☠ Chapitre 15 ☠
Je regarde ma mère et me retourne en me levant de la chaise sur laquelle j'étais assise. Mon corps est tremblant mais je trouve malgré tout la force de demander à mon père :
- Qui est au téléphone ?
- Tu verras bien, Allison.
Je déteste ce genre de réponses, mais avec mon père, on va dire que j'y suis habituée. Alors je lui lance un regard débordant de reproches et m'avance dans la pièce qui se trouve en face de la salle à manger : le bureau. Mes pas sont petits. J'ignore qui se trouve de l'autre côté du combiné et ça me stress d'autant plus. Je n'aime plus parler aux gens, que ce soit ma famille, mes amis ou même des étrangers.
J'entre dans la pièce et vois le téléphone déposé sur le bureau. Il en sort une voix lilliputienne et, j'aurai rigolé si cette scène n'était pas grave pour moi. Je m'empare de la chaise de bureau, m'installe et colle le téléphone à mon oreille :
- Allô ? je dis pour que la personne sache que je suis à présent là.
- Oh, Allison ! Comment vas-tu ma Chérie ?
Je reconnais immédiatement la voix de ma grand-mère du Sud de la France. J'éloigne le combiné pour souffler un peu. Mes conversations avec elle sont souvent interminables mais positives. Pas que ça me dérangeait avant, mais aujourd'hui oui, ça me dérange. Étant donné que c'est ma grand-mère, je ne peux pas la renvoyer bouler alors je réponds :
- T'es sûre que c'est la question que tu voulais poser Mamy ?
- Non, excuse-moi ma Chérie, c'est une erreur de ma part... Ça se passe comment tes journées ? Je suis venue prendre un peu de tes nouvelles. Tu nous manques énormément ici.
Je me cale dans le fauteuil de cuir et réponds :
- Mes journées ? Et bien... Je me lève à des heures plutôt correctes, ensuite je m'occupe comme je peux et, à partir de seize heures je sors.
- Tu sors ? s'étonne ma grand-mère.
Je m'empresse de lui répondre, les larmes aux yeux :
- Pas comme tu le penses ! Je vais à l'hôpital voir Nathan... Je reste avec lui jusqu'à dix-neuf heures et ensuite je vais voir mon psy.
- Oh, je vois... Au moins ça te fait sortir un peu, c'est déjà bien ! Et... ça se passe bien avec ton psychologue ? Il t'aide ?
Je me mords involontairement la lèvre :
- Oui, il est super gentil ! S'il m'aide ? Oui, beaucoup, je vais mieux grâce à lui.
Mais je m'attendais à tout sauf à cette réponse de la part de ma grand-mère :
- Je vois Allison, tu n'as même plus confiance en ta pauvre grand-mère. Pourquoi tu me mens ? Je suis au courant que tu ne parles pas à ton psy, que vous vous regardez dans le blanc des yeux pendant des heures.
« Tuez-moi ! Tuez-moi ! Mais qu'est-ce que je suis débile ! C'est ma grand-mère, pourquoi je ne lui dis pas la vérité, comme je l'ai toujours fait ? ».
Devant mon mutisme, elle décide d'enfoncer le clou :
- Je sais que tu es au plus mal, Allison. Tu auras beau dire tout ce que tu voudras, je le sais. Tu ne manges plus, tu broies du noir à longueur de journée, tu as des sauts d'humeur... Autant dire que tu es dépressive !
- Je ne suis pas dépressive, je dis en articulant bien, et plutôt sur la défensive.
- Alors, comment se fait-il que tu ne manges plus ? Que tu préfères rester seule dans ta chambre que de voir ta famille ? Que tu refuses qu'on t'accorde de l'attention ? Allison, je te connais comme si je t'avais faite ! Cela se voit même dans ta voix tremblante que tu es mal ma Chérie... Le fait que tu m'aies menti à moi, ta grand-mère, en atteste.
