XX. Welcome to the States !
- Passeport !
C'est le seul mot que je comprends de ce que vient de me hurler le Pitbull qui se tient devant moi, très droit derrière son guichet. Pitbull ou Doberman ou un croisement des deux, ne soyons pas sectaire ! Les mâchoires proéminentes, le nez épaté, les yeux mauvais, il inspecte mon passeport sous toutes ses pages : ses yeux font des allers retour entre ma photo et ma tête fatiguée par la fiesta d'hier soir, le violet du visa indonésien obtenu à Denpasar l'accapare quelques longues secondes, il lorgne longuement devant le tampon d'entrée en Tunisie (quelle idée j'ai eu d'aller fêter l'enterrement de vie de jeune fille d'Audrey à Djerba ! Avec l'écriture arabe, il va sûrement me prendre pour une terroriste). Mais non, c'est Mexico entouré d'un carré bleu foncé à la page d'après qui semble le plus l'intriguer.
– ouèr iz zi exit steumepe ?
– Aïe ame sorry, aïe donte spik inglishe, je réponds à son baratin encore plus chewingumé qu'Amy en pleine discussion avec Pat.
– HERE !, me crie-t-il en me montrant le tampon du Mexique. Mexico, today ? Flight ?
– Yes, aïe come frome Mexique. Directe flaïte ire. Los Angeles.
– Ao come you don tave ze steumepe, insiste-t-il en me montrant le tampon d'entrée et la date d'entrée ?
Je le regarde, désespérée, en cherchant de l'aide autour de moi. La petite dame qui gère la file d'attente, une petite latinos rondouillarde, qui a sûrement entendu mon cri télépathique de détresse (je progresse en télépathie ! Ou simplement c'est ma mine complètement déconfite qui lui fait pitié) s'approche pour m'aider.
– Wat are you douineg ir, ail néveur asque you tou come, you choude respecte eu police ofisoeur, lui rugit-il, la bave lui sortant presque de ses dents acérées.
– Aîe ame sorry, aïe donte anderstande ze probleme, dis-je, avec ma petite voix la plus niaise possible. Espérons qu'il soit sensible au charme de la petite française fragile, mais j'ai comme un doute. Non parce que ce serait vraiment idiot de me faire refouler à la frontière américaine. Et de faire renvoyer cette gentille petite dame avec, par la même occasion.
– Vengo de Mexico, j'explique à la petite dame. Avión, directo desde La Paz ciudad.
– De acuerdo. No se preocupe.
La petite dame prend les choses en main. Je la regarde expliquer calmement une subtilité qui apparemment m'échappe concernant le tampon mexicain, car Pitbull lâche enfin mon passeport pour se concentrer sur l'ESTA, cette autorisation imprimée depuis internet, autorisation pour avoir le droit de demander une autorisation d'entrer sur le territoire américain, sorte de visa qui n'en n'est pas un mais qui coûte quelques dizaines de dollars quand même (ça fait cher la feuille A4).
Ca fait deux heures que je fais la queue dans ce grand hall cubique sombre et mal insonorisé, deux heures et trois minutes exactement à poireauter debout puis assise et enfin affalée sur la moquette bleu marine aux motifs rouges, qui a été piétinée par tant de passagers en transit.
Deux heures pour un tampon d'entrée, qui devrait être une formalité pour moi qui n'ai aucune velléité d'immigrer clandestinement, de fomenter un attentat ou de tuer le président des Etats-Unis, comme je l'ai spécifié en cochant les bonnes cases du formulaire.
Deux heures à stresser pour ma correspondance finalement assez courte vers Hawaï.
A observer comment les autres passagers tuent le temps et cachent leur exaspération.
A me passionner pour le travail consciencieux de la petite dame pour réguler la file d'attente.
A avancer de quelques centimètres.
A essayer de deviner d'où viennent les passagers.
A assister à une demande de renseignement d'un passager (sûrement à propos d'une correspondance) et à la réponse toute en finesse de l'administration. D'un côté un porto-ricain bien tranquille, de l'autre un personnel de l'aéroport vite rejoint par un agent de sécurité.
D'un côté des palabres et des questionnements à propos de cette attente inhabituelle et peut-être une petite dose d'énervement ; de l'autre une réponse toute faite et inappropriée.
La chaleur des rapports humains, la Caraïbe, son soleil et son rhum vs. la loi froide de l'uniforme repassé au millimètre.
