XIX. Surprise Party

- Tu veux que je me mette à l'eau là ?

- Exactement ! J'y vais aussi.

- Mais il est bourré de lions de mer ton coin !

- Justement !

- Justement ? Tu es inconsciente ou quoi ? Ce sont des lions de mer !

- Oui, comme à Disney Land !

- Des lions de mer à Disney Land ? Bizarre, en général dans les parcs d'attraction, ils mettent des otaries !

- Otaries, sea otter, sea lion, c'est pareil. Ce sont des animaux gentils. Les dangereux, ce sont les léopards des mers, mais on n'en trouve pas ici. Don't worry, sweety !

- Mais regarde ceux-là comme ils sont énormes, dis-je en montrant les gros patapoufs de plusieurs tonnes qui se prélassent sur la dalle au bord de l'eau !

- Eux ce sont les mâles. Ne t'inquiète pas, ils ne vont pas venir nager avec nous.

- Ben j'espère bien, parce qu'ils ont des gueules énormes ! Tu as vu comment le gros a rugi sur l'autre ?

- Nous allons jouer avec les femelles. Crois-moi Estelle, tu vas adorer. Allez, mets ça, dit-elle en me tendant des palmes, un masque et un tuba et en sautant dans l'eau depuis le canoë. Outch, it's freezin' !

Je regarde Amy s'éloigner en direction des otaries. On a fait deux heures de 4x4 sur une piste bien défoncée et on a ramé au moins une bonne heure sur son canoë pour arriver au pied de cet îlot, véritable a-pic en pleine mer. Nous sommes seuls au milieu de nulle part, ou plutôt seuls humains au milieu d'une colonie d'otaries. Et s'il nous arrivait quelque chose ? Et si la petite ancre du canoë, bricolée par Pat à partir d'un vieux grappin, se décrochait ? Et si le vent se levait ? Et la houle ? S'ils nous projetaient sur la dalle où se bagarrent les mâles qui s'écrasent sous leur poids de graisse ? Ou pire, nous entraînaient au large, de l'autre côté du détroit dont on ne voit même pas les côtes tellement il est large ?

- Alors, tu viens ? me crie-t-elle au loin. Et surtout n'oublie pas de faire des saltos. Pour qu'elles jouent avec toi.

Puisqu'on est là, allons-y !

Je m'arme de la panoplie palme-masque-tuba et saute dans l'eau.

- Whaaa ! C'est gelé !

Tellement gelé, que ça me monte au cœur. Tu imagines une crise cardiaque en pleine mer, paumée quelque part le long des côtes désertes de la Basse Californie ? La mort assurée (tu voulais de l'action ?)

J'entends déjà les copines de ma mère, au brunch après mon enterrement :

« Toutes mes condoléances pour ta fille. Mais quelle idée quand même de se baigner en Californie en plein hiver. Tu sais, avec Maurice on a fait San Francisco en février, oh quelle ville merveilleuse ! Bref, je peux te dire qu'il ne fait pas si chaud que ça, c'est un peu sur-fait comme destination soleil.»

« Basse Californie, pas Californie » corrigerait ma mère, avec un soupçon d'exaspération qui monte au nez.

« On est allé aussi à Los Angeles. Et Hollywood. J'ai un peu moins aimé, ce côté moderne ...»

« Catherine, ma fille s'est noyée au Mexique. Au MEXIQUE ! » exploserait enfin ma mère, l'exaspération s'étant mêlée au chagrin et au piment mexicain.

« Au Mexique ? Ah, fallait le dire plus tôt. Tu m'as parlé de Californie ! Le Mexique, quelle merveille ! Maurice a parlé de m'y amener. Il parait qu'ils ont des vestiges incas splendides ...».

Non vraiment, il faut que j'épargne ma noyade à ma mère.

Une seule solution, nager, nager à fond comme aurait fait Antoine.

MAIS C'EST QUOI CE TRUC ?

Je mets ma tête sous l'eau : une ombre me file entre les jambes. Une otarie ! P... elle est vachement grande. Et à l'aise, elle file comme une bombe. A peine a-t-elle disparu dans l'eau trouble qu'une autre me frôle, en me fixant bien droit dans les yeux. C'était un sourire ou une menace ça ?

- Hey Amy, elles sont là, je crie.

Pas de réponse. Amy est sûrement occupée avec une autre doublette. Je fais quoi ? La première otarie revient, esquisse une galipette autour de moi, et file vers le fond, rapidement rejointe par l'autre, qui lui tourne autour.

Faire un salto, c'est ce qu'elle m'a dit ? Je prends une grande inspiration, et plonge vers le bas en tournant sur moi-même. Pour les championnats du monde du patinage artistique, je peux encore m'entraîner, mais mon triple saut piqué a eu l'air de plaire à ces miss, qui reviennent à toute allure autour de moi. Elles veulent des roulades, elles vont en avoir !