J'en ai marre ! Les larmes coulent toutes seules pendant le monologue de ma grand-mère. C'est la seule qui essaie de me comprendre entièrement et qui cherche à savoir. Elle ne se satisfait pas de mes réponses et cherche plus loin. La preuve, elle vient de me faire craquer. Pas forcément de tristesse, mais de joie. C'est la seule qui vient de chercher le fin-fond de mes pensées, malgré le fait que je lui ai répondu méchamment.
Á présent, ce sont des torrents qui coulent sur mes joues creuses. Ma grand-mère ne disait plus rien jusqu'au moment où elle décide de continuer :
- J'ai appris qu'il y avait les commémorations des victimes après-demain. Je viendrais, seule. Je veux te voir ma Chérie. Je me fais un sang d'encre pour toi, tu ne peux pas imaginer. De plus, il me faut une conversation de vive voix avec toi. Souvent, les parents ne sont pas les plus aptes à aider leurs enfants. Les grands-parents ont aussi leurs mots là-dedans.
Je hoche la tête avant de me rendre compte qu'elle ne peut pas le voir.
- Je t'aime Mamy...
- Je t'aime aussi Allison ! Maintenant sèche tes petites larmes et relève-toi. Lève la tête et montre au monde entier comme tu es une fille forte !
Et sur ses mots, je me lève du siège et incline la tête de façon à ce qu'elle soit droite et bien levée.
- Merci pour tout ce que tu fais pour moi... Tu m'as redonné une force que j'avais perdue. Merci... !
Elle m'embrasse à travers le combiné et me promet d'arriver demain, dans la soirée. Malgré ça, je suis persuadée que ma mère est déjà au courant et qu'elle a même peut-être préparée la chambre d'amis. Ma grand-mère n'a toujours pas raccroché, elle attend que ce soit moi qui le fasse. C'est ce qu'on a toujours fait. Alors, je respire un bon coup et replace le téléphone sur son support. C'est fini. J'ai tellement de choses à dire à ma grand-mère. Des choses que je n'ai dites encore à personne. Mais j'attends de l'avoir face à moi pour lui en parler. N'empêche, je ne la remercierai jamais assez pour tout ce qu'elle fait pour moi. Ce n'est pas la première fois d'ailleurs. Dans ma période "crise amoureuse", lorsque j'avais fait la soi-disant erreur de quitter Romain pour Nathan, c'était ma grand-mère qui avait été là pour moi. J'avais essayé d'en parler à ma mère mais elle me rembarrait, trop occupée par le travail.
Je suis toujours debout, la tête haute, prête à affronter le monde. Mais cet espoir s'amenuise au fur et à mesure que le temps passe. J'ignore combien de temps je reste là, à regarder le mur, mais c'est Erwan qui me sort de ma rêverie en posant sa main sur mon épaule. Je sursaute légèrement face à son geste.
- On a terminé le repas, m'apprend-il. Maman t'a mis ta salade de côté si tu souhaites la finir...
- Non, c'est bon, je n'en veux plus, je dis tristement.
Je me retourne pour repartir quand mon frère me pose une question indiscrète :
- Elle te voulait quoi Mamy ?
Ils savent tous qu'il ne faut jamais poser cette question. Tout ce qui se passe entre Mamy et moi, ça reste entre nous. Tout le monde le sait.
- Pourquoi tu me poses cette question ?
- Pour savoir...
Les yeux vides d'expressions, je lui réponds sur le ton de la reproche :
- Elle ne voulait que mon bien...
Et je quitte les lieux, laissant mon frère hésitant dans le bureau. Je décide de monter mais une réflexion vient pointer le bout de son nez et je décide d'aller confirmer mes doutes. Alors, je me rends dans la cuisine où ma sœur et ma mère se trouve et je déclare :
- Mamy du Sud vient à la maison dans la soirée de demain. Mais ça, je pense que tu le savais déjà ? Je me trompe ?
Ma sœur commence à s'exciter. Elle aime autant que moi notre grand-mère même si elle est plus proche de notre autre grand-mère, celle qui habite dans notre ville.
- Oui, je le savais, elle m'en avait parlé. Mais elle voulait que ce soit elle qui te l'annonce.
- D'accord...