Un type qui parle tout autant avec la bouche qu'avec le corps et surtout les mains vs. un planton droit comme un I majuscule.
Tout tactile qu'il est, le porto-ricain, dans l'élan de la discussion, commet l'irréparable, le crime de lèse-majesté : sa main vient frôler l'épaule du I majuscule. Au lieu de s'émerveiller de ce point qui viendrait arrondir sa raideur, I majuscule prend des grands airs, « allez, fissa, sortez de la file monsieur, veuillez me suivre au poste, tout de suite ! Quick ! » (Enfin, c'est ce que j'ai cru comprendre). Exit le porto-ricain, exit la chaleur humaine, vive l'ordre et la loi !
Bref, deux heures de ma vie gaspillée ! Moi qui n'aime pas perdre mon temps !
Tiens, ça devrait être inscrit dans les données biométriques du passeport, à côté du dessin des empreintes digitales : n'aime pas perdre son temps, n'aime pas le chocolat, n'aime pas le foie gras ni les salsifis. Et à chaque renouvellement du passeport, on incrémente les détails : a été vue reprenant du gâteau au chocolat. Mais je maintiens, je suis sûre qu'il y avait du Nutella dans le gâteau de Christelle. Si un jour je reviens en France, il faut vraiment que je lui demande ...
Tiens, si un jour je reviens en France et pas quand je reviendrai en France.
Pitbull ayant reposé mon passeport, je le reprends, histoire de gagner du temps, parce que c'est pas le tout, mais ces formalités à n'en plus finir vont me faire louper mon avion.
ERREUR ! A peine ai-je mis la main dessus, que Pitbull me hurle un truc en montrant ses gallons puis le drapeau américain qui flotte au dessus de sa tête. Je repose le passeport, parce que je n'ai pas envie de finir au poste avec le Porto-Ricain et I majuscule. Ma mère m'a toujours dit qu'il ne fallait pas brusquer les personnes handicapées mentales, j'aurai dû le comprendre de suite quand j'ai vu le phénomène. Pitbull reprend violemment mon passeport en continuant à me crier des mots en chewing-gum, que la petite latinos me traduit tranquillement en espagnol, avec un grand sourire, un peu désolée quand même.
Guidée par sa voix douce, je pose, sans broncher, mon index droit sur le boîtier qui se trouve sur le comptoir, puis le gauche, je regarde droit dans la caméra postée devant moi, surtout en ne souriant pas me confie-t-elle et j'attends que Pitbull veuille bien me libérer.
Ce qu'il fait dans un grognement de dédain en me jetant l'ESTA et le passeport sur le comptoir.
Ca y est, je peux le reprendre maintenant ?
- Bienvenido in Estados Unidos, me souhaite gentiment la petite latino avec un œil moqueur pour Pitbull.
- Muchas gracias senora, que le vaya bien.
Allez Estelle, vite, ne rate pas l'avion !
Les bagages, Où sont ces p... de tapis roulants à bagages ?
Après des couloirs, des escalators, re des couloirs, me voici dans une salle gigantesque à attendre, devant un tapis roulant, ma valise pas pressée d'arriver. A côté de moi, ça cause une langue des pays du nord, avec plein de keuh, de rrrheu et de yô. Ces gens sont vraiment grands et blonds, comparés aux passagers de mon avion.
Mais où sont les mexicains qui étaient assis à côté de moi ?
- Excuse mi, je demande à un type assez mignon, ze plène, it is from ouhere ?
Le mec me regarde comme si j'étais la dernière des connes et me lance, avec un regard qui signifie « évidemment » :
- Oslo.
Effectivement, je suis la dernière des connes.
Mais pour ma gouverne, aucun panneau n'indique le vol.
Pas le temps de baratiner le norvégien, le mode drague ce sera pour une autre fois.
Je me faufile donc plus loin dans la salle, à la recherche de ma valise, mais aucun vol en provenance de La Paz.
- Excuse mi, je demande à une femme en uniforme (sans galons), bagage frome la Paz, Mexico, ouhere ?
- Which compagny, chewingume-t-elle ?
Voilà le hic : je ne suis pas dans la bonne salle. Fallait le savoir, chaque compagnie a sa salle. On ne mélange pas les torchons avec les serviettes aux states !
