☠ Chapitre 33 ☠
Les premiers chapitres de mon livre avancent plus vite que prévus. En une soirée, j'ai écrit quatre chapitres, non sans pleurer. Mais ça m'a fait du bien, vraiment. Je suis plutôt fière de mes écrits. En tout cas, pour le moment, personne ne les a encore lu. Ma grand-mère vient juste de prendre le train pour retourner dans le sud et je lui ai promis de tout lui envoyer par mail. Elle a ronchonné à cause de la technologie puis est partie dans un de ses délires contre les geeks. Elle est unique !
- Quoi de prévu pour aujourd'hui ? m'interroge ma mère en prenant place à mes côtés sur le canapé, une tasse de café chaud à la main.
Nous avons déposé ma grand-mère très tôt à la gare, ce matin. Ma mère a encore une petite heure devant elle avant d'aller travailler de nouveau.
- Je vais travailler à fond tous les cours que j'ai raté. Ça me fera passer le temps et oublier un peu le train train quotidien. Et j'irai à l'hôpital en fin d'après-midi, comme d'habitude.
Je me penche vers la petite table du salon pour prendre la télécommande. Mais avant d'allumer la télévision, je me tourne vers ma mère.
- Tiens, ça me fait penser que je vais sûrement faire du baby-sitting samedi soir.
- Samedi soir ? Mais avec qui ? s'étonne ma mère avant de boire une gorgée de son breuvage noir.
- À l'hôpital, j'ai rencontré une petite fille, Noémie, à laquelle je me suis beaucoup attachée. Je la vois très régulièrement. Elle est bipolaire et un peu schizophrène mais je fais partie des seules personnes qu'elle apprécie. Du coup, sa maman m'a demandée si je pouvais la garder durant la soirée de samedi pendant qu'ils sont au théâtre, elle et son mari. Je pourrais ?
Elle hausse les épaules en souriant.
- Fais comme tu le sens, ma chérie. De toute façon, samedi soir, ton père et moi ne sommes pas là.
- Vous êtes où ? je demande en fronçant les sourcils.
- Véronique et Thomas fêtent leurs quinze années de mariages. Ils nous ont invité il y a des mois de cela. Je pense que ça nous changera un peu les idées.
Je hoche la tête, distraite, avant de lui répondre :
- Qui sont Thomas et Véronique ?
- Des amis de la famille. Tu sais, ils étaient venus à mes quarante ans, il y a cinq ans de cela. Véronique portait une robe rose magnifique et...
Je la coupe dans son élan.
- Tu penses vraiment que je me rappelle de ça ?
Elle rigole autant que moi et je me lève, reposant finalement la télécommande.
- Quoiqu'il en soi, j'espère que tu vas t'amuser.
- Merci, ma chérie.
Je hoche doucement la tête avant de lui claquer un bisou sur la joue et de monter à l'étage me laver. Mais au moment où je file aux toilettes, je remarque une tâche rouge sur ma culotte.
- Non..., je soupire en levant les yeux au ciel.
Pourquoi les règles n'arrivent-elle jamais au bon moment ? Mais il y a-t-il véritablement de bons moments ? Quoiqu'il en soit, ça fait partie de la vie, on ne va pas s'en plaindre toute notre existence. Si ?
- J'y vais, Allison, me prévient ma mère depuis le rez-de-chaussée lorsque je retourne à ma chambre, après ma douche. À ce soir ! Appelle-moi s'il y a quoique ce soit d'anormal.
- Oui maman ! je hurle depuis ma chambre en enfilant un bas. Ça fait des jours que tu me le répètes. Mais j'ai dix-sept ans, je saurai me débrouiller seule.
- On ne sait jamais !
Puis elle sort en fermant la porte derrière elle. Je suis enfin seule dans la maison. C'est la première fois depuis des semaines, des mois. Je finis tranquillement de me sécher les cheveux avec ma serviette et vais la reposer dans la salle de bain après m'être habillée d'un gros pull chaud d'hiver. Je traîne ensuite un peu sur les réseaux sociaux mais, comme d'habitude, j'en ai vite marre et passe à autre chose. Et même s'il est à peine huit heures trente, je décide d'appeler Margaux. Pour paraître moins seule et pour prendre de ses nouvelles. Elle répond à la deuxième intonation.
- Que se passe-t-il, ma belle ? s'empresse-t-elle de me demander une fois qu'elle a décroché.
- Je t'ai réveillée ?
- Non, j'ai fait de l'insomnie. Je suis réveillée depuis les deux heures du matin.
Sa voix est emplie de tristesses. Je le sais, je la connais, cette voix.
- Tu ne m'avais pas dit que ça avait recommencé, je panique en passant une main dans mes cheveux mouillés. Et tes parents le savent ?
- Non, je ne veux pas les inquiéter. Ils ont déjà assez de soucis comme ça. Ça va passer, je pense.
