☠ Chapitre 27 ☠
Le trajet dans la voiture est silencieux. Je suis dans l'habitacle avec ma mère, Margaux et Lylou mais aucune de nous ne parle. Trop de questions se bousculent sans cesse dans mon esprit et j'ai dû mal à faire le point. J'ignore même ce que je vais pouvoir dire quand je serai devant tout ce monde. Mais une chose est sûr : je vais enfin me montrer au grand jour.
Lorsque nous arrivons devant la grande salle qui borde notre ville, je sens mes jambes flageoler. J'ai l'impression que je vais m'effondrer d'une seconde à l'autre. J'ai la tête qui tourne et le corps brûlant dans ma petite robe noire. Une foule de personnes se trouve déjà devant le grand bâtiment, même une heure et demi avant la cérémonie. Dès qu'ils nous voient, les journalistes accourent vers nous avec une tonne de questions. Ma mère joue des coudes pour nous faire passer dans cet amas de personnes et la famille de Sarah lui vient en aide. Malika, sa mère, nous fait entrer dans le bâtiment et elle nous explique que les journalistes ne sont pas encore invités à entrer. Nous sommes tranquilles encore quelques temps.
- C'est vous que j'attendais, commence Malika en nous traînant à travers la salle.
Celle-ci est remplie d'une multitude de chaises de tous les côtés. Il y en a à droite et à gauche et c'est un couloir de quelques mètres qui les sépare. Rapidement, j'aperçois aussi une longue table, complètement poussée sur le côté, remplie de verres.
- Voilà, vous êtes ici, posez toutes vos affaires. Je vais maintenant aller chercher ton mari et tes fils, dit Malika en s'adressant à ma mère.
Mais derrière son sourire rassurant, je vois chez la mère de ma meilleure amie un voile de tristesse. Le voile d'un enfant défunt. Le voile qui ne partira plus jamais.
Nous sommes au premier rang, en face de la grande scène qui s'étend juste devant nous. Seulement quelques pas me séparent à présent d'elle. Je souffle doucement avant de m'asseoir. Ma sœur, elle, est allée retrouver une amie, Margaux est allée aux toilettes et ma mère est partie chercher de l'eau. Je me retrouve donc là, seule, au premier rang, à contempler l'immense estrade se tenant devant moi, comme un gigantesque monstre, prêt à me sauter dessus.
- Allison ?
La voix résonne lointainement mais elle arrive malgré tout à me sortir de ma rêverie. Je tourne la tête vers mon interlocuteur et lui fait un semblant de sourire.
- Bonjour Mathis.
Par pur réflexe, j'ai failli lui poser la fameuse question « comment vas-tu ? ». Mais à quoi bon ? On connaît tout les deux la réponse.
- Tu tiens le coup ? je demande au grand frère de Sarah en l'invitant à s'asseoir à côté de moi.
Il est vêtu d'un costume et d'une chemise noir, très classe. Il l'a toujours été de toute façon. Apprêté dans toutes les circonstances.
- Ai-je vraiment le choix ? Je veux dire... Avons-nous vraiment le choix, tu penses, Allison ? soupire-t-il doucement en laissant tomber ses bras entre ses cuisses, les mains jointes.
- Non... On subit juste.
J'ai le regard perdu devant moi. Nous n'osons pas nous regarder, par peur de briser le peu d'apaisement qu'il nous reste.
- C'est quand même fou, je dis tristement. C'est fou comme, du jour au lendemain, tout peut se passer. On vit chaque jour en étant persuadé de se réveiller le lendemain. Mais c'est faux. Là, regarde, on est ici, assis pour participer à un mémorial et, si ça se trouve dans deux minutes, notre cœur va s'arrêter de battre et on mourra.
- La mort n'attend pas, renchérit-il. La mort nous guette et, lorsqu'on se retrouve entre ses griffes, on ne peut s'en sortir.
Je me tourne vers Mathis, plongeant mon regard dans ses prunelles azurs.
- Mais tu sais, je continue. La mort ne doit pas être aussi moche et cruelle qu'on le dit.
- Pourquoi ? m'interroge-t-il en haussant les sourcils.
- Parce que personne n'en est jamais revenu. Alors, je me dis que se doit être tellement beau, la mort, que personne ne veut revenir vivre ici, sur Terre, là où vivent les plus cruels des monstres : les Hommes.
Un petit rire sort de sa bouche, un véritable rire.
- J'aime beaucoup ta façon de voir les choses, Allison. Enfin... En espérant que tu aies raison. Allez, je te souhaite bonne chance ma belle.
