Je me pince l'arête du nez pour essayer de me détendre un peu mais rien à faire, je reste toujours aussi tendue.
- À chaque fois que je pense m'être remise un minimum de ce drame, je repense à Nathan, à ma famille, à Sarah, à Garance, à tout le monde. Et je replonge dans la piscine du Diable la tête la première.
- Elle est belle ta métaphore. Tu n'es pas une littéraire pour rien ! rit doucement Margaux et me caressant doucement l'épaule.
- Sérieusement, Margaux, comment est-ce possible ? Un jour, je vais relativement bien, je donne des conseils aux gens et j'ai l'impression de m'en sortir ; puis le jour d'après, je me remets à penser à tout ça, aux attentats, je revois ma cicatrice au milieu du ventre et tout s'effondre à nouveau. Je me demande seulement quand cela va s'arrêter ?
- Lorsque tu l'auras toi-même décidé.
Au regard qu'elle me lance, je vois que cette phrase est sortie toute seule de sa bouche. D'un seul relevé de sourcil, je lui demande de m'en dire plus car je ne suis pas d'accord avec sa réponse.
- Écoute, j'ai énormément médité sur ce que tu me dis depuis des semaines pour que j'aille mieux. Et je pense avoir compris que la volonté y est pour quelque chose dans le rétablissement des gens. C'est la force de ceux qui n'en ont plus.
- Explique toi.
Je vois le bus passer devant nous mais n'y prête pas attention. Que je loupe une heure ou une matinée de cours ne changera rien. Il faudra juste que j'explique cela à ma mère en rentrant. Mais la vérité est que cela est le dernier de mes soucis.
- Je ne vais pas prendre l'exemple de la dépression mais celui du sport et de la nutrition, m'explique-t-elle en posant son sac par terre et en mettant un de ses pieds sur le muret pour refaire ses lacets.
Je la fixe sans rien dire ne sachant pas où elle veut en venir.
- Il y a des gens, par exemple, qui sont malheureux parce qu'ils n'ont pas le corps « idéal ». Même si celui-ci n'existe pas, et qu'ils en aient conscience ou pas, ils se sentent mal car ils n'ont pas le corps qu'ils souhaitent. Tu me suis ?
- Oui, continue.
- À ce moment-là, ils n'ont plus la force de traîner leur corps et de profiter de leur vie. Ils restent focalisés sur leurs défauts sans voir les qualités. Bref, je m'égare. Mais tu vois, un jour, ils vont se regarder dans le miroir et ils vont se dire « Il faut que je change ça ». Et même si quelques minutes avant cela il n'avait plus la force de rien, et bien, à ce moment-là, c'est la volonté qui prend le dessus. Et c'est à l'instant où ton cerveau et ton cœur vont décider, à l'unisson, de fusionner pour te sortir de ton mal-être que cela va se produire. C'est lorsque toi tu l'auras décidé.
Je la regarde sans rien dire. À vrai dire, je n'ai plus les mots. Je ne sais quoi répondre à une telle vérité. Margaux a raison mais je doute que cela s'applique à tout le monde. Nous sommes tous différents et n'avons pas la même perception des choses ni les mêmes façons de réagir. Je ne pense pas que la volonté puisse sauver les gens. En tout cas, pas tout le monde c'est certain. Et je fais partie de ceux qui ne seront pas sauvés par la volonté, mais par l'amour. C'est aussi simple que cela. Néanmoins, face au regard insistant de mon amie, je ne peux lui dire tout ce que j'ai en tête, pour ne pas la blesser. Je vois dans le bleu de ses yeux qu'elle a mis toute sa sagesse et sa force dans son discours, je ne peux pas le briser en un claquement de doigts. Alors je réponds doucement :
- Tu as sûrement raison. Je vais y réfléchir.
Ce qui n'est pas totalement un mensonge.
- Bon allez, on va à l'hôpital ? me questionne-t-elle en me tirant le bras une énième fois.
- Je n'ai pas envie de prendre le bus.
- Qui t'a dit qu'on allait y aller en bus ?