Je n'aime pas quand elle parle comme ça. Ça me rappelle le mauvais temps.
- Et même si tu ne m'écouteras pas, je te le dis quand même, Margaux. Parles-en à tes parents. Ils ne seront jamais trop occupés pour toi, tu le sais aussi bien que moi.
- Oui mais ils vont s'inquiéter et vouloir que je retourne chez la psy. Je ne veux pas, Allison. Je l'ai détesté, tu le sais aussi bien que moi. Je hais les médecins et tout ce qui va avec.
Je lève les yeux au ciel. Parfois, elle m'exaspère vraiment. Pourtant ,je ne peux m'empêcher d'éprouver de l'empathie. Je connais cet environnement médical insupportable.
- D'ailleurs, je voulais te demander, enchaîne-t-elle pour changer de sujet. Tu as reparlé à Mathis depuis les funérailles ?
- Oui, nous avons parlé sur les réseaux sociaux, mais peu. On se voile tous la face. Alors, je préfère mettre un terme rapidement aux conversations. Mais je t'avouerai que j'aimerais beaucoup prendre un café un de ces jours avec lui. J'ai besoin de lui parler pour me rappeler de tous ce que j'ai vécu avec Sarah.
- Ils se ressemblaient tellement tous les deux. Le frère et la sœur.
- Oui, je ne te le fais pas dire. Quand je le regarde dans les yeux, ce sont ceux de Sarah que je vois.
Et instinctivement, je laisse les larmes couler des deux côtés de mon visage. Je n'arrive pas à réaliser tout ce que l'on a vécu ces derniers mois. C'est juste impensable pour des gamines de dix-sept ans. Impensable.
- Tu ne voudrais pas passer à la maison, aujourd'hui ou demain ? me propose Margaux en reprenant une voix sereine. Je me sens seule dans cette maison.
- Toi, tu ne voudrais pas plutôt venir ? J'ai un tas de notes et de fiches à réviser pour lundi.
- Tu reviens lundi ? s'enjoue-t-elle, d'un seul coup.
J'essaie de sourire face à son enthousiasme mais ce n'est qu'une grimace qui apparaît sur mon visage.
- Oui, je reviens lundi, dans ta classe. J'appréhende mais je suis heureuse de retourner en cours.
Elle me rassure du mieux qu'elle peut puis nous parlons encore un petit quart d'heure avant que nous ne raccrochions. Mais je reste allongée sur mon lit, épuisée. J'ai dû me lever tôt pour ma grand-mère et l'effet de la fatigue sur mon moral se ressent. Mon portable est sur mon lit et de petites vibrations me sortent de ma torpeur. Plusieurs notifications se suivent et je décide de le mettre en mode silencieux. Je veux seulement être tranquille, en paix. Alors je ferme les yeux, apaisée. Ma respiration est douce, rythmée. Je suis bien. Soudain, un hurlement au rez-de-chaussée se fait entendre. Un cri de peur venant du fond de l'âme. Mes yeux s'ouvrent instantanément et mon cœur bat la chamade. Le hurlement persiste et continue. J'ignore totalement sa source mais je m'en vais en courant en bas, mais, lorsque j'y arrive, il n'y a pas âme qui vive. Le cri a disparu. Je tourne en rond dans le salon, prise d'une panique incontrôlée. Je commence à trembler et mon corps me paraît soudain très lourd. Je tire sur les manches de pull, anxieuse.
- Mais qu'est-ce qui se passe ? je lâche en m'effondrant sur le canapé su salon. Qu'est-ce que...
Mais le hurlement retentit de nouveau. Mes yeux s'ouvrent en grands. C'est la voix de Sarah. Je la reconnais, à présent. Mais qu'est-ce qui se passe ? Je regarde tout autour de moi, les larmes coulent ; je ne comprends rien à la situation. Le cri persiste, encore une nouvelle fois. Mais il se joint à un autre. Puis ma vision devient trouble. Je me relève difficilement et chancelle. Je manque tomber mais me retiens à l'accoudoir. Puis, je vois trouble, plus rien n'est net. Je vois de la fumée et je comprends instinctivement ce que je suis en train de voir. Plusieurs hurlements stridents retentissent et des bruits de balles perdues sifflent dans mes oreilles. L'air est chaud et quelqu'un se tient face à moi. Il a le regard avide de vengeance. Son couteau dans la main ne fait aucun doute : il veut me tuer. Et Sarah crie de nouveau, elle m'appelle mais je suis impuissante. Je la laisse mourir sans n'avoir rien fait. Je secoue mes bras devant moi, comme pour me protéger de tout cela. Mais l'homme enfonce son poignard dans mon abdomen et je hurle à la mort. Je m'écroule comme une poupée de chiffons et passe à travers le pont. Les cris me paraissent à présent lointain. Je heurte fortement quelque chose et perds totalement conscience.
