VI. Le pays imaginaire

Ce matin, Shirley me réveille avec un jus d'orange tout frais.

- Bananes papaye.

- C'est tous les jours comme ça ici ?

- Non, seulement le week-end. J'ai le temps.

- Chouette alors.

- Ca te dirait une petite balade en bord de mer ?

- Bien sûr !

- OK, rendez-vous dans dix minutes.

Réveil en fanfare donc. Mes yeux ont intérêt à se décoller fissa. Je l'ai mis où, mon maillot de bain ?


La jeep descend plein sud, droit vers la mer, à travers une végétation rase et sèche. Depuis le bar le plus au sud des USA, c'est ainsi que se définit la petite baraque de bois blanc qui borde la route, nous avons quitté la forêt tropicale humide pour une espèce de steppe. Sans transition, comme s'il y avait eu une frontière invisible qui stoppait les nuages de pluie.

Devant nous donc, la mer d'un bleu intense et assez impressionnant, vers laquelle nous descendons ; de part et d'autre la steppe ; et à droite tout au fond, des amas de roche noire.

- La dernière éruption du Manua Lea.

Elle me montre la montagne tout au loin derrière, au bout de cette grande pente douce.

- Jusqu'ici ?

- Oui, bien sûr ! Tu sais, l'île est un gigantesque volcan. D'ailleurs, nous sommes en risque élevé en ce moment.

- Ce qui veut dire ?

- Que tu auras peut-être la chance de voir une éruption volcanique.

- La chance ?

- Oui, c'est tellement magique comme expérience !

- Euh, mais une éruption, c'est pas de la lave à plus de mille degrés qui rase tout sur son passage ?

Elle rit.

- Et tu trouves ça magique ? C'est pas plutôt dangereux ?

Après Estelle chez Pat l'Eventreur, ne manquez pas le nouvel épisode des aventures d'Estelle : Estelle chez Madame Foldingue !

- Effectivement, c'est destructeur. Mais c'est la nature. Et ici, sur l'île d'Hawaï, tu te trouves dans le vortex de la terre, comme l'appelle Max.

- Le vortex ?

- Oui, l'endroit de la terre qui concentre le maximum d'énergie. La nature à l'état brut.

Je corrige : Estelle chez les mythos azimutés.

Elle s'arrête juste avant les falaises, sur une dalle ocre cuivrée qui fait office de parking. La mer gronde en contrebas.

- Tu vois ça ? dit-elle en me montrant des portiques moitié rouillés à l'aplomb des falaises.

- C'est quoi ?

- C'est pour descendre les bateaux des pêcheurs.

- Quoi ? Ils vont pécher là ? dis-je en regardant les vagues qui s'éclatent violemment contre la falaise en contre-bas.

- Tu sais, il y a beaucoup de poissons ici.

- Mais c'est dangereux. Sans compter que ça a l'air profond.

- Ca l'est. Tu vois la pente qu'on a descendue jusqu'ici ? Eh bien, elle continue plus bas, elle ne s'arrête pas au niveau de la mer.

- Et c'est profond comment ?

- 5 000 mètres.

- Tu veux dire 500 mètres, je la corrige.

- Non, 5 000 mètres. Hawaï est la plus grande montagne du monde.

- Mais ...

- L'Himalaya ? me coupe-t-elle, c'est l'altitude la plus élevée. 8 842 m, alors qu'Hawaï mesure plus de 9 000 mètres de haut. Et encore, c'est sans compter le socle qui est dans le manteau terrestre. D'après les scientifiques, le volcan ferait 17 km, précise-t-elle sur le ton d'une prof de géographie.

Je regarde le bleu intense de la mer. 5 000 m sous mes pieds. Il doit y en avoir des poissons et toutes sortes de créatures des profondeurs. 20 000 lieues sous les mers et Abyss, ça se passe là.

- Je ne suis pas sûre d'avoir envie d'aller me baigner ...

- Oh, mais ce n'est pas là que nous allons. Allez, en voiture !


Nous reprenons la jeep sur une piste chaotique qui longe la mer et les baies qui se succèdent. Il fait chaud, on manque de s'enliser plusieurs fois dans le sable, mais Shirley est enthousiaste.

- C'est là qu'on descend, dit-elle enfin en s'arrêtant au milieu de la steppe. On finit à pied.

A pied par cette chaleur ?

Nous voilà parties, le parasol et les sacs de plage en bandoulière. Au bout de quelques dizaines de mètres, nous surplombons une baie couverte d'algues vertes.

- Alors ? me demande-t-elle en me pointant la baie au dessous.

Quoi? On s'est tapé le cul sur cette piste pourrie pour ça ? Je préférai la plage de sable noir en bas du village !

- Tu trouves ça comment ? Elle insiste.

- Oui, joli, je lui réponds par politesse.

- Joli ?

- Oui, pas mal.

Cache ta joie, Estelle !

- Tu ne vois rien d'étonnant ?

Je scrute le bleu intense de la mer, en quête d'un banc d'otaries, de dauphins ou de baleines, Amy m'avait parlé des baleines d'Hawaï.

- La plage, là !

- Les algues ?

- Ce ne sont pas des algues !

- Ah bon, d'ici, j'aurai pourtant cru. De l'herbe alors ?

- Viens !

Nous descendons vers la plage, le long d'un petit chemin caillouteux noir-ocre.

- Alors ? me répète-elle, alors que nous atteignons le bord de la plage.

Je regarde le sol, devenu vert kaki avec des reflets dorés.

- Mais on dirait ...

- Du sable, oui !

- Du sable vert ? dis-je en tripatouillant le sable comme une vraie gosse, prête à construire un château magique.

Tout à coup, au milieu de ce sable merveilleux, j'ai comme l'impression d'avoir été téléportée sur une autre planète. Je ne serais pas surprise de voir gambader une licorne. Au fait, il est de quelle couleur le sable des plages du pays imaginaire ?

- Mais dis moi, Shirley, comment vous faites ?

- Faire quoi ?

- Pour le rendre vert, le sable ?

- On ne fait rien, c'est naturel. C'est le vortex ici je t'ai dit !

Je comprends mieux d'où viennent les théories de Max. Bienvenue chez les martiens, Estelle !

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