Je relève mon éternel sourcil droit, attendant la suite de sa question.
- Je vais demander à ma mère de nous emmener.
- Elle n'est pas censée travailler ?
- Oui mais elle avait des jours à prendre pour son quota annuel. Alors elle prend une journée par-ci, une journée par-là. Et le hasard fait bien les choses puisqu'elle est en congé aujourd'hui, demain et après-demain.
Avant qu'elle ne continue sur sa lancée, j'enchaîne :
- D'accord, alors appelle-là pour la prévenir qu'on arrive.
Pendant son appel, j'en profite pour envoyer un petit message à ma mère afin de la prévenir que je ne vais pas en cours de la matinée. Je lui explique brièvement les raisons, ce à quoi elle me répond :
« D'accord, tant que tu n'es pas seule, c'est bon. Remercie la maman de Margaux pour moi. Bonne journée ma chérie, j'attends des explications plus détaillées ce soir. Bisous ».
Je ne réponds pas à son message et marche aux côtés de mon amie, toujours au téléphone. Elle raccroche ensuite puis nous arrivons chez elle en moins de dix minutes.
- Allison ! Bonjour ma belle, comment vas-tu ?
La mère de mon amie, Sonia, me prend dans ses bras et me frictionne longtemps le dos.
- Je vais bien, merci, je dis par pur réflexe.
- Pourquoi me mens-tu ?
Sa question me prend complètement au dépourvu et je lance un regard de détresse à Margaux. Celle-ci intervient rapidement :
- Maman, parfois sois moins direct avec les gens, tu les mets très mal à l'aise. Maintenant dépose-nous à l'hôpital s'il te plaît, nous avons vraiment besoin d'y aller ; Allison a grand besoin de voir Nathan.
Elle hoche alors la tête sans rien dire, prend ses clefs de voiture et son sac à main avant de nous ouvrir les portières. Je me mets à l'arrière et pendant que Sonia et sa fille discutent, j'ai le temps de fermer les yeux quelques secondes et de ne plus penser à rien. Nous arrivons plus rapidement que prévu devant le grand bâtiment blanc rempli de personnes en tout genre. Je remercie alors Sonia de nous avoir conduis jusqu'ici ; puis bras dessus bras dessous avec Margaux, nous entrons dans le hall à l'odeur de désinfectant.
- Tu dois connaître cet endroit par cœur à force d'y venir, je me trompe ?
Je regarde Margaux puis lève les yeux au ciel, elle ne pouvait pas mieux le dire. Je jette un coup d'œil à ma montre pendant que nous entrons dans l'ascenseur. Nous sommes mercredi et je sais que c'est le seul jour où Noémie va chez son psychologue durant la matinée. Les autres jours, c'est le soir puisque sa mère travaille. J'ai terriblement envie de la revoir. L'ascenseur s'ouvre et j'en sors après avoir laissé entrer les gens.
- Mais qu'est-ce que tu fabriques ? me crie Margaux alors que les portes de l'ascenseur se referment.
Je fais un tour sur moi-même avec une mine dépitée. Je suis sortie au mauvais étage. Crotte ! J'appuie sur le bouton de l'ascenseur sachant qu'il ne va pas pointer le bout de son nez tout de suite. Qu'est-ce que je suis tête en l'air, franchement ! Mais je ne peux m'empêcher de sourire face à la situation. Un autre ascenseur arrive finalement et je grimpe dedans pour monter les trois derniers étages restants. Lorsque je sors, je vois Margaux avec son téléphone en main en train de filmer. Elle est écroulée de rire et je ne peux m'empêcher de sourire aussi.
- T'es trop bête, Allison !
Et elle repart en fou rire avant de tousser. Elle a tellement ri qu'elle s'étouffe.
- Voilà ce qui arrive quand on se moque de moi, je lui tire langue avant de passer mon chemin, la laissant tousser et devenir rouge.
- Tu fais beaucoup trop la diva, articule-t-elle entre deux quintes de toux.
- Rectification : je suis une diva !