J'allais partir quand elle me pose la même question que mon frère juste avant.
- Mais qu'est-ce que vous avez tous à me poser cette question ? Vous ne l'avez jamais fait avant. Pourquoi faut-il qu'il y est un accident pour m'interroger sur ce genre de questions ?
- Mais...
Ma mère est complètement démunie face à mes questions. Je me sens quelque peu coupable de mes sauts d'humeur comme celui-là, mais je reste, malgré tout, impassible. Maman me fait presque peur ; avec son regard sans vie, ses traits creusés, ses cernes, elle me fait penser à une revenante.
Alors, pour couper court à nos pensées communes, je décide de lui claquer un bisou ainsi qu'à ma sœur, en leur souhaitant une bonne nuit. Elles me rendent la pareille et je monte doucement les escaliers, tel un robot. Je croise le regard d'un de mes frères en passant. Je baisse automatiquement les yeux. J'ai honte. Honte de tout ce qu'ils peuvent vivre au quotidien à cause de moi.
Lorsque j'arrive quasiment à la fin de la montée des marches, ma mère s'avance dans le vestibule et crie :
- Je t'ai mis ton sac dans ta chambre !
Je hoche la tête en me tenant à la rambarde. La peur de tomber ? Peut-être. Après tout, j'ai fait une chute d'une dizaine de mètres par dessus un pont. C'est comme pour l'eau. Il y a quelque chose qui se passe en moi et qui m'empêche d'être complètement libre dans mes gestes. Ce sont comme des réflexes.
Je remonte après m'être arrêtée en me demandant de quel sac elle parle. Lorsque j'entre dans ma chambre et que je referme la porte, je m'effondre au sol, en pleure. Je pleure de joie ! Je comprends enfin que les choses vont changer pour moi, que je vais enfin retrouver un peu de goût à la vie. Je viens de me rendre compte à quel point ma grand-mère est importante pour moi et, à quel point elle est la seule à pouvoir m'aider. C'est quelque chose d'inexplicable. Ma grand-mère et moi avons une relation fusionnelle, tellement que nous nous aidons l'une et l'autre dans toutes circonstances. Depuis que je suis petite j'ai cette fusion avec elle. Lorsque j'avais dix ans, j'ai consolé ma grand-mère pendant des semaines après la mort de mon grand-père. J'étais triste et pourtant, je l'ai quand même aidée à surmonter cette peine.
« Nous serons toujours là l'une pour l'autre ». C'est notre promesse et je compte la tenir à vie.
J'entends des bruits dans le couloir mais personne ne se décide à venir me voir. Ils doivent appréhender de venir me voir, ne sachant probablement pas comment je vais réagir. Mais après mes réflexions, je me relève doucement et m'adosse à mon lit, cherchant mes repères. J'ai les mains plaquées sur ma tête et je tire légèrement mes cheveux pour essayer de sortir toutes ces idées noires qui m'envahissent sans arrêt.
Mais alors que je pense tomber de sommeil, je me rends compte qu'il n'en est pas du tout question. Mes yeux veulent rester ouverts. Alors, tant bien que mal, je me redresse et m'assois sur le bord de mon lit. Je regarde la totalité de la pièce de mes yeux perçants, la lumière de ma chambre m'éblouissant. Mais je l'oublie au moment où mes yeux se posent sur un sac, plutôt petit, placé avec soin sur mon bureau, à côté de mon ordinateur.
Curieuse comme je ne l'ai jamais été, je me précipite, presque en courant, vers ce sac qui symbolise le Graal. Je m'en empare et me laisse littéralement tomber sur mon lit, avec le sac. Je l'ouvre presque trop précipitamment, des papiers de toutes sortes en tombent.
Ce sont les centaines de lettres qui m'ont été envoyées qui se trouvent dans ce sac...
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Un de mes chapitres préférés, allez savoir pourquoi ! 😂 sinon, j'espère qu'il vous a plu, il est plus long que les autres aussi ! 😏
Voilà voilà, j'espère que vous avez passé une excellente rentrée et je vous dis à la prochaine, bye 😘
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