X. Voyage au centre de la terre

Non ce n'est pas le rhum d'hier soir qui me gronde dans la tête, le bruit vient bien de dehors.

- She's awake, j'entends dehors.

- Estelle ? Tu devrais sortir.

Ce que je vois en sortant la tête est hallucinant : le ciel noir est devenu rouge feu.

- Le volcan !

- Tu as déjà vu ça ?

Un volcan en éruption, à part sur les diapos du cours de géologie en 4ème, non, ça ne court pas les rues. D'ailleurs, j'avais tellement adoré ces cours qu'un temps je me voyais en vulcanologue, parcourant la planète un masque sur la figure pour traquer les volcans effusifs (les hawaïens, ça me revient maintenant) et les volcans explosifs (les indonésiens et philippins). Et puis on est passé à la biologie cellulaire, je n'ai pas aimé l'ATP, cette molécule trop parfaite qui apporte de l'énergie au muscle, bien pratique, mais avoue qu'elle a quand même moins de panache que l'éruption du Pinatubo ou le nuage de cendre du Vésuve. Du coup, j'ai eu des mauvaises notes en SVT et comme c'était pas mieux en maths, j'ai fini cuisiniste. Dommage.

- Ca te dirait d'aller le voir de plus près ? me demande Max, les yeux pétillants comme un gosse trop content.

Ma revanche : Haroun Tazieff me voilà !

Nous voilà donc marchant depuis un bon quart d'heure, sur une sente dans la jungle nocturne, à peine guidés par le halo de la lampe et la lueur rouge du volcan. Le vrombissement est plus fort maintenant que nous nous sommes approché.

Max, qui connaît tous les chemins de son pays, nous a conduits sur une vieille piste défoncée que seul son 4x4 peut prendre (je n'ose pas imaginer la facture pour le changement prématuré des amortisseurs). Arrivés au sommet, nous sommes partis en courbe de niveau en direction d'un point de vue. Oui, un point de vue en pleine nuit sans lune !

- C'est interdit, normalement de se promener pendant les éruptions. Mais ici, nous ne craignons rien.

- Max est guide parfois, pour le parc national, me précise Shirley.

Au détour d'une fougère géante aux allures de Jurassic Park, nous arrivons sur une vaste étendue noire. Au loin, une grosse fumée rouge vif.

- Par ici !

Je suis Max, Shirley et Stian sur l'étendue étonnement sableuse, en direction de la fumée rouge. Je distingue quelques mousses à mes pieds qui apparaissent jaunes fluo dans cette lueur d'un autre monde.

On marche un bon moment sur ce sol lunaire sous un ciel à l'allure intergalactique, avançant dans une atmosphère à la fois moite et fraîche, toussant au gré de l'apparition furtive d'un gaz suspect, butant soudain sur un caillou trop léger. Je repense à la discussion du premier soir avec Max. A vivre ici, je commence à comprendre qu'on puisse développer de telles théories.

Sans que je ne m'en aperçoive, perdue dans mes pensées délirantes de big-bang, d'expansion de l'espèce, de biodégradabilité des emballages de barres de céréales et de survivalisme (bloubiboulga improbable des conversations avec mes hôtes, je commence moi aussi à perdre la boule), nous atteignons un promontoire dégagé. Devant moi, un feu d'artifice rouge.

Magnifique.
Majestueux.
Hypnotique.

J'ajuste la pause longue sur l'appareil photo pendant que Max me raconte ses éruptions passées, m'explique les coulées de lave et les projections de pierres, les incendies autour et les fumées toxiques. Il me parle des maisons brûlées, des routes coupées et même des bateaux interdits de naviguer le long de la côte. Je pense à Jean et Lupita qui doivent absolument nous rejoindre. Je pense à nous, peut-être coupés du monde. Je pense à Max, Shirley, Stian et à tous ces gens que j'ai croisés ici et qui pourraient tout perdre. Je pense aux géologues et aux pompiers, qui vont risquer leur vie. Je pense à tout ça en regardant la beauté de la lave qui s'écoule lentement, projetée d'un cratère qui n'existait pas hier. Je pense à tout ça devant ce spectacle extraordinaire de son et lumière, qui renvoie au rang de Castor Junior le Puy-du-Fou. Je pense à tout ça, transcendée par le grondement de la terre, fascinée par la puissance des couleurs qui imprime des traînées rouges sensationnelles sur la carte mémoire de mon appareil photo.

Comment une telle beauté peut engendrer tant de désastres ?


A la lueur du jour montant, nous quittons notre vigie. Au dessus du cratère, s'échappe un panache de fumée, rouge. Au dessus de la mer, un panache blanc. Et entre les deux, tout le long de la coulée, des flammes et de la fumée, toujours de la fumée. Un paysage que je ne me lasse pas de photographier. Mais il faut partir avant que ce ne soit trop dangereux.

Le rouge du ciel atténue maintenant le rouge de la terre. Rouge sur rouge : rien ne bouge.


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