XVI. Petit à petit

Comme tous les matins maintenant, je me réveille avec l'envie de croquer la vie à pleines dents, sans avoir un programme bien rempli.

Ou plutôt avec un programme bien chargé : salutations au soleil (en espérant que j'arrive à me souvenir de toutes les postures qu'Amy m'a enseignées), dégustation de cookies en guise de petit dèj (ah, les cookies d'Amy, je pense que sur mon lit de mort, j'en rêverai encore), méditation sur le sable (vais-je aller me baigner ou pas ?), puis peut-être un tour en canoë. Et bien sûr, m'occuper de Lupita.

Salutations au soleil donc, lui qui est déjà si radieux ce matin.


Je commence à prendre sérieusement mes marques sur cette plage et je n'ai pas le temps de m'ennuyer, je pourrais même aller jusqu'à dire que je ne perds pas mon temps. Amy m'a fait remarquer ce matin que je m'étais sérieusement améliorée en anglais et je ne suis pas peu fière. C'est vrai que depuis que je me suis mise à lire en anglais (le bouquin est certes plus proche de Oui-Oui que de Proust), j'ai l'impression de mieux comprendre. Pas tout bien sûr, ce qui nous vaut des beaux fous-rires, mais c'est un bon début. En tous cas, j'ai un niveau au moins aussi bon que si j'avais suivi le stage que me refusait mon patron. Peut-être sans emploi, mais avec plus de compétences : Pôle Emploi n'a qu'à bien se tenir, in case Estelle come back !

Et en même temps, je travaille mon espagnol avec les copines d'Amy. OK OK, je te l'avoue, je mélange un peu les deux langues, mais je ne me débrouille pas si mal. En tous cas, beaucoup mieux qu'Amy , tu la verrais essayer de prononcer les a et les r en espagnol ! Heureusement pour les anglophones que le reste du monde se plie à parler leur langue, parce qu'ils ne sont pas super aidés. Mais le problème qui nous concerne maintenant, c'est l'accent français. Si j'avais su qu'un jour on me demanderait de parler anglais avec un bon gros accent bien franchouillard, je n'aurais pas été si dégoûtée par les cours d'anglais où invariablement, dès que j'ouvrais le bec, on me reprochait la prononciation du fameux th. Je vais donc maintenant aux cours d'anglais accompagnée de Lupita qui imite mon accent. Pas facile pour elle qui parle couramment anglais mais en roulant les r et avec une ondulation de la phrase trop chantante. C'est pourtant pas difficile de parler tout plat !

En même temps, en ce moment, tout ce que je fais est épié par Lupita. Je me demande si ce n'est pas un peu exagéré, cette immersion dans mon identité pronée par Pat. Apparemment, c'est une technique d'acteur. Mais je ne vois pas en quoi s'astreindre à prendre un petit déjeuner à la française va rendre Lupita plus crédible lorsqu'elle passera la douane canadienne ! A mon avis, il vaut mieux qu'on travaille la ressemblance physique.

A ce propos, Amy veut qu'on aille faire les boutiques toutes les trois avec Lupita. Pas sûre qu'on trouve des fringues bien intéressantes dans les petites villes du coin. Je crois bien qu'il va falloir commander par internet. Mais j'ai juste un doute sur l'adresse de livraison !

Ca me fait penser que ça fait déjà une semaine que j'ai récupéré mon téléphone et je n'ai pas encore pris le temps de le recharger. Tu ne me croiras pas, et pourtant il semble que je sois devenue une autre personne ! Estelle : décontractée et déconnectée.

Il faudrait pourtant que j'appelle ma mère, pour la rassurer, parce que c'est sûr, elle va appeler Antoine si je la laisse sans nouvelles. Je t'avoue que je ne suis pas super motivée par ce coup de fil. Je sais, c'est pas sympa pour elle, elle doit s'inquiéter.

Remarque, elle s'inquiète tout le temps. Mais c'est vrai que cette fois, elle a une raison. Même si ce n'est pas une bonne raison dans l'absolu, pour elle, ç'en est sûrement une.

Mais comment lui annoncer ma rupture d'avec la société ? Je la vois déjà paniquer et se faire un film, appeler ses copines pour élaborer un plan, si ce n'est pas plus, genre contacter le Quai d'Orsay, remuer ciel et terre pour que l'ambassade de France tente de faire libérer le nouvel otage français retenu par un couple d'américains sur une plage du Mexique (encore un rapt au Mexique !), ma photo placardée en 4 par 3 sur le fronton des mairies, journalistes grouillants dans mon village natal, Anne-Sophie Lapix qui décompte mon temps d'incarcération en clôturant le 20 heures de France 2 (« Nous ne l'oublions pas ») et messages de soutien du monde entier (#BringBackOurEstelle brandi pas Michèle Obama). Et là pour le coup, je suis sûre que le GIGN trouvera l'adresse.

Alors lui parler du plan avec Lupita ? Hors de question !

Bon OK, moi aussi je me fais des films, ce qui prouve que je suis bien sa fille.

Mais tout ça ne me dit pas comment prévenir ma mère sans qu'elle en fasse tout un drame. Tu crois que j'aurais dû demander à Antoine de l'appeler ?

Non, je ne pouvais pas lui demander ça. La belle-mère, ça na jamais été le grand amour. Et puis déjà qu'il va devoir gérer tous les potes, ses collègues et les miens, sans compter mon patron, qui fin comme il est, va lui faire tout un tas de reproches, dont il aura inventé la moitié, qu'il ne mérite absolument pas.

Non, mauvaise idée Antoine.

Alors qui ? Qui serait capable de me comprendre et à la fois de calmer ma mère en mode volcan explosif ?

Si tu as une idée cher lecteur, prière de me contacter.

Ou mieux : appelle directement ma mère.

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