☠ Chapitre 34 ☠

- J'aimerais te poser une question, Allison. Pourrais-tu y répondre sincèrement ?

Ses petits yeux noirs essaient de me transpercer l'âme, je le sens.

- Je vais essayer, je réponds, avec mon éternel sourire en coin.

- Est-ce que tu tiens à ta vie ?

Je m'attendais à tout sauf à cette question. Vraiment. Cette question est tellement simple et pourtant, elle mériterait des heures d'argumentations. Je détourne alors les yeux pour réfléchir quelques secondes. Je crois que j'ai ma réponse.

- Je pense que oui, je tiens à ma vie. Mais pour mes proches.

Je ferme les yeux quelques secondes avant de continuer ; je suis épuisée.

- Ce que je veux dire, c'est que je n'ai pas peur de ma propre mort. Plus maintenant. Pas après tout ce qui est arrivé. Je suis toujours anxieuse pour la perte de mes proches mais plus pour la mienne. J'ai frôler la mort, je l'ai touché du bout des doigts. Je dirai d'une certaine façon que je tiens à ma vie seulement pour mes proches. Parce que je sais ce que ça fait de voir mourir une personne qui était tout pour nous.

Il prend des notes expertes sur son petit carnet. Je suis étonnement soulagée par ce que je viens de révéler à mon psy. Comme un poids qu'on aurait retiré de mon cœur, de ma conscience.

- Si vous n'avez pas d'autres questions, je dis dans un filet de voix, j'aimerais me reposer.

- Je comprends, Allison. Je n'avais pas besoin de plus, merci. Repose-toi bien.

Je hoche une dernière fois la tête avant de tomber d'un seul coup dans les bras de Morphée.

***

Les rayons du soleil viennent caresser mon visage et mes yeux s'entrouvrent légèrement. Je remarque alors qu'aucun volet n'est fermé et que le soleil frappe la vitre et balance ses rayons à travers la pièce. C'est beau. Je suis seule dans cette pièce blanche. Mais je soupire bruyamment. Je suis encore et toujours à l'hôpital.

- Ça va devenir ma seconde maison, je me plains en me redressant.

J'hésite à appuyer sur ce fameux bouton qui prévient les médecins de votre réveil. Je profite de ce silence, de cette tranquillité. À ce moment-là, je crois que je ressens une pointe de bonheur et j'ai envie de sourire. Mais je n'y arrive pas. Je reste crispée. Je ne profite plus des petits bonheurs que nous octroie la vie. Comme si j'en étais privée. Les attentats ont créé autour de moi un mur de verre qui me sépare des autres. Ils essaient en vain de comprendre ce qui se passe en moi. Moi-même, je l'ignore. Ils essaient de m'aider sans avoir vécu un dixième de mon existence. Et je leur en veux. Je leur en veux de m'avoir donné l'espoir que je guérirais un jour mais je viens de comprendre : les blessures ne se referment jamais. À leurs belles paroles, j'ai vraiment cru que je pourrais m'en sortir et un jour, tout oublier. Mais c'est impossible. Et maintenant que j'ai clairement retrouvé la mémoire, je m'en rends compte. Rien qu'hier, on me laisse seule pour la première fois depuis des semaines, des mois et qu'est-ce qui m'arrive ? Des visions d'horreurs et des voix hurlants dans mon esprit. Ce n'est pas ça que j'appelle une vie.

La porte de la chambre s'ouvre d'un seul coup, me faisant hurler de surprises. Je pose la main sur mon cœur pour me calmer. Une infirmière arrive pour prendre ma tension, je n'ai plus la force de me démener. Elle reste à mes côté « jusqu'à ce que tout redevienne normal », me dit-elle doucement. Ce qu'elle ne sait pas, c'est que rien ne redeviendra normal, encore moins comme avant.

- Allison, je suis heureux de te voir réveillée, s'exclame mon médecin en entrant, joyeux, dans la pièce.

