X. L'alchimiste
Ce que je ressens pour Ta'aroa est au-delà des mots. C'est l'alchimie que je cherchais depuis longtemps. Que nous cherchons sûrement tous. Est-ce ça le Graal ?
Serait-ce la combinaison qui ouvre les portes de l'Extase (ou des Cités d'Or) ?
Deux étoiles dans l'univers qui se rencontrent enfin. Et de leur fusion, naît un festival de couleurs, de formes, de textures. Ce n'est pas une Super Nova, c'est une Super Lover.
Je ne sais pas comment t'expliquer tout ça. De vrais écrivains l'ont déjà couché sur le papier des millions de fois mieux que moi. Il y est question de Tendresse, de Douceur, de Sensations, d'Aimer et d'être Aimée.
C'est comme si Ta'aroa avait fait tomber des barrières invisibles, ouvert des chakras, augmenté mes perceptions.
J'ai comme l'impression d'avoir accès à un autre pan du monde, de voir dans l'invisible, d'entendre dans l'inaudible, de toucher l'intouchable, mais aussi de prévoir, de pressentir, de percevoir enfin, avec de nouveaux sens dont j'ignorais jusqu'ici l'existence.
Je me sens légère, je me sens joyeuse, je me sens épanouie. Comme une fleur qui s'ouvre enfin, après des mois et des mois d'attente. Comme un rayon de soleil au beau milieu de la pluie. Comme le meilleur morceau de musique joué par les meilleurs artistes du monde à la fin d'un concert exceptionnel. C'est ça : une vibration. Je crois qu'enfin, j'émets les bonnes ondes. Des ondes universelles, en harmonie avec l'énergie de l'univers.
Tiens, je commence à délirer comme Max. C'était donc ça sa drogue : l'Amour ? Einstein était-il terriblement amoureux pour que son cerveau puisse imaginer de telles théories ?
Il a fallu 40 ans pour que nos chemins se croisent. Et un concours de circonstances improbables.
Et des milliers de kilomètres parcourus.
Si c'était écrit quelque part dans la Destinée, je me permets néanmoins une petite suggestion : ne serait-il pas plus facile (et plus écologique) de regrouper géographiquement les couples ?
Je suis donc restée. Tant pis pour Tahiti et le Sheraton de Bora-Bora, j'ai accepté la vie que me proposait Ta'aroa.
Tu devais bien t'en douter.
Jean est parti il y a quelques jours. Ou quelques semaines peut-être ? Le temps s'étire tellement ici ! C'est la première fois que je le voyais ému. Emu pour moi, Emu pour Mireille. Mais pourquoi n'est-il pas resté ? Quel est ce besoin qui le pousse à toujours partir un peu plus loin, à aller voir ailleurs par delà les mers, pour toujours repartir ? S'ils ne pouvaient pas vivre ensemble ici, il aurait au moins pu lui faire une vraie déclaration d'amour, la prendre dans ses bras et l'emmener avec lui. Lui qui me parle de vivre et de séquence, je vois bien qu'il est en transit entre des souvenirs. Mais à quoi bon lui dire ? Jean n'est pas prêt à entendre des conseils. Surtout venant de moi.
Alors je lui ai dit au revoir, simplement en le prenant dans mes bras, la gorge bien serrée quand il est monté dans son annexe. En voyant l'Esperance gonfler ses voiles en direction du Sud, j'ai su que je perdais à la fois un père et une partie de ma vie : lui seul était le témoin de notre incroyable histoire. Lui, et toi qui as lu ces lignes. D'ailleurs ici, personne ne sait. A quoi bon ? Je n'ai même pas été refaire mon passeport.
Ici, je suis Estelle, la femme de Ta'aroa . Et, tu l'auras compris, ma vie est simple, elle est faite d'amour, de fruits, de soleil et de fleurs.
Et elle est belle.
Alors que t'écrire de plus que tu ne trouverais pas mièvre ?
Te raconter la douceur des nuits et la langueur des jours ? Le tap-tap des geckos attendant de se repaître d'un moustique et le léger vrombissement du battement d'aile d'un colibri ? Mes journées farnientes, fuyant la chaleur dans le hamac à l'ombre du flamboyant ou batifolant dans une cascade ? Mes découvertes de cette île, entre partie de pêche et cache-cache avec les nonos, ces petites mouches de sable qui pourrissent les séances de bronzage ? Notre excursion sous les falaises acérées mystiques de Tapivai et nos galops dans les champs verts, serrant Ta'aroa de toutes mes forces pour ne pas tomber et pour le plaisir d'être contre lui ? Les fougères arborescentes que j'adore prendre en photo (Ta'aroa ne se lasse pas d'arrêter la voiture pour ça, il me regarde en souriant) et les motifs Marquisiens que j'apprends à dessiner ? Les raies-mantas qui jouent comme les otaries et les pamplemousses si sucrés et juteux ? Les barbecues au bord de la mer avec la musique live de Ta'aroa et ses amis, qui sont maintenant les miens ? Le grand rire grave de Ro'onui et sa voix aiguë lorsqu'il entonne un refrain ? La dextérité de Ma'uvu jouant du ukulélé avec des mains plus larges que mes cuisses ? Ses pieds, peut-être plus larges que longs ? La douceur de Te'ani, la petite sœur de Ta'aroa et la finesse de ses longs cheveux noirs ? La gentillesse et la simplicité de Simone, leur mère ? Ses merveilles au goût citron-coco qui font des merveilles ? Les nattes qu'elle fabrique en feuilles de pandanus ? Les colliers de fleurs aux mille senteurs ? Les bouquets que me cueille Ta'aroa ? Et bien sûr, nos nuits d'amour toujours aussi merveilleuses ?
La routine du bonheur.
Et là, je rejoins Nadine M. : au bout d'un moment, il n'y a plus rien à dire.
Seulement à la vivre.
Yvette, ma prof de français contorsionniste, celle qui habitait rue Saint Nicolas dans un appartement encombré de bouquins, ne m'a pas appris à finir un roman, alors excuse-moi d'avance pour cette fin bâclée. Tu peux maintenant sauter de ton hamac ou sortir de ta rame de métro, cher lecteur, c'est ici que je te quitte.
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