***
J'ouvre d'un seul coup mes yeux. Une forte lumière blanche m'aveugle, m'obligeant à les refermer. Je cligne ensuite plusieurs fois des yeux.
- Elle s'est réveillée !
La voix de ma mère résonne dans mes tympans et ma tête tourne. Ma vision se brouille quelques secondes avant de redevenir normale. Je me redresse tant bien que mal et vois une demi-douzaine de personnes à mon chevet.
- Qu'est-ce qui s'est passé ? je dis dans un murmure presque inaudible.
Ma mère, qui a sa tête presque au dessus de la mienne, m'entend et me répond, les yeux grands ouverts.
- Ce matin, je suis partie au travail et je t'ai laissée toute seule à la maison pour la première depuis...
Elle hésite une seconde avant de continuer.
- Depuis les attentats. Je t'ai appelé pour avoir de tes nouvelles, puisque tu ne m'en donnais pas, mais tu n'as jamais répondu. Paniquée, je suis revenue à la maison et je t'ai trouvé dans le salon, par terre. Tu avais perdu connaissance. Tu es restée toute la journée évanouie.
Je me rends alors compte que je suis dans une chambre d'hôpital. Non, pas encore ! Mais il n'y a que de la famille dans la pièce, les amis n'ont pas dû avoir le droit d'entrer. La porte s'ouvre alors sur le médecin qui s'est toujours occupé de moi, après les attentats. Mais il est suivi par mon psychologue attitré. La poisse !
- Allison, dit doucement ce dernier en s'approchant de moi. Comment te sens-tu ?
- Barbouillée. J'ai mal à la tête.
Le médecin note cela sur son carnet puis le psychologue poursuit.
- Dis-moi, que s'est-il passé, chez toi, ce matin ? Pourquoi t'es-tu évanouie ?
Je le regarde dans le blanc des yeux mais sans vraiment le regarder. Je le vois comme flou. Mon corps est présent mais pas mon esprit. Il est complètement absent. Le psy secoue une main devant moi mais je n'ai pas envie de revenir à la réalité. Je suis épuisée de tout. La vie me fatigue. Je ferme alors les yeux quelques secondes, pour trier mes pensées. J'aimerais me souvenir de ce qui s'est passé avant ma perte de connaissance. Mais je n'y arrive pas. J'observe alors mon médecin se tenant derrière le psy. J'ignore alors ce dernier et m'adresse directement au docteur.
- Je ne me souviens plus de ce qui s'est passé...
Je réfléchis à ce qu'a dit ma mère plus tôt.
- De ce qui s'est passé ce matin.
- Je vois, note-il. Perte de mémoire partielle.
Il se rapproche de moi et pose sa main sur mon front.
- Tu as une légère fièvre. Je vais te garder ici jusqu'à demain.
- Non, s'il vous plaît. Je peux guérir d'une fièvre chez moi, non ?
Je me redresse et malgré ma tête qui tourne, je parais impassible.
- C'est pour ton bien que je fais ça Allison, crois-moi. C'est mieux pour toi que tu sois soignée ici.
- Mais...
- Allison, intervient Erwan, fais ce que le médecin te dit. Fais-le pour nous.
Je ne l'avais pas remarqué avant, mon frère. Je tourne alors la tête dans sa direction et vois un visage embué de larmes. D'une main tremblante je lui caresse la joue et lui demande, innocemment :
- Pourquoi pleures-tu ?
Il attrape ma main et la serre fort. Je sens qu'il va craquer, je le connais. J'ai envie de lui parler mais j'ignore quoi dire. Il répond alors à ma question.
- J'ai cru que tu t'étais suicidée. J'ai cru qu'on t'avait perdue pour toujours. J'ai cru que tu étais morte.
Ses derniers mots me frappent de plein fouet. Il a eu peur pour moi, pour ma vie. Il est mal à cause de moi.
- Je suis terriblement désolée de vous infliger tout cela. Je suis désolée de vous faire du mal.
Mon âme voudrait pleurer mais je n'y arrive pas. Je suis encore beaucoup trop sonnée. Erwan s'apprête à dire quelque chose mais le médecin le coupe en proposant à tout le monde de sortir.
- Il lui faut du repos. Beaucoup de repos.
Ma mère ainsi qu'Erwan et mon père m'embrassent et sortent de la pièce. Les infirmières s'en vont aussi mais le psychologue reste.
- Je croyais que je devais rester seule et au repos ? Je fais remarquer.
- Oui, conteste le médecin, mais une petite séance de bavardage ne te fera pas de mal.
- Je n'appelle pas cela du repos.
- Ça ne durera pas longtemps, ne t'inquiète pas.
Et il part, me laissant là, avec l'homme chauve. Génial. Pourquoi s'acharne-t-on sur moi ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top