Étrange attitude pour un médecin. Je n'en fais rien et lui demande directement :

- Puis-je sortir de l'hôpital aujourd'hui ?

- Toujours aussi pressée de me quitter, pas vrai ?

- Toujours aussi pressée, je réponds à l'affirmatif en me plaçant face à lui, laissant mes jambes dans le vide.

Il regarde rapidement son carnet avec tous ses Post-it qui en dépassent.

- Je te laisserai sortir lorsque tu me diras ce qui s'est passé hier matin pour que tu t'évanouisses.

Je le fixe quelques secondes dans le blanc des yeux puis je fronce les sourcils pour me souvenir de tout et commence :

- J'ai entendu des voix. J'ai revécu les attentats. Ce que j'ai vu et ce que j'ai entendu reste encré dans mon esprit. J'ai cru que je revivais cette soirée d'horreur. Puis...

Je ferme les yeux quelques secondes pour calmer ma respiration.

- J'ai cru m'être prise un couteau dans l'abdomen et je suis tombée. J'ai perdu instantanément connaissance.

- Tu as dû tomber sur la table du salon, si je me souviens bien des photos que j'ai vu lorsque les pompiers t'ont embarquée.

- Sûrement, je dis distraite.

Je le vois noter un tas de notes sur ses feuilles et je soupire. J'en ai vraiment marre de cet hôpital et de ces gens. Puis il relève la tête de ces notes et m'observe :

- Je vais appeler tes parents pour que quelqu'un vienne te chercher. Pendant ce temps, Isabelle te fera passer quelques tests avant que tu ne sortes de cet hôpital.

Je hoche la tête simplement, mais c'est un triomphe pour moi. Je vais enfin ressortir.

***

Ma sortie s'est faite dans les plus brefs délais. Une minute de plus et je mourrais ici. C'est ma mère, évidemment, qui est venue me sauver de cet endroit infecte qui pue le désinfectant.

- Tu te doutes bien que je reste avec toi aujourd'hui, soupire ma mère en démarrant la voiture.

- Je me doute bien, je réponds, sarcastique.

Elle ne relève pas. De toute façon, elle ne relève plus depuis quelques années maintenant.

- On fait quoi aujourd'hui, du coup ? je demande pour faire un peu la conversation. On sort ?

- Non, je vais bosser à la maison. Mais si tu veux, je pourrais t'emmener voir Nathan.

- Je vais m'en passer, je dis, glaciale.

- Et ton psy ? Tu ne dois pas le voir ce soir ? Comme la plupart des soirs ?

- Non, il va devoir se passer de moi aujourd'hui. Le pauvre, j'ignore comment il va faire sans moi.

Ma mère sourit. Je sais qu'elle aime quand je suis sarcastique, ça lui donne l'impression que je suis comme avant. Même si elle sait que ce ne sera plus jamais le cas.

***

Je me suis ennuyée durant cet après-midi. J'aurai aimé voir Margaux mais l'envie de solitude a pris le dessus. J'ai quand même essayé de relire quelques cours pour lundi mais en vain, je n'avais pas la motivation. Puis, finalement, ma mère m'a rapportée une vingtaine de lettres que j'avais reçues ces derniers jours. Je me suis alors mise à les lire et à y répondre. Il est actuellement minuit et j'y suis toujours. Ces mots qu'on m'envoie me font un bien fou et me requinque. J'ignore si les personnes qui m'envoient cela connaissent l'effet que ça me fait ? Je prends alors mon téléphone et vais sur un de mes réseaux social. Je ne prends pas la peine de regarder les centaines de notifications dû aux attentats et vais sur mon fil d'actualité où j'y écris : « Tous les mots que je reçois de vous me donnent la force de continuer chaque jour la tête un peu plus haute. Je ne vous remercierai jamais assez ». À la suite de cela, mes notifications se multiplient et je ferme l'application. Je repose mon portable sur mon bureau et m'allonge sur mon lit, épuisée. Je n'ai le temps de penser à rien que je m'endors instantanément.

