XVI. C'est pas l'homme qui prend la mer, c'est la mer qui prend l'homme
Ca y est, on part. Je viens d'aider Jean à relever l'ancre. Pendant qu'il se remet à la barre, je lance un dernier signe d'adieu à Max, Shirley, Stian et Lupita, le bras bien accroché autour du mât.
C'est une sensation étrange : eux qui deviennent tout petit, juste quatre points sur la plage qui recule, les arbres qu'on ne distingue plus que comme un moutonnement de nuances de vert, le souffle du vent sur mes joues, dans mes oreilles et sur mes cheveux et cet équilibre qu'il faut que je retrouve à chaque instant, petit décalage avec l'horizontale, ténu mais constant. Impression d'être plus haut que tout, au dessus de tout ça, au dessus de tous les problèmes du monde, au delà de toutes les frontières.
C'est un départ pour ailleurs, pour l'inconnu, pour la suite.
Pas d'annonce au haut-parleur de destinations égrenées, d'un départ imminent, d'une fermeture des portes. Personne qui court sur le quai, personne qui ne m'accueille à bord. Juste le vent sur mes joues, le bruit du moteur dans mes oreilles, ce tangage léger et la mer autour de moi, de plus en plus foncée, de plus en plus ridée.
La plage n'est plus qu'une petite lentille claire dans un tableau blanc en haut, vert au milieu et bleu en bas, avec une ligne noire censée représenter les rochers de lave.
- On va hisser les voiles ! j'entends tout à coup.
- OK, mais je fais quoi ?
- Quand je te le dis, tu vérifies que la voile passe bien dans le petit goulet le long du mat. Tu vois ? Elle est déjà enclenchée.
- OK !
Jean hisse la voile en gérant en même temps le gouvernail. Je t'avoue que je fais un peu potiche sur ce bateau.
Petit à petit, apparaît dans un raffut d'enfer un grand triangle écru, fait d'une toile qui semble indestructible. Jean tire sur une corde blanche et rouge après avoir tiré sur une corde jaune. Aussitôt le cordage bleu, qui se tenait bien tranquillement sur la coque, se met à taper partout avec une force inouïe, manquant mes jambes de justesse. Je me précipite auprès de Jean, dans l'endroit qui me paraît le plus sécurisé, quand un écart du bateau m'envoie m'aplatir contre le hublot de la cuisine. J'entends un bipbipbip, puis le moteur s'arrête et laisse place à un ffff apaisant. Je me redresse, les voiles sont gonflées comme par enchantement et semblent souffler leur bonheur de se réveiller enfin.
La mer clapote sur la coque en un plic ploc rythmé. Je regarde derrière : les flancs du volcan commencent à apparaître sous le blanc des nuages. Et tout en haut dans le ciel, ce panache de fumée, qui crache inexorablement ses gaz du fin fond de la terre.
Je reste une éternité à regarder l'île qui s'éloigne, sa forme conique sortie tout droit d'un dessin animé et ce panache hypnotique, bercée par la mer et le vent. Concentrée sur le coucher de soleil qui étale ses couleurs somptueuses à l'horizon et créé à travers les nuages, des camaïeux de bleus, de rose, d'ocre, de violet et même de vert, j'en oublie les verts de sa forêt et les bleus turquoises de ses vagues. Quand enfin le soleil me gratifie de ses derniers rayons, Hawaï n'est plus qu'un cône noir derrière le bateau, un cône noir surmonté d'un panache de fumée rouge.
Plus tard dans la nuit, après le repas, seul le panache subsistera.
Longtemps.
***********
Prêt(e) pour cette traversée au long cours ?
Que tu aies le mal de mer, que tu sois rassuré de quitter un volcan en éruption ou que tu sois enthousiaste à l'idée de continuer le voyage avec Estelle, n'oublie pas de voter.
(Et si tu as oublié de le faire aux chapitres précédents, ça va pour cette fois, retourne fissa le faire (discrètement)).
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