« Les production d'Amy présentent : Le Tango Sous-marin. Ft. Estelle and the Otaries queens. »

Je tourne, je vire, je descends, je remonte et je reroule autour des deux puis trois, puis cinq otaries qui n'ont que faire de mon souffle court. Je voudrais être apnéiste pour pouvoir rester cinq minutes sous l'eau à jouer avec elles tellement c'est grisant.


Combien de temps suis-je restée ? Elles en veulent encore, mais je grelotte tellement que je n'arrive même plus à conserver mon tuba dans la bouche. Je me dirige vers le canoë où Amy est déjà en train de se réchauffer au soleil. Malgré ma bouche transie, j'arrive encore à sourire.

- Alors ?

- C'était génial. Extra. Hallucinant ! Amy, j'ai adoré ! Si l'eau avait été plus chaude, j'y serai restée toute la journée ! dis-je en montant sur le canoë, presque brûlant.

- Regarde, elle viennent nous chercher pour continuer.

J'enlève mon masque pour regarder autour. Dans l'eau claire, je les vois encore jouer, s'enrouler entre elles et filer sous notre embarcation.

- C'est sympa les filles, mais j'en peux plus. Je suis fatiguée !

- J'espère que tu as encore de l'énergie pour retourner à la côte.

- Laisse moi me réchauffer un peu. Tiens, je vais faire comme les mâles : lézarder au soleil !

Je range les palmes et tout le barda, prends mes lunettes de soleil, me tartine de crème et me détends enfin.

- Amy ?

- Oui sweety ?

- Tu viens souvent ici ?

- Pas assez !

- Merci de m'avoir fait découvrir cet endroit magique.

- You're welcome. C'est l'idée de Pat. Parce ce que tu n'as pas vu les baleines.

- C'est mieux que de voir des baleines ! ... Enfin, j'ai jamais vu de baleines, alors impossible de comparer, mais en tous cas, j'ai adoré cette attraction !

- Avec de la chance, tu verras les baleines à bosses à Hawaï. C'est magnifique quand elles sautent. Mais tu n'es pas toute seule comme ici, sweety, il faut aller sur un bateau de touristes. Et tu ne peux pas jouer avec elles !

- OK, je me renseignerai. Mais je n'aurai peut-être pas le temps. Ca va dépendre de quand Jean et Lupita arriveront.

- Oui bien sûr. Mais peut-être qu'il y a aussi des baleines à Tahiti ?

- Peut-être. Mais ça me semble très loin Tahiti.

- Tu as peur ?

J'ai envie de lui répondre « non, tout va bien, je suis un roc, rien ne peux m'ébranler. » Mais à quoi ça servirait de mentir à Amy ?

- C'est pas une peur, comme tout à l'heure quand l'otarie m'a frôlée la première fois.

- Elle t'a fait peur, rit-elle ?

- Ben, elle est quand même costaud par rapport à moi. Et elle a des dents. Et elle est beaucoup plus à l'aise que moi dans l'eau, ça il faut l'admettre !

- Alors tu as peur de quoi, pour la suite ?

- Je crains de m'embrouiller à Los Angeles. Et si je ratais mon avion pour Hawaï ?

- Pourquoi veux-tu rater l'avion ?

- Je ne sais pas moi, par exemple, si le premier avion est en retard, du coup, je loupe ma correspondance. Ou s'ils changent de porte d'embarquement et je me perds dans l'aéroport de Los Angeles qui doit sûrement être immense. Ou s'il y a un attentat, que sais-je encore ? Je ne parle pas assez bien anglais, moi, pour me débrouiller !

- C'est juste. Je ne crois pas que ça t'arrivera, mais on peut réfléchir avec Pat à un moyen de t'aider.

- Merci

- No worries ! Autre chose qui te fait peur ?

- Pour être franche, la traversée en mer, sur le bateau de Jean, ça ne m'enchante pas des masses. Oui, une virée en voilier, ça semble extraordinaire comme ça, j'ai d'ailleurs toujours trouvé ça romantique, mais là, on va être en plein milieu de l'océan ! Pire qu'ici ! Si je tombe à l'eau, je suis morte ! Et si ça se trouve, je serai morte avant, à force d'avoir trop vomi ! J'ai déjà limite le mal de mer sur un ferry pour une traversée d'une heure, alors là, ça va être coton !

- Oh sweety, je suis désolée de tout ça.

- Non tu n'as pas à être désolée. C'était mon idée, je dois assumer !

- Si tu ne veux plus partir, on peut encore annuler. Well, ça va être compliqué de contacter Jean et Lupita, c'est sûr, mais c'est encore possible si tu ne le sens pas.

- Non, Amy, on n'annule rien. Je vais prendre sur moi. Et je t'avoue que la perspective d'aller à Hawaï et Tahiti, ça va bien m'aider !

- Sûre ?

- Sûre ! Merci pour tout Amy. Je ne t'oublierai jamais.

- Tu n'es pas encore partie ! Il te reste encore quelques jours ! Et il faut qu'on rentre à la côte. Prête pour ramer ?

- J'ai un peu chaud, là !

- On se remet un petit moment à l'eau avec les otaries et on rentre, ça te va ?

- Super. Vous-êtes toujours là les filles ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top