***

- N'oublie pas que la petite fille dont tu me parlais vient ce soir à la maison, me rappelle ma mère, au petit-déjeuner.

- Oui, je n'ai pas oublié.

- D'ailleurs, lequel de vous deux reste à la maison ce soir ? interroge-t-elle Erwan et Matthew.

Je lance un regard noir à ma mère. Elle ne me croit pas capable de rester seule avec une enfant à la maison. Je le prends très mal, venant d'elle. Mais je ne dis rien ; je ferme ma bouche et mange ma pomme.

- On reste tous les deux ici, répond Erwan. On va jouer aux jeux vidéos en ligne.

- N'oubliez pas, le coupe Lylou, moi je dors chez Estelle ce soir.

- C'est qui Estelle ? la questionne mon père, mais plutôt en regardant ma mère.

- Tu la connais, c'est la petite fille qui fait de la danse avec elle. Ses parents...

Je n'écoute pas la suite et remonte à l'étage. Je décide de passer un coup de fil à ma grand-mère du Sud. Je reste bien deux heures au téléphone et ça fait du bien d'entendre sa voix. Elle me demande si j'ai commencé l'écriture de mon livre. Je lui réponds à l'affirmatif et lui envoie, en même temps que je l'ai au téléphone, les documents en questions. J'attends son avis avec impatience. Puis nous discutons un peu de tout et de rien et elle finit par raccrocher non sans m'envoyer une dizaine de bisous.

Je retourne ensuite à mes occupations mais rapidement, je vais déjeuner puis je me prépare pour aller à l'hôpital, encore une fois. C'est mon père qui m'y dépose et je rejoins Cathy. Elle m'embrasse les deux joues puis me scrute sous tous les angles.

- J'espère que tu vas aussi mieux que tu le prétends.

- Ne t'inquiète pas.

Je pose ma main sur son épaule comme pour la rassurer. Je sais qu'elle me considère un peu comme sa propre fille et c'est touchant. Mais je refuse qu'elle souffre par ma faute.

- Je m'en vais, ma belle, j'ai des affaires urgentes à régler. Prends soin de toi !

- Toi aussi, Cathy. Passe le bonjour à tout le monde.

Cathy arrive enfin à laisser Nathan sans surveillance. Après tout ce temps ! Je m'avance alors vers le lit où repose mon copain. Il est encore plus blanc que blanc, encore plus maigre. Mais il est toujours aussi beau et je l'aime toujours autant. Je prends alors une des deux chaises de la pièce et m'installe dessus.

- Je suis persuadée que lorsque tu te réveilleras, je pourrais enfin tourner la page.

Je ne peux m'empêcher de penser « Si tu te réveilles un jour ».

- J'en suis sûre. Vraiment. Tu es ce qui pourrait m'aider dans tout et pour tout. Je t'en supplie, Nathan, reviens parmi nous.

Et comme d'habitude, les larmes ne peuvent s'empêcher de couler. C'est infecte. J'aimerais juste que ça s'arrête. Le vibreur de mon téléphone me sort de mon mutisme. C'est un numéro inconnu mais au vu du message, je devine que c'est la maman de Noémie : « C'est toujours bon pour ce soir ? ». Je réponds à l'affirmatif et range mon téléphone. J'attrape alors la main de Nathan et la caresse doucement. Je reste ainsi à le regarder et à penser à mon passé durant près d'une heure. C'est l'infirmière venue changer ses perfusions qui me sort de ma torpeur. Je dépose alors un baiser sur le front de Nathan avec une prière silencieuse et sors de la pièce pour aller voir mon psy. Mais rien de nouveau sous le soleil, la séance n'est pas très intéressante, ni pour lui, ni pour moi.