Il embrasse ma joue et je le remercie pour sa présence ici, pour sa défunte sœur. Margaux revient alors et s'assoit à la place où Mathis se trouvait quelques secondes avant. Elle me pose quelques questions sur lui auxquelles je réponds vaguement. Alors, les minutes passent et les gens défilent. Ils me souhaitent bonnes chances, me font des accolades ou me montrent leurs soutiens. Pour ceux qui ne m'ont pas encore vu depuis l'accident, les conversations durent un peu plus longtemps. J'essaie toujours de répondre par des sourires mais cela devient compliqué. Plus l'heure de la cérémonie approche, moins je suis à l'aise. On nous annonce alors que les journalistes et cameramans peuvent alors entrer dans la grande salle, un quart d'heure avant les commémorations. Mon corps se crispe à ce moment-là et je maudis plus que tout les journalistes. À peine sont-ils entrés et pris place qu'ils commencent déjà à interroger les proches et amis des victimes des attentats.
- Garde ma place, je dis à Margaux en m'en allant discrètement à travers la foule.
Je me faufile comme une anguille pour aller retrouver le proviseur de mon lycée et ami de mes parents.
- Bonjour, Monsieur, je dis poliment.
- Oh, bonjour Allison. Tu vas mieux à ce que je vois, non ?
- J'essaie, en tout cas, je déclare en haussant doucement les épaules.
Avant de continuer, je jette un coup d'œil vers les journalistes, au fond de la salle et vois plusieurs caméras braquées sur nous. N'ayant aucun moyen d'aller parler à l'abri, je décide de reprendre la conversation.
- Je voudrais vous demander une faveur, Monsieur.
Il croise ses grands bras en me regardant avec son sourire protecteur.
- Que puis-je faire pour toi, Allison ?
- J'aimerai reprendre les cours. Je veux retourner au lycée.
Ma requête semble le surprendre mais il acquiesce, tout sourire.
- Bien sûr que je ferai cela pour toi. Tu veux reprendre dès demain, mercredi ? Ou la semaine prochaine ?
- Lorsque tout sera prêt, je réponds simplement.
Il n'assimile pas instantanément le sens de ma phrase, ça se voit à son expression. Mais l'information lui monte au cerveau et il comprend que je parle de mon changement de classe.
- Je te tiendrai alors au courant. Je viendrai te voir la veille pour que tu aies déjà tout ce qu'il te faut.
- Merci beaucoup.
Nous continuons notre conversation en changeant de sujets mais, un homme que je ne connais pas nous coupe la parole pour nous inciter à rejoindre nos places car la cérémonie va commencer d'une minute à l'autre. Je quitte alors le proviseur et m'engage dans le grand couloir central ou quelques personnes traînent encore et, où les journalistes ont une très bonnes visibilités. En traversant ce fameux couloir, je sens les centaines de regards sur moi ainsi que les caméras. Je sens mon corps trembler et j'ai l'impression que je vais m'écrouler d'une seconde à l'autre. Lorsque j'atteins enfin ma place, c'est comme une libération. Je me retrouve alors entre Margaux et ma mère, qui a déjà sorti le paquet de mouchoirs.
- Tu lui as demandé quoi au proviseur ? me questionne Margaux à voix basse.
J'ouvre la bouche pour lui répondre mais un homme, qui se présente comme l'organisateur de ces commémorations, me coupe une nouvelle fois la parole. Par un regard, Margaux comprend que je lui raconterai tout après.
- Bonjour à tous et à toutes, commence l'organisateur. Merci d'être venus aussi nombreux à ce mémorial pour rendre hommage aux victimes des attentats du Pont qui nous ont tous touchés, il y a un mois et demi. Merci aux familles et aux amis d'être présents aujourd'hui.
La salle est plongée dans un silence de mort. Tout le monde écoute l'organisateur d'une oreille très attentive.
- Je pense maintenant qu'il est de mon devoir de vous laisser la parole. J'ai ici une liste, nous montre-t-il, avec différents noms.
Il jette alors un coup d'œil furtif vers sa feuille avant de continuer :
- Tout d'abord, je vais appeler Monsieur le Proviseur, comme tout le monde l'appelle. Monsieur, si vous voulez bien prendre place devant le pupitre.
Notre cher proviseur s'avance avec un mine impassible. Ça se sent qu'il est habitué à ne laisser paraître aucune émotion. Mais à l'intérieur, il est triste, ses yeux parlent pour lui. Il monte doucement les marches qui mène à la scène et s'impose, face à nous, devant le micro. Il regarde quelques secondes dans le fond de la pièce, soupire une dernière fois et commence :
- Une belle tragédie, souffle-t-il en attendant quelques secondes. S'en prendre à des élèves, à des enfants, à des êtres humains avant tout, c'est une horreur qu'aucun Homme ne devrait subir.
Sa voix tremble, on l'entend distinctement. Des personnes se mouchent dans la salle, les commémorations ont enfin commencé.
Alors, les discours s'enchaînent. L'organisateur appelle les gens un par un, tous ne parlent pas. Ce ne sont que les familles, des amis parfois. Mathis, le grand frère de Sarah fait aussi son discours, plus long que les autres d'ailleurs. Il me touche ce garçon. Je l'ai toujours admiré, depuis que je suis petite. Perdre sa petite sœur et garder autant de prestance, c'est quelque chose que je lui envie.