Je file donc en mode Usain Bolt dans la direction indiquée et j'arrive dans un hall qui a des airs d'usine en construction. Dépouillé de toute décoration. Dépouillé de tout d'ailleurs. A part les tapis roulants. Et là, sur sur l'un deux, se promène, peinarde, ma valise.
Seule.
Le point positif, c'est que les douaniers ayant déjà leur quota de contrôle, je traverse sans soucis la ligne « nothing to declare ». Pas peu fière de m'en tirer si facilement (ou presque).
Bon maintenant :
Filer vers le terminal 5 (j'ai appris le numéro par cœur pendant l'attente interminable), via un petit bus qui tarde à arriver.
Trouver le guichet d'enregistrement dans ce hall hyper bruyant et grouillant.
Faire la queue pour rien parce que l'enregistrement se fait à la machine (grrr).
Batailler avec la machine automatique parce qu'elle ne veut pas me prendre le bagage.
Me rendre compte que c'est moi qui n'ait rien compris aux instructions (pourtant elles étaient en français).
Me faire speeder par une hôtesse parce que l'avion va bientôt partir.
Sprinter jusqu'à la porte d'accès à la zone d'embarquement.
Squizzer la queue à coup de « sorry, plèyne, naow, lèyte, plize, plize, plize».
Bref, j'assure, je suis dans les temps.
Ric-rac, mais ça peut le faire.
Mes affaires enfin sur le tapis roulant (téléphone, ceinture, chaussures, veste, sac à main, lunettes), je m'apprête à passer le portique de sécurité avec la même fierté que j'affichais à l'école quand je récitais ma poésie que j'avais apprise par cœur, quand une main ferme me barre le passage : une blondasse aux cheveux flasques et au format Weightwatcher avant régime, boudinée dans le pantalon beige et le pull informe de l'uniforme , m'ordonne de repartir dans la queue.
Elle a craqué ou quoi ?
- Plène naow, je lui dis avec mon accent le plus anglais possible et en lui montrant mon billet. Lèyte! Loupé sinon ! Louk, haour of embarkment. Pipole, tous OK.
Elle ne veut rien entendre, m'enlève mes trois plateaux du tapis roulant et me pointe le bout de la file.
- C'est pas possible, note possibeule, tu peux pas me faire ça ! Mais vous avez quoi contre moi dans ce pays ? Mais c'est quoi le problème ? Siouplé m'dame ...
Est-ce mes larmes qui commencent à couler sur ma mine incrédule ou le bouchon qui commence à se former ? Le monsieur derrière moi, costard impeccablement plié dans son plateau à côté de son ordinateur et de son téléphone portable, intervient, et tel Zorro, mouche de quelques phrases la sergente Garcia, qui me laisse passer contre son gré le portique de sécurité qui ne moufte même pas.
O merci Don Diego de Las Vegas (expert en assurances) ! Grâce à ce geste, tu me permets de faire rentrer illégalement sur le sol de ton pays une petite mexicaine, te rendant ainsi complice d'un trafic d'être humain.
Bon, c'est pas le tout, mais il me reste encore à godiller entre les gondoles d'alcools, de parfums et de Toblerone qui obstruent volontairement le passage vers ma porte d'embarquement.
- Last Call for Hilo, Mister Lee John and Miss Ritcharde Istel, please proceed to gate number fiftyfour.
C'est haletante et transpirante que je tends ma carte d'embarquement à l'hôtesse. C'était moins une : juste après moi, elle ferme la porte en me faisant signe de me presser.
Je me retrouve dans le sas, emboîtant le pas à un vieil asiatique en chemise à fleurs, sûrement John Lee.
En franchissant la porte de l'avion et en entendant l'hôtesse me souhaiter un « welcome on board », je sens mes nerfs imploser et mes jambes me lâcher. Plus besoin de devenir championne olympique du marathon, je viens d'en vivre les sensations.
Et accessoirement d'avoir l'air hyper con devant 150 passagers qui regardent la retardataire s'écrouler en pleurs en entraînant dans sa chute sur le couloir étroit de l'avion un pépé japonais.
Dans la famille Discret, je voudrais la (vieille) fille !
-------------------------
Tiré de faits réels.
Un conseil : surtout ne JAMAIS esquisser un sourire (alors une petite vanne, on oublie) à un officier américain.
Et tant que j'y suis avec mes apartés d'auteure, j'en profite pour faire un petit rappel pour que tu votes.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top