***

Je suis tranquillement assise devant la télévision avec mes deux frères lorsqu'on sonne à la porte. Les parents sont partis à leur soirée et Lylou chez sa copine Estelle. Je mets alors mes chaussons et vais ouvrir. Dès que mon regard croise celui de Noémie, celle-ci me saute dans le bras en m'embrassant la joue.

- Je suis trop contente de te voir ! s'enjoue-t-elle en riant.

Cette petite me redonne instantanément l'envie de sourire à nouveau. Je l'adore, ce n'est pas croyable !

- Bonsoir, Allison, me dit doucement sa maman.

- Bonsoir ! Allons, entrez, ne restez pas dans le froid de cette fin d'hiver.

Je referme la porte, toujours Noémie dans les bras. Erwan et Matthew viennent dire bonjour et débarrassent la mère des quelques affaires de la petite.

- Qu'ils sont gentils ! Ce sont tes frères, c'est bien cela ? m'interroge la mère de Noémie.

- Oui, ce sont bien eux.

Puis, j'interpelle les gars :

- Mettez ces affaires dans ma chambre, s'il vous plaît.

- Comme cela vous plaira, Mi Lady, répond Erwan, nous faisant tous rire.

Puis la maman repart en claquant un bisou sur la joue de sa fille et je referme la porte derrière elle. Je sais que les garçons sont partis jouer à leurs jeux vidéos, nous sommes à présent deux. Elle et moi.

- Alors ma petite préférée, tu as faim peut-être ?

Elle secoue la tête et l'enfonce dans mon cou.

- Que se passe-t-il, ma belle ? je m'inquiète en touchant son front,au cas où elle aurait de la fièvre.

- Les cauchemars ne s'arrêtent pas, dit-elle, sur le point de pleurer.

Je la repose alors par terre, lui prend la main et l'emmène dans ma chambre. Nous nous asseyons toutes les deux sur mon lit.

- Ce qu'essaie le médecin ne marche toujours pas ?

- Non, ça marche pas.

Je caresse ses cheveux noirs puis lui relève la tête afin de croiser son regard.

- Tu dois contrôler tes pensées. Je pense que ça t'aiderait. Mais tes plus grandes peurs seront toujours là. Tu feras toujours des cauchemars, seulement tu en feras beaucoup moins.

Noémie essaie d'assimiler tout ce que je viens de lui dire, elle est craquante. Ses yeux noirs me transpercent et j'attends sa réponse. Mais à ma grande surprise, ça n'a plus aucun rapport avec notre conversation :

- Ton copain, il n'est pas là ?

J'ai un léger pincement au cœur mais je suis habituée avec elle. J'essaie en vain de lui faire un sourire rassurant mais elle ne récolte qu'une grimace.

- Non, il n'est pas ici. Il est toujours endormi.

- Pourquoi il ne se réveille pas ?

- Et bien, Nathan a aussi vécu les attentats. Nathan, c'est le prénom de mon copain. Mais il a été plus blessé que moi. Il a eu un traumatisme crânien, c'est comme ça qu'on dit.

- Mais il se réveillera un jour, non ?

Je lui dis la vérité, je n'ai rien à cacher.

- J'espère. Parce qu'il peut ne jamais se réveiller.

- C'est possible, ça ?

- Oui.

- Oh, non ! Mince, mince...

Ces derniers mots, je n'ai pas l'impression qu'ils me sont destinés. Comme s'ils sont pour elle-même. Sa réaction m'intrigue ; je fronce alors les sourcils et lui demande :

- Qu'est-ce qui se passe, Noémie ? Je vois bien que tes questions avaient un autre but. Qu'y a-t-il ?

Elle ouvre de grands yeux coupables. Je connais ce genre de regard. Puis elle baisse la tête, la voix brisée et me dit d'une voix à peine audible :

- Un garçon de ma classe est dans le coma à cause de moi.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top