Je passe une main dans mes cheveux et mets l'autre sur ma hanche avant de faire une démarche digne des plus grands podiums de défilés de mode. Margaux s'égosille puis arrive à se reprendre quelque peu. Je lui tape malgré tout dans le dos et elle recule en criant presque :
- Taper dans le dos aggrave le toux ! Ne fais pas ça.
- D'accord, je te laisse dans ta douleur et dans ta toux, bye, bye !
Et je tourne dans un couloir pour me rendre à la chambre de Nathan. J'ai toujours un petit sourire sur les lèvres après notre petite mésaventure qui nous a bien fait rire. Ça fait du bien de revivre des moments comme ceux-là.
- Attends-moi ! hurle Margaux en courant à travers le couloir.
- Chut ! T'es malade de crier comme ça ? je crie en chuchotant. Tu veux qu'on se fasse virer ou quoi ?
- Oh, ça va, il n'y a pas mort d'homme non plus.
Elle est vraiment épuisante. Je soupire bruyamment en la devançant pour entrer dans la chambre de Nathan. Il est toujours là, paisible. On pourrait presque penser qu'il dort.
« Si ça pouvait être aussi simple que cela, je pense secrètement. Quand il se réveillera, comment lui expliquer tout ce qui est arrivé ? ».
- Tu l'as bien choisi quand même, dit doucement mon amie en s'approchant de moi.
- Comment ça ?
- Je ne vais pas te mentir, Allison, même si c'est mon ami et rien de plus, Nathan est un jeune homme très mignon. Il est beau, intelligent, respectueux. Le gendre idéal en somme !
- Je n'aurai pas dit mieux, je murmure avec un voile de tristesse dans la voix.
Margaux me serre d'une main contre elle et me chuchote des mots réconfortants. Et je fonds une nouvelle fois en larmes tant la tristesse est accablante. Je n'arrive plus à retenir mes sanglots.
- Allez ma belle, courage, je suis de tout cœur avec toi. Je vais te laisser seule quelques minutes avec lui, je pense que ça te ferait du bien.
Elle claque un bisou sur ma joue mouillée avant de quitter la pièce, sans un bruit. Je me retrouve alors avec l'homme de ma vie. Je tire une chaise jusqu'à la bordure du lit et m'assois doucement dessus, comme par peur de la casser, ou de faire du bruit.
- Tu es le seul avec qui je veux faire ma vie, Nathan. Le seul. Te voir dans cet état me rend le quotidien plus difficile. J'aimerais juste que tu sois à mes côtés pour m'aider à passer les obstacles que la vie s'amuse à mettre sur mon passage. Je dois sans cesse vaincre la tristesse, la douleur, les blessures ; mais elles reviennent de plus belle, à chaque fois un peu plus fortes.
Je caresse doucement sa main et me lève pour déposer un baiser tremblant sur ses lèvres froides.
- Reviens-nous, je t'en supplie, je pleure doucement en posant ma tête sur son torse fin.
Je ferme quelques secondes les yeux à la recherche de la tranquillité. Mais un bruit inhabituel commence à se faire entendre. Je me lève en sursaut. Depuis le début de son coma, Nathan est branché à une machine qui calcule son pouls. Il fait des bip bip réguliers qu'on n'entend plus au bout d'un certain temps, par habitude. Mais là, les bruits sont plus intenses, plus forts et plus rapides. Je commence à paniquer et fixe avec de grands yeux effrayés la machine. La fréquence des battements de cœur de Nathan est en train de diminuer dangereusement. Je me lève instantanément et cours vers le bouton d'alerte. J'appuie avec une telle force dessus que je manque de le casser. Les larmes coulent toutes seules pendant que je traverse la pièce pour sortir en hurlant :
- Au secours ! Le pouls de Nathan diminue, il est en train de mourir !
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La fin approche ! Il ne reste que 3 chapitres après celui là (et peut être un épilogue)😋 le prochain chapitre est déjà écrit, je vous le publie la semaine prochaine car je serai en vacances et j'ignore si j'aurai le temps d'écrire ! En tout cas j'espère que vous aimez la suite des événements aha😏
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