- Mais relevons-nous. Nos frères, nos sœurs, nos amis sont à présent devenus des Anges. Ils veillent maintenant sur nous, finit-il en baissant respectueusement la tête.
Nous applaudissons devant tant de beauté. Il semble légèrement gêné mais retourne à sa place, doucement, comme tous les autres avant lui. Enfin, déjà deux heures sont passés depuis le début de la cérémonie et pourtant, j'ai l'impression que chaque nouvelle personne qui parle est la première. Je suis autant attentive à ses paroles que le reste de la salle. Alors, lors de la transition de discours entre le père de Garance et la mère de Dylan, j'entends une petite voix, derrière moi, qui me chuchote à l'oreille :
- Ça va bientôt être à ton tour, ma belle. Bonne chance.
Je me tourne et reconnaît la voix douce de la maman de Nathan. Je lui souris, contente qu'elle soit présente parmi nous.
- Merci, je dis doucement à Cathy en me retournant.
Lorsque le discours de la mère de Dylan se termine et que les applaudissements retentissent. Une boule vient se former au creux de mon ventre. Et quand l'organisateur commence à parler, je sens le monde devenir flou autour de moi :
- Et pour finir, j'aimerai accueillir cette jeune demoiselle courageuse qui a survécue à ces attentats. Allison Conor, tu peux venir prendre place...
Tous les regards sont tournés vers moi. J'essaie d'oublier quelques instants la présence des caméras et me lève de ma chaise sous les encouragements de ma mère. Je monte alors sur la scène et fais face à tout ce monde. Pareille au proviseur, je regarde dans le fond de la salle avant de commencer.
- Je voudrais d'abord commencer par le fait que je ne suis pas une personne courageuse. Ceux qui sont décédés le sont. Ils ont fait face à la mort avec un courage inouïe. Moi je n'étais que spectatrice. J'étais sous ce pont, à entendre les hurlements, les cris et les massacres se continuer perpétuellement. J'ai peut-être reçu un couteau dans l'abdomen mais il y en a qui ont reçu une balle entre les yeux. Alors non, je suis loin d'être courageuse. Ceux sont eux, Sarah, Dylan, Garance et tous les autres qui sont de vaillants guerriers, pas moi.
Mon ton est légèrement monté en crescendo. Je me calme alors d'un seul coup. Bien décidée à exprimer ce que je ressens.
- Vous savez, lorsque je me suis réveillée, j'étais perdue. J'ignorais ce qui m'était arrivé pour que je sois dans cet état. Alors on m'a expliqué. Tout. Maman m'a parlé des attentats, des décès et de Nathan. Et je n'ai pensé qu'à une seule choses à ce moment-là : la mort. Je voulais mourir aussi. Je voulais les rejoindre au Paradis.
Je croise le regard de ma mère, complètement en larmes.
- Imaginez que votre vie est une tour. La Tour Eiffel, par exemple. Vous tenez sur quatre pieds, quatre supports. Un support représente votre famille, un autre votre petit-ami, le troisième vos amis et, le dernier, votre état d'âme.
Je pose doucement mes mains sur le pupitre avant de reprendre :
- Imaginez que l'un des supports s'écroulent et que deux autres menacent de s'effondrer à tous moments. Vous comprenez ? La Tour ne tient plus et commence à basculer. C'est ce qui s'est passé pour moi. J'ai perdu mes amis et ma vie a commencé à basculer dans le vide de la mort. C'est tragique, à mon âge. Mais je m'y suis résolue. Je ne pouvais pas mourir en sachant que j'avais une famille derrière moi. J'ai deux grands frères qui me protégeront toujours, moi-même j'ai une petite sœur à protéger et j'ai des parents qui m'aiment. Qu'est-ce que je pourrai demander de plus ?
Un petit sourire se dessine sur mon visage.
- Alors je m'y suis enfin résolue. J'ai compris que ces attentats ne devaient pas me détruire mais me reconstruire. Et j'en sors plus grande encore. Je n'oublierai jamais, ô grand jamais cette période de ma vie, mais je vivrais avec. Je le sais et je m'en fais la promesse. Il y aura toujours cette fois, dans notre vie, où restez fort est la seule option qui s'offre à nous. Et pour moi, pour nous, c'est aujourd'hui. Nous nous devons d'être forts pour nos frères, nos amis, nos enfants et nos parents.
Et les applaudissements retentissent. C'est la fierté de dizaines de jours à pleurer, à sombrer dans la dépression. Aujourd'hui je souris. Je souris à la vie et à ce qu'elle a encore à m'offrir.
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Un long chapitre qui j'espère vous a plu 😘
Aussi, je voulais vous prévenir qu'avec mes révisions pour le BAC et mon 3ieme trimestre qui commence je n'ai plus trop de temps pour écrire 😕 alors advienne que pourra pour les prochains chapitres ❤
Encore désolée et pleins de bisous à vous 😍
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